Chapitre 4 La bientraitance à l'hôpital Approches juridiques Philippe Jean1 C es dernières années, le monde hospitalier a constaté l'émergence des droits des patients, entre la Charte du patient hospitalisé de 1995 et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients2. En parallèle, les établissements sociaux et médico-sociaux se sont emparés de la problématique de la maltraitance qui pouvait y survenir sur des personnes âgées ou handicapées, particulièrement vulnérables. La HAS a publié une étude sur la maltraitance au quotidien dans les établissements de santé [1]. Dans la perspective de l'Année du Patient (2011), le ministère de la Santé a souhaité mettre en valeur la thématique de la bientraitance à l'hôpital [2]. Un débat s'engage sur la définition de la bientraitance, mais ne s'agirait-il pas simplement de mettre en application les valeurs professionnelles fondamentales qui, au-delà du strict respect des droits des patients et de l'objectif de l'amélioration de la qualité des soins, permettent aux professionnels de prendre en considération la personne accueillie dans sa dignité suivant une conception humaniste ? 1 2 Directeur adjoint, Direction des Affaires Médicales et des Droits des Patients, Centre hospitalier de Pau, 4, boulevard Hauterive, 64046 Pau cedex. Les premières traces d'une reconnaissance des droits des patients apparaissent dans la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière et la première Charte du malade hospitalisé d'avril 1974, annexée à une circulaire ministérielle de Simone Veil peu de temps après sa prise de fonction en qualité de ministre de la Santé. Bientraitance et qualité de vie © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 0001997675.INDD 41 7/31/2013 6:00:35 PM 42 La bientraitance La notion de bientraitance apparaît peu maîtrisée en matière de conceptualisation juridique. Peu présente dans le droit positif et la jurisprudence, elle mérite une tentative de définition et suscite des démarches et des questionnements juridiques. La « bientraitance » apparaît peu dans le droit positif et la jurisprudence La « bientraitance », néologisme relativement récent, apparaît peu dans le droit positif (normes s'imposant aux professionnels et aux établissements de santé : lois et règlements) ou la jurisprudence (arrêts et jugements des juridictions administratives, notamment le Conseil d'État et les Cours administratives d'appel3). La rareté du terme « bientraitance » en droit positif Une recherche effectuée sur le site www.legifrance.gouv.fr des termes « bientraitance » ou « maltraitance » se révèle décevante : ces mots n'apparaissent ni dans le Code civil4, ni dans le Code pénal5, ni dans celui de la Sécurité sociale. Dans le Code de l'action sociale et des familles régissant les institutions et services sociaux et médico-sociaux, et donc les établissements accueillant les personnes âgées, les personnes handicapées, les enfants, le terme « bientraitance » n'apparaît qu'en 2013 suite à la publication du décret n° 2013-16 du 7 janvier 2013 portant création du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées6 et insérant dans ledit code de nouveaux articles : D. 116-1 à D. 116-3. Ce code comporte des indications touchant à la prévention de la maltraitance et à la lutte contre celle-ci. 3 4 5 6 0001997675.INDD 42 Le champ de l'étude se limite ici aux seuls établissements publics de santé. La recherche n'a pas été entreprise dans la jurisprudence de l'ordre judiciaire : Cours d'appel, Cour de cassation… Bien que ce code, dans ses articles 16 et suivants, consacre pleinement le principe de dignité de la personne humaine et les principes fondamentaux d'indisponibilité et de non-patrimonialité du corps humain. Bien que ce code sanctionne les atteintes à l'intégrité du corps humain, les violences physiques et psychiques, les atteintes aux biens des personnes vulnérables. Ce nouveau Comité se substitue au Comité national de vigilance et de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des adultes handicapés (décret n° 2007-330 du 12 mars 2007) qui, lui-même, remplaçait le Comité national de vigilance contre la maltraitance des personnes âgées, instauré par l'arrêté du 16 novembre 2002 (JO du 6 décembre 2002, p. 20110). 7/31/2013 6:00:35 PM La bientraitance à l'hôpital 43 • Elle constitue l'un des objectifs de la politique de prévention du handicap (article L. 114). • Sont préconisés des supports d'information et de sensibilisation (notices, livret d'information pour la prévention de la maltraitance ou la lutte contre celle-ci) : article L. 146-7 mentionnant le livret d'information ; article L. 471-6 sur les mandataires judiciaires ; article L. 311-4 prévoyant la diffusion de la charte des droits et libertés lors de l'accueil. • Elle est prise en considération dans le programme de formation des travailleurs sociaux (article L. 451-1). Dans le Code de la santé publique (CSP), les références à la bientraitance sont rares. L'on y trouve l'une des missions de l'Agence régionale de santé en termes de développement de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance (article L. 1431-2). En revanche, dans les codes de déontologie ou dans les règles professionnelles des professions médicales et paramédicales, en dépit du rappel du principe de respect de la dignité de la personne soignée, le terme de bientraitance n'apparaît pas. Celui de maltraitance n'est mentionné que dans le cadre du rôle propre de l'infirmier (article R. 4311-5). La bientraitance est devenue une composante de la qualité des soins, de l'accueil et de la prise en charge des patients. Le CSP, depuis la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière (Loi Évin), fait état pour le patient d'un droit à des soins de qualité (article L. 710-3, puis article L. 1112-2). Dans ce cadre, ont émergé des normes de pratique professionnelle par le biais des procédures d'accréditation mises en œuvre par l'ANAES, puis de certification des établissements de santé relevant de la compétence de la HAS (créée par la loi de santé publique du 13 août 2004 relative à l'Assurance maladie), autorité administrative indépendante à compter du 1er janvier 2005. Dans la première version de l'accréditation, le premier chapitre était consacré aux droits et informations du patient. Le terme de bientraitance apparaît explicitement dans le manuel V2010 de certification des établissements de santé. Présentant des évolutions par rapport aux versions antérieures, ce nouveau manuel fait état de développements thématiques concernant les droits des patients : « – nouveau positionnement des exigences relatives aux démarches éthiques ; – sensibilisation à la notion de bientraitance. […] il a paru nécessaire, dans le cadre des travaux sur la V2010, d'aller au-delà d'exigences en matière de prévention de la maltraitance, limitées aux faits délictuels et individuels, en incitant les établissements à mettre en place des démarches permettant de rendre les organisations plus respectueuses des besoins et des attentes des personnes ; – renforcement des exigences relatives aux droits des patients en fin de vie et aux soins palliatifs. » La prise en charge et les droits des patients en fin de vie (critère 13.a) sont érigés en pratique exigible prioritaire. Peuvent également relever de la prise en considération de la bientraitance les critères suivants : 0001997675.INDD 43 7/31/2013 6:00:35 PM 44 La bientraitance • 1.c Démarche éthique ; • 1.d Politique des droits des patients ; • 1.e Politique d'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ; • l'ensemble de la référence 9 : La gestion des plaintes et réclamations et l'évaluation de la satisfaction des usagers (critères 9.a et 9.b) ; • l'ensemble de la référence 10 : La bientraitance et les droits déclinés par les critères suivants : 10.a Prévention de la maltraitance et promotion de la bientraitance ; 10.b Respect de la dignité et de l'intimité du patient ; 10.c Respect de la confidentialité des informations relatives au patient ; 10. d. Accueil et accompagnement de l'entourage ; 10.e Gestion des mesures de restriction de liberté. De manière plus transversale, sans doute faudrait-il aussi considérer de multiples approches telles que la sécurité des biens et des personnes (critère 6.a), la qualité de la restauration (6.c), la gestion du linge (6.d), le transport des patients (6.e) ainsi que la globalité du chapitre 2 relatif à la prise en charge du patient. Nous sommes à la frontière floue entre les normes juridiques et les normes qualiticiennes en constatant que ces dernières, veillant aux pratiques professionnelles, se réfèrent, quand elles existent, à des normes juridiques : sanction des violences constitutives de maltraitance, droit à la dignité et à l'intimité, droit à la confidentialité des informations… La jurisprudence sanctionne les cas de maltraitance Une recherche a été effectuée fin 2012 sur legifrance.gouv.fr dans la rubrique « jurisprudence », toutes juridictions administratives confondues, en procédant à une double requête utilisant les mots « bientraitance » et « maltraitance/hospitalier ». Bientraitance De la requête « bientraitance » ne ressort qu'un seul arrêt (Cour administrative d'appel de Lyon, 8 avril 2010, Association EVISCOM, n° 08LY00765), n'employant ce mot qu'à travers l'expression de « manque de bientraitance ». L'affaire concerne le retrait d'enfants confiés à une association et relève de la sphère médico-sociale. Une telle rareté du terme bientraitance ne constitue en rien une anomalie dès lors que les juridictions ne peuvent être saisies que de phénomènes négatifs générant des contentieux. Maltraitance La requête « maltraitance » donne des résultats plus importants. Ce mot apparaît une première fois dans un arrêt du Conseil d'État le 29 avril 2002 (Centre hospitalier intercommunal du Bassin de Thau, n° 227341). Peuvent être consultés neuf arrêts du Conseil d'État et de Cours administratives d'appel que l'on peut analyser en termes de cartographie (dans quels lieux sont évoqués des faits de maltraitance ?) et de typologie (permettant de classer d'une part la nature des faits constitutifs d'une maltraitance et les professionnels de santé mis en cause, d'autre part le cadre procédural ayant donné lieu à la jurisprudence). 0001997675.INDD 44 7/31/2013 6:00:35 PM La bientraitance à l'hôpital 45 Une telle recherche ne saurait être exhaustive. D'autres arrêts sanctionnent des comportements inappropriés relevant d'une absence de bientraitance mais sans se référer expressément à la notion de maltraitance : Cour administrative d'appel de Bordeaux (26 août 2008, n° 06BX01257) concernant une ASH d'une maison de retraite publique (atteinte à la dignité par des propos obscènes et orduriers, gestes brutaux à l'encontre des personnes âgées et mauvaises relations professionnelles avec les collègues). La matérialité des faits et les éléments contextuels donnent lieu à une analyse pondérée et nuancée : Conseil d'État du 2 septembre 2009, Centre hospitalier Fernand Langlois, n° 310932. En l'occurrence, une infirmière avait été révoquée pour avoir giflé une personne hospitalisée. La sanction avait été d'autant plus sévère qu'il y avait récidive. La Commission des recours a proposé une sanction d'une moindre sévérité : exclusion temporaire des fonctions d'une durée d'un an et mise à l'épreuve d'une année dans un autre service. Le Conseil d'État a confirmé la validité de cet avis qui s'impose à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire : la requérante, affectée dans un service accueillant des personnes très vulnérables, avait giflé une résidente qui l'avait mordue alors qu'elle lui donnait un médicament. La commission des recours avait relevé, d'une part que si la requérante ne contrôlait pas toujours ses réactions et avait déjà donné une gifle à un résident en 2005, elle avait elle-même informé ses supérieurs hiérarchiques de ces incidents et reconnu ses torts et que, d'autre part, son geste fautif avait constitué une réaction spontanée à la blessure infligée et à la douleur ressentie du fait de la morsure dont elle avait été victime ; cette motivation de l'avis de la Commission des recours était apparue suffisante. La sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions d'un an suivie d'une mise à l'épreuve d'un an dans un autre service n'était pas, eu égard aux circonstances relevées, manifestement insuffisante. Antérieurement à 2002, les atteintes à la dignité des personnes et les violences faisaient déjà l'objet de contentieux relatifs aux procédures disciplinaires sans que le terme de maltraitance ne soit utilisé. La jurisprudence, illustrant le contrôle opéré par le juge administratif sur les procédures disciplinaires, offre quelques exemples significatifs de fautes professionnelles commises par des personnels hospitaliers à l'encontre des droits des patients : • Conseil d'État, 6 mai 1996, Centre Hospitalier de Fougères, n° 164382 : gifle à un pensionnaire âgé d'une maison de retraite ; • Conseil d'État, 21 juillet 1995, Administration générale de l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris, n° 150285 : révocation pour brutalités verbales et physiques sur des personnes hospitalisées ; • Cour administrative d'appel de Nantes, 25 janvier 1995, Maison de retraite de Bléré, n° 94NT000067 : agressivité, propos injurieux à l'égard de pensionnaires ; • Conseil d'État, 1er juin 1994, CHS Le Valmont, n° 150870 : atteinte à l'obligation de secret professionnel. 0001997675.INDD 45 7/31/2013 6:00:36 PM 46 La bientraitance Tentative de définition juridique de la notion de bientraitance dans le contexte de la démocratie sanitaire Dans la plupart des documents consultés, la recherche de la définition de la bientraitance fait ressortir deux tendances complémentaires : un versant sociopsychologique lié à l'empathie dans la relation soignant/soigné et un versant afférent aux pratiques professionnelles. Ces approches complémentaires sont légitimes : elles explorent des champs très diversifiés mais qui relèvent peu du champ juridique stricto sensu. Dans une approche juridique, institutionnelle, philosophique et politique, on pourrait définir la bientraitance dans deux approches complémentaires : • le droit à des soins de qualité ; • le respect des droits, et plus encore, de la dignité des personnes. Cette approche pourrait être discutable dès lors qu'elle serait susceptible de restreindre le champ de la bientraitance, généralement envisagée dans une approche globale, sociopsychologique. Toutefois, elle permet de faire émerger une question exceptionnellement évoquée : quelle sanction (positive ou négative) pour les pratiques de bientraitance, d'insuffisance ou d'absence de bientraitance ? Le droit à des soins de qualité La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a établi le droit à l'accès aux soins, qui doivent être des soins de qualité. Cette thématique des soins de qualité instaurée par la loi du 31 juillet 1991, s'est traduite dans l'ordonnance du 24 avril 1996 par la définition de la procédure d'accréditation. Différents articles du Code de la santé publique mettent en valeur l'articulation des procédures d'évaluation de la qualité des soins et de la prise en charge, et le respect des droits des patients. Aux termes de l'article L. 1110-7 du CSP : « L'évaluation […] et l'accréditation […] prennent en compte les mesures prises par les établissements de santé pour assurer le respect des droits des personnes malades… Les établissements de santé rendent compte de ces actions et de leurs résultats dans le cadre des transmissions d'information aux agences régionales de l'hospitalisation […].» Nous pouvons aussi nous référer aux articles L. 1112-2, L. 6113-1 et L. 6113-2. Le droit au respect de la dignité de la personne Le respect du patient, de ses droits, de sa dignité, constitue le fondement philosophique et éthique de la responsabilité des professionnels de santé. L'acceptation, voire l'appropriation de ce principe, fonde une morale qui trouve sa légitimité dans l'humanisme et l'altruisme, à dissocier d'une approche déontologique trop spécifiquement corporative. Elle est convergente avec les valeurs fondatrices du service public hospitalier et découle de la philosophie juridique inspirant le droit français depuis les lendemains de la Seconde guerre mondiale : le principe du respect de la dignité « au lendemain de la victoire remportée 0001997675.INDD 46 7/31/2013 6:00:36 PM La bientraitance à l'hôpital 47 par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine » a été inscrit dans le préambule de la Constitution de la IVe République demeuré en vigueur sous la Ve République. Le principe de dignité7, reconnu depuis 1946, a trouvé une traduction juridique dans la jurisprudence constitutionnelle en 1994 à l'occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi de bioéthique8 puis dans la jurisprudence administrative sur des questions étrangères au droit de la santé : police des spectacles à propos du « lancer de nains », droits des détenus dans les prisons françaises9. S'agissant des établissements de santé, on peut mentionner l'apport le plus original de la première charte de 1974 qui réside dans une seule phrase, presque un seul mot dans la circulaire puis dans la Charte elle-même : « Un droit essentiel figure dans la charte, le droit pour le malade au respect de sa dignité et de sa personnalité, condition d'une véritable humanisation de l'hôpital. […] Compte tenu des locaux dont dispose l'hôpital10 et des nécessités d'organisation des soins, la personnalité et la dignité de chacun doivent être respectées. » Il convient de mentionner la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, insérant un article dans le Code de la santé publique : «La personne malade a droit au respect de sa dignité» (article L. 1110-2). Il n'est pas étonnant de retrouver l'obligation de respect de la dignité de la personne malade ou du patient dans les textes à vocation déontologique. L'article R. 4127-2 du CSP lui fait écho dans le domaine de la déontologie médicale : « Le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s'imposer après la mort. » Les règles professionnelles infirmières y font également référence comme l'affirme l'article R. 4312-2 du CSP : « L'infirmier ou l'infirmière exerce sa profession dans le respect de la vie et de la personne humaine. Il respecte la dignité et l'intimité du patient et de sa famille. » Supports et outils institutionnels en faveur de la bientraitance Le rôle des instances découlant de la nouvelle gouvernance pour la définition et le suivi de la politique de bientraitance À la lecture et à l'analyse des textes législatifs et réglementaires qui se sont succédés depuis la loi HPST n° 2009-879 du 21 juillet 2009, on constate une extraordinaire imbrication des compétences et des prérogatives dans les domaines 7 Sur un exposé récent de la question, voir : Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution. Rapport au Président de la République, décembre 2008. « G. La reconnaissance du principe de dignité de la personne humaine », p. 85-96. (La Documentation française – accessible sur Internet). 8 Conseil constitutionnel. Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994. 9 Conseil d'État, 14 novembre 2008, n° 315622. 10 Nous retrouvons ici la contrainte architecturale si souvent évoquée alors à propos de l'humanisation des hôpitaux. 0001997675.INDD 47 7/31/2013 6:00:36 PM 48 La bientraitance connexes de la « qualité et gestion des risques et de l'éthique » et des « droits des patients ». Chaque établissement doit s'organiser pour impliquer dans l'effectivité du dispositif l'ensemble des acteurs hospitaliers. Parmi les idées-forces que l'on peut mentionner : • la question des droits des patients et de l'amélioration de la prise en charge doit faire l'objet d'une délibération annuelle du Conseil de surveillance ; • la thématique des droits des patients et de la bientraitance peut/doit trouver sa place dans le projet d'établissement et dans ses composantes : projet médical, projet de soins, projet social, projet qualité-droits des patients. La législation distingue ensuite, à titre opérationnel : • la politique d'amélioration de la qualité et de la gestion des soins : la Loi HPST a recentré les attributions de la commission médicale d'établissement (CME) sur l'amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins comme en témoignent les articles R. 6144-2 et suivants du CSP, issus du décret n° 2010439 du 30 avril 2010. Le schéma institutionnel dans ce domaine se révèle complexe. Sont ainsi imbriquées les prérogatives du président du directoire qui décide, conjointement avec le président de la CME, de la politique : – d'amélioration de la qualité et de la gestion des soins (articles L. 6143-7, D. 6143-37-1) après avis du Conseil de surveillance, du Comité technique d'établissement et de la Commission des soins. Le suivi de cette politique serait du seul ressort du président de la CME qui pourrait à cette fin organiser des évaluations internes (article D. 6143-37-2) ; – relative aux conditions d'accueil et de prise en charge des usagers après avis de la Commission des soins et du Conseil de surveillance, la CME et la Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC) contribuant l'une et l'autre à son élaboration ; • la politique relative aux conditions d'accueil et de prise en charge des usagers constitue le noyau dur de la lutte contre la maltraitance et de la promotion de la bientraitance. Elle comporte la réflexion sur l'éthique, l'évaluation de la prise en charge des patients, notamment aux urgences, l'évaluation de la politique des soins palliatifs, la permanence des soins hospitaliers, l'organisation des parcours de soins. Cette politique est arrêtée par le directeur, conjointement avec le président de la CME. La CME et la CRUQPC contribuent à son élaboration, après avis de la Commission des soins et du Conseil de surveillance. Maltraitance, bientraitance : signalements et indices La vie hospitalière offre différentes procédures de signalement ou de recherche d'indices de maltraitance (et parfois de bientraitance) : signalements d'événements indésirables ; procédure spécifique de signalement et d'évaluation des dysfonctionnements concernant les urgences SAMU et SMUR instaurée par l'article R. 6123-24 du CSP ; lettres de plainte et réclamation ; recours devant les Commissions régionales de conciliation ou d'indemnisation, ou les juridictions ; procédures disciplinaires ; procédure annuelle d'évaluation des personnels. Les lettres de remerciement et les remerciements dans les avis de décès peuvent constituer des indices de bientraitance. 0001997675.INDD 48 7/31/2013 6:00:36 PM La bientraitance à l'hôpital 49 Le rôle des ARS a été évoqué pour contribuer, au niveau régional, à la promotion d'une politique de bientraitance. Pourrait également être mise à contribution la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation (ou Commission régionale d'indemnisation des accidents médicaux) saisie des demandes d'indemnisation des accidents médicaux et qui pourrait l'être pour une atteinte aux droits des patients en application de l'article L. 1114-4 du CSP. Problématiques contextuelles liées à la bientraitance à l'hôpital Promouvoir la bientraitance en faveur des patients impose d'évoquer deux questions périphériques : quid de la bientraitance « due » aux personnels hospitaliers, quid de la responsabilité de l'usager ? La bientraitance envers les personnels hospitaliers Elle comporte deux versants : le premier, non développé dans ce chapitre, relève de la qualité de la gestion des personnels, du dialogue social, de l'organisation du travail et de l'amélioration des conditions de travail. En revanche, il convient d'aborder la question de la maltraitance subie par les personnels hospitaliers du fait de certains usagers du service public (patients ou leurs proches) et de l'obligation de protection qui s'impose à l'administration hospitalière : les fonctionnaires et agents hospitaliers sont susceptibles d'être victimes, dans l'exercice de leurs fonctions, de violences, d'attaques, d'injures ou d'agressions verbales et physiques. Les auteurs de ces actes peuvent être des patients et usagers du service public hospitalier (personnes hospitalisées, consultants), des tiers (visiteurs, accompagnants ou membres des familles des personnes hospitalisées), voire des agents hospitaliers. Le fonctionnaire a le droit d'être protégé par l'administration Ce principe général est édicté par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (article 11) aux termes duquel : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. » Le fonctionnaire a le droit d'être protégé quel que soit le type d'attaque dont il fait l'objet dans l'accomplissement de ses missions La liste énoncée par l'article 11 n'est pas limitative. Ainsi, sont également pris en considération les coups et blessures volontaires, la séquestration, le chantage, l'intimidation, etc. La qualité de l'auteur des faits est indifférente et la forme de l'attaque importe peu. 0001997675.INDD 49 7/31/2013 6:00:36 PM 50 La bientraitance La protection est due aux agents publics à deux conditions D'une part, les attaques dont ils sont victimes doivent être liées à l'exercice de leurs fonctions : les attaques liées à la vie privée, dès lors qu'elles ne surviennent pas en service, sont donc exclues. D'autre part, le lien entre les attaques et le fonctionnaire doit être un lien normal : le fonctionnaire qui rompt momentanément le lien avec son service perd le droit à la protection. L'agent doit de plus avoir été visé en tant que tel, en raison de sa qualité, de ses activités ou de son comportement. L'auteur doit, au moment des faits, avoir connaissance de la qualité de la victime, identifiée comme agent hospitalier. La responsabilité de l'usager La loi du 4 mars 2002 a fait émerger le concept de démocratie sanitaire, réaffirmant et confortant les droits des patients, rappelant succinctement les obligations et évoquant l'idée de responsabilité de l'usager du système de santé. Démocratie sanitaire, droits et obligations, responsabilité sont les thèmes imbriqués d'une nécessaire réflexion sur le rôle du patient dans un système de santé et de protection sociale marqué par la complexité et confronté à une crise sans précédent. Démocratie sanitaire et droits des patients La notion de démocratie sanitaire suppose l'affirmation des droits des patients. La loi du 4 mars 2002 répond à cet objectif. Il ne peut s'agir des seuls droits subjectifs dont bénéficie la personne hospitalisée : l'accès aux soins, à des soins de qualité, le bénéfice de soins efficients y compris dans les domaines particuliers de la lutte contre la douleur ou de la délivrance de soins palliatifs. Au titre de la démocratie sanitaire, la loi du 4 mars 2002 veut faire du patient un acteur de sa prise en charge. Non seulement, il a droit à l'information, mais il doit exprimer son consentement fondé sur une information claire, loyale et intelligible. Et surtout il doit, bénéficiant des préconisations du professionnel de santé, prendre les décisions concernant sa prise en charge. Comme l'affirme l'article L. 1111-4 du CSP : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. » On sort du champ du simple consentement pour aboutir à une forme de cogestion avec le professionnel. La construction de la démocratie sanitaire résulte aussi de la reconnaissance de droits collectifs à portée institutionnelle. Elle est une démocratie représentative. Les associations d'usagers, de malades, de patients, parfois affectées par la tentation consumériste, deviennent actrices du système de santé. Sous réserve d'une procédure d'agrément prévu par l'article L. 1114-1 du CSP, les représentants sont présents dans différentes instances nationales et régionales de pilotage du système de santé, notamment au sein de la conférence régionale de santé et de l'autonomie. 0001997675.INDD 50 7/31/2013 6:00:36 PM La bientraitance à l'hôpital 51 Dans la pratique institutionnelle, la place des représentants des usagers ne semble guère soulever de réticences et moins encore de résistances. Les modalités concrètes de désignation des représentants par le directeur général de l'ARS ou le représentant de l'État sont entourées de précautions visant à éviter les risques de dérives contestataires. En tout état de cause, ce regard extérieur permet une expression de problématiques quotidiennes auxquelles les professionnels ne sont pas toujours suffisamment sensibles. Mais, en dépit de tentatives de regroupement dans des collectifs associatifs, l'émiettement de centaines d'associations d'usagers réduit encore l'impact de ce mode de représentation collective. Droits et obligations des usagers du système de santé Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 1112-3 du CSP : « Les règles de fonctionnement des établissements de santé propres à faire assurer le respect des droits et obligations des patients hospitalisés sont définies par voie réglementaire. » C'est sans doute là la seule mention de la notion d'une obligation à la charge du patient dans la loi du 4 mars 2002. Le règlement intérieur des établissements publics de santé demeure la référence incontournable dans ce domaine. Issues du décret n° 74-27 du 14 janvier 1974 relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux, ces règles ont été codifiées en 2003, ce qui a permis quelques ajustements terminologiques sans refonte générale des dispositions qui régissent les modalités d'admission, de séjour et de sortie des personnes hospitalisées. Apparaît un double déséquilibre : – entre établissements publics et privés : les règles de fonctionnement des établissements privés ne sont toujours pas définies par voie réglementaire alors qu'elles foisonnent dans le secteur public (articles R. 1112-10 à R. 1112-78 du CSP) ; – alors que les droits des patients font l'objet d'une large consécration dans la partie législative du CSP, les obligations relèvent essentiellement de la sphère réglementaire, infralégale, ce qui atténue leur portée au regard de la hiérarchie des normes juridiques. Le respect de certaines règles s'impose pour le maintien de l'ordre dans le service. Bien qu'il s'agisse de dispositions traditionnelles tenant à garantir le fonctionnement régulier du service en termes de « police administrative » et de respect d'une certaine discipline dans la vie en collectivité, ces indications se confrontent à la réalité hospitalière en butte à des incivilités diverses et variées11 : face à ces incivilités, les établissements doivent mettre en œuvre des procédures de protection des agents contre les attaques, injures, violences 11 Cf. Code de la santé publique : article R. 1112-47 : Ordre interne au service, R. 111248 Prohibitions, R. 1112-49 Sortie du patient pour motif disciplinaire, R. 1112-50 Discipline, R. 1112-51 Interdiction de gratification et de dépôt d'argent, R. 1112-52 Hygiène corporelle. 0001997675.INDD 51 7/31/2013 6:00:36 PM 52 La bientraitance et outrages12. Outre le fait que ces obligations se limitent aux seuls établissements publics, traduisant la position statutaire et réglementaire du patient en sa qualité d'usager du service public, elles ne répondent en rien à la ligne directrice de l'article L. 1111-1 : quelle responsabilité de l'usager pour garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose ? Quelle(s) responsabilité(s) pour l'usager ? Les dispositions de l'article L. 1111-1 du CSP paraissent impressionnantes : « Les droits reconnus aux usagers s'accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose. » Cette formulation juridique relève d'une abstraction et l'on peut avoir des doutes sur son effectivité. On peut regretter que la question de la responsabilité personnelle effective du patient ne soit guère évoquée. Il semble important de mentionner l'impact des dispositions susmentionnées relatives : • à la position du patient reconnu comme acteur et responsable de sa prise en charge analysée comme cogestion en relation avec le professionnel de santé qui donne l'information et les préconisations : en cas d'irresponsabilité du patient dans son comportement, quelle est la portée du droit au refus de soins ? Quelle est sa responsabilité en cas de déni, de refus de recevoir l'information qui devrait lui être donnée et qu'il a le droit de refuser sauf en cas de risque de contamination pour des tiers ? Dans ce dernier cas, l'obligation de confidentialité n'autorise pas le professionnel de santé à se libérer du secret : c'est donc au patient d'informer son conjoint, ses proches du risque de contamination qu'il présente ; • à la représentation collective et associative : doit-on assumer le risque du consumérisme tendant à exiger toujours plus du système de santé ou bien inciter à une responsabilisation des acteurs associatifs dans le jeu institutionnel pour une meilleure maîtrise économique et une régulation efficiente du système de santé ? Dans le contexte contraignant caractérisant l'évolution du système de santé, on pourrait relever quelques points, susceptibles d'améliorer la prise en charge globale des patients : • l'indispensable prise de conscience des enjeux collectifs et individuels de santé publique : lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, adoption de règles d'hygiène de vie, activités sportives appropriées, équilibre alimentaire… Quid du comportement de chacun ? ; 12 Cf. la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, article 11 : le 3e alinéa de cet article fait l'obligation à la collectivité publique dont ils relèvent d'assurer la protection des fonctionnaires et agents victimes d'attaques, violences, injures et outrages. L'article 433-5 du Code pénal sanctionne les attaques, menaces, violences et outrages subis par les personnes chargées d'une mission de service public, ce qui est le cas des fonctionnaires et agents hospitaliers. 0001997675.INDD 52 7/31/2013 6:00:36 PM La bientraitance à l'hôpital 53 • la sensibilisation aux effets néfastes de la surconsommation médicale et pharmaceutique ; • l'utilisation parfois abusive des transports sanitaires, coûteux, à la charge de la collectivité dans des cas où l'accompagnement par un proche suffirait ; • la nécessaire information de l'ensemble des patients sur le coût réel des prestations de santé dont ils bénéficient : elle existe, certes, par le biais des relevés régulièrement communiqués par les caisses d'Assurance maladie mais est-ce un support suffisant de sensibilisation ? ; • l'inclusion dans les réseaux et filières à partir du médecin référent et l'évitement du nomadisme médical… On peut également se référer à l'article L. 1110-1 du CSP aux termes duquel l'usager, parmi les autres acteurs institutionnels ou individuels, est discrètement mis en scène comme acteur dans la définition et le fonctionnement du système de santé : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. » En dépit de ces quelques approches, une interrogation fondamentale demeure : certes, le comportement individuel, le comportement citoyen du patient acteur du système de santé doit tendre à une meilleure efficience et répondre à une éthique individuelle, mais est-il pour autant en mesure de contribuer effectivement à la pérennité du système de santé et à la défense des principes sur lesquels il repose ? Et, pour autant que les usagers deviennent vertueux, quel serait leur poids réel au regard des intérêts particuliers et divergents qui menacent ce système (intérêts économiques des établissements et corporatifs des professionnels, intérêts de politique locale, intérêts de l'industrie pharmaceutique et biomédicale…) ? Un tel propos sur les aspects juridiques de la bientraitance à l'hôpital ne peut faire l'objet d'une conclusion. Il vaut mieux adopter le pari d'une prospective. À l'heure où une nouvelle réforme hospitalière est envisagée, on peut prédire que la question de la bientraitance fera l'objet d'une nouvelle approche normative pour en préciser les contours et la teneur. Références [1] Compagnon C, Ghadi V. La maltraitance « ordinaire » dans les établissements de santé – étude sur la base de témoignages. Paris : HAS ; 2009. [2] Bressand M, Chriqui-Reinecke M, Schmitt M. Promouvoir la bientraitance dans les établissements de santé. In : Rapport de la mission ministérielle. Paris : La Documentation Française ; 2011. www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports. 0001997675.INDD 53 7/31/2013 6:00:36 PM 0001997675.INDD 54 7/31/2013 6:00:36 PM