12-a-Roy_Mise en page 1 20/04/15 11:19 Page83 ARTICLES L’islam politique, toujours en échec Olivier Roy* L’ÉCHEC DE L’ISLAM POLITIQUE a été écrit il y a désormais vingtcinq ans. Le titre, plus que le contenu (qui n’a manifestement pas toujours été lu par ses commentateurs), a fait l’objet de nombreuses critiques, que l’on peut ranger sous deux grandes catégories. La première, venue surtout de milieux non universitaires, porte sur la prédiction à laquelle aboutissait l’analyse : comment peut-on parler d’échec alors que les islamistes remportent régulièrement des victoires électorales (Turquie, Tunisie, Égypte) et, surtout, que le djihadisme semble sur une pente ascendante depuis le 11 septembre 2001 ? La seconde critique, plus souvent issue des rangs de mes collègues universitaires, porte sur la pertinence du concept d’islamisme : ne s’agirait-il pas d’une construction artificielle, voire teintée d’orientalisme et de postcolonialisme, qui découperait arbitrairement un objet politique, construit selon les catégories de la science politique occidentale (idéologie, centralité de l’État), alors que dans le monde musulman la référence à l’islam, fluide et omniprésente, se situerait dans un continuum où la religion est intrinsèquement liée à la question identitaire, à la légitimité politique et surtout à la protestation contre toutes les formes de néo-impérialisme et de domination culturelle ? Bref, tantôt je serais trop complaisant envers la menace islamique, tantôt je ne serais qu’un rouage dans l’entreprise de réduction au silence de la voix des opprimés. * Professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. Ce texte est la postface à la réédition de l’Échec de l’islam politique (Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2015). Nous remercions les Éditions du Seuil de nous avoir autorisés à le reproduire. 83 Mai 2015