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LES ARGUMENTS DU DISCOURS CONTRE CEUX DU VERBE :
‹ CONSTRUCTION ›, ‹ COLLIGATION ›, ‹ COERCITION ›
Par D
OMINIQUE
L
EGALLOIS
L’idée qu’un verbe possède une ou des structure(s) argumentale(s) est généralement peu discutée par les
syntacticiens. Les « changements » de valence observés dans des emplois attestés sont, soit ignorés, soit perçus
comme des phénomènes marginaux redevables à des registres particuliers. En m’inspirant de certaines
conceptions élaborées dans le cadre des Grammaires de Construction, ou encore de la Grammaire des Patterns, et
en m’appuyant sur des analyses sur corpus, je propose de considérer que les arguments ne sont pas régis par le
verbe, mais par la construction elle-même, qui constitue une sorte d’unité phraséologique, possédant une
fonction discursive propre. Sont examinées des constructions telles que [XS ENTRAÎNER YO dans Zloc] (Winx
Club nous transporte dans un univers de conte de fées moderne), ou encore, la configuration syntaxique [SN1
mettre SN2 à Inf.] qui se réalise dans quatre patterns différents, chacun possédant une fonctionnalité propre. La
productivité des constructions est particulièrement aiguë dans les cas où s’exerce une ‹ coercition › (ou
‹ forçage ›) du pattern sur le verbe ; la coercition est un jugement épilinguistique de l’observateur qui considère
que dans telle occurrence, le verbe possède un comportement syntaxique particulier, et que son emploi constitue
un écart par rapport à ce que la linguistique britannique nomme ‹ colligation ›, c’est-à-dire un fonctionnement
régulier du verbe redevable non pas à des propriétés structurales, mais à des phénomènes de collocations
grammaticales. Les notions de ‹ construction ›, de ‹ colligation › et de ‹ coercition › sont donc, selon moi, utiles
pour appréhender les faits grammaticaux de manière plus réaliste.
0. Introduction
Admettre, réclamer, régir, autoriser, sélectionner, imposer, gouverner : voici quelques-unes
des prérogatives du verbe que jalouse toute autre partie du discours. Ainsi, malgré leur
diversité, les grammaires et théories syntaxiques s’entendent sur la prééminence du verbe
dans l’organisation syntaxique de la phrase
1
. Il faut dire que le verbe a de bons arguments :
plus que toute autre catégorie, il est affecté par des variations flexionnelles multiples (nombre,
personne, mode, temps) et par des variations de radical. Difficile de ne pas lui trouver des
vertus structurales : il est, pour Tesnière, le terme central autour duquel se joue le drame de la
proposition ; pour l’analyse logique d’une phrase, la grammaire scolaire préconise de recenser
les propositions en identifiant en premier lieu les verbes conjugués ; pour un grand nombre de
théories syntaxiques, le verbe, noyau prédicatif, possède des positions argumentales que
viennent saturer des constituants. Quelles que soient les différences entre les approches, la
perspective générale la plus souvent partagée est que
le contenu lexical d’un verbe donné […] spécifie un certain nombre de compléments ou de places ; en fait,
ces places ou valences, font partie intégrante du contenu lexical du verbe. (M. Herslund 1988, 29)
Deux scénarii sont généralement retenus :
- la phrase est le résultat d’une projection verbale (prédication endocentriste)
- la phrase est formée d’un GN sujet et d’un GV prédicat, dans lequel le verbe régit ses
arguments (prédication exocentriste)
mais la perspective est toujours la même sur un point : la proposition est le produit d’une
combinaison d’éléments, d’une composition. On peut donc qualifier de ‹ compositionnaliste ›
1 Pour un panorama et une discussion de ce phénomène dans la tradition française cf. P. Lauwers (2003) ;
mais le phénomène dépasse de loin la grammaire traditionnelle et le domaine français.