Cependant, pouvons-nous accepter que les externalités négatives du système soient prises en
charge à l’extérieur de celui-ci au nom d’une plus ou mois grande volonté d’efficience ? Si tel était
le cas cela renverrait aux conceptions classiques du débat sur la prééminence supposée de
l’efficacité sur la justice ou de l’inverse. Une prise en charge ex-post est d’abord une façon de
pérenniser le système que l’on souhaite compenser. Sans comprendre que l’efficacité ne produit pas
systématiquement le juste mais en agissant comme si c’était le cas, on en arrive à conclure que la
seule solution consiste à décupler l’efficacité - ce qui a alors pour effet d’accroître une nouvelle fois
la prise en charge ex-post des externalités négatives. Or, si l’efficace ne produit plus le juste, peut-
on considérer que le juste produise l’efficace ? Ce sera là une façon de concevoir l’Etat providence
(comprenant l’économie sociale). Cependant, devant son échec, nous ne pouvons que conclure à
l’impossibilité pratique de cette relation. Reste alors que efficacité et justice doivent être présents en
même temps et que ni l’un ni l’autre ne produit son complément. La solidarité doit alors s’entendre
comme les deux en même temps. Elle ne peut alors se comprendre que sous la forme de pratiques
dans lesquelles ce qui est juste sans être efficace n’a guère plus de chance de réussir que ce qui est
efficace sans être juste.
C’est la raison pour laquelle parler d’Economie solidaire revient à se positionner autrement et
à envisager que la solidarité ne peut être cantonné à un espace hors marché, mais au contraire au
sein même de celui-ci ou plus précisément des structures qui y sont présentes. Cela revient à
considérer que si l’Economie sociale est un secteur où évoluent des structures spécifiques au cahier
des charges à consonance sociale, l’Economie solidaire à l’inverse doit être perçue comme une
économie où toutes les structures productives mettent en oeuvre à différents niveaux la solidarité.
C’est ce que nous appelons la solidarisation.
Si cette vision semble laisser entrevoir une certaine morale à travers des comportements plus
ou moins contraints, il n’en est rien. Elle se distingue en cela qu’elle ne repose pas sur une volonté
de moralisation ou une quelconque éthique, mais sur le pragmatisme le plus éhonté. C’est lui qui
nous oblige à constater l’impasse dans laquelle ces croyances (passées) nous ont amenée. La société
n’est ni le résultat involontaire de l’action individuelle, ni une donnée à laquelle il faut se soumettre.
C’est le résultat d’un choix porté par l’existence de raisons contextuellement déterminées qui nous
sont accessibles par la production d’intelligible (éducation-connaissance) et par son appropriation
pour agir (connaissance-action).
Produire et s’approprier l’intelligible, c’est intégrer dans notre approche la complexité. C’est
par exemple être en mesure de construire la démocratie dans tous les domaines de la vie sociale. A
ce propos, il est en effet étrange de constater que nos sociétés revendiquent à la fois d’être
économiques et démocratiques alors que le pouvoir économique est probablement celui qui est le
moins partagé. Etre solidaire n’est pas une position morale, ce n’est pas non plus une position
politique, c’est l’affirmation d’une certaine responsabilité individuelle et collective qui nous oblige
à concevoir le résultat de nos actes à l’aune de la liberté, de l’égalité et de la pérennité1. Cela revient
en grande partie à faire notre les analyses de Jacques Sapir2.
En d’autres termes, la solidarisation de l’économie revient à considérer que si le projet
économique est le seul acceptable dans les sociétés modernes3 il se présente aujourd’hui sous une
modalité qui ne lui permet pas de se réaliser pleinement. C’est d’ailleurs suite à cet échec que les
autres projets (politique où religieux) reprennent de la teneur de par le monde4. Eviter le retour à ces
1 Elle serait en quelque sorte un art combinant des connaissances implicites à des connaissances explicites, un savoir théorique et un savoir-faire d’ordre pratique.
2 J. Sapir, « Les économistes contre la démocratie », Albin Michel, 2002.
3 En effet, ce projet porté par Smith en remplacement des projets religieux et/où politique,est le seul où le pouvoir est pensé comme interne et partagé.
4 Montée des intégrismes religieux d’un côté, des Etats forts de l’autre, et parfois comme aux Etats-Unis de W. Bush des deux en même temps…