Chapitre4

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C
H
A
P
I
T
R
E 4
Perspectives d'avenir :
Les observatoires mondiaux et internationaux
4.1 Les observatoires mondiaux
Dans ce chapitre, nous décrivons les nouveaux observatoires majeurs dont les astronomes
canadiens auront besoin afin de s'attaquer aux grandes questions en astrophysique décrites au
chapitre 2. Ces observatoires doivent couvrir toutes les longueurs d’onde, depuis le domaine
radio jusqu'à l'ultraviolet, et ils combineront instruments spatiaux et instruments au sol. Ils seront
conçus de façon à pouvoir être utilisés par des astronomes travaillant dans de nombreuses
sous-disciplines diffé-rentes. Bon nombre des défis technologiques inhérents à leur construction
offriront de multiples débouchés, nouveaux et passionnants, pour l'industrie et la technologie
canadiennes.
Nous traitons d'abord des « observatoires mondiaux ». Cette expression désigne les nouveaux
observatoires qui seront construits au cours des deux prochaines décennies, et qui sont d'une
ampleur telle qu'aucun pays, voire même un groupe restreint de pays, ne peut en assumer
les frais, et aucun autre groupe ou consortium ne sera en mesure de construire des installations équivalentes. Ces observatoires mondiaux seront vraiment exceptionnels, et l'on prévoit
qu'ils révolutionneront notre compré-hension de l'univers. Il n’est donc pas étonnant que leurs
coûts soient, justement, astronomiques : les frais d'immobilisation devraient se chiffrer entre
500 millions et un milliard de dollars US. Des investissements aussi importants devront être
partagés entre de nombreuses nations, l'objectif étant de construire des télescopes puissants
qui définiront les limites de notre savoir au cours de la prochaine décennie, voire au-delà. Nous
divisons les observatoires mondiaux en deux catégories : première génération (c'est-à-dire ceux
qui devraient devenir opérationnels entre 2001 et 2010) et deuxième génération (ceux qui
pourraient entrer en service entre 2011 et 2020).
Pour bien situer ces installations, nous présentons, sur le graphique de la page sui-vante,
la sensibilité de plusieurs de ces télescopes en fonction de la longueur d'onde. La plage de
fréquences sur l'axe horizontal va, depuis l'extrême gauche, de la région radio, à la plage
submillimétrique, puis à l'infrarouge, au visible et à l'ultraviolet, à l'extrême droite. L'axe vertical
indique le flux (intensité énergétique) émis par les objets astronomiques, comme les galaxies
lointaines. Les tracés du graphique indiquent le plus petit flux détectable par un télescope
donné. Les lignes inférieures correspondent donc aux installations les plus puisantes. Par
exemple, nous voyons que le NGST (le successeur du télescope spatial Hubble) pourra
observer des objets 10 fois moins lumineux que ne le peut le HST dans le visible. Aux
longueurs d’onde plus grandes, dans l'infrarouge, il pourra détecter des objets d’une luminosité
jusqu'à 100 000 fois plus faible que ce qui est observable avec un télescope 8 mètres au
sol (VLT).
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
Installations de première génération
Grand réseau millimétrique d’Atacama (ALMA)
Le réseau ALMA sera, et de loin, le plus puissant radiotélescope au
monde aux longueurs d’onde millimétriques et submillimétriques, en
termes de sensibi-lité (capacité de détecter des sources extrêmement
faibles) et de résolution angulaire (capacité de « voir » les détails de
la structure de ces mêmes sources). Pour les astronomes américains
et européens, c’est le projet prioritaire en astronomie au sol pour
la prochaine décennie, et on peut facilement comprendre pourquoi.
Le réseau ALMA sera capable de détecter des sources cosmiques
mille fois plus faibles que ce qui est détectable avec tout télescope
millimétrique actuel. Il produira également des images de ces sources
avec une résolution 10 fois supérieure (c'est-à-dire de l'ordre de
1 centième de seconde d'arc) que ce qui est possible avec le téleGraphique montrant la sensibilité de plusieurs télescopes de calibre
scope spatial Hubble ou le Very Large Array au Nouveau-Mexique.
mondial en fonction de la fréquence. La ligne noire indique le rayonnement type reçu d'une galaxie (très) éloignée. Les lignes rouges, C'est comme si on était capable de voir une maison sur la lune!
au bas du graphique, indiquent la sensibilité de plusieurs futurs téleSelon les plans actuels, ce télescope comportera 64 antennes,
scopes mondiaux. Les autres lignes de couleur indiquent la sensibilité chacune d'environ 12 mètres de diamètre. Il fonctionnera aux londes installations actuelles. Plus une ligne se rapproche du bas du
graphique, plus l'installation est puissante. Les traits plus grands, sur gueurs d’onde de 0,35 à 10 millimètres, c.-à-d. dans la bande
l'axe vertical, correspondent à une augmentation de la sensibilité d’un submillimétrique-millimétrique. Les partenaires actuels du projet sont
facteur de 10.
les États-Unis, l'Europe et probablement le Japon. D'autres partenaires potentiels ont manifesté un vif intérêt. Les capacités
scientifiques et technologiques du Canada correspondent fort bien à
ce qui est requis pour le projet ALMA.
Les objectifs scientifiques du projet ALMA sont bien résumés sur le site
http://www.mma.nrao.edu/science. Le réseau ALMA observera aux longueurs d’onde millimétriques le gaz dense, et il pourra percer les régions poussiéreuses qui sont invisibles aux autres
longueurs d’onde. Ces régions sont exactement celles où la plupart des étoiles se forment.
Dans ces régions, le télescope ALMA pourra détecter les gaz moléculaire à des distances et
à des profondeurs jamais atteintes. Aux distances où se trouvent les jeunes étoiles les plus
proches de notre galaxie, la résolution sera à peu près équivalente à la distance Soleil-Terre, ce
qui nous permettra d'observer et de comprendre comment les poussières et les gaz s'effondrent
Site proposé pour le télescope ALMA, à Llano
Chajnantor, à 5 000 mètres
d'altitude dans le désert chilien.
Photographie de S. Radford,
NOAO
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
sur eux-mêmes afin de former des systèmes protoplanétaires. À une plus grande échelle,
la cartographie des nuages moléculaires dans toute la Voie lactée et au-delà permettra de
localiser les complexes de formation d'étoiles, ce qui nous donnera une image plus complète
de ce processus de formation, à plusieurs échelles. Le réseau ALMA nous permettra d'étudier,
pour la première fois, les nuages moléculaires dans de nombreuses galaxies éloignées, et ce,
avec une finesse stupéfiante.
À l’échelle cosmique, le télescope ALMA nous permettra d'étudier l'époque de formation des
galaxies beaucoup plus directement qu'auparavant, car les astronomes auront la possibilité
d’observer la matière brute gazeuse de laquelle sont nées les premières étoiles dans les
nuages prégalactiques. L'une des substances standard à l’état de trace qui dénotent la
présence de gaz moléculaires est le monoxyde de carbone (CO), sous ses diverses formes.
En une heure d'observation, le télescope ALMA pourra détecter des émissions de CO dans
des protogalaxies ayant un décalage vers le rouge de 10 ou plus, ce qui revient à remonter
le temps jusqu'à 97 % de l'âge de l'univers! Ces structures prégalactiques, parmi les plus jeunes, ne sont peut-être visibles
que dans la bande submillimétrique où le signal provient de
l'émission infrarouge des poussières qui est décalée vers le
rouge. Le télescope ALMA nous permettra de les observer
pour la première fois. Avec les instruments existants, comme
le TJCM, nous ne pouvons voir actuellement que les protogalaxies les plus lumineuses, peu nombreuses, à ces époques
extrêmement reculées. Le télescope ALMA nous permettra de
voir la gamme complète des protogalaxies.
Dans une perspective plus large, les possibilités offertes par le
réseau ALMA seront tout à fait complémentaires à celles du
NGST. Ce dernier nous permettra d'étudier les phénomènes
Représentation artistique du réseau ALMA.
connexes dans les bandes optique et infrarouge, avec une
résolution angulaire comparable. Dans une certaine mesure, ces
instruments complémentaires étudieront ces phénomènes à différentes étapes de leur évolution, ce qui nous donnera une image encore plus complète que l'un ou l'autre pourrait nous
procurer, seul.
Gracieuseté de l’ESO
Le Canada est bien placé, scientifiquement et techniquement, pour être un partenaire du projet
international ALMA. Du point de vue scientifique, le Canada possède des atouts, grâce à sa
base d'utilisateurs du TJCM et aux compétences générales de ses astronomes dans diverses
sous-disciplines - le milieu interstellaire, la formation des étoiles, la formation et l'évolution des
galaxies, la cosmologie. Du point de vue technique, la contribution du Canada pourrait être
intéressante, notamment dans le domaine des récepteurs et celui des corrélateurs complexes
qui seront nécessaires pour traiter l'information fournie par les 64 antennes et les milliers
de canaux de fréquences. En outre, l'industrie canadienne a une très grande expérience
des télécommunications, de la fabrication des structures de télescopes et de l’appareillage
cryogénique dont on aura besoin pour les récepteurs.
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
Le télescope spatial de la seconde génération (NGST)
Le Next Generation Space Telescope est un ambitieux projet de la NASA auquel participe
activement l'Agence spatiale européenne. Ce projet vise à aller bien plus loin que le programme
du télescope spatial Hubble, dont le succès est déjà retentissant. En lançant un télescope
d'un diamètre de 8 mètres sur une « orbite L2 » (c'est-à-dire sur une orbite stable à 1,5
million de kilomètres de la Terre, en direction opposée au Soleil), on évitera ainsi la lumière
de fond diffusée par l'atmosphère terrestre. Le télescope sera protégé du Soleil et de la Terre
grâce à un grand écran déployable, ce qui permettra à l'ensemble du télescope de se refroidir
à une température de 35 degrés au-dessus du zéro absolu et lui procurera une sensibilité
extraordinaire dans l’infrarouge.
Configuration possible du télescope NGST. Le miroir du
télescope sera déployé après
l'arrivée du satellite en orbite et
l'immense écran solaire permettra au reste du télescope de se
refroidir. Il pourra ainsi détecter
des objets extrêmement peu
lumineux aux longueurs d'onde
infrarouges de 0,6 à 30 microns.
Gracieuseté de la NASA /
GFSC
On prévoit que le NGST nous permettra d'observer la lumière fortement décalée vers le rouge
produite par les tous premiers amas d'étoiles formées dans l’univers encore jeune. Nous
assisterons alors à un moment clé de l'histoire du cosmos. En plus d'observer cette « première
lumière », le NGST révélera comment les étoiles et le gaz se sont assemblés en galaxies
pendant les premiers milliards d'années de l'univers, ce qui nous donnera des informations
vitales sur les mécanismes physiques les plus importants de la formation des étoiles. Ce
télescope permettra d'étudier les disques protoplanétaires desquels les systèmes planétaires
sont issus. Le NGST permettra également de détecter des supernovae à des distances nous
autorisant à mesurer la géométrie de l'espace-temps, d’étudier les objets cométaires de la
ceinture de Kuiper, etc. Le large éventail des travaux scientifiques qui seront possibles avec
le NGST est abondamment décrit sur le site Web du scientifique chargé du volet canadien, à
l'adresse http://astro.utoronto.ca/~lilly/NGST/index.html.
L'Agence spatiale canadienne s’intéresse vivement au NGST. La communauté astronomique
canadienne, cela va s'en dire, appuie très fortement cette initiative, car elle correspond parfaitement à bon nombre de ses principaux objectifs scientifiques pour les deux prochaines décennies. L'ASC finance actuellement trois études portant sur l’instrumentation (dont deux sont
dirigées par des astronomes du CNRC), ainsi que certaines études des composantes de
l'engin spatial, dirigées par des entreprises privées. Ces études visent à déterminer quelles
pourraient être la contribution du Canada à l'observatoire NGST. La participation active et
précoce du Canada à ce projet extrêmement ambitieux et jouissant d'une grande visibilité est
une excellente occasion de profiter de toutes ses retombées : résultats scientifiques, nouvelles
technologies, vulgarisation, éducation.
Installations de la deuxième génération
Réseau d'antennes couvrant un kilomètre carré (SKA)
Le projet SKA, d'une taille gigantesque, en est encore à l’étape de la planification. Comme son
nom l'indique, l'objectif est de construire un radiotélescope dont la superficie collectrice est de 1
kilomètre carré. Il fonctionnerait à des longueurs d’onde de quelques centimètres et plus. Pour
bien situer ce projet, soulignons que la superficie collectrice du plus grand radiotélescope au
monde, construit dans le cratère d’Arecibo (Porto Rico), est 30 fois moindre. Toutefois, au lieu
de construire une antenne unique et énorme, on utiliserait de nombreuses antennes réparties
sur des centaines de kilomètres selon un motif géométrique assurant une résolution angulaire
maximale. De la sorte, le SKA serait plus puissant encore que le réseau
actuellement le plus performant, le Very Large Array (VLA) au Nouveau-Mexique, par un facteur
de 100 pour la sensibilité et de 10 pour la résolution angulaire.
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
On trouvera un résumé des objectifs scientifiques du projet SKA à l'adresse http://
www.ras.ucalgary.ca/SKA/science/science.html. Un projet important pour le SKA sera de cartographier en détail le gaz situé à l'intérieur des galaxies, à la raie d'émission de l'hydrogène
atomique, soit 21 centimètres. Cette cartographie sera réalisée jusqu'à des décalages vers le
rouge de 3, ce qui correspond à une remontée dans le temps
de 80 % de l'âge de l'univers. Le télescope SKA nous permettra
également de suivre le déplacement du gaz occupant le cœur
même de galaxies actives comme les quasars et les galaxies
elliptiques géantes; nous pourrons ainsi mesurer la masse des
énormes trous noirs qui sont tapis en leur centre. À l'échelle
cosmologique, les observations peut-être les plus intéressantes
qui seront réalisées avec le SKA viseront à détecter la structure
de l'univers dans sa tendre enfance, pendant le « mur de
brume » cosmologique qui a suivi l'émission du rayonnement
de fond cosmologique, mais avant la formation des galaxies.
Cette structure se manifestera par les émissions fortement
décalées vers le rouge de l'hydrogène atomique primordial.
Le SKA sera également un puissant outil d’étude de la formation des étoiles. On pourra analyser un ensemble de raies
d'émission produites par les molécules lourdes qui sont caractéristiques des régions froides et denses des nuages de gaz
protostellaires. En outre, le SKA sera tout désigné pour étudier
les gaz ionisés et l'hydrogène ato-mique, plus prédominant, dans les jets collimés produits
par les protoétoiles. Il pourra également mesurer l'intensité des champs magnétiques dans les
régions où se forment les étoiles, intensité qui peut influer sur la séquence des événements
dans la genèse des étoiles. En raison de sa surface collectrice exceptionnellement grande,
le SKA serait l'instrument idéal pour détecter les planètes extrasolaires, voire des indices
d'intelligence extraterrestre.
De toutes les nouvelles installations que nous décrivons dans ce chapitre, c'est peut-être à
l’égard du projet SKA que le Canada pourra jouer un rôle technologique prépondérant. En
raison de l'ampleur même du radiotélescope SKA - il faudra installer de très nombreuses
antennes de grandes dimensions - il serait hors de prix d'utiliser des antennes de conception
classique. Par conséquent, une toute nouvelle technologie est requise pour construire un
télescope à cette échelle. Les astronomes canadiens sont en train d'étudier un nouveau
concept révolutionnaire pour la construction des antennes individuelles du SKA, capables de
fonctionner à des longueurs d’onde aussi courtes que 1 cm. Ce design novateur est appelé
Large Adaptive Reflector (LAR). Il s'agit d'utiliser une grande antenne orientable, presque plane
et montée près du sol. Le collecteur sera fixé à un ballon captif maintenu par des haubans
au foyer de cette antenne. Selon les études conceptuelles, il serait possible de construire des
antennes orientables atteignant 200 mètres de diamètre. La phase A de l'étude démontre qu'il
est possible de diriger une telle structure. Il faut maintenant passer à la phase B, c'est-à-dire
construire des prototypes du réflecteur et du ballon porteur. Tout comme pour le projet ALMA,
les compétences canadiennes existent déjà pour les récepteurs et les corrélateurs qui devront,
en bout de ligne, équiper le SKA.
Concept canadien du
Large Adaptive Reflector
où le récepteur est fixé
à un ballon captif. De
nombreux éléments de ce
type, répartis sur des centaines de kilomètres, pourraient constituer un éventuel télescope SKA.
Gracieuseté du CNRC
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
Le Très Grand Télescope Optique (VLOT)
Grâce à sa très grande puissance, le NGST pourra détecter des objets de très faible luminosité,
notamment dans l’infrarouge, mais il faudra construire au sol un ou plusieurs télescopes
complémentaires. Un « partenaire » au sol du NGST aurait pour tâche d'obtenir des images
optiques et des spectres encore plus profonds de ces objets - galaxies à des distances
cosmologiques, étoiles faibles dans des galaxies éloignées de plusieurs millions de parsecs,
et objets extrêmement peu lumineux dans notre propre galaxie, comme les disques protostellaires, les naines brunes, les planètes joviennes et les étoiles à neutrons. Il n'existe aucun
autre moyen pour déterminer la nature de ces objets, qui sont à l'extrême frontière de nos
connaissances actuelles. La puissance collectrice d'un tel télescope devrait dépasser celle de
tout autre instrument existant au sol, et il en sera de même pour la qualité de ses images.
Il est fort probable que ce Très Grand Télescope Optique (désigné par le sigle VLOT) sera
un assemblage composite de nombreux miroirs, équivalant à un miroir d'un diamètre de 25
mètres, voire davantage.
Concept possible d'un
télescope VLOT
de 30 mètres.
Coupe frontale transparente de l’ELT
Cependant, avant d'entreprendre un tel projet, il faudra surmonter des obstacles techniques nombreux et
de taille. Tous les projets de grands télescopes prennent habituellement de 15 à 20 ans, de la conception
initiale (phase A) au parachèvement. Les premières
discussions conceptuelles au sujet du VLOT, au
sein de la communauté astronomique internationale,
ont commencé en 1998, et il est donc raisonnable
de prévoir qu'un VLOT serait opérationnel d'ici
2015-2020, soit à la toute fin de la période visée
par notre plan à long terme. Ce projet prend rapidement de l’importance sur la scène internationale :
le National Optical Astronomical Observatory, aux
États-Unis, propose déjà qu'un VLOT de 25 mètres
à miroir segmenté soit opérationnel vers 2010, ce
télescope servant en fait de prototype pour un télescope colossal de 100 mètres, cinq à dix ans plus
tard. Les astronomes européens étudient également,
avec grand dynamisme, des concepts pour des télescopes géants comparables. Si l'on veut que les scientifiques canadiens assument un rôle directeur dans
des volets appropriés d'un projet VLOT, il est essentiel que l'on accorde dès maintenant un financement
de démarrage pour les études techniques.
L’optique adaptative est un domaine prometteur où les compétences canadiennes pourraient
être mises à profit dans un projet VLOT. Cette technique permet de réduire la taille des
images stellaires observées par un télescope, en les corrigeant pour en extraire le flou qui est
produit par les couches turbulentes de la haute atmosphère. Cette dégradation des images est
plus spectaculaire aux courtes longueurs d’onde (domaine optique) qu'aux grandes (domaine
infrarouge). L'utilisation de ces techniques sera essentielle pour le VLOT, et on devra les
perfectionner bien au-delà de leur état actuel. Entre autres innovations futures que l'on devrait
prévoir pour le VLOT, mentionnons l'utilisation de sondes laser multiples pour mesurer la
turbulence dans l'atmosphère, ainsi que des algorithmes qui, à partir de cette information,
régleront les miroirs multiples afin d'atténuer l’effet des différentes couches atmosphériques. Le
Canada est actuellement un leader mondial dans ce domaine, ayant construit avec la France le
système d’optique adaptative opérationnel le plus performant (la bonnette à optique adaptative
régulièrement utilisée sur le TCFH), et notre pays a obtenu le contrat pour la construction
d’un tel système pour les télescopes Gemini de 8 mètres. Un télescope VLOT devrait, en
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
définitive, offrir une résolution spatiale 10 fois supérieure à celle du NGST, pour de moyens
champs de vision, une perspective fascinante. Utilisé avec un télescope ayant une surface
collectrice équi-valante à celle d’un miroir d'au moins 25 mètres de diamètre, un tel système
offrira des gains de performance de près de deux ordres de grandeur par rapport à tout
télescope optique actuel.
4.2 Les nouveaux observatoires internationaux
Télescope de 8 mètres à grand champ (WF8m)
Les observatoires mondiaux décrits ci-dessus seront probablement construits pour sonder
les confins de l'univers lointain. Mais nous avons également besoin d'instruments capables
d'observer de grandes régions du ciel. Il y a deux raisons principales à cela. Tout d'abord,
il est de plus en plus important de mesurer de vastes échantillons d'objets afin d'établir
des profils statistiques représentatifs de la majeure partie de la structure du cosmos. Par
exemple, pour établir la répartition des galaxies situées à des distances cosmologiques, il
faut mesurer des millions de galaxies. Pour mieux comprendre le
mécanisme d'enrichissement en éléments lourds au début de notre
galaxie, il faut rechercher des centaines de milliers d'étoiles situées
dans son halo. Et pour déchiffrer correctement les règles qui président à la formation des étoiles, il faut étudier des milliers de protoétoiles et de nébuleuses dans lesquelles se forment les étoiles.
La deuxième raison est la suivante : ce n'est qu'en accumulant
d'énormes échantillons statistiques que l'on trouvera avec une grande
fiabilité des objets véritablement rares et exceptionnels - les étoiles
les plus anciennes ayant très peu de métaux, les galaxies les plus
grandes ou les plus petites, les quasars et les trous noirs les plus
extrêmes, ou encore les protoétoiles les plus massives. Ces cas
rares représentent les extrêmes de la nature qui peuvent nous
orienter vers les nouvelles frontières de la physique.
En astronomie optique/infrarouge, le TCFH, avec ses 3,6 mètres de
diamètre, permettra aux astronomes d’effectuer les grands relevés
qui seront requis au cours des prochaines années. Les astronomes
utiliseront en effet le TCFH avec le Megaprime, une caméra optique
offrant un champ d'un degré sur le ciel, ce qu'aucun grand télescope
actuel ne peut offrir, et avec le WIRCAM, une caméra infrarouge à
grand champ encore à
l'état de projet. Les spectrographes à haute dispersion conti-nueront
également d'être des outils de premier plan dans certains domaines
de recherche comme l'astrophysique stellaire. Avec ces instruments,
le TCFH pourra demeurer concurrentiel plusieurs années encore.
Toutefois, il est très important que les astronomes canadiens entreprennent immédia-tement la construction d'un télescope de 8 mètres,
à la fine pointe de la technique, afin de continuer ces grands relevés
astronomiques. Offrant une surface collectrice plus grande et des
images de qualité supérieure, un tel télescope présenterait un gain
de performance d'un facteur de 10 par rapport au TCFH, et serait
Image prise de nuit du dôme de Gemini, en construction.
Gracieuseté du Bureau canadien de Gemini
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
probablement moins coûteux à exploiter que les observatoires optiques de type plus ancien.
Un télescope de 8 mètres à grand champ compléterait magnifiquement les investissements
canadiens dans le programme Gemini, qui a été conçu à d'autres fins, notamment pour
l'imagerie et la spectroscopie d'objets peu lumineux dans l'infrarouge, sur des champs de
vision relativement petits. Si cette nouvelle installation devient opérationnelle vers 2005, les
astronomes canadiens demeureront compétitifs avec leurs collègues des autres pays, en
termes du nombre total de nuits d'observation disponibles sur un télescope de premier plan.
L'ajout d'un spectrographe à grand champ serait un complément naturel aux programmes
d'imagerie, et il serait possible d’effectuer de véritables relevés tridimensionnels sur de grandes
parties de l'univers. Un nouveau télescope de 8 mètres serait également conçu de façon
à pouvoir utiliser les spectrographes à très grande dispersion du TCFH et les rendre plus
performants encore. Le groupe très actif des spectroscopistes optiques canadiens emploierait
ces instruments pour un large éventail de programmes scientifiques importants, notamment afin
d’étudier la physique de la surface des étoiles.
Les objectifs scientifiques du Canada, pour un télescope de 8 mètres à grand champ, comprendraient l'étude de l'évolution de la formation des galaxies et de la création des amas de
galaxies à des distances allant bien au-delà des frontières actuelles, jusqu'à des décalages
vers le rouge de 3 ou plus, ce qui correspond à l'époque principale de formation des galaxies.
En outre, si l'on pouvait étudier des échantillons de galaxies sur de grandes surfaces du
ciel, à des décalages vers le rouge modérés, nous pourrions réaliser les premiers relevés
vraiment exhaustifs des zones où il y a des effets de lentille gravitationnelle. Ces observations
permettraient de cartographier la répartition de la masse dans l'espace. L'évolution des propriétés des galaxies - leur nombre, leur taille, la vitesse de formation des étoiles – pourra être
suivie depuis les temps très anciens jusqu'à nos jours. Pour ce qui est des étoiles au sein de
notre gala-xie, on pourrait étudier la répartition de grands échantillons de jeunes étoiles, afin
d’établir la distribution initiale de masse des étoiles au moment de leur formation. De plus, il
serait possible de réaliser des recherches productives sur les étoiles faiblement lumineuses,
notamment les naines blanches et brunes. Même s’ils permettent des mesures en profondeur,
les télescopes NGST, ALMA et autres décrits ci-dessus ne pourront pas répondre de manière
efficace à ces questions, en raison de leur champ de vision restreint. Cependant, un télescope
de 8 mètres à grand champ (WF8m) serait tout à fait complémentaire à ces télescopes.
Afin que les astronomes canadiens demeurent concurrentiels durant la période post-TCFH, et
afin d’optimiser nos partenariats dans les projets ALMA et NGST, la construction rapide de ce
nouveau télescope est impérative. Bien que son design optique serait quelque peu différent de
celui des télescopes Gemini de 8 mètres, ses coûts d'immobilisation seraient du même ordre.
Il faudra assurément rechercher des partenaires internationaux afin de partager les coûts de
cette installation, mais nous croyons qu'il est crucial que le Canada s’assure d’une participation
appréciable (environ 40 %) à un tel projet WF8m. À titre de partenaire principal, nous serions en
mesure d'influer grandement sur la conception et l'exploitation scientifique du télescope, et nous
offririons aux chercheurs canadiens le nombre important de nuits d'observation par année qui
sera requis lorsque le TCFH ne sera plus un instrument de premier plan.
FIRST/Planck
La mission FIRST/Planck est dirigée par l'ASE. Comme son double nom l'indique, cette
mission consiste en fait en deux satellites lancés en même temps. On trouvera l’énoncé des
56
PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
objectifs scientifiques de ces missions sur le site Web http://www.physics.ubc.ca/~halpern/jssa/
FIRSTplanck.html. Le satellite FIRST (Far InfraRed Space Telescope) étudiera le ciel aux
longueurs d’onde allant de l'infrarouge lointain aux ondes submillimétriques, plage qui se trouve
entre celles qui seront étudiées par les télescopes ALMA et NGST. Même pour les sites
d'observation au sol les plus secs, comme le désert d'Atacama, l'absorption du rayonnement
infrarouge lointain et submillimétrique par les molécules de l'atmosphère (essentiellement par
la vapeur d'eau) est suffisamment grande pour empêcher l’observation du ciel dans ces
bandes, et c'est pourquoi les observations par satellite sont irremplaçables. Le satellite FIRST
est un important observatoire spatial qui nous offrira cette possibilité. Les instruments spectroscopiques qui seront embarqués dans FIRST observeront un large éventail de molécules
dans d'autres galaxies, et ouvriront la voie à l’astrochimie du XXIe siècle.
La mission Planck est fort différente. Elle vise à étudier le rayonnement de fond cosmologique
(CMBR), rayonnement extrêmement décalé vers le rouge qui a été émis au tout début de
l'univers, avant même l'existence de toute étoile ou de toute galaxie. Le satellite Planck
cartographiera le rayonnement CMBR sur l'ensemble du ciel, à une résolution beaucoup plus
grande que ce qui a été possible avec la mission COBE (Cosmic Background Explorer) de la
NASA, il y a une décennie. Les infimes fluctuations d'intensité - à peine quelques parties par
million - de ce rayonnement de fond constituent en quelque sorte les vestiges des premières
secondes du Big Bang. Ces fluctuations, au fil du temps, ont crû pour former les immenses
structures (amas et superamas de galaxies que nous voyons disséminées dans tout l'univers
aujourd'hui. Les paramètres du modèle cosmologique décrits au chapitre 2, comme la densité
massique moyenne, l'énergie du vide et le spectre des fluctuations, ont laissé des traces
caractéristiques dans la répartition du gaz primitif. Ainsi, la mesure même de l’amplitude et
de l'échelle de ces faibles irrégularités dans le rayonnement CMBR constitue l'un des moyens
directs les plus importants pour trouver le bon modèle cosmologique.
Interférométrie spatiale à très grande base (VLBI)
La réussite scientifique et technique de la mission VLBI spatiale VSOP ouvrira la voie à de
nouvelles possibilités au cours de la prochaine décennie. Deux exemples sont la mission
japonaise VSOP II dirigée par l'agence japonaise ISAS, et la mission américaine ARISE
dirigée par la NASA. On trouvera plus d'information au sujet de cette dernière mission sur le
site http://www.arise.jpl.nasa.gov/. Cette mission offrira une résolution angulaire exceptionnelle,
qui permettra d’observer la région centrale de la galaxie active la plus proche de nous,
Centaurus-A, avec une résolution atteignant moins d'un dixième d'UA (c'est-à-dire quelques
journées-lumière). Pour cette mission, la NASA aura besoin de la technologie VLBI à grande
largeur de bande, les compétences pertinentes pour celle-ci se trouvant au Canada.
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PERSPECTIVES D'AVENIR : LES OBSERVATOIRES MONDIAUX ET INTERNATIONAUX
Traînées d'étoiles autour de Gemini Nord.
Image tirée de la galerie de photographies sur la page
Web de Gemini, Bureau canadien de Gemini
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