Médecine & enfance Otite externe ORL M. François service ORL, hôpital Robert-Debré, Paris L’otite externe est une inflammation aiguë du revêtement dermo-épidermique du conduit auditif externe [1, 2]. C’est une affection fréquente, touchant des enfants entre cinq et douze ans dans un tiers des cas [3]. Elle est habituellement bénigne, mais elle est particulièrement douloureuse et a tendance à récidiver. Nous sommes mercredi. Gwenaelle, cinq ans, a passé une très mauvaise nuit. Elle avait très mal à l’oreille droite et le paracétamol a été peu efficace sur cette douleur. Elle a fait beaucoup d’otites moyennes aiguës jusqu’à l’âge de deux ans et demi. Mais la symptomatologie est cette fois différente : pas de fièvre, douleur unilatérale non calmée par le paracétamol. Son oreille ne coule pas, le pavillon a un aspect normal. L’enfant n’est pas enrhumée et n’a pas mal à la gorge. Elle est en grande section de maternelle et va à la piscine tous les mardis avec l’école. Cette activité lui plaît beaucoup. Elle accepte très volontiers que vous examiniez son oreille gauche, dont la membrane tympanique est normale. Lorsque vous touchez le pavillon de l’oreille droite pour positionner le spéculum d’oreille, elle se plaint et recule. Le conduit auditif externe est œdématié, recouvert de sécrétions purulentes épaisses. Le tympan est macéré. Il n’est pas perforé. périauriculaire et d’adénopathie mastoïdienne, prétragienne ou parotidienne permet de dire qu’il s’agit d’une forme bénigne d’otite externe [2]. L’aspect otoscopique est variable. Au début, la peau du conduit auditif externe paraît normale, mais est très douloureuse à la palpation. Généralement, lorsque les patients viennent consulter, il y a au moins une hyperémie du conduit auditif externe. Puis survient une infiltration inflammatoire diminuant la lumière du conduit auditif externe et pouvant aller jusqu’à gêner la vision de la membrane tympanique (figure 1). Des sécrétions plus ou moins purulentes et plus ou moins fluides, mais en général peu abondantes (beaucoup moins abondantes que dans le cas d’une otite moyenne aiguë perforée, d’une otorrhée sur aérateur transtympanique ou d’une poussée de réchauffement d’une otite chronique cholestéatomateuse ou pas), peuvent obstruer la totalité du conduit [4] . Lorsque celles-ci sont de couleur verte et d’odeur caractéristique, il faut penser au pyocyanique. LE DIAGNOSTIC D’OTITE EXTERNE EST CLINIQUE LE PRÉLÈVEMENT AURICULAIRE EST INUTILE Les signes fonctionnels et l’otoscopie sont suffisamment caractéristiques pour porter le diagnostic d’otite externe aiguë : survenue rapide, après un bain en piscine, d’une otalgie exacerbée par l’attouchement du pavillon de l’oreille et s’accompagnant d’une modification de la peau du conduit auditif externe [1, 2]. L’absence de fièvre, d’inflammation Ces infections sont bactériennes dans plus de 95 % des cas. On connaît bien l’épidémiologie microbienne des otites externes. A ce stade, on peut se passer de tout examen complémentaire et de tout prélèvement bactériologique, car le traitement peut être probabiliste [2, 5]. Les germes les plus fréquemment rencontrés sont Pseudomonas aeruginosa CAS CLINIQUE Rubrique dirigée par M. François mai 2013 page 139 Médecine & enfance et Staphylococcus aureus. L’infection est plurimicrobienne dans 20 % des cas [4]. Attention : l’intérieur du conduit auditif externe est colonisé par une flore saprophyte, et la présence de bactéries Gram+ et Gram– (staphylocoques, corynébactéries, Pseudomonas aeruginosa) et de champignons n’est pas synonyme d’infection. Figure 1 La lumière du conduit auditif externe est virtuelle du fait d’un œdème très important des parois. Figure 2 Pansement expansible type Pope Otowick®, sec à gauche, après humidification par du sérum physiologique à droite. L’instillation deux fois par jour de gouttes auriculaires le maintient expansé et permet d’assurer le contact entre les gouttes auriculaires et la peau du conduit auditif externe. COMMENT CALMER LA DOULEUR ? La douleur d’une otite externe est très violente [6], plus violente que celle des otites moyennes aiguës et des otites phlycténulaires, et volontiers insomniante. Il est rare que le paracétamol suffise. Il est souvent nécessaire, pour la calmer efficacement, de donner pendant vingt-quatre à quarante-huit heures des antalgiques de niveau II comme le sirop de codéine (actuellement aucune spécialité associant paracétamol et codéine n’a d’AMM pour les enfants de moins de six ans). Les gouttes auriculaires contenant des corticoïdes et/ou des analgésiques, si elles ne sont pas suffisantes pour supprimer la douleur, vont au moins l’atténuer [7]. FAUT-IL PRESCRIRE UN ANTIBIOTIQUE ? Oui, car les otites externes sont d’origine bactérienne dans plus de 95 % des cas. Mais ce traitement doit être administré par voie locale [5, 8, 9]. Les gouttes auriculaires permettent en effet d’obtenir in situ des concentrations importantes du principe actif, qui ne pourraient pas être obtenues par voie systémique, et ce sans complication systémique digestive ou autre. Un traitement par voie générale n’est à envisager que dans les formes compliquées, s’accompagnant d’une adénopathie prétragienne ou d’une périchondrite (extension de l’œdème et de l’inflammation au pavillon de l’oreille) et/ou survenant sur des terrains particuliers : diabète, déficience immunitaire innée ou acquise [2]. Les gouttes auriculaires doivent contenir des antibiotiques actifs sur les germes les plus fréquemment en cause que sont Pseudomonas aeruginosa et Staphylococcus aureus [4, 10, 11]. S. aureus est naturellement sensible aux aminosides. P. aeruginosa a une résistance naturelle à la néomycine et la kanamycine, mais il est sensible à la colimycine, à la polymyxine B et aux quinolones. Pour ne pas compliquer la vie des parents et faciliter l’observance, il faut prescrire des gouttes contenant à la fois des corticoïdes (et éventuellement des anesthésiques locaux) et les antibiotiques actifs sur les deux germes suscités (comme Panotile ® , Polydexa ® , Antibiosynalar ® , Framyxone®) plutôt que des préparations magistrales ou des mélanges de gouttes [12]. Cependant, si le tympan est ouvert (perforation tympanique ou aérateur transtympanique), les aminosides sont contre-indiqués, et on n’a plus le choix qu’entre Oflocet® et Otofa®. Les gouttes restent longtemps sur le revêtement cutané, ce qui autorise un rythme d’instillations biquotidien [8, 9]. Pour faciliter la pénétration et le mainmai 2013 page 140 tien des gouttes jusqu’au fond du conduit auditif externe, on peut laisser en place pendant quarante-huit heures une mèche de gaze sèche (1 cm de large, 10 cm de long) ou un pansement expansible type Pope Otowick ® , Ultrapack® ou Merocel® [2, 7, 13, 14] (figure 2). Mais l’introduction d’un pansement dans ce conduit inflammatoire peut être douloureuse, et surtout le pansement peut devenir intolérable lorsqu’il a gonflé. Il ne faut pas hésiter alors à le retirer. Sinon il sera laissé en place quarante-huit heures et les gouttes seront instillées dessus deux fois par jour. Aucun problème pour son retrait, car le conduit auditif externe va très rapidement retrouver son calibre normal, et bien souvent la mèche ou le pansement tomberont tout seuls. Revoir l’enfant au bout de quarante-huit à soixante-douze heures pour l’ablation du pansement (s’il n’est pas parti avant) permet aussi de s’assurer que l’évolution suit un cours normal et de vérifier le tympan. Si l’enfant ne supporte pas les gouttes auriculaires (sensation de brûlure, réaction œdémateuse), par réaction d’intolérance aux produits actifs ou à l’excipient, il faut changer de gouttes auriculaires Médecine & enfance Figure 3 Ce conduit auditif externe n’a pas assez de cérumen, ce qui peut provoquer des démangeaisons, source de grattage et donc d’otite externe. Figure 4 Sécrétions puriformes épaisses masquant la membrane tympanique. et/ou prescrire un traitement per os (mais, attention, le traitement per os agit beaucoup plus lentement que le traitement local). Les douleurs vont s’atténuer nettement au bout de vingt-quatre à trente-six heures. Les symptômes disparaissent habituellement en moins de cinq jours. Le traitement est prescrit pour une semaine. EN CAS D’ÉCHEC DU TRAITEMENT Une évolution défavorable d’une otite externe est rare chez l’enfant. C’est une indication de prélèvement auriculaire pour recherche de germes banaux et de mycose, avec étude de la sensibilité des micro-organismes aux antibiotiques et antifungiques administrables par voie locale [10]. Ce n’est qu’en cas d’échec d’un deuxième traitement, adapté sur l’antibiogramme, qu’un traitement antibiotique per os sera envisagé. L’otite externe maligne est absolument exceptionnelle chez l’enfant. Elle survient toujours sur un terrain immunodéprimé et se manifeste comme une otite externe traînante, avec apparition de granulations dans le conduit auditif externe, d’une inflammation périauriculaire, puis de paralysies des nerfs crâniens [15, 16]. Il faut prescrire un antibiotique antistaphylococcique que l’enfant supporte bien et qu’il accepte de prendre : association amoxicilline-acide clavulanique (80 mg/kg/j en 3 prises), oxacilline (50 mg/kg/j en 2 prises) ou acide fusidique (30 à 50 mg/kg/j en 2 à 3 prises). Si l’enfant a plus de six ans, on peut lui proposer de la pristinamycine à la dose de 50 mg/kg/j en 3 prises. Il n’existe pas d’antipyocyanique administrable per os. Il faut donc poursuivre le traitement local par gouttes auriculaires. CONTRE-INDICATION À LA PISCINE ? La piscine est contre-indiquée tant que l’otite externe n’est pas guérie. Pour les semaines suivantes, un certificat de contre-indication à la piscine ne saurait être proposé que si l’enfant fait une autre otite externe et que les méthodes préventives ne semblent pas pouvoir être appliquées correctement dans le cadre scolaire. Il faut respecter au mieux le film lipidique naturel du conduit auditif externe : donc pas de grattage, pas de nettoyage obsessionnel au coton-tige (ou avec d’autres instruments), pas d’eau savonneuse dans l’oreille [2, 3]. Pour les mai 2013 page 141 shampoings, Gwenaelle peut plaquer un verre en plastique contre chacune de ses oreilles pendant qu’un adulte lui rince les cheveux avec la douchette. Après le bain en mer ou en piscine, il faut bien vider les conduits auditifs en penchant la tête d’un côté puis de l’autre sur une serviette éponge, en tirant un peu sur le lobe de l’oreille. Dans certaines piscines, on peut utiliser le sèche-cheveux. L’instillation d’huile minérale, une goutte dans chaque oreille deux fois par semaine, peut remédier à un manque de cérumen (figure 3). L’instillation d’une solution diluée d’acide acétique peut prévenir les mycoses (qui se développent mieux en milieu alcalin) [17]. Il est par contre déconseillé d’utiliser à titre préventif des solutions antibiotiques, comme le montre la suite de ce cas clinique. RÉCIDIVE : OTOMYCOSE ? Gwenaelle a refait deux otites externes dans le trimestre suivant, et la maman lui a remis les gouttes que vous aviez prescrites. La symptomatologie est en effet tellement caractéristique qu’il est fréquent que les parents fassent d’euxmêmes le diagnostic et traitent avec ce qu’il y a dans la pharmacie familiale. Mais, cette fois, les symptômes persistent : douleur et prurit auriculaire, auxquels s’ajoute une hypoacousie dont l’enfant commence à se plaindre. A l’examen, le conduit est inflammatoire et encombré d’un dépôt qui ressemble à du papier mouillé (figure 4). Le prurit, l’aspect inflammatoire du conduit auditif externe et la présence, à l’examen avec un système grossissant, de filaments blancs (Candida) ou de grains noirs (Aspergillus) sont très évocateurs de mycose. Celle-ci a pu être favorisée par l’usage intempestif et erratique des restes de gouttes auriculaires contenant des antibiotiques. S’il y a un examen complémentaire à demander, c’est l’examen bactériologique et mycologique du conduit auditif externe. Mais on peut aussi faire un traitement d’épreuve probabiliste sur le simple aspect otoscopique, et ne réaliser le prélèvement qu’en cas d’échec du Médecine & enfance POINTS FORTS L’otite externe est une affection favorisée par les lésions de grattage, la chaleur et l’humidité (bains prolongés en piscine ou en mer). Elle est plus fréquente l’été et chez les patients qui ont des conduits auditifs externes étroits ou prurigineux. Le diagnostic est clinique, évoqué sur une otalgie exacerbée par tout attouchement du pavillon de l’oreille et confirmé sur l’aspect modifié du conduit auditif externe (œdème, sécrétions purulentes). La douleur doit être rapidement soulagée par des gouttes auriculaires et par des antalgiques oraux de niveau II. Le traitement de l’infection est avant tout local, par des gouttes auriculaires actives à la fois sur Pseudomonas aeruginosa et sur Staphylococcus aureus. Il faut aussi expliquer aux parents les facteurs favorisant l’otite externe et insister sur les moyens de la prévenir : bien sécher les oreilles après chaque bain, proscrire les grattages et l’emploi de cotons-tiges. traitement constaté lors d’un examen huit jours plus tard [17, 18]. Le traitement est avant tout local. La polyvidone est un bon fongicide, mais qui a l’inconvénient d’être coloré. L’associa- tion oxytétracycline, polymy xine B, dexaméthasone et nystatine (Auricularum ® ) est la seule spécialité à avoir l’AMM en cas d’otomycose. Elle se présente sous forme de poudre à disperser Références [7] KAUSHIK V., MALIK T., SAEED S.R. : « Interventions for acute otitis externa », Cochrane Database Syst. Rev., 2010 ; 1 : CD004740 [8] CHEFFINS T., HEAL C., RUDOLPHY S. et al. : « Acute otitis externa, management by GPs in North Queensland », Austr. F. Phys., 2009 ; 38 : 262-6. [9] SFORL : « Recommandations pour la pratique clinique : utilisation des gouttes et poudres à usage auriculaire », octobre 2001, www.orlfrance.org. [10] AFSSAPS : « Prescription des antibiotiques par voie locale en ORL », http://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/ application/5d94993eac351de87e7d2b03fe48d2d5.txt. [11] RODRIGUES NOGUEIRA J.C., MELO DINIZ M., OLIVEIRA LIMA E., NANDES LIMA Z. : « Identification and antimicrobial susceptibility of acute external otitis microorganisms », Braz. J. Otorhinolaryngol., 2008 ; 74 : 526-30. [12] VAN HASSELT P., GUDDE H. : « Randomised controlled trial on the treatment of otitis externa with one per cent silver nitrate gel », J. Laryng. Otol., 2004 ; 118 : 93-6. [1] LEGENT F., ANDRIEU-GUITRANCOURT J., NARCY P. et al. : Le conduit auditif externe (méat acoustique externe), Arnette Blackwell, 1995. [2] DUBREUIL C. : « Les otites externes de l’été », Lettre d’ORL, 2005 ; 298 : 5-6. [3] CDC : « Estimated burden of acute otitis externa - United States, 2003-2007 », MMWR, 2011 ; 60 : 605-9. [4] ENOZ M., SEVINC I., LAPENA J.F. : « Bacterial and fungal organisms in otitis externa patients without fungal infection risk factors in Erzurum, Turkey », Braz. J. Otorhinolaryngol., 2009 ; 75 : 721-5. [5] GEYER M., HOWELL-JONES R., CUNNINGHAM R. et al. : « Consensus of microbiology reporting of ear swab results to primary care clinicians in patients with otitis externa », Br. J. Biomed. Sci., 2011 ; 68 : 174-80. [6] ELY J.W., HANSEN M.R., CLARK E.C. : « Diagnosis of ear pain », Am. Fam. Physician, 2008 ; 77 : 621-8. dans un liquide. Il faut agiter le flacon avant chaque utilisation. Elle a l’inconvénient de laisser un dépôt sur les parois, qui va finir par s’éliminer vers l’extérieur, mais qui, tant qu’il est présent, peut gêner l’appréciation de la couleur de la peau et l’aspect du tympan. On lui préfère habituellement les imidazolés, comme l’éconazole (Pévaryl®) ou le bifonazole (Amycor®), actifs sur les infections cutanées à Candida et à Aspergillus et les dermatophyties. Il faut choisir une forme galénique assez fluide, comme un lait ou une suspension. Le traitement est prescrit pour deux semaines car ces mycoses peuvent être tenaces et recommencer si le traitement est arrêté trop rapidement. 첸 L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts concernant cet article. [13] ROSENFELD R.M., BROWN L., CANNON C.R. et al. : « Clinical practice guideline : acute otitis externa », Otolaryngol. Head Neck Surg., 2006 ; 134 (suppl. 4) : S4-23. [14] VAN BALEN F.A., SMIT W.M., ZUITHOFF N.P., VERHEIJ T.J. : « Clinical efficacy of three common treatments in acute otitis externa in primary care : randomised control trial », BMJ, 2003 ; 327 : 1201-3. [15] PAUL A.C., JUSTUS A., BALRAJ A. et al. : « Malignant otitis externa in an infant with selective IgA deficiency : a case report », Int. J. Pediatr. Otorhinolaryngol., 2001 ; 60 : 141-5. [16] BOCK K., OVESEN T. : « Optimised diagnosis and treatment of necrotizing external otitis is warranted », Dan. Med. Bull., 2011 ; 58 : A4292. [17] DUBREUIL C. : « L’otomycose du conduit auditif externe », Rev. Off. Soc. Fr. ORL, 1999 ; 57 : 45-6. [18] VIEIRA DA SILVA PONTES Z.B., FERREIRA SILVA A.D., GUERRA M. et al. : « Otomycosis : a retrospective study », Braz. J. Otorhinolaryngol., 2009 ; 75 : 367-70. medecine-et-enfance.net Le site de Médecine et enfance est libre d’accès. Tous les articles parus depuis 1999 sont consultables en ligne à l’exception de ceux des quatre derniers numéros. mai 2013 page 142