4.1 Les observatoires mondiaux
Dans ce chapitre, nous décrivons les nouveaux observatoires majeurs dont les astronomes
canadiens auront besoin afin de s'attaquer aux grandes questions en astrophysique décrites au
chapitre 2. Ces observatoires doivent couvrir toutes les longueurs d’onde, depuis le domaine
radio jusqu'à l'ultraviolet, et ils combineront instruments spatiaux et instruments au sol. Ils seront
conçus de façon à pouvoir être utilisés par des astronomes travaillant dans de nombreuses
sous-disciplines diffé-rentes. Bon nombre des défis technologiques inhérents à leur construction
offriront de multiples débouchés, nouveaux et passionnants, pour l'industrie et la technologie
canadiennes.
Nous traitons d'abord des « observatoires mondiaux ». Cette expression désigne les nouveaux
observatoires qui seront construits au cours des deux prochaines décennies, et qui sont d'une
ampleur telle qu'aucun pays, voire même un groupe restreint de pays, ne peut en assumer
les frais, et aucun autre groupe ou consortium ne sera en mesure de construire des installa-
tions équivalentes. Ces observatoires mondiaux seront vraiment exceptionnels, et l'on prévoit
qu'ils révolutionneront notre compré-hension de l'univers. Il n’est donc pas étonnant que leurs
coûts soient, justement, astronomiques : les frais d'immobilisation devraient se chiffrer entre
500 millions et un milliard de dollars US. Des investissements aussi importants devront être
partagés entre de nombreuses nations, l'objectif étant de construire des télescopes puissants
qui définiront les limites de notre savoir au cours de la prochaine décennie, voire au-delà. Nous
divisons les observatoires mondiaux en deux catégories : première génération (c'est-à-dire ceux
qui devraient devenir opérationnels entre 2001 et 2010) et deuxième génération (ceux qui
pourraient entrer en service entre 2011 et 2020).
Pour bien situer ces installations, nous présentons, sur le graphique de la page sui-vante,
la sensibilité de plusieurs de ces télescopes en fonction de la longueur d'onde. La plage de
fréquences sur l'axe horizontal va, depuis l'extrême gauche, de la région radio, à la plage
submillimétrique, puis à l'infrarouge, au visible et à l'ultraviolet, à l'extrême droite. L'axe vertical
indique le flux (intensité énergétique) émis par les objets astronomiques, comme les galaxies
lointaines. Les tracés du graphique indiquent le plus petit flux détectable par un télescope
donné. Les lignes inférieures correspondent donc aux installations les plus puisantes. Par
exemple, nous voyons que le NGST (le successeur du télescope spatial Hubble) pourra
observer des objets 10 fois moins lumineux que ne le peut le HST dans le visible. Aux
longueurs d’onde plus grandes, dans l'infrarouge, il pourra détecter des objets d’une luminosi
jusqu'à 100 000 fois plus faible que ce qui est observable avec un télescope 8 mètres au
sol (VLT).
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C H A P I T R E 4
Perspectives d'avenir :
Les observatoires mondi-
aux et internationaux
P E R S P E C T I V E S D ' A V E N I R : L E S O B S E R V A T O I R E S M O N D I A U X E T I N T E R N A T I O N A U X
Installations de première génération
Grand réseau millimétrique d’Atacama (ALMA)
Le réseau ALMA sera, et de loin, le plus puissant radiotélescope au
monde aux longueurs d’onde millimétriques et submillimétriques, en
termes de sensibi-lité (capacité de détecter des sources extrêmement
faibles) et de résolution angulaire (capacité de « voir » les détails de
la structure de ces mêmes sources). Pour les astronomes américains
et européens, c’est le projet prioritaire en astronomie au sol pour
la prochaine décennie, et on peut facilement comprendre pourquoi.
Le réseau ALMA sera capable de détecter des sources cosmiques
mille fois plus faibles que ce qui est détectable avec tout télescope
millimétrique actuel. Il produira également des images de ces sources
avec une résolution 10 fois supérieure (c'est-à-dire de l'ordre de
1 centième de seconde d'arc) que ce qui est possible avec le téle-
scope spatial Hubble ou le Very Large Array au Nouveau-Mexique.
C'est comme si on était capable de voir une maison sur la lune!
Selon les plans actuels, ce télescope comportera 64 antennes,
chacune d'environ 12 mètres de diamètre. Il fonctionnera aux lon-
gueurs d’onde de 0,35 à 10 millimètres, c.-à-d. dans la bande
submillimétrique-millimétrique. Les partenaires actuels du projet sont
les États-Unis, l'Europe et probablement le Japon. D'autres parte-
naires potentiels ont manifesté un vif intérêt. Les capacités
scientifiques et technologiques du Canada correspondent fort bien à
ce qui est requis pour le projet ALMA.
Les objectifs scientifiques du projet ALMA sont bien résumés sur le site
http://www.mma.nrao.edu/science. Le réseau ALMA observera aux longueurs d’onde millimé-
triques le gaz dense, et il pourra percer les régions poussiéreuses qui sont invisibles aux autres
longueurs d’onde. Ces régions sont exactement celles où la plupart des étoiles se forment.
Dans ces régions, le télescope ALMA pourra détecter les gaz moléculaire à des distances et
à des profondeurs jamais atteintes. Aux distances où se trouvent les jeunes étoiles les plus
proches de notre galaxie, la résolution sera à peu près équivalente à la distance Soleil-Terre, ce
qui nous permettra d'observer et de comprendre comment les poussières et les gaz s'effondrent
50
Graphique montrant la sensibilité de plusieurs télescopes de calibre
mondial en fonction de la fréquence. La ligne noire indique le ray-
onnement type reçu d'une galaxie (très) éloignée. Les lignes rouges,
au bas du graphique, indiquent la sensibilité de plusieurs futurs téle-
scopes mondiaux. Les autres lignes de couleur indiquent la sensibilité
des installations actuelles. Plus une ligne se rapproche du bas du
graphique, plus l'installation est puissante. Les traits plus grands, sur
l'axe vertical, correspondent à une augmentation de la sensibilité d’un
facteur de 10.
Site proposé pour le téle-
scope ALMA, à Llano
Chajnantor, à 5 000 mètres
d'altitude dans le désert chil-
ien.
Photographie de S. Radford,
NOAO
sur eux-mêmes afin de former des systèmes protoplanétaires. À une plus grande échelle,
la cartographie des nuages moléculaires dans toute la Voie lactée et au-delà permettra de
localiser les complexes de formation d'étoiles, ce qui nous donnera une image plus complète
de ce processus de formation, à plusieurs échelles. Le réseau ALMA nous permettra d'étudier,
pour la première fois, les nuages moléculaires dans de nombreuses galaxies éloignées, et ce,
avec une finesse stupéfiante.
À l’échelle cosmique, le télescope ALMA nous permettra d'étudier l'époque de formation des
galaxies beaucoup plus directement qu'auparavant, car les astronomes auront la possibili
d’observer la matière brute gazeuse de laquelle sont nées les premières étoiles dans les
nuages prégalactiques. L'une des substances standard à l’état de trace qui dénotent la
présence de gaz moléculaires est le monoxyde de carbone (CO), sous ses diverses formes.
En une heure d'observation, le télescope ALMA pourra détecter des émissions de CO dans
des protogalaxies ayant un décalage vers le rouge de 10 ou plus, ce qui revient à remonter
le temps jusqu'à 97 % de l'âge de l'univers! Ces structures pré-
galactiques, parmi les plus jeunes, ne sont peut-être visibles
que dans la bande submillimétrique où le signal provient de
l'émission infrarouge des poussières qui est décalée vers le
rouge. Le télescope ALMA nous permettra de les observer
pour la première fois. Avec les instruments existants, comme
le TJCM, nous ne pouvons voir actuellement que les protogal-
axies les plus lumineuses, peu nombreuses, à ces époques
extrêmement reculées. Le télescope ALMA nous permettra de
voir la gamme complète des protogalaxies.
Dans une perspective plus large, les possibilités offertes par le
réseau ALMA seront tout à fait complémentaires à celles du
NGST. Ce dernier nous permettra d'étudier les phénomènes
connexes dans les bandes optique et infrarouge, avec une
résolution angulaire comparable. Dans une certaine mesure, ces
instruments complémentaires étudieront ces phénomènes à différentes étapes de leur évolu-
tion, ce qui nous donnera une image encore plus complète que l'un ou l'autre pourrait nous
procurer, seul.
Le Canada est bien placé, scientifiquement et techniquement, pour être un partenaire du projet
international ALMA. Du point de vue scientifique, le Canada possède des atouts, grâce à sa
base d'utilisateurs du TJCM et aux compétences générales de ses astronomes dans diverses
sous-disciplines - le milieu interstellaire, la formation des étoiles, la formation et l'évolution des
galaxies, la cosmologie. Du point de vue technique, la contribution du Canada pourrait être
intéressante, notamment dans le domaine des récepteurs et celui des corrélateurs complexes
qui seront nécessaires pour traiter l'information fournie par les 64 antennes et les milliers
de canaux de fréquences. En outre, l'industrie canadienne a une très grande expérience
des télécommunications, de la fabrication des structures de télescopes et de l’appareillage
cryogénique dont on aura besoin pour les récepteurs.
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Représentation artistique du réseau ALMA. Gracieuseté de l’ESO
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Le télescope spatial de la seconde génération (NGST)
Le Next Generation Space Telescope est un ambitieux projet de la NASA auquel participe
activement l'Agence spatiale européenne. Ce projet vise à aller bien plus loin que le programme
du télescope spatial Hubble, dont le succès est déjà retentissant. En lançant un télescope
d'un diamètre de 8 mètres sur une « orbite L2 » (c'est-à-dire sur une orbite stable à 1,5
million de kilomètres de la Terre, en direction opposée au Soleil), on évitera ainsi la lumière
de fond diffusée par l'atmosphère terrestre. Le télescope sera protégé du Soleil et de la Terre
grâce à un grand écran déployable, ce qui permettra à l'ensemble du télescope de se refroidir
à une température de 35 degrés au-dessus du zéro absolu et lui procurera une sensibilité
extraordinaire dans l’infrarouge.
On prévoit que le NGST nous permettra d'observer la lumière fortement décalée vers le rouge
produite par les tous premiers amas d'étoiles formées dans l’univers encore jeune. Nous
assisterons alors à un moment clé de l'histoire du cosmos. En plus d'observer cette « première
lumière », le NGST révélera comment les étoiles et le gaz se sont assemblés en galaxies
pendant les premiers milliards d'années de l'univers, ce qui nous donnera des informations
vitales sur les mécanismes physiques les plus importants de la formation des étoiles. Ce
télescope permettra d'étudier les disques protoplanétaires desquels les systèmes planétaires
sont issus. Le NGST permettra également de détecter des supernovae à des distances nous
autorisant à mesurer la géométrie de l'espace-temps, d’étudier les objets cométaires de la
ceinture de Kuiper, etc. Le large éventail des travaux scientifiques qui seront possibles avec
le NGST est abondamment décrit sur le site Web du scientifique chargé du volet canadien, à
l'adresse http://astro.utoronto.ca/~lilly/NGST/index.html.
L'Agence spatiale canadienne s’intéresse vivement au NGST. La communauté astronomique
canadienne, cela va s'en dire, appuie très fortement cette initiative, car elle correspond parfaite-
ment à bon nombre de ses principaux objectifs scientifiques pour les deux prochaines décen-
nies. L'ASC finance actuellement trois études portant sur l’instrumentation (dont deux sont
dirigées par des astronomes du CNRC), ainsi que certaines études des composantes de
l'engin spatial, dirigées par des entreprises privées. Ces études visent à déterminer quelles
pourraient être la contribution du Canada à l'observatoire NGST. La participation active et
précoce du Canada à ce projet extrêmement ambitieux et jouissant d'une grande visibilité est
une excellente occasion de profiter de toutes ses retombées : résultats scientifiques, nouvelles
technologies, vulgarisation, éducation.
Installations de la deuxième génération
Réseau d'antennes couvrant un kilomètre carré (SKA)
Le projet SKA, d'une taille gigantesque, en est encore à l’étape de la planification. Comme son
nom l'indique, l'objectif est de construire un radiotélescope dont la superficie collectrice est de 1
kilomètre carré. Il fonctionnerait à des longueurs d’onde de quelques centimètres et plus. Pour
bien situer ce projet, soulignons que la superficie collectrice du plus grand radiotélescope au
monde, construit dans le cratère d’Arecibo (Porto Rico), est 30 fois moindre. Toutefois, au lieu
de construire une antenne unique et énorme, on utiliserait de nombreuses antennes réparties
sur des centaines de kilomètres selon un motif géométrique assurant une résolution angulaire
maximale. De la sorte, le SKA serait plus puissant encore que le réseau
actuellement le plus performant, le Very Large Array (VLA) au Nouveau-Mexique, par un facteur
de 100 pour la sensibilité et de 10 pour la résolution angulaire.
52
Configuration possible du téle-
scope NGST. Le miroir du
télescope sera déployé après
l'arrivée du satellite en orbite et
l'immense écran solaire permet-
tra au reste du télescope de se
refroidir. Il pourra ainsi détecter
des objets extrêmement peu
lumineux aux longueurs d'onde
infrarouges de 0,6 à 30 microns.
Gracieuseté de la NASA /
GFSC
On trouvera un résumé des objectifs scientifiques du projet SKA à l'adresse http://
www.ras.ucalgary.ca/SKA/science/science.html. Un projet important pour le SKA sera de car-
tographier en détail le gaz situé à l'intérieur des galaxies, à la raie d'émission de l'hydrogène
atomique, soit 21 centimètres. Cette cartographie sera réalisée jusqu'à des décalages vers le
rouge de 3, ce qui correspond à une remontée dans le temps
de 80 % de l'âge de l'univers. Le télescope SKA nous permettra
également de suivre le déplacement du gaz occupant le cœur
même de galaxies actives comme les quasars et les galaxies
elliptiques géantes; nous pourrons ainsi mesurer la masse des
énormes trous noirs qui sont tapis en leur centre. À l'échelle
cosmologique, les observations peut-être les plus intéressantes
qui seront réalisées avec le SKA viseront à détecter la structure
de l'univers dans sa tendre enfance, pendant le « mur de
brume » cosmologique qui a suivi l'émission du rayonnement
de fond cosmologique, mais avant la formation des galaxies.
Cette structure se manifestera par les émissions fortement
décalées vers le rouge de l'hydrogène atomique primordial.
Le SKA sera également un puissant outil d’étude de la forma-
tion des étoiles. On pourra analyser un ensemble de raies
d'émission produites par les molécules lourdes qui sont carac-
téristiques des régions froides et denses des nuages de gaz
protostellaires. En outre, le SKA sera tout désigné pour étudier
les gaz ionisés et l'hydrogène ato-mique, plus prédominant, dans les jets collimés produits
par les protoétoiles. Il pourra également mesurer l'intensité des champs magnétiques dans les
régions où se forment les étoiles, intensité qui peut influer sur la séquence des événements
dans la genèse des étoiles. En raison de sa surface collectrice exceptionnellement grande,
le SKA serait l'instrument idéal pour détecter les planètes extrasolaires, voire des indices
d'intelligence extraterrestre.
De toutes les nouvelles installations que nous décrivons dans ce chapitre, c'est peut-être à
l’égard du projet SKA que le Canada pourra jouer un rôle technologique prépondérant. En
raison de l'ampleur même du radiotélescope SKA - il faudra installer de très nombreuses
antennes de grandes dimensions - il serait hors de prix d'utiliser des antennes de conception
classique. Par conséquent, une toute nouvelle technologie est requise pour construire un
télescope à cette échelle. Les astronomes canadiens sont en train d'étudier un nouveau
concept révolutionnaire pour la construction des antennes individuelles du SKA, capables de
fonctionner à des longueurs d’onde aussi courtes que 1 cm. Ce design novateur est appelé
Large Adaptive Reflector (LAR). Il s'agit d'utiliser une grande antenne orientable, presque plane
et montée près du sol. Le collecteur sera fixé à un ballon captif maintenu par des haubans
au foyer de cette antenne. Selon les études conceptuelles, il serait possible de construire des
antennes orientables atteignant 200 mètres de diamètre. La phase A de l'étude démontre qu'il
est possible de diriger une telle structure. Il faut maintenant passer à la phase B, c'est-à-dire
construire des prototypes du réflecteur et du ballon porteur. Tout comme pour le projet ALMA,
les compétences canadiennes existent déjà pour les récepteurs et les corrélateurs qui devront,
en bout de ligne, équiper le SKA.
P E R S P E C T I V E S D ' A V E N I R : L E S O B S E R V A T O I R E S M O N D I A U X E T I N T E R N A T I O N A U X
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Concept canadien du
Large Adaptive Reflector
où le récepteur est fixé
à un ballon captif. De
nombreux éléments de ce
type, répartis sur des cen-
taines de kilomètres, pour-
raient constituer un éven-
tuel télescope SKA.
Gracieuseté du CNRC
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