«l'or de l'Euphrate» et levée des troupes dans le Khorasan, c'est-à-dire en Afghanistan. Avec
une seule conclusion : la fin des temps a commencé.
N. O. -
Est-ce une littérature délirante ?
J.-P. Filiu.- J'ai souffert à m'immerger aussi longtemps dans ce genre d'élucubrations qui sont
une insulte permanente à la pensée. Délirante ? Oui. D'abord un délire de persécution qui récrit
l'histoire. Le premier comploteur est saint Paul, qui trahit le message de Jésus en envoyant les
apôtres dans le monde pour qu'ils abandonnent la Palestine aux Juifs. Et Luther, qui se passionne
pour l'hébreu. Puis Bonaparte, autre grand ami du sionisme; Karl Marx, qui réduit l'homme à la
matière; Atatürk le laïque, agent du sionisme ! L'Antéchrist est un Juif dont la trace se retrouve
à chaque moment de l'histoire... avant même que le sionisme existe ! Dans certaines versions,
l'Antéchrist vit dans le triangle des Bermudes, un sanctuaire qu'il ne quitte qu'en soucoupe
volante pour faire ses mauvais coups, fomenter la Révolution française matérialiste, favoriser les
croisades faites par les Templiers, membres du «complot judéo-maçonnique». Evidemment, il
contrôle les esprits de son esclave l'Amérique par le cinéma de Hollywood. Quant à la France, son
agent principal est Alain Delon, qui renonce à être président de la République et devient acteur
pour mieux contrôler les esprits... Ouf !
N. O. -
Et le public croit à ces fables ?
J.-P. Filiu. - C'est une spirale de décomposition intellectuelle en compétition avec l'explication
délirante. Chaque nouveau livre fournit une interprétation du monde. Pour le lecteur, c'est tout
sauf un divertissement !
N. O. -
D'autant que certains événements politiques confortent cette vision..
.
J.-P. Filiu. - Tout commence vraiment avec le soulèvement de La Mecque en novembre 1979. Au
pied de la Kaaba, la Pierre noire sacrée, le Saoudien Qahtani, un Mahdi autoproclamé, déclenche
une insurrection millénariste. Ensuite il y a eu la guerre en Afghanistan, le 11-Septembre et
l'invasion de l'Irak. En janvier 2007, un soulèvement messianique à Nadjaf, en Irak, est noyé
dans le sang - entre 500 et 1000 morts - par les armées irakienne et américaine. Aujourd'hui,
certains chefs politiques tentent de surfer sur la vague apocalyptique. Le Hezbollah libanais
présente son leader, Hassan Nasrallah, comme F avant-garde du Mahdi apparue l'été 2006 pour
contribuer à la défaite d'Israël. En Iran, le président Ahmadinejad, convaincu que la période
actuelle est celle où apparaîtra le Mahdi, a fait plusieurs fois état de messages qu'il reçoit de
l'imam caché !
N. O. -
Quelle est la différence entre les visions sunnite et chiite de l'apocalypse ?
J.-P. Filiu. - Pour les sunnites, la figure centrale est Jésus, qui apparaîtra à Damas au sommet
d'un minaret blanc et traquera l'Antéchrist jusqu'à Lod, l'actuel aéroport de Tel-Aviv. Pour les
chiites, le personnage essentiel est le Mahdi. Les deux traditions croient à l'Antéchrist, le faux
Messie à la fois chef des forces du Mal et grand manipulateur, ainsi qu'aux peuples maudits Gog
et Magog, dont les hordes se sont jetées sur les musulmans : au xiir siècle, les Mongols ont
dévasté Bagdad; en 2003, les Américains envahissent l'Irak. Les «signes» sont donc là : le
«combat pour l'or de l'Euphrate», le «renversement des valeurs», le «développement des
épidémies», le sida, et le «temps des catastrophes», le tsunami en 2004. Sans compter la
numérologie, qui s'attache à évaluer la durée de vie de l'Etat d'Israël : si l'occupation de la
mosquée Al-Aqsa, en 1967, doit durer quarante-cinq ans selon les textes, Israël sera donc
détruit en 2012. Le discours, truffé de dates de victoires et de l'apparition d'un sauveur, est à
la fois millénariste et messianique. La bataille finale, effroyable, s'achèvera par l'écrasement
des ennemis de l'islam, et Jésus brisera la croix, bannira le porc et instaurera la charia dans le
monde.
N. O. -
Ce discours apocalyptique en rencontre un autre : celui de certains fondamentalistes
protestants
.
J.-P. Filiu. - Mieux, il s'en nourrit ! Le thème de l'Armageddon, absent de la littérature
islamique, est devenu courant pour décrire la bataille du jugement dernier. Dans le Coran, «la