Bibliothèque
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sur une vision surplombante du bien
venue de la religion, mais aussi de la
manière dont les philosophes, à la
faveur d’une sorte de métonymie
morale, reconstruisent le réel à par-
tir d’un seul principe considéré
comme l’expression de la vie morale.
Dans les deux cas, le point de vue
des acteurs, le point de vue de la
première personne, est gommé au
profit de celui de la troisième per-
sonne. Au lieu de décrire la manière
dont les acteurs se comprennent et de
les inviter à évaluer les évolutions de
la société à la lumière de ce qu’ils
veulent être, ces théories, qui ont en
commun d’oublier le contexte, les
exproprient. De même, l’expérience
morale est réduite au devoir ou à la
reconnaissance, bref à un aspect des
choses qui ne saurait décrire la
richesse du réel.
Pour redonner au réel son épais-
seur, Mark Hunyadi parle de contex-
tualité. Il s’agit de revenir au monde
de l’expérience qui est, comme le
monde de la vie chez Husserl, un
monde vécu, et non un objet ou une
totalité nous faisant face. Le contexte
est le monde dans lequel nous
sommes. Il est constitué de l’en-
semble des étants et des unités de
sens que nous partageons, qui nous
façonnent et sont remplis d’injonc-
tions nous permettant de nous ajus-
ter à ce monde sur lequel nous agis-
sons en retour. Mais cette adhésion
au monde n’empêche pas la critique.
En effet, « on trouve plus de
choses dans le monde que de la
simple factualité ». Les acteurs peu-
vent puiser, dans « la palette de
contrefactualité » qui leur est offerte,
les ressources nécessaires à une atti-
tude réflexive et critique sur le
monde. Celle-ci est la définition de la
vie morale, c’est-à-dire du change-
ment de régime que la vigilance
opère dans notre manière d’habiter le
monde, d’en accueillir certaines évo-
lutions et d’en refuser d’autres.
C’est un peu à la manière du bri-
colage, en transformant les matériaux
reçus et en les utilisant à d’autres
fins, que les acteurs, dont l’imagina-
tion mobilise des ressources contre-
factuelles, passent de la simple adhé-
sion au monde à l’éthique. Autrement
dit, le contexte objectif, chez les
hommes, est aussi un contexte moral
objectif. L’histoire n’est pas écrite à
l’avance. Si l’identi, qui est liée à ce
que nous voulons être et rappelle la
notion d’attestation de Ricœur, « est
bien le férent ultime de la morale »,
c’est-à-dire ce qui justifie nos choix,
notamment en bioéthique, « elle n’est
pas un roc inamovible ».
Corine Pelluchon
Henry Bauchau
Pierre et Blanche. Souvenirs
sur Pierre Jean Jouve
et Blanche Reverchon
Textes rassemblés
et présentés par Anouck Cape
Arles, Actes Sud,
2012, 208 p., 21,80
Henry Bauchau. Inédits,
correspondances, hommages
Revue Approches, décembre 2012,
no152
La disparition d’Henry Bauchau,
psychanalyste, poète, dramaturge et
romancier, en septembre 2012, a sus-
cinombre de communications et de
publications, parmi lesquelles ces
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