L`"idéologie subjective" de Maine de Biran et la phénoménologie

L'"idéologie subjective" de Maine de Biran et la
phénoménologie
Autor(en): Baertschi, Bernard
Objekttyp: Article
Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie
Band (Jahr): 31 (1981)
Heft 2
Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-381192
PDF erstellt am: 24.05.2017
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REVUE DE THEOLOGIE ET DE PHILOSOPHIE, 113 (1981), P. 109-122
L'« IDEOLOGIE SUBJECTIVE»
DE MAINE DE BIRAN ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE1
BERNARD BAERTSCHI
La pensée de Maine de Biran alongtemps été interprétée comme une
pensée spiritualiste, inaugurant ce que l'on aappelé l'école française qui
devait aboutir àBergson. Acette interprétation s'est, plus récemment,
opposée une autre qui tend àfaire de notre philosophe un précurseur de la
phénoménologie et un authentique phénoménologue tout àla fois. En effet,
lorsque la pensée de Husserl s'est fait connaître en France, certains histo¬
riens français de la philosophie, qui avaient étudié Maine de Biran, ont
rapidement vu que la pensée de ces deux philosophes avait de nombreux
points communs.
Le premier historien àl'avoir signalé fut M. Vancourt. Dans un article
paru en 1949, il notait: «Si j'avais àrefaire ma thèse sur Maine de Biran, je
crois que je lui donnerais une allure plus phénoménologique et existentia¬
liste et, en la transformant ainsi, je pense que je ne trahirais pas la
pensée biranienne»2. Cependant, l'interprétation phénoménologique systé¬
matique de la pensée biranienne n'a vraiment été menée àbien que plus
tard, en 1965, avec la parution du livre de M. Henry, intitulé Philosophie et
phénoménologie du corps3.
Cette interprétation pose un problème en ce qu'elle s'oppose àl'interpré¬
tation traditionnelle sur un certain nombre de points importants de la doc¬
trine biranienne. C'est pourquoi nous pensons qu'il est nécessaire de l'exa¬
miner afin d'essayer de l'évaluer.
L'enjeu de cet examen n'est pas, ainsi qu'on pourrait le croire tout
d'abord, un enjeu qui ne concernerait que la valeur d'une interprétation: il
est nettement plus important. En effet, évaluer une telle interprétation
demande que nous pénétrions jusqu'au cœur de la philosophie biranienne
afin de voir dans quelle mesure elle est justiciable d'une interprétation phé-
1Conférence présentée àla Société romande de philosophie àGenève, Lausanne
et Neuchâtel, pendant l'automne 1979.
2Raymond Vancourt, «Maine de Biran et la phénoménologie contemporaine»,
in Bulletin de l'association Guillaume Budé, 8(1949), p. 85. La thèse àlaquelle il est
fait allusion était intitulée: La théorie de la connaissance chez Maine de Biran, Paris
1944.
3Michel Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, Paris 1965.
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noménologique. Il est évident d'autre part qu'une telle étude demande que
nous posions des problèmes qui sont centraux dans toute philosophie.
Nous allons pour commencer nous poser la question suivante: comment
Maine de Biran et Husserl définissent-ils leur philosophie?
Maine de Biran parle souvent de psychologie et parfois, en utilisant le
terme d'idéologie que son ami Destutt de Tracy aforgé, d'idéologie subjec¬
tive4, lorsqu'il veut caractériser sa philosophie. L'on voit tout de suite par
que l'un des thèmes fondamentaux du biranisme est la conscience, la sub¬
jectivité. Quant àHusserl, il définit sa philosophie comme une phénoméno¬
logie, c'est-à-dire une «science des phénomènes purs»5, le phénomène
étant àla fois l'apparaître et ce qui apparaît, la conscience d'un quelque
chose. L'on sait d'autre part que la phénoménologie s'oppose àla psycho¬
logie en ce que celle-ci est une science objective du subjectif, alors que celle-
serait mieux nommée, selon les termes de M. de Muralt, une «science
subjective du subjectif»6: la phénoménologie n'est pas une description psy¬
chologique du sujet empirique.
On voit déjà par que l'un des concepts fondamentaux qui est commun
au biranisme et àla phénoménologie est celui du subjectif. C'est donc lui
que nous allons analyser, d'abord dans l'œuvre de Biran, puis dans celle de
Husserl.
Dans son Journal, Maine de Biran note que l'on peut analyser l'homme
de deux points de vue: soit du dehors, soit de l'intérieur. Or, continue-t-il,
seul le second point de vue est vraiment philosophique, car il «saisit de
prime abord la vérité intérieure, le fait du sens intime [qui] est évident par
lui-même»7. Cela signifie que la philosophie doit avoir une méthode parti¬
culière, qui n'est pas celle des sciences lesquelles voient toujours «du
dehors »—, méthode lui permettant de saisir une vérité qui lui est propre.
Cette vérité se révèle avec évidence dans ce qui est appelé ici le «fait de sens
intime» et ailleurs le «fait primitif de conscience».
C'est donc en étudiant ce fait primitif que nous pourrons saisir le mieux
en quoi consiste l'idéologie subjective de Biran.
Supposons un individu qui tienne dans sa main un objet quelconque,
mais d'un certain poids; celui-ci entraînera son bras vers le sol, du fait de
son poids. Pour retenir l'objet, l'individu devra fournir un effort. Voyons
4Biran utilise cette expression par exemple dans le Mémoire sur la décomposition
de la pensée, t. I, Paris 1952, p. 75.
5Husserl, L'idée de la phénoménologie, Paris 1970, p. 71.
6André de Muralt, L'idée de la phénoménologie, Paris 1958, p. 216.
7Journal, t. II, Neuchâtel 1955, p. 182.
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plus précisément ce que renferme cette expérience tactile: «Dans l'exercice
complet de ce sens se trouvent renfermées plusieurs circonstances qu'il
importe bien de ne pas confondre: détermination volontaire, suite de mou¬
vements ou d'actes, au moyen desquels la passivité de l'organe sensitifest
mise àportée de son objet, aperception des actes mêmes; perception de
leurs résultats»8. En d'autres termes, lorsque je me heurte àun objet, je me
saisis moi-même en opposition àcet objet, c'est-à-dire que j'ai l'aperception
ou la conscience de mes actes et la perception de l'objet et des transforma¬
tions que je lui fais subir. Cette expérience révèle donc la structure fonda¬
mentale de notre être-dans-le-monde: le monde extérieur s'oppose ànotre
action et nous devons faire un effort pour qu'il épouse nos projets.
C'est cela le fait primitif ou le fait de conscience: la relation active
d'un moi àun non-moi qui est en même temps conscience simultanée de ce
moi et de ce non-moi, «car conscience veut dire science avec... science de soi
avec celle... de quelque chose»9. Ce «quelque chose», s'il est un objet exté¬
rieur dans l'expérience que nous avons décrite, peut aussi être intérieur: ce
peut être et Maine de Biran dit même: c'est d'abord l'organe muscu¬
laire qui résiste: le musicien doit d'abord avoir maîtrisé le mouvement de
ses doigts avant de pouvoir jouer des symphonies sur son violon.
La rapide analyse que nous venons d'effectuer de ce fait nous montre
immédiatement que Biran avait raison lorsqu'il disait que la philosophie
devait avoir une méthode particulière: le sujet ne peut se saisir comme sujet
que du dedans, c'est-à-dire subjectivement; dès qu'on le regarde du dehors,
il se fait objet. Nous voyons ainsi mieux ce que notre philosophe entend par
subjectif: il s'agit de la saisie du sujet par lui-même comme vivant dans
l'acte sans qu'il se mette àdistance de lui-même, qu'il s'objective, comme
par exemple dans l'introspection ou la réflexion.
L'expérience subjective est donc particulière, c'est pourquoi notre philo¬
sophe dit souvent qu'elle est sui generis. Mais cela ne nous assure cependant
pas qu'elle soit une expérience philosophique au sens propre, et non seule¬
ment une expérience psychologique. Cette question se pose avec d'autant
plus d'acuité que Maine de Biran parle souvent indifféremment de psycho¬
logie ou de philosophie. Pour yapporter une réponse, voyons un autre
texte: «Il yade même une psychologie pure, savoir la science de l'esprit ou
du moi, de ce qui lui est propre et inhérent, et une psychologie mixte, savoir
la science de l'homme soit moral, soit physique»10. Ainsi, le fait primitif
ressortit àla psychologie pure, et celle-ci n'a rien àvoir avec une psycho¬
logie conçue comme science du comportement. Les termes utilisés par notre
philosophe montrent aussi qu'il ne s'agit pas non plus de l'étude de telle ou
8Mémoire sur la décomposition de la pensée, t. II, p. 122.
9Op. cit., t. I, p. 47, note 1.
10 Essai sur les fondements de la psychologie, t. I, Paris 1932, p. 81.
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telle de nos manières d'être, mais de l'étude du moi dans «ce qui lui est
propre et inhérent», c'est-à-dire de l'étude de l'essence du moi. Ainsi, le fait
primitif est bien plutôt une expérience ontologique qui révèle au moi ce
qu'il est essentiellement, et cela n'est possible que par une méthode subjec¬
tive, vu que l'essence du sujet nous échappe dès que l'on en fait un objet, ce
que les sciences, donc la psychologie aussi, font nécessairement.
Ce que cette méthode nous fait découvrir du moi, Maine de Biran le dit
souvent. Par exemple: «Le sujet [est] constitué un. simple, identique, substan¬
tiel ou permanent, cause ou force productive des actes qu'il s'attribue,
etc.»". Il est aussi dit ailleurs que le moi est temporel, libre et individuel.
La genèse de ces notions n'offre aucune difficulté pour qui se place du
point de vue intérieur: l'analyse de la conscience de l'acte montre que le
sujet al'initiative il est volonté libre —, que cet acte produit quelque
chose le moi est cause ou force —, que le sujet reste le même lorsque les
objets varient il est un, identique et permanent —, etc. Si d'autre part on
analyse ces différentes données pour en dégager l'essence du moi, il s'avé¬
rera, dit Maine de Biran, que le moi est essentiellement un acte: il est «sujet
de toutes les attributions actives»12.
Une analyse des caractéristiques du moi àl'intérieur du fait primitif n'est
pas le but de cette recherche. Si nous l'avons esquissée, c'est seulement pour
montrer la possibilité et la fécondité de la méthode subjective et pour per¬
mettre de mieux en saisir la nature. Cela nous permet de voir aisément
qu'une telle recherche est une authentique recherche philosophique, ontolo¬
gique même: elle nous fait découvrir l'être de la subjectivité, son essence, à
l'occasion d'une expérience sui generis, fondement d'une méthode subjec¬
tive intérieure.
C'est pourquoi M. Henry appelle l'aperception immédiate la saisie du
moi dans le fait primitif— une expérience interne transcendantale: «Par
expérience interne transcendantale, nous entendons la révélation origi¬
naire du vécu àsoi-même, telle qu'elle s'accomplit dans une sphère d'imma¬
nence radicale» L1.
Voyons maintenant ce que signifie l'affirmation que la phénoménologie
est une «science subjective du subjectif».
De même que Maine de Biran détermine deux points de vue possibles,
le point de vue extérieur et le point de vue intérieur, Husserl distingue deux
11 De l'aperception immédiate, Paris 1963, p. 80.
12 Essai sur les fondements de la psychologie, t. I, p. 221.
13 Michel.Henry, op. cit., p. 21, note 3.
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