Février 2011 150
Mohammed Arkoun
et la question des fondements de l’islam
Abdennour Bidar*
L’ISLAMOLOGUE Mohammed Arkoun est mort le 14 septembre 2010 à
Paris. Professeur d’histoire de la civilisation islamique à Paris III-
Sorbonne Nouvelle de 1972 à 1992, directeur scientifique de la revue
Arabica à partir de 1980, il peut être considéré comme l’un des pen-
seurs contemporains les plus critiques de la religion islamique et de
la civilisation arabo-musulmane. Je n’aurai pas l’ambition de donner
dans le cadre de cet article la vision d’ensemble d’une œuvre pour-
suivie sur plus de quarante ans jusqu’à cette Histoire de l’islam et des
musulmans en France, du Moyen-Âge à nos jours, publiée sous sa
direction en 2006, dans laquelle il reprend inlassablement ce qui fut
le combat intellectuel de son existence : la lutte contre ce qu’il nom-
mait « l’ignorance institutionnalisée» responsable de l’opposition
« islam/Occident », «sur la base d’ignorances et de préjugés, des
croyances-vérités garanties par la Parole de Dieu aux certitudes
scientistes, laïcistes et culturalistes se réclamant d’une modernité de
bazar1». Je me concentrerai sur le travail majeur que Mohammed
Arkoun a mené contre cette « ignorance institutionnalisée » que l’on
peut tout aussi bien nommer une ignorance sacralisée :ladéconstruc-
tion de ces « croyances-vérités» fondatrices de la tradition islamique
qui « sont soustraites à toute investigation critique sérieuse depuis le
XIIIesiècle [ère chrétienne2] », de telle sorte qu’«en fondant la légiti-
mité de leurs combats sur des argumentaires, sur des “valeurs” liés
aux croyances religieuses, les musulmans s’enferment dans un
* Philosophe, auteur notamment de l’Islam face à la mort de Dieu. Actualité de Mohammed
Iqbal, Paris, François Bourin, 2010 ; Self Islam, Paris, Le Seuil, 2006 et dans Esprit de « L’is-
lam, la modernité et l’avenir de l’homme », août-septembre 2009.
1. Mohammed Arkoun (sous la dir. de), Histoire de l’islam et des musulmans en France, du
Moyen-Âge à nos jours, Paris, Albin Michel, 2006, p. XX.
2. Ibid., p. XX.
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