15-Bibliotheque-juin-2013_Mise en page 1 23/05/13 14:05 Page148 Bibliothèque sur une vision surplombante du bien venue de la religion, mais aussi de la manière dont les philosophes, à la faveur d’une sorte de métonymie morale, reconstruisent le réel à partir d’un seul principe considéré comme l’expression de la vie morale. Dans les deux cas, le point de vue des acteurs, le point de vue de la première personne, est gommé au profit de celui de la troisième personne. Au lieu de décrire la manière dont les acteurs se comprennent et de les inviter à évaluer les évolutions de la société à la lumière de ce qu’ils veulent être, ces théories, qui ont en commun d’oublier le contexte, les exproprient. De même, l’expérience morale est réduite au devoir ou à la reconnaissance, bref à un aspect des choses qui ne saurait décrire la richesse du réel. Pour redonner au réel son épaisseur, Mark Hunyadi parle de contextualité. Il s’agit de revenir au monde de l’expérience qui est, comme le monde de la vie chez Husserl, un monde vécu, et non un objet ou une totalité nous faisant face. Le contexte est le monde dans lequel nous sommes. Il est constitué de l’ensemble des étants et des unités de sens que nous partageons, qui nous façonnent et sont remplis d’injonctions nous permettant de nous ajuster à ce monde sur lequel nous agissons en retour. Mais cette adhésion au monde n’empêche pas la critique. En effet, « on trouve plus de choses dans le monde que de la simple factualité ». Les acteurs peuvent puiser, dans « la palette de contrefactualité » qui leur est offerte, les ressources nécessaires à une attitude réflexive et critique sur le monde. Celle-ci est la définition de la vie morale, c’est-à-dire du changement de régime que la vigilance opère dans notre manière d’habiter le monde, d’en accueillir certaines évolutions et d’en refuser d’autres. C’est un peu à la manière du bricolage, en transformant les matériaux reçus et en les utilisant à d’autres fins, que les acteurs, dont l’imagination mobilise des ressources contrefactuelles, passent de la simple adhésion au monde à l’éthique. Autrement dit, le contexte objectif, chez les hommes, est aussi un contexte moral objectif. L’histoire n’est pas écrite à l’avance. Si l’identité, qui est liée à ce que nous voulons être et rappelle la notion d’attestation de Ricœur, « est bien le référent ultime de la morale », c’est-à-dire ce qui justifie nos choix, notamment en bioéthique, « elle n’est pas un roc inamovible ». Corine Pelluchon Henry Bauchau Pierre et Blanche. Souvenirs sur Pierre Jean Jouve et Blanche Reverchon Textes rassemblés et présentés par Anouck Cape Arles, Actes Sud, 2012, 208 p., 21,80 € Henry Bauchau. Inédits, correspondances, hommages Revue Approches, décembre 2012, no 152 La disparition d’Henry Bauchau, psychanalyste, poète, dramaturge et romancier, en septembre 2012, a suscité nombre de communications et de publications, parmi lesquelles ces 148