Résumé de recherche

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Résumé de recherche La fréquence et les corrélats du jeu problématique auprès des patients qui souffrent
de dépression et (ou) de troubles bipolaires (maniacodépression)
Sidney H. Kennedy, MD, FRCPC 1
Roger McIntyre, MD, FRCPC Claire O’Donovan, MD, FRCPC Roumen Milev, MD, FRCPC Jean‐Michel le Melledo MD FRCPC Jean‐Claude Bisserbe MD FRCPC Mark Zimmerman, MD Responsables du projet : Brenda R. Welsh, HBHSc Neasa Martin BSc OT Joanna K. Soczynska, HBSc. Kari Fulton, BA, BScN, RN Questions et objectifs de la recherche Des taux de comorbidités psychiatriques supérieurs ont été signalés parmi la population de joueurs problématiques et de joueurs pathologiques, notamment en ce qui a trait aux troubles bipolaires (TB) et aux troubles de dépression majeure (TDM). La présente recherche fut entreprise dans le but d’étudier la prévalence et les corrélats connexes du jeu problématique parmi les Canadiens et Canadiennes qui souffrent de troubles d’humeur et qui suivent/recherchent un traitement pour la dépression majeure ou le trouble bipolaire. En outre, sachant que la relation temporelle entre la survenance d’humeur négative et les comportements de jeu problématique n’est pas distinctement dépistée, la présente étude explorait ladite relation temporelle par voie de mesures autodéclarées. Les objectifs secondaires de l’étude incluaient l’évaluation des : • différences entre les joueurs problématiques et les joueurs pathologiques selon le sexe; • troubles connexes et des traits de personnalité des joueurs problématiques et des joueurs pathologiques; • effets des problèmes de jeu sur la qualité de la vie. Définitions des termes Jeu problématique : implique un historique de comportements problématiques répétitifs envers le jeu qui bouleverse la vie du joueur, y compris sans pourtant s’y limiter, sa vie familiale, son fonctionnement professionnel, ses finances et son bien‐être. Pour la présente étude, le jeu problématique fut évalué selon l’ICJE. Jeu pathologique : décrit un trouble mental de contrôle des impulsions, lequel se manifeste à titre de maladie chronique progressive, spécifiquement caractérisée par : 1) une perte continue ou périodique du contrôle sur les jeux de hasard; 2) une progression dans la fréquence de jeu ou les sommes pariées, jumelée à une préoccupation par le jeu et les moyens de se procurer de l’argent pour jouer qui s’accroît graduellement; et 3) une participation continue aux jeux de hasard malgré les conséquences défavorables. Pour la présente étude, le jeu pathologique fut évalué selon le SOGS. 1 Au sujet du chercheur principal : Sidney H. Kennedy, MD, FRCPC œuvre à l’Université de Toronto à titre de Professeur en psychiatrie et
de Psychiatre en chef de l’organisation University Health Network.
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Épisode de dépression majeure : Un épisode de dépression majeure est caractérisé par la présence de cinq ou plus des symptômes suivants et ce, pour une période d’au moins deux semaines : 1. une humeur dépressive est présente presque toute la journée, et pratiquement tous les jours; 2. une diminution de l'intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités habituelles; 3. une perte ou un gain de poids considérable; 4. l’insomnie ou l’hypersomnie; 5. l’agitation ou le ralentissement psychomoteur (ex. : tension ou inertie); 6. la fatigue ou perte d'énergie; 7. un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité inappropriée; 8. une diminution de la concentration ou un niveau d’indécision élevé; 9. des pensées de mort récurrentes, des idées ou des actes suicidaires récurrents. Manie : Une période d'humeur anormalement et continuellement perturbée, agitée, explosive ou irritable d’une durée d’au moins une semaine. Sous l’emprise de la manie, l'individu éprouve trois ou plus des symptômes suivants : 1. un sentiment exagéré d’estime de soi ou des idées de grandeur; 2. une réduction du besoin de sommeil; 3. une plus grande communicabilité que d'habitude ou un désir de parler constamment; 4. une fuite des idées ou sensations subjectives que les idées défilent; 5. une distractibilité (par ex. : l'attention est trop facilement attirée par des stimuli extérieurs sans importance ou insignifiants); 6. l’augmentation des activités orientées vers un but particulier (social, professionnel, scolaire ou sexuel); 7. l’engagement excessif dans des activités agréables, mais à haut potentiel de conséquences dommageables (par ex. : des achats impulsifs, des conduites sexuelles inconséquentes ou des investissements d’affaires déraisonnables). Ces symptômes diminuent de façon significative le fonctionnement professionnel, les activités sociales et les relations interpersonnelles de l’individu et peuvent mener à la psychose et à l'hospitalisation. Hypomanie : Une forme atténuée de la manie qui ne provoque pas de déficience ou de détérioration sévère de la vie sociale ou du fonctionnement professionnel. De tels épisodes apparaissent souvent comme une période de haute productivité réussie. Épisode mixte : Lors d’un épisode mixte, l’individu démontre les symptômes d’un épisode de dépression majeure en plus des symptômes d’un épisode de manie pratiquement tous les jours et ce, pendant au moins une semaine. Trouble bipolaire I (TB) : Trouble mental caractérisé par au moins un épisode de manie ou un épisode mixte. Des épisodes de dépression n’ont pas à être présents pour qu’un diagnostic de trouble bipolaire I soit établi, mais souvent ces individus peuvent éprouver la dépression. Trouble bipolaire II : Trouble mental caractérisé par la présence d’au moins un épisode d’hypomanie et au moins un épisode de dépression majeure. Trouble de dépression majeure (DM) : Un trouble mental caractérisé par des épisodes d'humeur dépressive générale, accompagnée par un manque d’estime de soi et une perte d'intérêt ou de plaisir dans les activités habituellement jugées agréables. L'individu souffrant du trouble de dépression majeure a antérieurement rencontré tous les critères qui qualifient un épisode de dépression majeure. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – 4e édition – révisée (Diagnostic Statistical Manual Fourth Edition DSM‐IV‐TR) : Manuel publié par The American Psychiatric Association dans lequel 297 troubles mentaux sont répertoriés, y compris les critères diagnostiques se rapportant à chaque trouble. Évaluation de l’évolution temporelle de l'humeur (ETH) : Un questionnaire (développé par les chercheurs) destiné à déterminer la chronologie du trouble d’humeur et du jeu problématique/pathologique. Les aspects visés par le questionnaire incluaient : à quand remonte la première observation d’un changement d’humeur négatif; quand les symptômes ont‐ils commencé à créer des problèmes considérables dans la vie quotidienne de l’individu; à quand remonte la première consultation pour 3 _______________________________________________________________________________________________________________
des troubles émotionnels ou psychiatriques; à quand remonte le premier diagnostic de trouble d’humeur; à quand remonte le premier traitement pour un trouble d'humeur; et quand a‐t‐il/elle éprouvé la pire période. Évaluation de l’évolution temporelle du jeu (ETJ) : Un questionnaire (développé par les chercheurs) destiné à déterminer la chronologie du trouble d’humeur et du jeu problématique/pathologique. Les éléments du questionnaire visaient la première survenance des aspects suivants : quand l'individu a‐t‐il parié plus qu'il pouvait se permettre; a joué avec de plus grandes sommes d'argent pour éprouver le même sentiment d'excitation; a emprunté de l’argent ou a vendu des articles afin de se procurer de l’argent pour jouer; a estimé qu'il pourrait avoir un problème de jeu; a éprouvé des troubles de santé en raison du jeu; a été critiqué parce qu’il joue; a éprouvé des difficultés financières en raison du jeu; et s’est senti coupable de la façon qu'il joue ou ce qui se produit lorsqu’il joue. Protocole de recherche et méthodes Participant(e)s • 606 participant(e)s (âgés d’au moins 18 ans) rencontrant les critères qui qualifient le trouble de dépression majeure à vie ou le trouble bipolaire I / II selon le manuel DSM‐IV‐TR, ont été recrutés à partir de 5 cliniques de traitement des troubles de l'humeur au Canada et d’une clinique aux États‐Unis et ce, par l’entremise de : ▪ publicités dans les hôpitaux locaux annonçant la recherche d’individus souffrant du trouble de dépression majeure ou du trouble bipolaire pour une étude sur les enjeux des « styles de vie » ▪
cliniques de services de consultation externes pour troubles d’humeur Méthode • Les coordonnateurs/coordonnatrices de l’étude ont effectué une entrevue concertée dans le but d’évaluer les troubles d’anxiété et d’humeur, la dépendance ou l’abus d’alcool ou autre substance, l’idéation suicidaire et le jeu pathologique. Le tout, selon les critères diagnostiques du manuel DSMIV‐ TR. •
Des coordonnateurs/coordonnatrices d’études compétents ont utilisés des instructions normalisées pour l’administration des questionnaires afin d’évaluer les aspects suivants auprès des participant(e)s (le ou les outils d’évaluation sont indiqués au‐dessous de chaque aspect) : 1. Symptômes de dépression a. Entrevue selon l’échelle de dépression Hamilton de 7 éléments (Hamilton Depression Rating Scale 7‐item (HAM‐D‐7)) 2. 3. 4. 5. b. Inventaire succinct des symptômes de dépression – autodéclaré (Quick Inventory of Depressive Symptoms (QIDS)) Symptômes d’hypomanie ou de manie a. Entrevue selon l’échelle d’évaluation Young Mania (Young Mania Rating Scale (YMRS)) Symptômes d’anxiété a. Questionnaire multidimensionnel d’autoévaluation de l’anxiété (Trimodal Anxiety Questionnaire (TAQ)) Jeu pathologique a. Entrevue pour l’évaluation du jeu pathologique selon les critères du DSM‐IV‐TR b. South Oaks Gambling Screen (SOGS) Jeu problématique a. Indice canadien du jeu excessif (ICJE) 4 _______________________________________________________________________________________________________________
6. Traits de personnalité a. Questionnaire NEO‐Five‐Factor‐Inventory (NEO‐FFI) 7. Qualité de la vie a. Questionnaire sur la satisfaction et l’appréciation de la qualité de la vie (Quality of Life Enjoyment and Satisfaction Questionnaire (Q‐LES‐Q)) 8. Risque de suicide (aucun, modéré ou élevé) a. Entrevue selon les critères M.I.N.I.PLUS 9. Chronologie de l’évolution de l’humeur et du comportement envers le jeu a. Évaluation de l’évolution temporelle de l’humeur (ETH) et évaluation de l’évolution temporelle du jeu (ETJ). Si l’âge moyen des symptômes de troubles d’humeur (selon l’ETH) était moins élevé que l’âge moyen des troubles de jeu (selon l’ETJ), le cas fut désigné « humeur en premier lieu »; une relation inverse fut identifiée « jeu en premier lieu ». Pour la présente étude on entendait par « joueurs problématiques », tout individu qui a obtenu un résultat plus élevé ou égal à 3 sur le ICJE et de ce fait, incluait les joueurs à risque modéré dans la catégorie de joueurs problématiques. Résultats clés 27 participant(e)s on retiré leur consentement ou furent “perdus” lors du suivi, laissant un échantillon de 579 participant(e)s pour l’analyse statistique. Les données démographiques étaient : • Âges – de 18 à 95 ans; âge moyen de 44,8 ans •
379 femmes et 200 hommes •
52,5 % (n = 304) souffraient du trouble bipolaire I/II à vie (TB; 74,7 % trouble bipolaire I (n = 227) et 25,3 % trouble bipolaire II (n = 77)). • 47,5 % (n = 275) souffraient du trouble de dépression majeure à vie (TDM) Comportements envers le jeu et les troubles d’humeur • 84 participant(e)s (15,1 %) qui éprouvaient un trouble d'humeur rencontraient les critères du jeu problématique et/ou du jeu pathologique. Ces résultats sont considérablement plus élevés que la prévalence des problèmes de jeu parmi la population canadienne générale (non seulement ceux atteints de troubles d’humeur). •
La prévalence du jeu problématique ne différait pas de façon significative entre le groupe catégorisé TDM (12,6 %) et le groupe catégorisé TD (12,3 %). •
Parmi les participant(e)s du groupe TB, on observait une différence considérable dans la prévalence du jeu problématique entre les hommes (19 %) et les femmes (8 %); parmi les participant(e)s du groupe TDM, les hommes et les femmes avaient le même taux de jeu problématique (environ 11 %). Comorbidité • Les individus démontrant une pathologie du jeu signalaient un risque de suicide deux fois plus élevé que ceux de l’échantillon souffrant de troubles d’humeur. 5 _______________________________________________________________________________________________________________
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La dépendance à l'alcool à vie était un fort indice de jeu problématique auprès des participant(e)s atteints de troubles d’humeur. •
Le jeu problématique était beaucoup plus prononcé auprès des individus souffrant d’un trouble comorbide existant, notamment une attaque de panique, un trouble obsessionnel‐compulsif, une phobie particulière, ou une dépendance à l'alcool ou autre substance. •
Les participant(e)s jugés joueurs problématiques ou pathologiques ont autodéclaré un niveau d’anxiété (comportemental, cognitif et somatique) plus élevé que les joueurs non‐problématiques ou les joueurs non‐pathologiques. •
Comparativement aux joueurs non‐pathologiques, les joueurs problématiques démontraient un profil conséquent de névrosisme aigu, (en grande partie en raison du groupe TDM), un niveau d’ouverture d’esprit bas (groupe TDM), un niveau d’amabilité bas et une attitude consciencieuse basse. •
En ce qui a trait à l’échantillon total des patients souffrant d’un trouble d’humeur, les participant(e)s qui rencontraient les critères de jeu problématique ou jeu pathologique à vie ou au cours de l’an dernier, ont autodéclaré une qualité de vie plus défavorable. Relation temporelle entre le JP et le trouble d’humeur • Parmi le groupe TDM, la survenance du trouble d’humeur précédait la survenance de la pathologie de jeu pour 77,3 % des femmes et pour 25,0 % des hommes. •
Dans le groupe souffrant du TB, la survenance du trouble d’humeur précédait la survenance de la pathologie de jeu pour 85,7 % des femmes et pour 72,2 % des hommes. Limites
Le nombre de joueurs problématiques recruté (579) était considérablement plus petit qu’anticipé (1 000), ce qui compromet la capacité de dévoiler les différences plus subtiles. L’échantillon n’était pas un « échantillon communautaire » de participant(e)s atteints du TB et/ou du TDM. Les participant(e)s ont été recrutés directement à partir d’établissements de santé, suite à une évaluation clinique, et par voie de publicités affichées dans les hôpitaux locaux. Il est certainement probable que les deux groupes de participant(e)s (suivant un traitement et sans traitement) différaient d'autres façons significatives. En outre, les participant(e)s furent recrutés à partir de 6 différents endroits; ceux‐ci ont possiblement eu accès à des établissements de jeux différents selon l’endroit (par ex. : les casinos et ALV). Le cas échéant, cette variable non‐contrôlée pourrait engendrer des résultats déconcertés. Les recherches futures pourraient fournir un contrôle de cette variable en axant le recrutement de participant(e)s à partir d’une même région géographique. Aucune causalité ne peut être déduite des résultats de la présente étude. Les joueurs problématiques et les joueurs à risque modéré ont été groupés pour obtenir un échantillon de plus grande taille aux fins d'analyses statistiques. L'évaluation de l’évolution temporelle de l’humeur (ETH) et l'évaluation de l’évolution temporelle du jeu (ETJ) ont été développées pour déterminer la relation temporelle entre le trouble d'humeur et le jeu 6 _______________________________________________________________________________________________________________
problématique/pathologique. Ces échelles ne sont pas des questionnaires validés et pourraient favoriser les biais de réponse. Considérant que ces échelles offrent un outil d’évaluation à grand potentiel, les tester davantage est sans doute justifié. Implications et recherche future Les résultats de la présente étude appuient l'hypothèse qu'il existe une plus grande prévalence de jeu problématique parmi les populations souffrant du TB et du TDM, comparativement aux populations communautaires. En outre, les résultats suggèrent que les troubles d’humeur précèdent le jeu problématique parmi les femmes atteintes du TDM et celles atteintes du TB, ainsi que pour les hommes souffrant du TB. Comparativement aux participant(e)s jugés joueurs non‐problématiques qui souffraient d’un trouble d’humeur, les joueurs problématiques/pathologiques étaient plus susceptibles d’éprouver des troubles mentaux supplémentaires et signalaient un plus grand risque de suicide. Ces résultats soulignent le besoin d’évaluer le jeu problématique en plus grande profondeur parmi la population d’individus atteints d’un trouble d’humeur. Rehausser les connaissances des professionnels de la santé mentale, des patients et leur famille pour mieux aborder les comportements de jeu, est un enjeu de la santé publique de grande importance, mais négligé. Des analyses ultérieures pourraient inclure une étude approfondie des différences de personnalité entre les joueurs et les non‐joueurs, particulièrement la relation entre l'utilisation de substance et un trouble comorbide d’anxiété sur la personnalité. Il serait également bénéfique d’étudier l’idéation suicidaire parmi la population de joueurs relativement aux différentes dimensions de la personnalité, la présence de symptômes de dépression et d’anxiété, les comorbidités psychiatriques et les variables sociodémographiques. 
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