Diner du CRIF Toulouse Midi - Préfecture de Haute

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Diner du CRIF Toulouse Midi-Pyrénées
Jeudi 27 février 2014
Allocution de Manuel VALLS, ministre de l’Intérieur
Monsieur le Préfet,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le maire de Toulouse, cher Pierre COHEN,
Monsieur
le
président
du
CRIF,
cher
Roger
CUCKIERMAN,
Madame la présidente, chère Nicole YARDÉNI,
Monsieur le président, cher Arié BENSEMHOUN,
Mesdames, messieurs,
Après Marseille, en 2012, Lyon, en 2013, c’est pour
moi une joie d’être l’invité, ce soir, du dîner du CRIF
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Toulouse Midi-Pyrénées, et de vous retrouver dans
cette si belle ville, colorée, conviviale, à la fois douce
et frénétique, fraternelle. La communauté juive de
France, ce n’est bien sûr pas que Paris et la région
parisienne. Elle est présente et active sur l’ensemble
du territoire : du Nord au Sud, de Lille à Nice, et de
l’Est à l’Ouest, de Strasbourg à Bordeaux.
La
communauté
juive
de
France
les
épouse
contrastes qui font la France.
Etre un Juif de France, ou plutôt un Français juif, c’est
s’inscrire dans une tradition, un héritage. C’est
s’inscrire également dans une longue histoire –
millénaire ! – qui a donné naissance à ce judaïsme
français, alliance remarquable entre les préceptes de
la Torah et les principes de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen.
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La France a une part juive incontestable. Sans les
Français juifs, ce pays que nous aimons, la France,
ne serait plus tout à fait la France.
Bien sûr, je connais avec précision les interrogations,
les inquiétudes qui, souvent – trop souvent … –,
traversent la communauté juive : inquiétudes quant à
sa sécurité, à sa tranquillité, quant à l’avenir,
notamment des jeunes générations qui regardent,
parfois, au-delà de nos frontières – et souvent vers
Israël – en se disant que leur avenir n’est peut-être
plus ici.
Je connais les interrogations, les inquiétudes. Et je le
dis avec plus de gravité encore, ici, dans cette ville
qui a connu, il y a deux ans, l’ignoble, l’infâme. Ces
cicatrices rouvertes furent pour notre Nation un
cataclysme. Jamais elle n’oubliera ce terrible mois
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de mars 2012 qui a vu l’assassinat de trois militaires
français et de quatre Français juifs, dont trois
enfants, tués parce que juifs.
Ce soir, les noms d’Imad IBN-ZIATEN, d’Abel
CHENNOUF, de Mohamed LEGOUAD, de Myriam
MONSONEGO, de Gabriel, Aryeh et Jonathan
SANDLER sont dans nos esprits. Nous pensons à eux.
Nous pensons à leurs familles. Et je voudrais dire à
celles et ceux qui sont avec nous, ce soir, mon
émotion, comme à chaque fois que nous nous
retrouvons, mais également mon admiration devant
leur courage, et leur action.
*
Je sais que le judaïsme bat au rythme de ce refrain,
celui de la Haggadah de Pessah : « tu diras à ton fils ».
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Le judaïsme, c’est la transmission. Et rien n’effacera
les souffrances d’un peuple qui viennent s’ajouter à
tant de souffrances passées. Mais ces souffrances, si
lourdes, ce sont nos souffrances. Elles nous intiment
l’ordre de ne pas baisser la garde, car quand on s’en
prend à un Juif de France pour ce qu’il est, pour ce en
quoi il croit, on s’en prend à la République, à la
France, à nos valeurs.
La République, c’est la fraternité. C’est la tolérance
et le respect. C’est aussi l’intransigeance contre tout
ce qui insulte, qui blesse.
Dans
la
antisémites,
République,
les
propos,
anti-musulmans,
les
actes
anti-chrétiens,
homophobes, racistes n’ont pas leur place. Ils
doivent être combattus avec détermination et
persévérance. C’est un combat de tous les instants.
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Et moi, comme vous tous, je ne crois pas à ces vaines
hiérarchies entre les petites paroles que l’on
excuserait et les actes qui, eux, seraient plus graves.
Non, ce combat est un tout. C’est le combat de toute
la société qui a un devoir – un devoir absolu – de
vigilance vis-à-vis d’elle-même.
Je connais les interrogations, les inquiétudes des Juifs
de France, mais je sais aussi combien l’identité
française et l’identité juive sont indissociables. Je sais
combien, pour vous toutes et vous tous, être juif et
être français vont de pair.
Ici, dans cette terre de France, le judaïsme a trouvé
des racines profondes. Juif et Français : l’un ne va
pas sans l’autre. Et le CRIF, né de la Résistance,
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quand justement il fallait relever, retrouver la
France, en est un des symboles forts.
*
Je parlais d’une histoire millénaire. Une histoire que,
pourtant, on évoque peu. Dans la province du
Languedoc, les juifs étaient installés dès le hautmoyen-âge. Ces Juifs du Midi avaient trouvé, ici, leur
place. Ils ont bénéficié de l’hospitalité et de la
tolérance qui régnaient alors dans le comté de
Toulouse. Après les terribles 13e et 14e siècles, leur
présence s’est faite plus discrète. Puis, elle a pu
ressurgir pleinement quand la Révolution a fait des
Juifs de France des citoyens à part entière. Ils sont
alors quelques centaines, ici, à Toulouse, souvent très
modestes. Ils sont marchands ou bien commerçants.
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1791, c’est l’entrée pleine et entière du Judaïsme
dans la Nation française.
Et depuis, les Français juifs ont pris toute leur part
dans la construction de ce pays. Ils ont été de toutes
les avancées, de toutes les difficultés, de tous les
succès et de toutes les épreuves. Combien d’entre eux,
descendants des Juifs d’Alsace, de Lorraine, ou Juifs
d’Algérie, si fiers de ce décret Crémieux qui avait fait
de leurs pères et mères des Français, sont morts dans
les tranchées de la Grande Guerre ?
Et puis d’autres, nombreux, sont arrivés d’Europe de
l’Est, de Russie, fuyant les pogroms ; sont arrivés de
l’Orient, de Salonique, de Turquie. La France a été le
cadre de l’émancipation des Juifs. Elle a été une terre
où, après l’exil, beaucoup ont pu s’enraciner et
devenir Français. Pleinement Français. Il y a un
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judaïsme de France, nourri de nombreuses influences
et baigné des valeurs de notre République.
*
Toulouse est la quatrième ville de France. Elle est à
l’image de la France. Au fil des époques, des cultures
se sont rencontrées, côtoyées, enrichies. Toulouse est
un carrefour et une destination. Au siècle dernier, elle
a vu se succéder de nouveaux arrivants venus
notamment d’Espagne, d’Amérique du Sud, d’Italie,
du Maghreb ou encore de l’Afrique subsaharienne.
Toulouse est un creuset. C’est-à-dire que chacun
apporte mais que tous se retrouvent dans un idéal
commun : celui « d’être de Toulouse et de sa région ».
Chacun apporte, mais chacun sait, qu’au-delà des
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différences, il y a quelque chose de plus grand qui
nous rassemble.
Et en évoquant cette histoire, cette belle histoire, me
viennent à l'esprit les mots forts du Président de la
République à la Grande mosquée de Paris, il y a
quelques jours, marquant la reconnaissance vis à vis
de l'engagement des musulmans de France dans les
conflits mondiaux.
Toulouse, quatrième ville de France abrite la
quatrième communauté juive du pays. Elle a été un
des premiers centres d’installation des rapatriés
d’Algérie et un des premiers centres, dans les années
60, de la renaissance de ce judaïsme qui avait un
nouveau visage.
Toulouse a un passé majestueux mais elle a
également – n’en doutons pas – un avenir radieux.
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Car
Toulouse,
d’inventivité,
c’est
une
d’intelligence,
ville
de
de
générosité,
recherche,
de
création. C’est une ville ouverte sur ses voisins et
proche de cette Espagne qui m’est si chère. Cette
Espagne qui, comme le Portugal, adresse, en ce
moment, à travers les siècles, ce si beau message de
réunification au monde séfarade.
Toulouse, au cours des dernières semaines a été salie
par des inscriptions qui ont visé les symboles de ce
qui fait notre vie en collectivité. Je sais combien les
Toulousains, dans leur ensemble, ont été blessés par
ces mots et ces actes. Et face à cela, il appartient à
tous les républicains, au-delà des appartenances
partisanes, de se rassembler.
Les invectives qui ont été entendues, samedi dernier,
en marge du rassemblement citoyen pour la défense
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des valeurs de la République sont inadmissibles. Tous
ceux qui ont refusé la participation des élus de droite,
et tous ceux qui vous ont prise à partie, chère Nicole
YARDÉNI, nuisent gravement à la cause qu’ils croient
défendre. C’est, rassemblés, que nous devons nous
battre contre les extrémismes, les fanatismes, les
radicalismes.
Aucune division n’est possible quand il s’agit de
défendre ce qui constitue les fondements de notre
société.
*
Si j’ai appelé à un sursaut des républicains face à la
tournée de la haine de Dieudonné M’Bala M’Bala,
c’est parce que je sentais, comme le Président de la
République, que quelque chose de fondamental était
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en train de se jouer ; que l’on s’en prenait à des
principes essentiels de notre République.
Il fallait donc porter un coup d’arrêt à cette
mécanique ravivant de vieux relents nauséabonds :
la
haine
des
juifs,
des
francs-maçons,
des
homosexuels, … Cette mécanique qui s’en est pris à
des journalistes – Frédéric HAZIZA et Patrick
COHEN – du fait de leur patronyme.
Il fallait redire avec la plus grande force que
l’antisémitisme, le racisme ne sont pas des opinions
mais des délits. On ne peut pas remettre en cause la
Shoah. Ni son existence, ni sa singularité !
Il fallait, enfin, briser cette lame de fond qui fait se
joindre des antisémitismes venus d’horizons divers :
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l’antisémitisme
traditionnel
et
un
nouvel
antisémitisme – on connaît le stratagème ! – qui se
cache derrière un antisionisme de façade. Cette
jonction, qui se fait notamment sur Internet, ranime
un antisémitisme virulent, celui dont Alain SORAL
n’est qu’un petit idéologue rabougri.
Je suis fier d’avoir mené ce combat. Un combat
primordial. Aujourd’hui, plus personne ne peut dire
qu’il ne sait pas quel est le vrai visage de
Dieudonné M’Bala M’Bala. Mais ce combat contre
l’antisémitisme,
contre
le
racisme
n’est
bien
évidemment pas terminé.
*
Même si en 2013, en tendance, les actes antisémites
sont en baisse par rapport à 2012 – année cependant
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d’une rare violence – le climat a changé. On n’hésite
plus à assumer, à revendiquer, à clamer la haine du
juif comme ce fut le cas, dans les rues de Paris, il y a
quelques semaines.
Alors, il faut dénoncer, mais il faut aussi agir sans
relâche, car il n’y aurait rien de pire que
l’incantation. Il faut s’attaquer aux racines mêmes
du mal. Bien sûr, il y a la crise économique et sociale
qui aggrave tout. Il y a la précarité, l’insécurité
contre lesquelles nous devons lutter sans rien
occulter des problèmes, car c’est souvent le meilleur
terreau pour les extrémismes. Mais il y a des
mécanismes plus insidieux qui sont à l’œuvre.
On ne naît pas antisémite. On apprend à le devenir.
L’antisémitisme, le racisme, sont sciemment diffusés.
On les fait entrer dans les esprits. Et Internet et les
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réseaux sociaux décuplent ce phénomène. En voyant
sous nos yeux ce mal se répandre, on comprend qu’il
y a encore tant à faire pour contrer ce travail de sape
qui vise nos valeurs. C’est le rôle des pouvoirs
publics, de l’école, des éducateurs, mais aussi des
élus, des associations, des responsables religieux, des
parents. Ne relâchons pas nos efforts !
Toulouse, comme toutes les grandes villes de
France, est emblématique de ce combat déterminant
pour l’avenir de notre pays.
Ce combat, c’est, en premier lieu, celui de la laïcité.
Avant de vous rejoindre, j’étais en préfecture, avec les
responsables toulousains des différents cultes. Nous
avons abordé, de manière concrète, les moyens
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permettant de faire vivre la laïcité qui est notre
patrimoine commun. La laïcité apaise, protège. Nous
devons la défendre et ne jamais plus la laisser aux
mains de ceux qui la détournent pour en faire un
discours de rejet de l’autre.
Le combat que nous devons mener, ici, à Toulouse,
comme partout en France, c’est aussi celui de la lutte
contre la radicalisation.
C’est un enjeu considérable pour notre pays et pour
toute l’Europe. J’en veux pour preuve les filières
syriennes qui sont aujourd’hui la menace la plus
préoccupante à laquelle nous devons faire face.
700 Français ou résidents français sont impliqués dans
ces filières qui ont pour but d’aller mener, là-bas, le
djihad, mais aussi d’encourager le passage à l’acte au
retour sur notre sol. Il y a quelques jours, deux
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membres de la cellule qui avait agi, en septembre
2012, contre l’épicerie casher de Sarcelles ont été
interpellés après s’être rendus en Syrie. Ils avaient de
toute évidence un projet d’action.
Dans quelques jours, je ferai des propositions au
Président de la République pour que nous soyons
plus efficaces encore. Elles viendront s’ajouter à la
récente réforme des services de renseignement et au
renforcement de leurs moyens. Nous devons être
capables de mieux détecter les individus susceptibles
de basculer ; de mieux empêcher les déplacements de
ceux, parfois très jeunes, et même mineurs, qui
veulent aller se battre, et surtout de mieux les
encadrer à leur retour. Pour cela, nous avons aussi
besoin des parents, des proches, qui ont un rôle de
signalement à jouer.
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Nous devons, aussi, mener une action de fond pour
s’assurer que les valeurs de la République sont
transmises et partagées. Pour cela, il faut aussi
trouver des réponses à la crise identitaire qui est
patente dans certains de nos quartiers, chez tous ces
jeunes qui se cherchent, non seulement un avenir,
mais aussi parfois un passé, une dignité.
En somme nous devons réanimer tous les mécanismes
qui permettent de faire Nation, de se sentir héritier
d’un même héritage et partie prenante d’un même
projet.
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Voilà l’exigence qui doit être la nôtre. Et je sais que
ce message – qui à travers vous s’adresse à la société
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dans son ensemble – prend, ici, une dimension toute
particulière.
Car Toulouse, ville où les blessures sont encore à fleur
de peau, porte en elle – c’est l’héritage de son passé –
tant d’aspirations à se retrouver, à se rassembler.
Les regards de compassion qui, hier, se sont tournés
vers Toulouse, demain, je le sais, seront, sans rien
oublier, des regards pleins d’admiration. Admiration
que cette ville a toujours suscitée, et dans laquelle la
communauté
juive,
dans
toute
sa
diversité,
continuera, je le sais, de briller.
Vive Toulouse ! Vive la République et vive la France !
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