ARCHÉOLOGIE ET SISMICITÉ
AUTOUR
D'UN GRAND
MONUMENT,
LE PONT DU GARD
ÉDITIONS
APDCA,
1997
Agnès
LEVRET*
Bruno
HELLY**
Institut de protection
et de sûreté nucléaire,
Département de
protection de
l'environnement, BP 6,
92265 Fontenay-aux-
Roses Cedex, France.
* CUEBC-Centro
Universitario Europeo
Per i Béni Culturali,
Villa Rufolo, 84010
Ravello, Italie.
Introduction
Les observations des effets du mouvement sismique réalisées lors de
missions post-séismes par les géologues, sismologues et ingénieurs des
structures présentent certaines similitudes avec des anomalies visibles sur
le bâti ancien et les vestiges archéologiques. Par ailleurs, certaines
méthodes d'analyse des traces de dommages, de réparations ou de renfor-
cement des constructions anciennes ou traditionnelles actuelles ont pu
être validées par l'observation in situ en zone sismique, puis appliquées à
des cas très bien décrits par les textes historiques. Ainsi, archéologie et
étude de la sismicité présentent des intérêts communs.
Dans bien des cas, on a pu ou cru apercevoir, en repérant tel ou tel
élément de construction, que certains dommages, réparations ou renforce-
ments pouvaient être interprétés comme des conséquences de tremble-
ments de terre. Les archéologues, mis sur la piste par les historiens, ont
donc cherché à identifier les traces matérielles des séismes mentionnés
par les sources antiques. Les exemples en sont nombreux pour l'Antiquité
et le Moyen Âge. Cependant, ces travaux ont conduit à des erreurs
d'interprétation et ont souvent suscité le doute chez les géophysiciens.
L'ignorance des caractéristiques physiques des tremblements de terre,
voire du vocabulaire et des concepts dégagés par les géophysiciens
(risque sismique, aléa sismique, intensité et magnitude, sismicité et sismo-
tectonique, entre autres) ont conduit les historiens et les archéologues à
créer des événements ("panméditerranéens", par exemple) ou à raccro-
cher à des tremblements de terre connus par les sources des observations
de dommages causés à des bâtis antiques, mais situés à des dizaines, et
même des centaines, de kilomètres de l'épicentre supposé. La mise en
cause de ces interprétations est vive, non seulement chez les géophysi-
ciens,
mais aussi chez les archéologues eux-mêmes.
10A. LEVRET, B. HELLY
En France, pays de sismicité modérée, les données instrumentales
et historiques ne sont pas suffisantes pour une connaissance exhaustive
de la sismicité, les événements majeurs pouvant présenter une période
de récurrence très grande. La sismicité enregistrée par les instruments
est assez complète sur une période d'une trentaine d'années. Au-delà,
les écrits permettent d'accéder à des séismes connus par leurs effets.
Les séismes historiques ainsi décrits dépendent de l'abondance, de la
qualité et de l'accessibilité des sources documentaires. Nous pouvons
espérer posséder une bonne connaissance de l'histoire sismique de
notre pays sur environ 500 ans et, pour les séismes de fort niveau, sur le
millénaire. En remontant encore dans le temps, la paléosismicité (étude
de séismes anciens par les traces qu'ils laissent dans les terrains géo-
logiques) fournit des données très ponctuelles. Par ailleurs, les données
de la géologie, et tout particulièrement celles de la sismotectonique,
contribuent à la compréhension de la localisation des zones potentiel-
lement sismiques.
Pour les 30 dernières années, on comptabilise, en France métro-
politaine seule, une trentaine de séismes de magnitude(1) comprise entre 4
et 5. Pour la période historique (cinq à dix siècles), une dizaine de
séismes dévastateurs ont été observés (par exemple à Baie en 1356, en
Catalogne en 1428, dans l'arrière-pays niçois en 1564, au large de Nice en
1887 ou encore en Provence en 1909). On dénombre en moyenne par
siècle un à deux tremblements de terre de magnitude 6 et jusqu'à une
dizaine de magnitude 5. Ainsi, en remontant dans le temps au-delà de la
période couverte par les sources écrites, on peut supposer l'existence de
séismes moins fréquents, mais peut-être plus violents. Cela est confirmé
dans le sud-est de la France par l'observation de paléoséismes ayant initié
des ruptures en surface (magnitude probablement supérieure à 6) qui se
situent dans des secteurs historiquement affectés par des tremblements de
terre,
mais avec des niveaux relativement modérés (intensité VII à VIII
MSK1 et magnitude de l'ordre de 5 à 5,5). Ainsi, les événements qui ne
sont pas connus par les données instrumentales et historiques peuvent
avoir laissé des traces dans les terrains récents (Plioquaternaire), mais
aussi dans les vestiges archéologiques (Antiquité) et dans les bâtis anciens
(Moyen Âge).
Il est clair que tous les désordres observés sur des bâtis anciens ne
s'expliquent pas par les effets de tremblements de terre. Les réactions des
Quelques précisions sur les notions d'intensité et de magnitude sont données en annexe I.
INTRODUCTION11
structures bâties obéissent à des lois bien connues des ingénieurs, et les
modèles concernant, par exemple, les déplacements de certains éléments
ou certains types de fissures ne laissent place à aucune équivoque quand
ils sont insérés dans des contextes précis : sismotectonique, géomorpho-
logie, mais aussi situations historiques du bâti proprement dit. Il est évi-
dent qu'il faut éviter de construire des scénarios-catastrophes et des
interprétations générales sur l'écroulement de certaines cultures ou civili-
sations à partir d'événements sismiques donnés. Enfin, il ne faut pas
étendre les effets d'un séisme connu à des sites placés à de trop grandes
distances de l'épicentre.
Toutefois, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain : l'interpréta-
tion sismotectonique de certains dommages est parfois incontestable pour
un site donné. Ce qui est en cause est l'attribution de ces dommages à un
séisme connu par ailleurs, la datation des dommages à un moment consi-
déré identique à celui de l'événement déjà connu, c'est-à-dire F« amal-
game » de deux événements, mais non l'observation des dommages.
On ne peut aucunement garantir que les sources écrites qui nous sont
parvenues aient enregistré tous les événements survenus - on peut même
garantir qu'elles n'ont retenu que les plus marquants -, et pas forcément
les plus importants. En conséquence, l'observation archéologique des
effets sismiques sur une construction antique peut très bien se rapporter à
un événement distinct de celui que nos sources relatent, même s'il
s'agit
de périodes identiques.
Afin d'éviter la formulation d'hypothèses en contradiction avec la réa-
lité dans des domaines aussi variés que la tectonique, la sismologie, le
comportement des structures, mais aussi l'histoire et l'archéologie, une
approche pluridisciplinaire était d'autant plus nécessaire dans un contexte
difficile comme celui que l'on rencontre en France, où les vestiges
archéologiques et les séismes sont relativement peu nombreux.
C'est pourquoi l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), le
Centre universitaire européen pour les biens culturels de Ravello
(CUEBC) et le Centre d'étude et de recherche sur l'aqueduc romain de
Nîmes et le pont du Gard du Centre national de la recherche scientifique
(CNRS) ont organisé un séminaire à Nîmes, les 9 et 10 février 1995, autour
d'un cas d'étude. Ce séminaire, qui
s'est
déroulé avec la participation de
la Société GEO-TER et l'aide de la ville de Nîmes et du Conseil général du
Gard, avait deux objectifs :
- définir, à partir de l'étude d'un cas, l'aqueduc romain de Nîmes, des
méthodes d'analyse pour les traces de dommages d'origine sismique sur
des sites archéologiques ;
12A. LEVRET, B. HELLY
- sensibiliser les archéologues aux différents types de perturbations
supposées d'origine sismique qu'ils pourraient rencontrer au cours de
leurs fouilles.
De ce fait, les deux journées du séminaire avaient deux orientations
bien précises :
- Un premier jour, sur le terrain, avait pour thème "Archéologie et sis-
micité. Étude d'un cas : l'aqueduc de Nîmes", avec pour objectif principal
d'initier une discussion pluraliste autour d'un cas concret, pour évaluer si
certaines destructions observées peuvent être d'origine sismique. En effet,
des indices d'une sismicité existaient aux arcatures de la Lône; en outre,
de par sa structure rigide, sa longueur et son contexte géologique au sens
large (le tracé passe sur la faille de Nîmes), l'aqueduc représente un
excellent marqueur de l'histoire sismique régionale.
- Une seconde journée, à la Médiathèque de Nîmes, avec pour thème
"Archéologie et sismicité. Objectif et méthodes", devait permettre de
sensibiliser les archéologues aux différentes traces, supposées d'origine
sismique, visibles sur des sites archéologiques et de favoriser des
échanges pluridisciplinaires sur ce thème.
Cet ouvrage se situe dans la continuité de ce séminaire. Il présente les
réflexions qui ont été menées et les résultats qui ont été obtenus sur des
thèmes variés tels que l'observation d'anomalies sur les vestiges archéo-
logiques, dans les grottes ou voûtes fermées et sur les monuments du
passé. De telles approches pluridisciplinaires, qui permettent une
meilleure connaissance d'une part du passé sismique de notre pays
et d'autre part du passé archéologique (évolution de bâtis anciens et
culture sismique locale), sont bénéfiques pour l'ensemble des disciplines
impliquées.
INTRODUCTION
13
Intensité et magnitude
Pour définir l'importance d'un tremblement de terre, diverses grandeurs ont été définies, les plus com-
munément utilisées étant l'intensité et la magnitude.
Définition de l'intensité (I)
L'intensité est une classification des effets d'un tremblement de terre en un endroit donné, basée sur
l'analyse des réactions humaines et des objets, des dégâts aux bâtiments en tenant compte de leur
niveau de vulnérabilité et, accessoirement, des actions sur l'environnement naturel. En France et dans
la plupart des pays européens l'intensité est exprimée dans l'échelle MSK (du nom de ses auteurs :
Medvedev, Sponheuer et Karnik) qui comporte 12 degrés. Le descriptif succinct des degrés de l'échelle
MSK est le suivant :
I secousse non ressentie, mais enregistrée par les instruments
II secousse partiellement ressentie, notamment par des personnes au repos et aux étages
III secousse faiblement ressentie, balancement des objets suspendus
IV secousse largement ressentie dans et hors les habitations, tremblement des objets
V secousse forte, réveil des dormeurs, chute d'objets, parfois légères fissures
dans les plâtres
VI légers dommages, parfois fissures dans les murs, frayeur de nombreuses personnes
VII dégâts, larges lézardes dans les murs de nombreuses habitations, chutes de cheminées
VIII dégâts massifs, les habitations les plus vulnérables sont détruites, presque toutes
subissent des dégâts importants
IX destructions de nombreuses constructions, quelquefois de bonne qualité, chute
de monuments et de colonnes
X destruction générale des constructions, même les moins vulnérables (non parasismiques)
XI catastrophe, toutes les constructions sont détruites (ponts, barrages, canalisations
enterrées...)
XII changement de paysage, énormes crevasses dans le sol, vallée barrée, rivières
déplacées...
Définition de la magnitude (M)
Introduite initialement par Richter en 1935, la magnitude est une mesure de la taille d'un séisme. Elle
est calculée à partir de l'enregistrement des amplitudes maximales de trains d'ondes sismiques particu-
liers en une ou plusieurs stations d'observation. La magnitude qui est une mesure continue n'a pas,
comme l'intensité, de limites inférieure ou supérieure. Les sismographes actuels permettent ainsi de
détecter des séismes de magnitude négative alors que la magnitude du plus gros séisme enregistré à
ce jour (séisme du
Chili,
1960) est de 9. Lorsque la magnitude augmente de une unité, l'énergie sis-
mique est multipliée par 30.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !