Published on Encyclopédie des violences de masse (http://ww
w.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance)
scellé le sort de plusieurs centaines de milliers de détenus12.
Himmler a donné un premier ordre le 17 juin 1944 depuis le bureau de Richard Glücks, inspecteur
général des camps de concentration au WVHA (SS-Wirtschafts- und Verwaltungshauptamt, Office
Central SS pour l’économie et l’administration). Cet ordre prévoyait qu’en cas d’urgence, le HSSPF
(Höherer SS-und Polizeiführer, commandant supérieur de la SS et de la police de district) disposait
des pleins pouvoirs pour décider du sort des camps relevant de sa compétence, assumant ainsi la
responsabilité de la sécurité militaire du district13. Cet ordre fut donné au beau milieu des
débarquements en France et de l’offensive d’été massive de l’Armée rouge en direction des États
baltes et de la Pologne. Ces événements incitèrent Himmler à ordonner l’évacuation de plusieurs
camps situés dans les régions de Kovno et Riga. Les préparatifs d’évacuation de l’immense camp de
concentration de Majdanek à proximité de Lublin avaient commencé dès le mois de mars 194414.
Une fois qu’Himmler eut décidé quels fonctionnaires seraient chargés de son application, l’ordre prit
effet dans un cadre défini par les responsables présents sur le terrain, parmi lesquels le HSSPF, le
Gauleiter et son personnel, et le commandement des camps. Le pouvoir de décision fut ainsi délégué
à des acteurs locaux, chargés de choisir le moment opportun pour procéder aux évacuations et
d’affecter les ressources nécessaires aux camps relevant de leur autorité15.
Lors de son procès, Oswald Pohl, responsable des camps en tant que directeur du WVHA, affirma que
les consignes données au début de l’été 1944 concernant l’évacuation des camps et le transfert des
pouvoirs exécutifs aux HSSPF locaux répondaient à des motifs opérationnels et ne reflétaient aucune
évolution de la position officielle à l’égard des prisonniers. Comme il l’a fait valoir, il était difficile de
maintenir des communications régulières et de préserver la logistique complexe de la gestion et du
ravitaillement de plusieurs centaines de camps situés dans les lointaines régions de l’Est depuis les
bureaux de l’IKL (l’Inspection des camps de concentration) situés à Oranienburg, en raison, tout
particulièrement, de la situation qui régnait sur le front et de la désorganisation des lignes de
ravitaillement et de communications16. Dans le courant de l’été et de l’automne 1944, l’évacuation
de prisonniers des camps de l’Est en direction des camps de concentration et des centres industriels
situés en Allemagne s’accéléra, mais resta relativement organisée. Le transfert de prisonniers
d’Auschwitz vers des camps situés en territoire allemand illustre bien le déroulement de cette phase
d’évacuation. À la mi-juillet 1944, 92 208 prisonniers étaient détenus dans les trois camps principaux
d’Auschwitz. Au moment de l’évacuation finale le 17 janvier 1945, ils étaient encore 67 00017.
D’autres évacuations de camps éloignés qui risquaient de tomber entre les mains de l’ennemi se
produisirent durant l’été et le début de l’automne 1944 à Majdanek, dans des camps de travail des
États baltes et au camp de concentration de Natzweiler-Struthof en Alsace18. Bien que ces
évacuations aient été accompagnées d’épreuves, de souffrances et de mauvais traitements
évidents, elles ne se caractérisèrent pas par la brutalité endémique associée aux marches de la mort
ultérieures. Aussi est-il difficile d’en faire un élément du chapitre final du génocide nazi.
Au printemps 1945, cependant, des évacuations de camps et des marches forcées se produisaient
en territoire allemand proprement dit. À cette date, les évacués furent obligés de passer au cœur
même de la population allemande et de pénétrer dans une réalité où les systèmes de gouvernement
officiels avaient cessé de fonctionner. De toute évidence, cependant, l’ordre donné par Himmler en
juin 1944, complété par des directives supplémentaires, continuait à servir de fondement aux
décisions concernant les évacuations des camps. Interrogé après la guerre, Max Pauly, commandant
de Neuengamme, déclara avoir rencontré en avril 1945 le HSSPF de Hambourg pour une dernière
discussion consacrée à des sujets tels que l’évacuation définitive du camp et le sort à réserver aux
prisonniers qu’il était impossible d’évacuer19. En avril 1945, Pauly déclara que la situation était telle
qu’il ne savait plus quoi faire des prisonniers. Le commandant de Buchenwald, Hermann Pister, prit
plusieurs décisions contradictoires entre le 2 et le 7 avril 1945, envisageant ainsi successivement de
laisser le camp intact et de le remettre aux Américains, ou d’en évacuer tous les prisonniers,
certains d’entre eux, ou exclusivement les juifs20. L’incertitude était la même dans presque tous les
autres camps, différents responsables donnant des directives confuses. Au début de 1945, le
commandant de Ravensbrück, Fritz Suhren, reçut lui aussi de Richard Glücks ou du HSSPF des ordres
plutôt vagues concernant l’évacuation des prisonniers des camps satellites dont il était responsable,
qui ne précisaient ni ce qu’il devait en faire ni le lieu où il était censé les envoyer21. La plupart des
commandants de camps n’avaient pas très envie de prendre l’initiative de décider du sort des
prisonniers, préférant attendre le dernier moment pour essayer de comprendre la teneur exacte de
l’ordre qu’on leur avait transmis, déterminer si le fonctionnaire qui l’avait émis était habilité à le faire
Page 4 of 13