Contrôle génétique de la mise en place du plan d`organisation

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Chapitre 2 : diversification génétique et diversification des êtres vivants
Les gènes du développement
Contrôle génétique de la mise en place du plan d'organisation
Le point sur... les gènes homéotiques
Hervé Le Guyader, Professeur au Laboratoire de Biologie moléculaire et cellulaire du Développement de l'Université Pierre et Marie Curie.
Qu’est-ce qu’un gène homéotique ?
Un gène homéotique est, par définition, un gène dont la mutation produit une homéose, c’est-à-dire l’apparition d’un organe bien formé, mais
à un mauvais emplacement du corps. Un gène homéotique est donc défini par rapport au phénotype qu’il entraîne lorsqu’il est muté, et non
par sa séquence nucléotidique. Les premières observations de phénotypes homéotiques remontent à 1894.
C’est W. Bateson, qui en étudiant les variations intraspécifiques chez un coléoptère, observa des mutations homéotiques, notamment
l’apparition de pattes à la place des antennes. Il fit d’ailleurs des observations similaires chez les végétaux, où les étamines pouvaient par
exemple être remplacées par des pétales.
Les gènes homéotiques ne possèdent donc pas nécessairement la fameuse séquence appelée "homéoboîte" ?
Non, et la confusion est fréquente : en 1983, deux équipes de recherche distinctes, celle de W. Gehring et celle de T. Kaufman, découvrent
que tous les gènes homéotiques connus chez la drosophile possèdent une séquence commune de 180 paires de bases, qu’on nomme
"homéboîte" (en anglais homeobox). La tentation est grande d’appeler alors "gène homéotique" tout gène à homéoboîte… Cette définition
s’applique effectivement chez la drosophile, et chez tous les animaux, mais il faut bien préciser deux points.
D’une part, la réciproque est fausse : les chercheurs se sont très vite rendu compte que tous les gènes à homéoboîte ne sont pas des gènes
homéotiques, c’est-à-dire que leurs mutations ne donnent pas nécessairement un phénotype homéotique. C’est le cas des gènes bicoïd,
engrailed… qui sont des gènes du développement, mais pas des gènes homéotiques.
D’autre part, cette définition ne s’applique pas aux végétaux : les gènes entraînant des phénotypes homéotiques chez les végétaux ne
possèdent pas l’homéoboîte.
Quel rôle jouent les gènes homéotiques chez les différents organismes ?
Chez les arthropodes comme la drosophile, les gènes homéotiques déterminent l’identité de chaque segment de l’animal : ils dirigent ainsi
l’apparition de pattes, d’antennes…. Le phénotype "pattes à la place des antennes", décrit par Bateson, est dû chez la drosophile à une
mutation dans le complexe de gènes homéotiques Antennapedia. Cette spécification des segments se fait suivant un axe antéro-postérieur, et
il est fortement corrélé à l’ordre des gènes sur les chromosomes : c’est la règle de colinéarité. En parcourant l’ADN de 3’ vers 5’, on trouve
des gènes dont les lieux d’action s’échelonnent de l’avant vers l’arrière de l’animal.
Chez les vertébrés, la majeure partie des gènes homéotiques intervient dans l’identité des différentes parties du corps, suivant l’axe antéropostérieur (mais pas dans celle de l’axe dorso-ventral). Une partie d’entre eux joue également un rôle dans l’édification des membres. Chez la
souris par exemple, les gènes homéotiques, regroupés en 4 complexes appelés HOX A à HOX D, interviennent dans la régionalisation de la
colonne vertébrale et du système nerveux.
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Chapitre 2 : diversification génétique et diversification des êtres vivants
Chez les végétaux, les gènes à MADSbox déterminent la mise en place des différents verticilles de pièces florales : sépales, pétales…
Quel est le mode d’action des gènes à homéoboîte ?
Les gènes à homéoboîte sont des régulateurs de transcription, activateurs ou inhibiteurs suivant les cas : ils sont en quelque sorte des gènes
"maîtres", qui dirigent l’expression d’autres gènes. Prenons l’exemple des gènes homéotiques animaux, qui possèdent tous l’homéoboîte :
cette séquence code un peptide de 60 acides aminés, appelé homéodomaine, qui possède dans sa structure secondaire trois hélices a lui
permettant de se fixer à l’ADN. L’homéodomaine régule ainsi la transcription d’autres gènes.
Chez les végétaux, la MADSbox joue un rôle similaire : elle code un peptide possédant un site de fixation à l’ADN.
Les gènes homéotiques sont très conservés au sein du monde vivant. En quoi ont-ils pu participer à la diversité des êtres vivants ?
Lorsqu’en 1983, Gehring et Kaufman découvrent "l’homéoboîte", on crible des banques connues de séquences de gènes pour savoir si cette
séquence est présente chez d’autres organismes que la drosophile : on trouve d’abord des gènes à homéoboîte chez la souris, chez l’homme,
puis chez tous les vertébrés. La plupart de ces gènes s’avèrent homologues chez les arthropodes et chez les vertébrés. Ils sont regroupés en
complexes dans les deux cas. Or les paléontologues nous disent que les arthropodes et les cordés se sont séparés il y a 540 millions
d’années ! L’ancêtre commun à ces deux embranchements possédait donc déjà des gènes à homéoboîte, qui se sont probablement dupliqués
au sein d’un complexe, qui se scindera plus tard en deux sous-complexes chez la drosophile, et se dupliquera pour en donner 4 chez les
vertébrés, créant de la diversité.
Les gènes à homéoboîte forment une famille multigénique, les gènes homéotiques en sont une sous-famille, et les gènes Hox des animaux
constituent encore un sous-ensemble homogène de la famille des gènes homéotiques.
Les gènes à homéoboîte sont très anciens, puisqu’on les trouve chez les plantes, chez les champignons…. Il en va de même pour les gènes
à MADSbox découverts chez les végétaux, et qui sont présents chez presque tous les Eucaryotes, des unicellulaires aux vertébrés. Des
gènes très anciens, par duplication et remaniements, ont été "recrutés" au cours de l’évolution pour accomplir de nouvelles fonctions.
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Chapitre 2 : diversification génétique et diversification des êtres vivants
Crapaud : 3 fois onze chromosomes à diviser
Le crapaud Bufo baturae, découvert il y a quinze ans dans les montagnes du nord du Pakistan est une curiosité génétique. Il est doté de trois
jeux de onze chromosomes, mais son mode de reproduction sexué le contraint à diviser son patrimoine génétique pour produire des cellules
reproductrices (ovules et spermatozoïdes). Toutefois, il ne peut pas diviser de chromosome en deux, car cela rendrait impossible une
descendance viable.
Après des années d’étude, des chercheurs suisses ont découvert la méthode qu’il utilise pour diviser par deux son nombre impair de
chromosomes, et fabriquer des cellules reproductrices, qui au moment de leur fusion, donneront un descendant à nouveau doté de trois jeux
de chromosomes.
Les mâles éliminent leur troisième jeu de chromosomes et les deux autres jeux suivent le processus habituel de la méiose.
Les femelles, elles, dupliquent leur troisième jeu de chromosomes, ce qui leur donne quatre jeux de chromosomes. Sur ces quatre, deux vont
se retrouver dans les cellules reproductrices femelles, les ovocytes. Ces ovocytes contiennent tous une copie identique du troisième jeu de
chromosomes, alors que leur second jeu résulte d’une combinaison au hasard des deux autres jeux maternels.
Une stratégie d’adaptation à l’environnement ?
Le crapaud transmet donc à sa descendance une copie d’un jeu de chromosomes complètement identique à l’original, comme si sa
reproduction était asexuée. Mais les deux autres jeux de chromosomes subissent un brassage génétique : comme dans toute reproduction
sexuée, leur composition est renouvelée à chaque génération.
Il s’agit d’un phénomène unique dans le monde animal.
"Nous ignorons pourquoi les crapauds Batura présentent un mécanisme héréditaire aussi compliqué", explique Nicolas Perrin, principal auteur
de l’étude publiée dans l’édition en ligne des Proceedings of the Royal Society B. Cela vient peut-être des conditions environnementales
difficiles que les batraciens doivent affronter dans les régions montagneuses semi-désertiques du Pakistan. Dans les milieux hostiles, rappelle
le chercheur, les êtres vivants sont souvent tellement spécialisés que la stabilité génétique devient indispensable.
Le crapaud Bufo baturae semble avoir adopté un compromis entre les deux options, en préservant une certaine constance du génome par
l’intermédiaire du jeu de chromosome transmis par la mère et en autorisant un brassage génétique sur les deux autres jeux.
Sciences et Avenir.fr 10/11/2011
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Chapitre 2 : diversification génétique et diversification des êtres vivants
Huître triploïde : une "manipulation" bien cachée par Christophe noisette, nov 2008
Régulièrement, les journaux français, évoquent une huître génétiquement modifiée, appelée huître "de Quatre saisons".
Est-elle le premier animal génétiquement modifié commercialisé en Europe ?
Mise au point en 1997 par l’Institut public français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), et commercialisée en 2000, cette huître
possède non pas 2n chromosomes, mais 3n. Elle est donc dite triploïde. M. Leborgne, président du syndicat des ostréiculteurs, ne tarit pas
d’éloges sur cette huître qui "pousse" plus vite, et dans des milieux non favorables aux huîtres classiques. Du coup, elle peut être vendue en
été. Elle représente actuellement environ 30 % des huîtres vendues en France, tendance qui, selon lui, va continuer à la hausse.
Deux méthodes de modification
La première méthode consiste à produire des gamètes à 2n chromosomes (au lieu de n pour un gamète normal), via un choc chimique (la
méiose est bloquée par du cytochalasin B (CB)) ou physique (thermique). La fécondation de ces gamètes avec un gamète classique haploïde
donne une huître triploïde à 3n.
La deuxième méthode, brevetée en 1996 aux États-Unis, et actuellement prédominante, consiste à féconder un ovule triploïde (3n
chromosomes), résultant donc d’une première manipulation, avec un spermatozoïde haploïde (n). Les huîtres obtenues (4n) croisées avec
des diploïdes, donnent naissance à des larves triploïdes, sans mortalité, de qualité uniforme et en théorie stériles.
Une stérilité programmée
La première conséquence est que ces huîtres sont stériles. Les ostréiculteurs qui élèvent des huîtres triploïdes sont dans l’obligation de
passer par des écloseries pour renouveler leurs huîtres (pour le consommateur pas d'huîtres laiteuses).
Seconde conséquence, elles ne dépensent pas d’énergie pour la reproduction et poussent donc plus vite que les autres, en période estivale,
chez les diploïdes la mortalité est de 50 à 70 % contre 10% pour les triploïdes.
Cependant, ces avantages semblent, cette année du moins, relatifs : cet été, "de nombreux lots d’huîtres triploïdes sont entrés en
reproduction et les triploïdes sont aussi victime d'infection bactérienne.
En 2001, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a, dans un avis, répondu à la question de "l’équivalence des huîtres
triploïdes par rapport à des organismes diploïdes ou "sauvages"". Tout d’abord, elle rappelle que "près de la moitié des espèces végétales
sont polyploïdes", mais que "la polyploïdie naturelle est plus rare chez les animaux". Actuellement, seules les huîtres et les truites sont
modifiées pour devenir triploïdes.
Selon le comité national de la conchyliculture, l’absence de réglementation spécifique aux huîtres triploïdes est logique, car elles ne sont pas
considérées comme un "nouveau produit". Ainsi, il n’y a pas d’obligation d’étiquetage particulier.
L’huître triploïde, modifiée chromosomiquement, n’est pas un OGM, au sens juridique car il n’y a pas eu d’apport de gène étranger.
La vente d’huîtres triploïdes est effectuée en France par diverses entreprises : Satmar, Vendée Naissain, Grainocéan.
Référence : "Savoir et comprendre avant de diaboliser", les nouvelles de l’Ifremer n°16 de juin 2000.
Farming triploid oyster, John A. Nell in Aquaculture 210 (2002) p 69-88
La passion des huîtres et des moules, Christian Vidal, p 73-75
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