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Actualités scientiques
L’infanticide au cœur de la guerre des
sexes chez les mammifères
Novembre 2014
Elise Huchard, chercheuse CNRS au Centre d’écologie fonction-
nelle et évolutive (CNRS/Universités Montpellier 1, 2 et 3/Mont-
pellier Supagro/EPHE/Cirad), a montré, en utilisant des données
accumulées pendant cinquante ans sur plus de 260 espèces de
mammifères, que l’infanticide apparaît en priorité dans les socié-
tés où la reproduction est monopolisée par une minorité de mâles.
Ces derniers ne veulent pas attendre que les femelles de leur
groupe ou de leur harem aient sevré les petits des autres mâles
pour pouvoir s’accoupler avec elles. An de protéger leurs petits,
les femelles ont donc opté pour une stratégie sexuelle efcace :
s’accoupler avec plusieurs mâles an de semer le doute sur la
paternité des petits. Cette étude, menée en collaboration avec un
collègue de l’université de Cambridge, est publiée dans Science le
14 novembre 2014.
Il y a une cinquantaine d’années, des observations menées sur un groupe
de singes sauvages, les langurs sacrés, ont révélé un comportement d’une
rare violence: quand des mâles immigrants prenaient le contrôle d’un
groupe de femelles, ils tuaient tous leurs petits. S’en est suivi un débat
houleux chez les primatologues, dont beaucoup doutaient qu’un tel com-
portement puisse être le fruit de la sélection naturelle, et pensaient que
cela reétait plutôt un comportement pathologique, lié aux perturbations
humaines. Mais des observations similaires se sont accumulées au l
du temps chez de nombreux mammifères, montrant que l’infanticide par
les mâles s’observait depuis la souris grise jusqu’au lion. Dans certaines
populations animales, le plus grand risque couru par les petits en bas-âge
ne vient pas des prédateurs ni des maladies, mais bien des mâles de leur
propre espèce. Ce constat a amené les biologistes du comportement à
s’interroger, d’une part, sur les causes de ce comportement de la part
des mâles, mais aussi sur les conséquences qu’il a pu avoir, au cours
de l’évolution, sur la socialité et la sexualité des mammifères, du fait des
réactions des femelles qui tentent de protéger leurs petits. De nombreuses
hypothèses ont été formulées, mais celles-ci se sont longtemps avérées
impossibles à tester, car il faut souvent étudier une espèce pendant plu-
sieurs années avant d’observer un cas d’infanticide.
Notre étude a consisté à compiler des observations détaillées menées sur
plus de 260 espèces de mammifères à l’état sauvage depuis près de 50
ans pour déterminer chez quelle espèce il était présent ou absent, puis à
utiliser des outils récents d’analyses comparatives pour apporter des clés
sur le pourquoi de l’évolution de l’infanticide. Nos résultats montrent que
l’infanticide, loin d’être exprimé par toutes les espèces ou par une sélec-
tion aléatoire d’espèces, s’observe seulement là où il est ‘stratégique’ - à
savoir là où il procure des avantages aux mâles. On retrouve surtout ce
comportement là où lorsque les femelles vivent dans des groupes stables
dominés par un ou plusieurs mâles qui monopolisent les opportunités de
reproduction et qui ne restent pas dominants très longtemps, comme par
exemple chez les babouins chacma (Figure ci-dessous). Dans ces socié-
tés, de nombreux mâles sont exclus de la reproduction et tentent donc de
prendre la place des dominants. Par conséquent, les mâles qui conquièrent
la dominance doivent se dépêcher de se reproduire avant de perdre leur
statut. Dans ces conditions, pas le temps d’attendre que les femelles aient
sevrés leurs petits pour être de nouveau fertiles. Tuer les petits accélère
le retour à la fertilité des femelles, et se révèle donc avantageux pour les
mâles.
Face à un tel risque, on s’attend à ce que les femelles ripostent en inven-
tant des stratégies pour protéger leurs petits. De nombreux scénarios ont
été proposés sur la nature de ces contre-stratégies, qui ont souvent fait de
l’infanticide une force motrice dans l’évolution des sociétés mammifères.
Parce que l’union fait la force, les femelles auraient cherché à se regrou-
per avec d’autres femelles, ou encore à vivre en couple an de protéger
leurs petits. Notre étude montre que ce n’est pas le cas. L’apparition de
© Cornelia Kraus
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