J.S. Bach et le contrepoint 1. INTRODUCTION La première personne à nous venir en tête quand on parle de contrepoint, est Jean Sébastien Bach. On l’imagine composer une fugue, en faisant attention à chaque petit détail, jouant avec les différentes voix, et essayant de trouver de nouvelles combinaisons « mathématiques ». Cependant on va voir que le contrepoint n’est pas seulement une technique abstraite de composition. Avec l’aide de Bach and the Meaning of Counterpoint de David Yearsley et quelques illustrations de Bach’s Cycle, Mozart’s Arrow on va voir comment le contrepoint était lié à des significations politiques, religieuses et sociales en Allemagne du temps de Bach. 2. LE COSMOS ET LE CONTREPOINT La religion joue un rôle important dans la société, ce qui était particulièrement le cas dans les siècles précédents. Naturellement cela influença les compositeurs. Pour sa première étude de cas, Yearsley se base sur la dernière chorale de Bach Vor deinen Thron tret ich, et comment elle s’intègre parfaitement dans la tradition des lits de mort luthérienne. Vers la fin du dix-septième siècle et début du dix-huitième, l’association entre contrepoint et la mort était très répandue en Allemagne. Andreas Werckemeister est à l’origine de l’idée selon laquelle le contrepoint peut être comparé au mouvement des planètes. Il le voyait comme un miroir de la nature et du paradis. Selon lui, en harmonie le croisement des voix reflétait la révolution des planètes, le mouvement du « cosmos »1 Berger montre également que le contrepoint était une métaphore pour le cosmos. En effet, on remarque que la technique de composition de Bach était plutôt circulaire. Berger le démontre avec la passion selon Saint Matthäus. Mais pourquoi cette forme circulaire ? Selon lui, le cercle représente l’infini et la fermeture : « Un 1 David Yearsley, Bach and the Meaning of Conterpoint ( New York : Cambridge University Press, 2002), 18-19. cycle atteint une fermeture sans pour autant perdre la notion d’infini.» 2 On peut appliquer cette idée aux canons de Bach, qui représentent donc une idée d’infinité. Sa préférence pour cette forme cyclique peut être mise en relation avec la Passion. « Les chorales sont les voix de générations de croyance luthériennes, inclusivement la congrégation de Bach, et pour cela elles représentent l’objectivité et l’autorité des discours de l’Eglise. »3 On peut voir ici que Bach reflétait la théologie dans ses compositions. Dieu était une métaphore pour l’harmonie. Au dix-septième siècle, la révolution scientifique mit l’accent sur « l’ordre des choses. » Les mathématiques, la physique, rhétorique et d’autres branches furent développées, et au début du dix-huitième, l’harmonie avait pris beaucoup d’importance. Ce fut un passage complet de la musique modale à la musique tonale. « Les règles d’harmonie, comme les théorèmes de maths, étaient intemporelles, immuables, éternelles. » 4 L’harmonie dans la musique représentait l’harmonie dans l’univers, créé par Dieu. Par conséquent les compositions de Bach étaient écrites pour la gloire de Dieu. En maîtrisant parfaitement le contrepoint strict, il louait la « nature harmonieuse de la création. » Ce n’est donc pas surprenant que le dernier travail de Bach, composé sur son lit de mort, était de nature très complexe. Dans la tradition luthérienne, les dernières heures avant sa mort, étaient décisives pour le destin de l’âme. Rassemblés auprès du lit de mort, les proches de la personne priaient, lisaient des passages de la bible, chantaient des chorales et jouaient sur le clavecin. La préparation pour la mort était très ritualisée. La composition de Bach était une façon d’assurer son arrivée au paradis. LE contrepoint strict, métaphore pour Dieu, devait lui éviter une descente aux enfers. C’était une manière de garder le mal à distance. Quand ils virent ce que Bach 2 Karol Berger, Bach’s Cycle, Mozart’s Arrow (Berkeley: University of California Press, 2007), 113. 3 Karol Berger, Bach’s Cycle, Mozart’s Arrow (Berkeley: University of California Press, 2007), 115. 4 Karol Berger, Bach’s Cycle, Mozart’s Arrow (Berkeley: University of California Press, 2007), 134. composa en dernier, sa famille eut la confirmation que son âme était destinée au paradis.5 Yearsley décrit parfaitement la signification du contrepoint de Bach : Pour Bach, on devait craindre la mort, et pour cela on devait s’y préparer. Ses derniers efforts créatifs furent donc pour mettre « Vor deinen Thron » en une forme qui peut être décrite comme la forme qui représente le mieux l’art de mourir luthérien. Non seulement « Vor deinen Thron » était une allégorie de l’éternel concert, mais également un prélude à la musique du paradis […] En mettant ses « Todes-Gedancken » en musique depuis son lit, il attendait son admission au concert du paradis avec ferveur […] et écoutant sons propre « Vor deinen Thron », il était ébloui par a musique des anges. »6 On peut voir ici à quel point la foi était importante. Le concert du paradis, l’allégorie du concert éternel était une raison pour Bach de perfectionner sa composition. On a vu que la connexion entre la foi et le contrepoint Bachien, mais si la religion jouait un rôle important dans sa manière de composer, on peut également y lier une autre dimension. Je vais continuer l’approche historico-culturelle de Yearsley et analyser de plus près le côté politique du contrepoint de Bach, qu’il discute dans le chapitre quatre. 3. CONTREPOINT POLITIQUE Le contrepoint semblait également être lié à des raisons politiques. En effet, Yearsley discute le fait que Bach soutenait Frédérique le grand dans le chapitre quatre the autocraric regimes du « A Musical Offering ». Là il soutient que Bach n’était pas la figure indépendante que l’on se plaît à croire, mais que ses compositions étaient 5 David Yearsley, Bach and the Meaning of Counterpoint (New York : Cambridge University Press, 2002), 1-12. 6 David Yearsley, Bach and the Meaning of Counterpoint (New York : Cambridge University Press, 2002), 40- 41. « profondément formées par la politique du compositeur. »7 L’image autonome que l’on a du compositeur est influencée par le fait que Bach est considéré comme « le dernier indéfectible défenseur du contrepoint. » En effet il s’acharnait à défendre le contrepoint au milieu du dix-huitième siècle, alors que le style galant devenait de plus en plus populaire. Pour cela, il devait faire en sorte que son travail soit apprécié par le gouverneur de la ville. Une lettre nous informe que Bach avait l’obsession d’améliorer sa position à la cour. Des titres et des faveurs royales devaient l’aider à devenir plus prestigieux et l’aider à améliorer ses relations avec ses supérieurs à Leipzig. En 1747 Bach apparaît à la cour de Frederick le grand. Quelques mois plus tard il lui envoie Une offrande Musicale, une impressionnante collection de travaux en contrepoint. 8 Le pouvoir de Frederick le grand et son statut d’invincibilité attirait Bach : « La rencontre de Hasse avec Frederick, lui procura « une bague précieuse » et mille thalers, ce qui était plus que le salaire annuel de Bach, et environ la valeur totale de son état au moment de sa mort. Ce n’est donc pas surprenant qu’un absolutiste comme Bach, eut été si prompt à rencontrer le grand héro musical et militaire en personne. »9 4. CONCLUSION Dans le cadre de cette dissertation le contrepoint a pris une signification plus large que seulement une technique de composition abstraite et compliquée. Plus qu’un puzzle, elle a une signification spéciale pour les compositeurs du dix-septième siècle, et ce n’est pas par hasard si elle était la technique de composition la plus valorisée pour un long moment. Cependant, l’approche historico-culturelle n’en est qu’une parmi plusieurs. En effet on aurait pu aller encore plus loin et regarder d’un angle différent. Par exemple sa relation avec l’alchimie, que Yearsley analyse plus en détail dans son second chapitre L’alchimie des canons de Bach. 7 David Yearsley, Bach and the Meaning of Conterpoint ( New York : Cambridge University Press, 2002), 130. 8 David Yearsley, Bach and the Meaning of Counterpoint (New York : Cambridge University Press, 2002), 130. 9 David Yearsley, Bach and the Meaning of Counterpoint (New York : Cambridge University Press, 2002), 137. 5. B IBLIOGRAPHIE : Berger, Karol. Bach’s Cycle, Mozart’s Arrow. Berkeley: University of California Press, 2007. Burkholder, J. Peter, Donald Jay Grout, en Claude V. Palisca. “Music in the Renaissance."In A History of Western Music, 144-164. New York: W.W. Norton & Company, 2014. Yearsley, David Gaynor. Bach and the Meaning of Counterpoint. New York: Cambridge University Press, 2002.