s'interroger sur l'imbrication du religieux et du politique, et sur un pseudo devoir de faire triompher la vérité
par tous les moyens qui peut obnubiler des esprits faibles et ignorants. Mais il faut aussi reconnaître avec
Malek CHEBEL que l'Islam aujourd'hui est confronté à la nécessité de son aggiornamento. L'écrivain allemand
d'origine turque Zafer SENOCAK écrivait ceci dans Le Monde du 20 janvier : « le public ne perçoit pratiquement
plus l’Islam que comme terrorisme. C’est l’élite musulmane (…) qui en porte la responsabilité. Elle n’est pas
parvenue à concilier les sources traditionnelles de la foi islamique et le monde contemporain (…) Un islam du
pamphlet s’est imposé : il emploie une langue réduite à sa plus simple expression (…) Que sont devenus les
théologiens islamiques de l’université d’Ankara ? (…) Là où le discours universitaire est faible, la puissance
supérieure du langage des réseaux sociaux devient le véritable foyer du conflit, et les terroristes ne cessent d’y
recruter ».
L’influence des médias d’ailleurs est partout sensible sur le vécu des croyants, et la question des
caricatures de Mahomet n’en est qu’un aspect. Une musulmane rappelle à ce propos que les musulmans
n’acceptent pas davantage les caricatures de Jésus ou de Moïse. Par-delà le nécessaire rappel du droit
d’expression, et de la longue tradition culturelle française de la caricature, il convient tout de même de
remarquer avec le pape François que toute liberté a comme limite celle des autres et leur propre droit au
respect, notamment celui de leur foi. L’opinion publique française est d’ailleurs très partagée sur la question
des caricatures de Mahomet : le 18 janvier, en plein cœur des événements tragiques de Charlie Hebdo et de
leurs suites, alors qu’il était particulièrement difficile de marquer sa différence dans le consensus ambiant, un
sondage IPSOS révélait que 42% des Français, toutes religions confondues, se déclaraient contre les caricatures
(57% se disant pour).
Quand on parle de religion, les stéréotypes fusent, tous plus faux les uns que les autres. Pour
beaucoup de gens, les musulmans sont des Arabes : l’Islam est pourtant la religion, outre la péninsule arabique,
du Maghreb, de l’Afrique sub-saharienne et de la Somalie, de l’Iran, de l’Irak, de la Turquie, de tout le Moyen-
Orient à l’exception d’Israël, du Pakistan, de l’Afghanistan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan… et de 250
millions d’Indonésiens ! Pour les athées et les agnostiques, les croyants satisfont un besoin de la faiblesse (la
religion est une "béquille"), quand tous les croyants récusent cette interprétation : la foi est un fait ou n’est
pas, ce n’est pas une façon de satisfaire un besoin. C’est d’ailleurs un fait que l’on peut découvrir avec surprise
sur soi-même dans certaines circonstances, et dont le critère pratique le plus fiable est la prière : on se sait
croyant (avec les doutes continuels que cela implique) lorsqu’on se surprend à prier.
La fin de notre échange souvent confus et bruyant malgré les consignes données au début (mais nous
étions plus de 60 personnes !) nous ramène à des considérations plus fondamentales et à un autre visage de la
religion : celui de Gandhi, de Martin Luther King, de Sœur Emmanuelle et Mère Thérésa… N’est-il pas évident
alors, le pouvoir libérateur de la religion ? A la fin de sa vie, Gandhi disait : « je suis sikh, je suis hindou, je suis
chrétien, je suis musulman, je suis juif… » Sur l’essentiel - le pouvoir libérateur de la foi, précisément, quand
elle est esprit de totale dépossession et d’abandon à Dieu ("Islam" signifie soumission) - les croyants se
retrouvent toujours, par-delà les questions de dogme.
Ainsi la question est-elle peut-être avant tout de ne pas confondre les vrais croyants et les fanatiques.
Odon Vallet le dit bien : « Le schématisme des lieux communs n’a d’égal que le simplisme des paradoxes (…)
Aucune religion ou confession n’est, par nature, violente ou non violente. (…) Les religions prêchent la
perfection à des hommes imparfaits. Enseignant une vérité unique, elles dénoncent des idées fausses qui
peuvent être à moitié vraies. Il faut donc garder le sens des nuances dans un monde complexe en reprenant
l’interrogation de Pilate au procès de Jésus : qu’est-ce que la vérité ? » Le premier devoir de tout croyant à
une époque menacée à la fois par l’exclusive et le fanatisme, c’est de savoir qu’il croit, et de ne pas croire qu’il
sait.
Catherine et Alain Vallée, Béatrice Scola (notes)