Table ronde n°2 La publication d’articles : Erreurs à éviter et stratégie(s) à
adopter
Cette table ronde, animée par Veronica Noseda, était consacrée à la publication
d’article. Elle réunissait Janine Pierret, sociologue, membre du comité de rédaction de la
revue Sciences sociales et santé, Sylvie Fainzang, membre du comité de rédaction de la revue
Sciences sociales et santé et rédactrice en chef d’Anthropologie et santé, Nicolas Henckes,
sociologue, qui témoignait sur la valorisation de ses travaux après sa thèse.
Selon Janine Pierret, les doctorants sont pris dans des injonctions
contradictoires : une thèse financée sur trois ans, un terrain vite et bien fait, publier pendant la
thèse.
1) Ecrire un bon article est chronophage. A titre d’exemple, à Sciences Sociales et Santé il
faut compter un an pour le processus écriture soumission réponse modification.
Certains doctorants ont tendance à se précipiter sur la rédaction d’article, alors qu’ils ne
maîtrisent pas encore bien leur problématique et leurs données. Dans un article sont exigés :
une problématique, des données, une élaboration analytique et une bibliographie. Par ailleurs,
écrire un article ce n’est pas la même chose qu’un chapitre de thèse. Dans ces conditions
Janine Pierret s’interroge sur la nécessité et la pertinence de vouloir absolument publier
pendant le temps (de plus en plus court) de la thèse.
2) Processus d’examen des articles reçus par la rédaction : un article qui arrive est attribué un
peu au hasard à un responsable du comité de rédaction. Puis ce dernier est chargé de trouver
deux lecteurs anonymes externes un spécialiste de la discipline et un spécialiste du thème.
Ensuite, les lecteurs ont un mois pour répondre. Enfin le responsable fait la synthèse de leurs
avis circonstanciés et répond à l’auteur. Un article accepté l’est souvent avec des
modifications majeures, rarement mineures. Le taux de refus s’élève à près de 50%.
3) La politique éditoriale de la revue Sciences sociales et santé pourrait se résumer ainsi :
« Pas de jus de tête ». Il faut présenter une problématique et ses hypothèses, son terrain avec
la présentation de données, son analyse. Certains articles arrivent à Sciences Sociales et Santé
sur le modèle des revues médicales, économiques ou de santé publique (description, résultats,
discussion) : c’est un modèle qui ne parle pas au comité de rédaction. Il s’agit d’erreurs de
cible de publication. Sciences sociales et santé est une revue de chercheurs, avec un public de
sociologues, d’anthropologues, etc. Elle est pluridisciplinaire, malgré une faible présence de
l’histoire. Elle réalise peu de numéros thématiques avec sollicitation d’articles. Elle a été l’une
des premières revues françaises à avoir un comité de lecture et elle a depuis longtemps un
impact factor (légèrement en dessous de 1).
4) Quelle revue pour quel article ? Les revues généralistes de la discipline ne sont pas
toujours preneuses d’articles sur la santé très spécialisés. L’article doit ouvrir sur des
questions plus larges en sociologie. Très peu de revues prennent des articles soumis
spontanément par les auteurs et de très nombreuses revues travaillent par numéros
thématiques, ce qui en complique l’accès. Attention à bien cibler la revue suivant que l’on
traite des données qualitatives ou quantitatives.
5) En sciences sociales les publications collectives ne sont pas valorisées, il vaut mieux une
publication à un seul auteur. Il faut se méfier des co-publications avec son directeur par
exemple. Attention également au classement des auteurs, qui ne compte pas réellement pour
l’instant en sociologie, mais cela pourrait venir.
6) Les publications en anglais sont intéressantes pour leur impact factor et leur lectorat, mais
il faut s’accrocher. Social science of medecine et Social science and illness demandent un
anglais parfait. Le recours à un traducteur n’est pas forcément évident en thèse du fait des
contraintes budgétaires.
Sylvie Fainzang, anthropologue, rédactrice en chef d’Anthropologie et san,
membre du comité de rédaction de Sciences sociales et santé.
1) La revue Anthropologie et santé est une revue internationale francophone, dont la ligne
éditoriale est très ouverte. Elle publie des articles en anthropologie de la santé et n’est pas
fermée aux travaux sociologiques ou de science politique du moment qu’il y a une dimension
ethnographique. Anthropologie et santé est une revue électronique, ainsi le délai de
publication est plus rapide que pour une revue imprimée, même si la procédure de sélection
est identique. Corrélativement au format électronique, la revue bénéficie d’un taux de visite
important, y compris dans des pays non francophones.
2) Français / Anglais. Pour bien faire, il faut publier à la fois en anglais et en français, pour
être à la fois visible sur la scène internationale et nationale, et reconnu par ses pairs. Mais en
travaillant différemment selon la langue, car on ne pense pas les choses de la même façon. A
titre d’exemple un article en anglais ne commence pas par une citation. Cela renvoie à des
cultures d’écriture différentes.
3) Ecriture. Il est conseilde soigner l’écriture pour mettre l’évaluateur dans de bonnes
dispositions, de ne pas dissocier le fond et la forme qui doit refléter une argumentation bien
construite. Une écriture précise traduit une pensée précise. Après la relecture et la demande de
corrections, il faut justifier les critiques auxquelles on a répondu positivement, autant que
celles pour lesquelles il a été impossible d’aller dans le sens de l’évaluateur.
4) Qu’en est-il des stratégies de publication en vue d’un recrutement par le Cnrs, l’Inserm
ou en tant que maître de conférences des universités ? Sylvie Fainzang, qui a appartenu à la
section 38 du CNRS, appelle à envisager une stratégie à deux niveaux : celui des revues et
celui des comités à qui on soumet un dossier de candidature. Il faut travailler sur plusieurs
fronts, avec des stratégies différentes selon que l’on vise l’université, le Cnrs, l’Inserm, et
diversifier les supports pour une amélioration quantitative et qualitative du dossier.
Le taux de publication est important comme critère dans les commissions de recrutement. A
titre d’exemple, pour la commission 38 une publication issue de la thèse est incontournable.
Suivant l’institution l’on candidate, il faut privilégier différents type de publications :
l’article sera préféré au livre pour l’Inserm et inversement pour le Cnrs.
Les publications co-écrites ou co-signées se rencontrent peu dans nos disciplines. Elles
augmentent certes le nombre de publications mais signer en tant qu’unique auteur donne plus
de poids.
Pour ce qui est du choix des revues, publier dans de bonnes revues généralistes permet de
faire connaître ses travaux par les pairs de la discipline, et publier dans les revues spécialisées
permet de les faire connaître dans son champ thématique. Ces injonctions sont
complémentaires et non pas contradictoires.
En réponse à une question sur la variété des supports : On ne problématise pas de la même
façon selon que l’on s’adresse à une revue généraliste ou spécialisée sur la santé, il est donc
essentiel de publier dans les deux.
Publier des comptes rendus d’ouvrages et des notes de lecture est valorisé mais pas au même
niveau que des articles. Il ne faut pas essayer de leurrer une commission et donc il faut bien
distinguer, dans la liste de publications, les articles proprement dits et les autres types
d’écrits ; et pour cela notamment hiérarchiser la bibliographie (articles dans revues à comité
de lecture, sans comité de lecture, etc.).
Nicolas Henckes, note d’abord que les trois intervenant-e-s de la table ronde
appartiennent au Cermes3, rappelant ainsi que les stratégies de publication s’élaborent aussi
au niveau du laboratoire.
1) Remarque préliminaire. L’aspect anxiogène de l’expérience d’écriture et de publication
d’un article n’est pas réservé aux jeunes chercheurs. C’est une question qui parcourt toute la
trajectoire des chercheurs. Il y a une difficulté supplémentaire, conjoncturelle, liée aux
changements rapides en cours dans les politiques de publications des comités de rédaction,
dans les priorités des comités de lecture. Ces changements empêchent de se faire une idée
stable des priorités actuelles.
2) Une stratégie de publication ? Lui-même se sent mal placé pour parler de stratégies, car il
indique que toutes ses stratégies ont échoué. Il a été confronté à des réponses totalement
inattendues, dans un sens comme dans l’autre : par exemple il lui est arrivé qu’un article écrit
très rapidement (en une semaine) et envoyé à une bonne revue de sociologie soit accepté.
3) Il propose de prendre la question sous un autre angle. Si « comment publier ? » est une
question importante, « comment être lu ? » est une question encore plus délicate. A quel
public on veut parler et quel dialogue instaurer ?
Il conseille de se poser trois questions avant de se lancer dans l’écriture :
- La première est celle du contenu : que veut-on publier ?
Selon lui, même si cela reste une démarche anxiogène, il ne faut pas tout orienter en fonction
de choix de carrière, il faut aussi se faire plaisir. La première question est donc « qu’est-ce
que j’ai à dire ? ». Aucune publication ne tient sans cette motivation. Ce n’est pas uniquement
une question que l’on peut se poser seul, c’est aussi dans les discussions avec d’autres que
l’on se rend compte de ce qui peut être le plus intéressant. Il déconseille d’avoir des stratégies
d’occupation de l’espace éditorial (accumulation de recensions, de notes de lecture, etc.) car
elles ne sont pas forcément rentables.
- La seconde est celle du public : comment se faire lire ?
Le choix de la revue dépend du public avec lequel on veut engager un dialogue. Cela implique
d’avoir lu la revue visée et de se situer dans les débats actuels.
Dans le champ de la santé, des revues déjà très bonnes publient sur nos questions. C’est un
avantage car cela permet de publier moins difficilement. C’est un inconvénient car les revues
généralistes peuvent ne pas vouloir s’y intéresser. Si nos sujets sont assez techniques, avoir
cette niche où on peut justement s’épancher sur la technique est à double tranchant.
Le fait que des revues spécialisées publient sur les questions de santé constitue un atout, car
cela permet de publier un peu plus simplement, en touchant un public sélectionné. Mais à
l’inverse cela conduit peut-être les revues disciplinaires à publier plus rarement des articles
sur la santé, en se disant qu’ils seront pris par les revues spécialisées. Un autre inconvénient
des revues spécialisées est la publication fréquente de sujets très techniques, qui vont être
difficiles à reconfigurer pour des revues plus larges. Par exemple, Nicolas Henckes a fait une
note pour la Revue française de sociologie : il lui a fallu expliquer davantage le sujet, ce qui a
laissé moins de place pour la présentation des arguments et de la problématique.
La question du public commence avant la publication : il est très utile de se constituer un petit
public dans son entourage pour tester ses idées.
- La troisième question à se poser est celle du rapport entre support ou médium et
écriture.
Sur la question du support, les revues prestigieuses publient certes beaucoup de dossiers mais
sont plutôt en manque de bons articles donc il ne faut pas s’inhiber.
Il faut donc prendre le temps de peaufiner ses messages. Il y a peu de rapports entre l’écriture
pour la thèse et l’écriture pour des articles : il est indispensable de réécrire. Il faut être
conscient qu’écrire est toujours chronophage, et que le faire en anglais double le travail.
Questions et remarques des participants
Muriel Darmon, membre du comité de rédaction de Sociétés contemporaines indique que la
revue manque d’articles de sociologie de la santé et lance un appel aux doctorants et aux
jeunes chercheurs.
Publier ne sert-il qu’à se faire connaître ? Ou cela permet-il de rendre un questionnement
plus visible ?
Janine Pierret : Lorsqu’on fait un travail de recherche, on produit des connaissances, qui
s’adressent à une communauté scientifique, mais peuvent aussi être publiées dans des revues
professionnelles de son domaine. Attention tous les éditeurs ne se valent pas. A titre
d’exemple L’Harmattan est réputé dans le milieu pour être un mauvais éditeur, même si
quelques collections sortent du lot et font un vrai travail d’édition.
Sylvie Fainzang : On publie pour faire connaître son travail, pour qu’il soit mis sur la place
académique, qu’il soit discuté et qu’il fasse avancer la connaissance. Si on veut vulgariser, on
peut le faire dans des revues professionnelles, mais aussi dans des revues comme Sciences
humaines.
Peut-on publier sur d’autres sujets que sa thèse ?
Sylvie Fainzang : Oui si en amont il y a eu un travail scientifique.
Peut-on envoyer un même article à plusieurs revues ?
Sylvie Fainzang : Contrairement aux livres, un article ne peut être soumis qu’à une seule
revue à la fois. Sauf si on veut faire un article en anglais : il est possible de traduire un article
déjà publié en français, sous réserve qu’il soit remanié.
Janine Pierret : Il est arrivé que Sciences sociales et santé reçoive un article déjà publié sous
une forme proche. Il faut savoir que les relecteurs connaissent la littérature et que c’est très
mal vu. Mais avec les mêmes données on peut faire plusieurs articles si les problématiques
sont différentes.
Quel type de bibliographie utiliser dans ses publications, surtout lorsqu’on est étranger ?
Sylvie Fainzang : Il faut un mix entre des références connues de la revue et des références
étrangères.
Quel est le statut des “Commentaires” dans Sciences sociales et santé ?
Jeanine Pierret : Le “Commentaire est un texte court, demandé par le comité de rédaction de
la revue pour venir en contrepoint d’un article du même numéro. Il est demandé à un auteur
qui peut soit être d’une autre discipline, soit travailler dans un domaine connexe. Il compte
comme une publication normale.
On est parfois surpris par des commentaires inconciliables de plusieurs relecteurs sur le
même article. Comment fait-on dans ce cas ?
En tant que membres de comités de rédaction, vous sentez-vous liés par les expertises des
relecteurs ?
Jeanine Pierret : Pour Sciences sociales et santé, il n’y a pas de référés lapidaires et les
commentaires sont assez étoffés. S’ils sont contradictoires, le responsable de l’article peut
intervenir, soit en discutant des commentaires en comité de rédaction, soit en demandant une
relecture complémentaire de l’article.
A qui revient l’argent lorsque les articles sont payants ?
Nicolas Henckes : L’argent va à l’éditeur. La publication d’articles constitue un commerce
florissant, avec un public captif.
1 / 6 100%