6 7 Reportage La Gruyère / Jeudi 21 février 2013 / www.lagruyere.ch La Gruyère / Jeudi 21 février 2013 / www.lagruyere.ch Le bloc en plein boum hivernal RIAZ. Le docteur Daniel Monin est chirurgien orthopédiste. Il ouvre la porte de sa salle d’opération à l’HFR Riaz, en pleine saison hivernale. L’attirail du chirurgien orthopédiste tient de la caisse à outils. L’infirmière instrumentiste prépare les ustensiles en fonction de l’intervention. TEXTE SOPHIE MURITH PHOTOS CHLOÉ LAMBERT En un an, 15500 cas traités aux urgences Nul besoin au docteur Daniel Monin de mettre le nez dehors pour savoir l’hiver arrivé. Dès 7 h, le colloque met immédiatement au parfum le chef du service d’orthopédie de l’HFR Riaz. Si la litanie des cas est égrenée durant plus d’une demi-heure, les chaussées sont sûrement gelées et le temps des vacances aux sports d’hiver est à coup sûr revenu. Dans cette pièce assombrie du 1er étage de l’hôpital, une dizaine de médecins écoutent un assistant déchiffrer les rapports de consultations. Les radios, IRM et autres échographies correspondantes sont projetées simultanément. Les questions des chefs de service fusent. «Il faut être très concentré, reconnaît le spécialiste en orthopédie. Il s’agit de s’assurer, sans voir le patient, que sa prise en charge est adéquate.» Le service des urgences et celui d’orthopédie travaillent main dans la main sur le site de l’HFR Riaz. Le docteur Alfredo Guidetti, responsable des urgences, revient sur cette relation fusionnelle. Comment s’articule la collaboration entre le service d’orthopédie et celui des urgences? Mon service est indépendant. Un patient vient avec des douleurs. A nous d’en trouver les raisons. Parfois, nous avons besoin de l’avis d’un spécialiste. Dans le cas d’une fracture déplacée, par exemple, nous demanderons le soutien d’un orthopédiste. Nous pouvons faire appel à lui quand nous le désirons. Avec la neige et les sports d’hiver, les patients nécessitant les bons soins d’un orthopédiste ne doivent actuellement pas manquer... Nous vivons un vrai pic. Avec la neige, les glissades et les accidents de voiture sont fréquents. Les quelques pistes de ski de la région contribuent aussi à l’augmentation du nombre de cas. Ces derniers jours, l’attente est en moyenne de quatre à six heures. Chaque année, près de 15500 personnes sont prises en charge aux urgences de Riaz et cela augmente de 10 à 20% par année. Programme chargé Pas de temps à perdre avec des cas déjà exposés la veille. Le docteur Daniel Monin est attendu au bloc opératoire depuis un quart d’heure déjà. Une assistante a quitté la séance plus tôt pour préparer le patient. Juste le temps pour le chirurgien de prendre une blouse blanche propre dans l’armoire, de déposer ses affaires dans son bureau. Daniel Monin entre dans la zone réservée au personnel et aux futurs opérés. Passage par le vestiaire: les vêtements de tous les jours sont troqués pour une chemise et un pantalon bleus, des sabots en plastique, une cagoule pour recouvrir tous les cheveux et un masque. Au programme de la matinée: trois opérations, deux genoux et une hanche, sans compter les urgences qui se sont ajoutées. Les interventions ambulatoires sont planifiées dès 7 h 30, pour permettre au patient de rentrer chez lui en fin de journée. Après une première arthroscopie du genou, Daniel Monin retrouve sa blouse blanche. Entre deux opérations, il dispose de quarante-cinq minutes environ. Il s’inquiète des nouveaux cas arrivés aux urgences (lire ci-contre) et profite d’expédier les affaires courantes: compte rendu opératoire, signature de différents documents, relation avec les assurances, de plus en plus envahissantes. «Je le fais au fur et à mesure sinon je perdrais le contrôle de la situation.» Règle d’or: la désinfection Passage par le vestiaire. Le docteur Monin se dote d’une paire de lunettes de protection. «Pour éviter les projections de sang dans les yeux.» Comment décidez-vous quel patient peut faire l’objet d’une opération en urgence? Nous en discutons entre médecins. A Riaz, nous avons de la chance, tout le monde se connaît. Ce site hospitalier a une taille parfaite pour la communication. Nous pouvons régler les choses autour d’un café ou d’un repas plutôt que par de longs mails. Nous nous côtoyons tous les jours. En pleine intervention chirurgicale, les médecins orthopédistes sont assistés d’une infirmière instrumentiste, de son aide, d’un infirmier anesthésiste, supervisé par un médecin anesthésiste. Les champs stériles verts cachent la majeure partie du patient. Seul le membre à opérer reste à l’air libre. Le docteur Daniel Monin (à droite) est responsable du service d’orthopédie de l’HFR Riaz. Originaire du Jura, il a effectué sa formation aux Hôpitaux universitaires de Genève. A 11 h 15, après s’être lavé les mains précautionneusement, le chirurgien entame la désinfection de son patient. «Nous avons mis en place des protocoles précis de désinfection et de mise en place des champs opératoires stériles pour tous les chirurgiens orthopédistes», explique Daniel Monin, alors qu’il badigeonne allègrement la jambe du futur opéré. «Les risques d’erreur sont ainsi réduits au maximum.» Le chirurgien engage ensuite avec les infirmières instrumentistes une danse des sept voiles pour mettre en place les champs stériles. Un drap vert est déployé tout autour du patient. Seule sa cuisse reste visible. «La prévention des infections est primordiale: d’autant plus quand on touche aux os et que l’on utilise des prothèses.» Le médecin se fait alors habiller de façon stérile: une robe à longues manches et deux paires de gants. Une étape qui nécessite l’aide des infirmières et un tour sur lui-même. L’infirmière instrumentiste se cale entre les tables supportant les visseuses, les maillets et les cuillères, et le patient. «On fait le time out?» interroge le chirurgien. Il énumère ainsi le nom et le prénom du patient, le type d’intervention et, surtout, le côté où elle doit avoir lieu. Trois oui fusent. «Bistouri.» Le changement de la prothèse de hanche se fera par une méthode mini-invasive. «Dans le canton de Fribourg, les chirurgiens orthopédiques de Riaz ont été les premiers à l’appliquer. Nous mettons environ une centaine de prothèses totales de hanche par an avec cette technique.» Plus vite à la maison L’intérêt de cette technique réside dans le trajet emprunté par le chirurgien jusqu’à l’os. Il découpe la peau, protégée par de la cellophane imbibée de désinfectant, brûle les petits vaisseaux et ligature les plus gros. Une fois la gaine blanche du muscle atteinte, il l’ouvre. Le muscle, lui, restera intact, simplement poussé sur le côté pour libérer l’accès à la hanche. «Le muscle sera juste contus. La préservation de la musculature Le choix du matériel revient encore au “ chirurgien. Il prend celui qu’il estime le meilleur En période hivernale, le docteur Daniel Monin ne cesse de courir entre son bureau et la salle d’opération. Avant chaque intervention, passage obligatoire par le vestiaire et lavage méticuleux des mains. en fonction du patient et celui qu’il connaît le mieux. D DANIEL MONIN ” r permet une récupération plus rapide et moins douloureuse. Ainsi, le patient pourra rentrer plus vite à la maison et reprendre ses activités.» Une heure après son arrivée en chambre, l’opéré de la hanche peut déjà bouger la jambe. Le temps passe vite, rythmé par les bips de contrôle des pulsations et le bruit de l’aspirateur qui récupère le sang dans l’incision. Le chirurgien opérateur bientôt s’attaque à la scie au col du fémur. Après plusieurs essais, Daniel Monin visse un anneau au fond de la cavité laissée par l’an- cienne cupule. Il y cimentera la nouvelle en polyéthylène. La tête de la prothèse, elle, est en céramique. «En Suisse, le choix du matériel revient encore au chirurgien. Il prend celui qu’il estime le meilleur en fonction du patient et celui qu’il connaît le mieux.» Le pied du patient est maintenant tourné à 180 degrés et sa jambe abaissée au maximum pour pouvoir mettre au jour l’os du fémur. Il s’agit de le percer. Le trou est ensuite progressivement augmenté avec un burin jusqu’à ce qu’il corresponde à la taille de la prothèse. Après deux heures et demie d’opération, la prothèse est en place. Le médecin referme la gaine contenant le muscle et laisse son assistante suturer la peau. Il est attendu pour une opération d’un poignet en urgence dans la salle d’opération à côté. ■ Phagocytose par Fribourg impossible «La collaboration entre les sites est excellente, assure le docteur Daniel Monin. La majeure partie des cas peut être soignée à Riaz. Toutefois, les fractures du bassin, les tumeurs osseuses, la chirurgie de la main et du dos sont traitées à Fribourg. «L’activité du service d’orthopédie de Riaz est importante. A l’heure actuelle, cette activité ne serait pas absorbable sur le site de Fribourg. A moyen terme, l’étude de faisabilité nous donnera davantage de précisions.» Pour l’orthopédiste, la population du sud du canton doit faire le choix de venir se faire soigner à Riaz si elle souhaite avoir une chance de conserver des soins aigus sur ce site. «En préférant une alternative – nous ne pouvons pas le lui reprocher, le libre choix du médecin existe heureusement encore – elle doit en tirer les conséquences et les accepter.» Le nombre de cas de traumato-orthopédie ne cesse d’augmenter. Près de 1300 interventions sont pratiquées chaque année à Riaz. Les agendas des médecins cadres débordent déjà et la polyclinique accueille environ 4000 consultations par an, malgré le fait que les spécialistes s’efforcent de «réadresser» le maximum de patients à leur médecin traitant. «La policlinique permet de revoir des cas que l’on estime devoir être traités par des orthopédistes», explique Daniel Monin qui la supervise grâce à un colloque tous les aprèsmidi et avec le soutien des autres médecins cadres – les docteurs De Raemy, Tschopp et Juan. Quatre internes se chargent de recevoir les patients. SM A 16 h 30, l’équipe d’orthopédie – médecins cadres, chefs de clinique et internes – se réunit autour des cas de la policlinique. Et pour les hospitalisations? En général, les services d’urgence de tous les hôpitaux enregistrent 40 à 60% des hospitalisations. Celles-ci sont dictées par la pathologie. Parfois, l’âge peut aussi être un argument pour ne pas laisser une personne rentrer à la maison. Nous informons les cadres du service concerné. SM L’objectif est d’arriver à bien se comprendre Dans le box des urgences, un petit dur, couché, les bras croisés derrière la tête et en slip bleu, répond crânement aux questions du médecin sur son genou endolori. «Ce n’est jamais simple avec les enfants. C’est très fin, très subtil. Il faut une approche très ludique», explique le docteur Daniel Monin, chef du service d’orthopédie. En plus des interventions chirurgicales et des urgences, le chef de service reçoit plusieurs fois par semaine ses patients en consultation dans son cabinet de l’hôpital. «C’est prenant au niveau de la concentration et de l’émotionnel. Il faut établir le contact, écouter et comprendre.» Une étape essentielle pour réussir à connaître les attentes de chaque patient et ainsi lui proposer le traitement le plus adapté à ses besoins. «Il est primordial que le patient comprenne les objectifs que nous pouvons atteindre avec l’opération proposée ainsi que les complications potentielles, sans quoi nous nous exposons à de grosses déceptions.» Le Jurassien Daniel Monin a choisi l’orthopédie-traumatologie à 20 ans après un accident de moto. «Une expérience de patient utile.» Formé aux Hôpitaux universitaires de Genève, il concède quelques différences entre les deux établissements. «Le volume de travail est plus petit, mais on est aussi moins pour le faire.» Et les patients? «Le Fribourgeois a plus les pieds sur terre, il n’a pas d’attentes extravagantes. Lorsqu’on est honnête avec lui, la relation est bonne. Il ne doit pas se sentir abandonné.» Ainsi, en fin de journée, parfois sans avoir pris le temps de manger, il s’attache à rendre visite aux patients hospitalisés. «C’est important, ils nous attendent. Quand je ne passe pas parce que je suis retenu au bloc, on me le reproche.» SM