Des Toulois dans la tourmente nazie...
116
Trimestriel
Octobre-décembre
2005
5 €
ETUDES
TOULOISES
ETUDES
TOULOISES
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DES TOULOIS DANS LA
TOURMENTE NAZIE...
par Gérard HOWALD
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LE MARIAGE HEUREUX
DE LÉMAIL CLOISONNÉ
ET DU DÉCOR LAQUÉ
SUR BISCUIT
DE LA FAÏENCERIE
TOUL-BELLEVUE
par Michel HACHET
Conservateur
du Musée de Toul
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IN MÉMORIAM
ABEL LIEGER
Des Toulois dans la tourmente nazie...
Il y a un peu plus d’un an, effectuant le trajet Verdun-Metz et voyant, dans les champs, toutes ces tombes de
soldats tombés au combat et tous ces monuments, surtout entre Gravelotte et Metz, je mesurai le chemin parcouru de
1870 au 6 juin 2005 quand on a vu le Président de la République Française et le chef du gouvernement d’Allemagne
s’étreindre. Je pensai alors que les hommes et les femmes qui ont fait le sacrifice de leur vie au cours des trois derniers
conflits qui ont opposé la France et l’Allemagne ne sont pas morts en vain. La paix en Europe découle de leur sacri-
fice. Alors pourquoi, après tant d’années, revenir sur ces événements tragiques qui ont marqué la dernière guerre ?
Tout simplement au nom du devoir de mémoire, pour que les générations présentes et à venir se souviennent et puis-
sent dire, et crier même, «Plus jamais ça !» car, comme l’a écrit le philosophe américain Santayana « Ceux qui ne se
souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre ».
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dans la tourmente nazie...
dans la tourmente nazie...
par
par Gérard HOW
Gérard HOWALD
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Docteur
Docteur Mar
Marcel Bricka,
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Köln, den 10. August 1943 (Cologne 10 août
1943)
« Betrifft : Vollstreckung der Todestrassfe gegen die
franzosischen Staatsangehörigen Marcel Bricka und
zwei Anders... ». « Objet : Par ordre du 17 juin 1943,
Monsieur le Procureur supérieur du Reich auprès du
Tribunal du Peuple de Berlin a reçu instruction de
faire exécuter la condamnation à mort prononcée par
le jugement du Tribunal du Peuple le 27 janvier 1943
à l’encontre des citoyens français Marcel Bricka,
Roger Noël, Paul Simminger ».
Cette note du procureur principal, chef du ser-
vice de l’accusation auprès du tribunal de Cologne,
datée du 10 août 1943, au ministre de la Justice du
Reich, précise la date de l’exécution des condamnés.
Les trois hommes, Marcel Bricka, Paul Simminger et
Roger Noël, ont été décapités à la hache, le 30 juillet
1943 à Cologne. Leurs crimes : actes de résistance,
espionnage au bénéfice de pays ennemis -c’est-à-dire
la France et l’Angleterre-. Si Paul Simminger et Roger
Noël me sont inconnus, en revanche, en préparant une
conférence, en 2004, sur la Résistance et la Libération
de Toul, le nom du docteur Marcel Bricka, chirurgien à
l’hôpital de Toul avant la guerre, a été plusieurs fois
cité par des témoins. En juin 2004, j’ai rencontré son
fils Jean-Marie Bricka qui m’a remis un dossier sur son
père.
Le docteur Marcel Bricka.
Marcel Bricka vit le jour, le 21 septembre
1908, à Rambervillers. Son père, Paul-Charles Bricka,
sous-préfet à Château-Salins, préfet honoraire de
Nancy, avait fait la guerre de 1914/1918 comme offi-
cier de Chasseurs. Il y fut gravement blessé. Le grand-
père de Marcel Bricka avait été fusillé par les
Allemands en 1870. Après des études secondaires à
Montpellier et à Nancy, c’est à Paris, en 1925, qu’il
obtint son 1er baccalauréat, latin-sciences. L’année sui-
vante, il passe avec succès son 2ebac, mathématiques
et philosophie. Nous le retrouvons à la faculté des
sciences à Nancy de 1927 à 1929. Il en sort diplômé en
sciences, en physique et chimie. Appelé sous les dra-
peaux en 1929, il effectue son service en Indochine,
plus précisément à Saïgon comme soldat au 5eRAC.
Durant son séjour en Indochine, il aurait été approché
par les services de renseignements pour qui il aurait
travaillé, ce qui facilitera son action future dans la
Résistance.
De retour en métropole, après son service mili-
taire, Marcel Bricka reprend ses études à la faculté de
médecine de Nancy où il étudie de 1930 à 1935.
Interne des hôpitaux, il soutient sa thèse de médecine à
Nancy en juillet 1935. Auparavant il s’était marié, en
1934, avec une étudiante en médecine, Jacqueline de
Hody, qui lui donnera trois enfants, Françoise, Michèle
et Jean-Marie. De 1932 à 1937, il est assistant de chi-
rurgie dans le service du professeur Gaston Michel à
Nancy. Parallèlement, il s’installe comme chirurgien à
Toul, 10 rue de Rigny, où il ouvre une petite clinique ;
il y est secondé par deux assistants et deux infirmiers 1.
Il intervenait également à l’hôpital Saint-Charles de
Toul et à l’hôpital militaire de Gama.
Le 29 août 1939, il est mobilisé. En octobre, il
est nommé médecin auxiliaire de réserve ayant en
charge un service de chirurgie à l’hôpital de
Contrexéville, puis à Morhange et Dieuze. Démobilisé
en août 1940, il assure un remplacement à l’hôpital de
Dôle. Son activité ne se limite pas seulement à soigner
les malades ; il prépare et facilite l’évasion de soldats
prisonniers. Dans un article paru dans «La Vie de
Nancy», le 1er août 1945, il est écrit que 1500 prison-
niers lui doivent leur liberté. Un autre journal «L’Avenir
Toulois» rapporte que le docteur Bricka a réussi à mettre en
sûreté 180 prisonniers en un seul passage.
Probablement dénoncé, Marcel Bricka voit sa
tête mise à prix par la Gestapo. Il préfère alors rentrer
en Lorraine. Madame Bricka qui était restée à Toul
était animée du même sentiment que son mari. En sep-
tembre 1940, elle aide deux officiers, les docteurs Léon
Bangalter et Fildermann, internés à Dommartin, à
recouvrer la liberté. Après avoir fait leur connaissance
à l’hôpital de Nancy, elle leur propose de les aider à
s’évader. Voici le témoignage du docteur Léon
Bangalter : «… J’ai pu m’évader de ce camp (camp
de prisonniers de Dommartin-les-Toul), ainsi que le
médecin lieutenant Fildermann, grâce à la complicité
de Madame Jacqueline Bricka, épouse du docteur
Bricka, demeurant à Toul, et ceci dans les circonstan-
ces suivantes : lors d’une évacuation de malades sur
l’hôpital de Nancy, j’ai pu faire la connaissance, en
quelques minutes, de madame Bricka, qui s’est immé-
diatement proposée à nous faire évader. Madame
Bricka a pu se procurer des effets civils et, au prix de
mille difficultés et risques, a réussi en dissimulant
ceux-ci dans la voiture de son bébé et en rôdant pen-
dant des semaines autour des barbelés à faire pénétrer
ces effets dans le camp. C’est ainsi que nous avons pu
réussir notre évasion. Nous sommes allés au domicile
de madame Bricka où nous sommes restés cachés dix
jours…. Madame Bricka nous a conduits ensuite à
Nancy où elle était en rapport avec une organisation
d’évasion, d’où nous pûmes rejoindre la zone sud.
Madame Bricka, par la suite, fit évader de nombreux
prisonniers». Ce témoignage est daté du 12 septembre
1945.
De retour chez lui, le docteur Bricka, qui avait
déjà travaillé pour les services de renseignements
durant son service militaire en Indochine, s’engage
dans le réseau Kléber en qualité de chargé de mission
2eclasse, au grade correspondant de lieutenant. Sa pre-
mière tâche est d’organiser les premiers réseaux de
renseignements en Meuse et en Meurthe-et-Moselle. Il
est alors en contact avec un avoué de Nancy, Jean
Bertin, et un avocat, Adrien Sadoul.
Jean Bertin, alias Kléber, travaille dans le ren-
seignement pour le compte des alliés. Il est arrêté le 1er
juin 1944. Les Allemands et les miliciens français veu-
lent savoir où se cache monsieur X. Malgré la torture,
Bertin ne parle pas. Monsieur X n’était autre que
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1. Cette maison a toujours été habitée par des médecins chirurgiens ou médecins généralistes.
François Mitterrand que les Allemands recherchaient
activement et qui, depuis 6 mois, partageait avec Jean
Bertin «des gîtes de hasard». De la prison de Fresnes
où il est interné, Jean Bertin, par l’intermédiaire d’une
Alsacienne, fera parvenir un message au futur prési-
dent de la République. Rémy évoque ces faits dans son
livre «Mémoires d’un agent secret de la France libre».
Jean Bertin sera déporté à Buchenwald.
Début 1941, le capitaine Kleinmann, chef de
l’armée du service de renseignements de Lons-le-
Saunier, demande au docteur Bricka de prendre contact
avec le réseau «des étudiants» afin de conseiller et de
structurer ce groupe formé de jeunes gens de 17 à 20
ans. Malheureusement, ce réseau était infiltré par un
agent SD (Sicherheitsdienst : service secret de l’armée
allemande) ce qui allait précipiter la chute du docteur
Bricka. Il est arrêté le 14 mai à Nancy. Dans ses vête-
ments, les Allemands trouvent des lettres compromet-
tantes dissimulées dans une boite d’allumettes. Marcel
Bricka est interné à Charles III où il est interrogé.
Malgré la torture, le médecin ne parle pas, ne donne
aucun nom des personnes avec lesquelles il était en
contact. Il affirme même ignorer le contenu des lettres
qu’il était chargé de transmettre. Jean Bertin a laissé un
témoignage du traitement que lui ont fait subir les mili-
ciens français et les Allemands. Ce témoignage force
l’admiration devant le courage de cet homme qui, lui
non plus, n’a rien avoué malgré le raffinement des
moyens mis en œuvre par ses tortionnaires pour le faire
parler.
Après Charles III, le docteur Bricka est trans-
féré à Fresnes, puis à Trèves et à la prison de
Rheinbach située à une vingtaine de kilomètres de
Bonn où il est jugé pour espionnage par le Tribunal du
Peuple de Berlin qui s’est spécialement déplacé à
Rheinbach.
Le 27 janvier 1943, Marcel Bricka et ses deux
camarades, Roger Noël et Paul Simmenger sont
condamnés à mort. Pendant six mois, les trois hommes
restent internés à la prison de Rheinbach, espérant une
hypothétique grâce du ministre de la Justice. Sans
qu’ils en soient informés, le procureur supérieur du
Reich auprès du Tribunal du Peuple de Berlin, reçoit,
le 17 juin 1943, l’instruction de faire exécuter la sen-
tence. Le procureur supérieur transmet, le 23 juin, au
procureur principal de Cologne, l’ordre de faire procé-
der à l’exécution des trois hommes. Le 29 juillet,
Marcel Bricka, Roger Noël et Paul Simminger sont
transférés à la prison de Cologne. Ils ne savent pas que
leurs recours en grâce ont été rejetés.
A Cologne, Marcel Bricka fait la connaissance
de l’aumônier de la prison, Heinrich Geriges. Après la
guerre, ce prêtre, comme il en avait fait le serment,
chercha à rencontrer les familles des condamnés à mort
à qui il avait apporté le soutien de la religion avant leur
exécution. Le 10 décembre 1945, il adresse à madame
Bricka une lettre émouvante où il relate les dernières
heures de son mari.
Le 30 juillet, le lendemain de son arrivée à
Cologne, Marcel Bricka apprend vers midi, de la bou-
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Rapport précisant l’heure à laquelle
Marcel Bricka a été exécuté.
Marcel Bricka photographié
après son arrestation.
che d’un procureur, que le ministre de la Justice a
refusé la grâce et qu’il sera exécuté à trois heures de
l’après midi. «… De ce moment» a écrit l’aumônier
«j’ai connu votre mari comme un homme d’une grande
piété et aussitôt il avait une grande confiance en moi
comme prêtre. Il m’a raconté de sa vie, de vous et de
ses trois enfants. Il était pour lui joie très grande
d’avoir de vous des nouvelles avant sa condamnation.
Malheureusement depuis sa condamnation, il n’a rien
entendu de vous. La dernière lettre de vous était arri-
vée avant six mois. Mais il a supporté cette incertitude
effroyable comme un bon chrétien et il a offert sa dou-
leur comme un sacrifice à sa famille. Il était un carac-
tère merveilleux et j’ai jusque maintenant la plus
grande révérence du bon médecin et père de famille…
Il restait plein de politesse jusqu’au dernier moment
aussi envers les gardiens et même envers le procureur.
Il a passé ses dernières heures avec de fumer et de
manger un peu, d’écrire et de prier. ».
Malheureusement les lettres écrites par le doc-
teur Bricka ne sont jamais arrivées. Le procureur avait
promis qu’elles seraient acheminées après la guerre. «
Après s’être confessé et reçu la communion », poursuit
l’aumônier, «il a causé avec moi sur vous et sur le sort
de sa famille et de ses enfants. Il m’a raconté (avoir)
un bon ami et il a pensé que je pourrais vous proposer,
en son nom, que vous feriez peut-être mariage avec lui.
Il est convaincu que vous l’aimez et qu’il serait un bon
père pour les enfants. Excusez, madame que je vous
écris ça si franchement, dans une chose si délicate
mais je vous donne ma parole, comme prêtre, que je
suis la volonté d’un mort qui vous a aimée de tout son
cœur et qui désire que vous serez heureuse encore dans
cette vie. Il a dit que cet ami serait peut-être un père
encore mieux comme lui. Il est mort dans une religio-
sité si merveilleuse que je sais comme aumônier qui l’a
assisté jusque tout était fini, qu’il est entré aussitôt au
ciel et qu’il est là-haut comme ami du bon Dieu. De là-
haut il vous aidera, vous et vos enfants avec ses priè-
res. Il est mort le 30 juillet 1943 à 2 h 17 de l’après-
midi. Le même jour, je l’ai accompagné au cimetière et
j’ai béni sa tombe. Il est enterré au cimetière de
Cologne partie spéciale tombe 105…. ».
Ce que ne dit pas l’aumônier, ou ne sait pas,
c’est que le bourreau Hehr n’a pas pu être prévenu à
temps pour accomplir son horrible besogne. Le procu-
reur a donc chargé le contre-maître mécanicien Hacker,
de Cologne, de procéder à l’exécution des trois
condamnés. Le rapport du même procureur précise que
le bourreau était assisté de trois aides et d’un cin-
quième homme, Hans Mühl, de Cologne, Nippes qui
devait être engagé comme bourreau.
En conscience, je me suis demandé si je devais
transcrire la suite du rapport tant elle a soulevé en moi
un sentiment d’horreur. Au risque de choquer, voici ce
que l’on peut lire dans ce rapport. Je l’écris unique-
ment en hommage à la mémoire du docteur Marcel
Bricka et de ses compagnons.
« La durée de l’exécution des différents condamnés se
décompose comme indiqué ci-dessous :
Durée entre la présentation du condamné et l’exécu-
tion : Marcel Bricka 15 secondes
Paul Simminger 14 secondes
Roger Noël 14 secondes
Durée entre remise au bourreau et décollation
Marcel Bricka 8 secondes
Paul Simminger 6 secondes
Roger Noël 6 secondes
L’interprète présent lors de la prononciation des arrêts
était Engelhadt de la Gestapo de (illisible), qui est
constamment employé lors des procédures contre des
prisonniers. Aucune difficulté n’a été rencontrée lors
de l’exécution de la sentence. Signé : Meissner
Le commandant Kleimann, ex-chef de l’armée
du service de renseignements de Lons-le-Saunier, qui,
comme nous l’avons vu, avait demandé au docteur
Bricka d’intégrer le groupe des « Etudiants », dans
une lettre, adressée après la guerre, à madame Bricka,
écrit : «… J’ai été moi-même au feu, au combat en 44
et 45 et je pense que tous les dangers que j’ai pu y
vivre ne sont rien à côté de ce qu’avaient enduré votre
mari et ceux qui ont connu la geôle, le camp de
concentration et les traitements de la Gestapo. C’est le
sort du combattant. Votre mari en était un et un bien
courageux. Je l’ai connu : il avait du cran, il a tenu le
coup jusqu’au dernier moment. Je m’incline devant
lui. »
Dans « L’Avenir Toulois » du 22 décembre
1945 relatant l’évasion de 180 prisonniers que le doc-
teur Bricka avait réussi à mettre en sûreté, le journa-
liste conclut son article « …Son éternel sourire aux
lèvres, (M. Bricka) il dit simplement : deux manquent
à l’appel. Bon Dieu, ça a chauffé». Dans un article
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