Bientraitance et qualité de vie
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
C 4
La bientraitance à l'hôpital
Approches juridiques
Philippe Jean
1
Ces dernières années, le monde hospitalier a constaté l'émergence des droits
des patients, entre la Charte du patient hospitalisé de 1995 et la loi du 4 mars
2002 relative aux droits des patients
2 . En parallèle, les établissements sociaux
et médico-sociaux se sont emparés de la problématique de la maltraitance qui
pouvait y survenir sur des personnes âgées ou handicapées, particulièrement
vulnérables.
La HAS a publié une étude sur la maltraitance au quotidien dans les établisse-
ments de santé [ 1 ]. Dans la perspective de l'Année du Patient (2011), le minis-
tère de la Santé a souhaité mettre en valeur la thématique de la bientraitance
à l'hôpital [ 2 ]. Un débat s'engage sur la définition de la bientraitance, mais ne
s'agirait-il pas simplement de mettre en application les valeurs professionnelles
fondamentales qui, au-delà du strict respect des droits des patients et de l'ob-
jectif de l'amélioration de la qualité des soins, permettent aux professionnels
de prendre en considération la personne accueillie dans sa dignité suivant une
conception humaniste ?
1 Directeur adjoint, Direction des Affaires Médicales et des Droits des Patients, Centre
hospitalier de Pau, 4, boulevard Hauterive, 64046 Pau cedex.
2 Les premières traces d'une reconnaissance des droits des patients apparaissent dans la
loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière et la première Charte
du malade hospitalisé d'avril 1974, annexée à une circulaire ministérielle de Simone Veil
peu de temps après sa prise de fonction en qualité de ministre de la Santé.
0001997675.INDD 410001997675.INDD 41 7/31/2013 6:00:35 PM7/31/2013 6:00:35 PM
42 La bientraitance
La notion de bientraitance apparaît peu maîtrisée en matière de conceptua-
lisation juridique. Peu présente dans le droit positif et la jurisprudence, elle
mérite une tentative de définition et suscite des démarches et des questionne-
ments juridiques.
La « bientraitance » apparaît peu dans le droit positif
et la jurisprudence
La « bientraitance », néologisme relativement récent, apparaît peu dans le droit
positif (normes s'imposant aux professionnels et aux établissements de santé:
lois et règlements) ou la jurisprudence (arrêts et jugements des juridictions admi-
nistratives, notamment le Conseil d'État et les Cours administratives d'appel
3 ).
La rareté du terme « bientraitance » en droit positif
Une recherche effectuée sur le site www.legifrance.gouv.fr des termes « bien-
traitance » ou « maltraitance » se révèle décevante : ces mots n'apparaissent
ni dans le Code civil
4 , ni dans le Code pénal
5 , ni dans celui de la Sécurité
sociale.
Dans le Code de l'action sociale et des familles régissant les institutions et
services sociaux et médico-sociaux, et donc les établissements accueillant les
personnes âgées, les personnes handicapées, les enfants, le terme « bientrai-
tance » n'apparaît qu'en 2013 suite à la publication du décret n° 2013-16 du
7 janvier 2013 portant création du Comité national pour la bientraitance et les
droits des personnes âgées et des personnes handicapées
6 et insérant dans ledit
code de nouveaux articles : D. 116-1 à D. 116-3.
Ce code comporte des indications touchant à la prévention de la maltrai-
tance et à la lutte contre celle-ci.
3 Le champ de l'étude se limite ici aux seuls établissements publics de santé. La recherche
n'a pas été entreprise dans la jurisprudence de l'ordre judiciaire : Cours d'appel, Cour de
cassation…
4 Bien que ce code, dans ses articles 16 et suivants, consacre pleinement le principe de
dignité de la personne humaine et les principes fondamentaux d'indisponibilité et de
non-patrimonialité du corps humain.
5 Bien que ce code sanctionne les atteintes à l'intégrité du corps humain, les violences phy-
siques et psychiques, les atteintes aux biens des personnes vulnérables.
6 Ce nouveau Comité se substitue au Comité national de vigilance et de lutte contre la
maltraitance des personnes âgées et des adultes handicapés (décret n° 2007-330 du
12mars 2007) qui, lui-même, remplaçait le Comité national de vigilance contre la
maltraitance des personnes âgées, instauré par l'arrêté du 16 novembre 2002 (JO du
6 décembre 2002, p. 20110).
0001997675.INDD 420001997675.INDD 42 7/31/2013 6:00:35 PM7/31/2013 6:00:35 PM
La bientraitance à l'hôpital 43
Elle constitue l'un des objectifs de la politique de prévention du handicap
(article L. 114).
Sont préconisés des supports d'information et de sensibilisation (notices,
livret d'information pour la prévention de la maltraitance ou la lutte contre
celle-ci) : article L. 146-7 mentionnant le livret d'information ; article L. 471-6
sur les mandataires judiciaires ; article L. 311-4 prévoyant la diffusion de la
charte des droits et libertés lors de l'accueil.
Elle est prise en considération dans le programme de formation des travail-
leurs sociaux (article L. 451-1).
Dans le Code de la santé publique (CSP), les références à la bientraitance
sont rares. L'on y trouve l'une des missions de l'Agence régionale de santé en
termes de développement de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance
(article L. 1431-2). En revanche, dans les codes de déontologie ou dans les
règles professionnelles des professions médicales et paramédicales, en dépit du
rappel du principe de respect de la dignité de la personne soignée, le terme de
bientraitance n'apparaît pas. Celui de maltraitance n'est mentionné que dans le
cadre du rôle propre de l'infirmier (article R. 4311-5).
La bientraitance est devenue une composante de la qualité des soins, de
l'accueil et de la prise en charge des patients . Le CSP, depuis la loi n° 91-748
du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière (Loi Évin), fait état pour
le patient d'un droit à des soins de qualité (article L. 710-3, puis article
L. 1112-2). Dans ce cadre, ont émergé des normes de pratique profes-
sionnelle par le biais des procédures d'accréditation mises en œuvre par
l'ANAES, puis de certification des établissements de santé relevant de la
compétence de la HAS (créée par la loi de santé publique du 13 août 2004
relative à l'Assurance maladie), autorité administrative indépendante à
compter du 1
er janvier 2005.
Dans la première version de l'accréditation, le premier chapitre était consa-
cré aux droits et informations du patient. Le terme de bientraitance apparaît
explicitement dans le manuel V2010 de certification des établissements de
santé. Présentant des évolutions par rapport aux versions antérieures, ce nou-
veau manuel fait état de développements thématiques concernant les droits des
patients :
« – nouveau positionnement des exigences relatives aux démarches éthiques ;
sensibilisation à la notion de bientraitance. […] il a paru nécessaire, dans
le cadre des travaux sur la V2010, d'aller au-delà d'exigences en matière de
prévention de la maltraitance, limitées aux faits délictuels et individuels, en
incitant les établissements à mettre en place des démarches permettant de
rendre les organisations plus respectueuses des besoins et des attentes des
personnes ;
renforcement des exigences relatives aux droits des patients en fin de vie et
aux soins palliatifs. »
La prise en charge et les droits des patients en fin de vie (critère 13.a) sont
érigés en pratique exigible prioritaire . Peuvent également relever de la prise en
considération de la bientraitance les critères suivants :
0001997675.INDD 430001997675.INDD 43 7/31/2013 6:00:35 PM7/31/2013 6:00:35 PM
44 La bientraitance
1.c Démarche éthique ;
1.d Politique des droits des patients ;
1.e Politique d'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ;
l'ensemble de la référence 9 : La gestion des plaintes et réclamations et l'éva-
luation de la satisfaction des usagers (critères 9.a et 9.b) ;
l'ensemble de la référence 10 : La bientraitance et les droits déclinés par les
critères suivants : 10.a Prévention de la maltraitance et promotion de la bien-
traitance ; 10.b Respect de la dignité et de l'intimité du patient ; 10.c Respect de
la con dentialité des informations relatives au patient ; 10. d. Accueil et accom-
pagnement de l'entourage ; 10.e Gestion des mesures de restriction de liberté.
De manière plus transversale, sans doute faudrait-il aussi considérer de mul-
tiples approches telles que la sécurité des biens et des personnes (critère 6.a), la
qualité de la restauration (6.c), la gestion du linge (6.d), le transport des patients
(6.e) ainsi que la globalité du chapitre 2 relatif à la prise en charge du patient.
Nous sommes à la frontière floue entre les normes juridiques et les normes
qualiticiennes en constatant que ces dernières, veillant aux pratiques profes-
sionnelles, se réfèrent, quand elles existent, à des normes juridiques : sanction
des violences constitutives de maltraitance, droit à la dignité et à l'intimité,
droit à la confidentialité des informations…
La jurisprudence sanctionne les cas de maltraitance
Une recherche a été effectuée fin 2012 sur legifrance.gouv.fr dans la rubrique « juris-
prudence », toutes juridictions administratives confondues, en procédant à une
double requête utilisant les mots « bientraitance » et « maltraitance/hospitalier ».
Bientraitance
De la requête « bientraitance » ne ressort qu'un seul arrêt (Cour administra-
tive d'appel de Lyon, 8 avril 2010, Association EVISCOM, n° 08LY00765),
n'employant ce mot qu'à travers l'expression de « manque de bientraitance ».
L'affaire concerne le retrait d'enfants confiés à une association et relève de la
sphère médico-sociale. Une telle rareté du terme bientraitance ne constitue en
rien une anomalie dès lors que les juridictions ne peuvent être saisies que de
phénomènes négatifs générant des contentieux.
Maltraitance
La requête « maltraitance » donne des résultats plus importants. Ce mot appa-
raît une première fois dans un arrêt du Conseil d'État le 29 avril 2002 (Centre
hospitalier intercommunal du Bassin de Thau, n° 227341).
Peuvent être consultés neuf arrêts du Conseil d'État et de Cours administra-
tives d'appel que l'on peut analyser en termes de cartographie (dans quels lieux
sont évoqués des faits de maltraitance ?) et de typologie (permettant de classer
d'une part la nature des faits constitutifs d'une maltraitance et les profession-
nels de santé mis en cause, d'autre part le cadre procédural ayant donné lieu à
la jurisprudence).
0001997675.INDD 440001997675.INDD 44 7/31/2013 6:00:35 PM7/31/2013 6:00:35 PM
La bientraitance à l'hôpital 45
Une telle recherche ne saurait être exhaustive.
D'autres arrêts sanctionnent des comportements inappropriés relevant
d'une absence de bientraitance mais sans se référer expressément à la notion
de maltraitance : Cour administrative d'appel de Bordeaux (26 août 2008,
n° 06BX01257) concernant une ASH d'une maison de retraite publique
(atteinte à la dignité par des propos obscènes et orduriers, gestes brutaux à
l'encontre des personnes âgées et mauvaises relations professionnelles avec
les collègues).
La matérialité des faits et les éléments contextuels donnent lieu à une ana-
lyse pondérée et nuancée : Conseil d'État du 2 septembre 2009, Centre hos-
pitalier Fernand Langlois, n° 310932. En l'occurrence, une infirmière avait
été révoquée pour avoir giflé une personne hospitalisée. La sanction avait
été d'autant plus sévère qu'il y avait récidive. La Commission des recours
a proposé une sanction d'une moindre sévérité : exclusion temporaire des
fonctions d'une durée d'un an et mise à l'épreuve d'une année dans un autre
service. Le Conseil d'État a confirmé la validité de cet avis qui s'impose à
l'autorité investie du pouvoir disciplinaire : la requérante, affectée dans un
service accueillant des personnes très vulnérables, avait giflé une résidente
qui l'avait mordue alors qu'elle lui donnait un médicament. La commission
des recours avait relevé, d'une part que si la requérante ne contrôlait pas
toujours ses réactions et avait déjà donné une gifle à un résident en 2005,
elle avait elle-même informé ses supérieurs hiérarchiques de ces incidents et
reconnu ses torts et que, d'autre part, son geste fautif avait constitué une
réaction spontanée à la blessure infligée et à la douleur ressentie du fait
de la morsure dont elle avait été victime ; cette motivation de l'avis de la
Commission des recours était apparue suffisante. La sanction d'exclusion
temporaire de ses fonctions d'un an suivie d'une mise à l'épreuve d'un an
dans un autre service n'était pas, eu égard aux circonstances relevées, mani-
festement insuffisante.
Antérieurement à 2002, les atteintes à la dignité des personnes et les vio-
lences faisaient déjà l'objet de contentieux relatifs aux procédures disciplinaires
sans que le terme de maltraitance ne soit utilisé. La jurisprudence, illustrant le
contrôle opéré par le juge administratif sur les procédures disciplinaires, offre
quelques exemples significatifs de fautes professionnelles commises par des per-
sonnels hospitaliers à l'encontre des droits des patients :
Conseil d'État, 6 mai 1996, Centre Hospitalier de Fougères, n° 164382 : gifle
à un pensionnaire âgé d'une maison de retraite ;
Conseil d'État, 21 juillet 1995, Administration générale de l'Assistance
Publique Hôpitaux de Paris, n° 150285 : révocation pour brutalités verbales et
physiques sur des personnes hospitalisées ;
Cour administrative d'appel de Nantes, 25 janvier 1995, Maison de
retraite de Bléré, n° 94NT000067 : agressivité, propos injurieux à l'égard de
pensionnaires ;
Conseil d'État, 1
er juin 1994, CHS Le Valmont, n° 150870 : atteinte à l'obli-
gation de secret professionnel.
0001997675.INDD 450001997675.INDD 45 7/31/2013 6:00:36 PM7/31/2013 6:00:36 PM
1 / 14 100%