Expérimentation homme-embryon

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L’expérimentation sur l’homme et sur l’embryon :
des règles visant à ne pas les réduire
à des matériaux biologiques
En quels termes, l’expérimentation sur l’homme et celle sur
l’embryon se posent-elles ?
L’expérimentation sur l’homme nécessite d’intervenir sur le
corps d’une personne malade dans le but de mettre en évidence
les règles du vivant ; or, l’activité de soins déployée sur des
individus malades n’est légitime qu’autant qu’il s’agit de les
soigner. Dans un cadre clinique, le médecin a affaire à un
individu unique, son action devant être guidée par le seul intérêt
de la personne dont il essaie de rétablir la santé. En revanche,
l’activité expérimentale en ce qu’elle vise une meilleure
compréhension des phénomènes vitaux est par nature objective
et suppose de ne voir chaque individu que comme élément d’une
espèce. La nécessité de réaliser des essais sur l’homme
n’échappe à personne ; toutefois cette nécessité est à elle seule
insuffisante pour rendre légitime la recherche biomédicale sur
l’homme.
C’est Claude Bernard1 qui a théorisé la compatibilité du
modèle expérimental avec le modèle clinique, d’une part en
affirmant que l’expérimentation est nécessaire parce que le
modèle animal est insuffisant pour restituer pleinement la
complexité et la spécificité de l’organisme humain, d’autre part
en estimant que l’expérimentation est acceptable si elle ne nuit
pas à la personne sur qui elle est pratiquée2 . La médecine
1 Cl. Bernard, Principes de médecine expérimentale, PUF, coll. Quadrige,
2e éd. 1987, 2.
2 Cl. Bernard, ibid, : « parmi les expériences que l’on peut tenter sur
l’homme celles qui ne peuvent que nuire sont défendues, celles qui
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expérimentale qui recherche les causes des maladies et cherche à
comprendre les effets des remèdes3 a besoin d’une série de
malades pour mener à bien ses investigations. S’appuyant sur le
modèle bernardien, les médecins français aussi bien à la fin du
XIXe siècle qu’au XXe siècle –et ce jusqu’aux années 1980–
ont conduit des essais essentiellement sur les personnes
hospitalisées en intégrant la démarche expérimentale à celle des
soins : les patients étaient soignés, mais faisaient aussi l’objet
d’une recherche. La recherche menée sur une personne étant
englobée dans la pratique thérapeutique, cette manière de
concevoir l’expérimentation impliquait qu’elle était pensée
comme n’étant pas contraire aux intérêts de la personne.
Toutefois, les médecins français ont distingué deux types de
pratiques expérimentales : ils ont considéré que des essais
conduits sur des personnes malades le sont dans un but
thérapeutique car susceptibles de les soigner4; en revanche, des
recherches n’ayant pas de but thérapeutique n’étaient pas
pratiquées sur des personnes malades, mais sur des personnes
dites « volontaires sains ». On remarquera combien la
terminologie utilisée est révélatrice : est volontaire celui qui agit
librement, sans contrainte et qui, pour ce faire, exprime sa
volonté, ce qui implique un acte délibéré. L'accord de la
personne n'était donc requis que lorsque cette dernière n'était pas
malade.
Est-ce à dire que la maladie écarterait la nécessité de
demander au patient son point de vue ? Cette situation
longtemps admise peut s'expliquer par la manière dont la
sont innocentes sont permises, celles qui peuvent faire du bien sont
commandées ».
3 Cf. sur ce point G. Canguilhem, L’idée de médecine expérimentale
chez Claude Bernard, Etudes d’histoire et de philosophie des sciences,
J. Vrin, 1983, 127-114.
4
D’emblée une confusion a été opérée entre le but de la recherche et
l’intérêt de la personne ; le but, c’est la finalité qui est certes toujours
thérapeutique (chercher à mieux connaître les maladies et à améliorer
67
relation médecin-malade a été construite : le médecin est
considéré comme celui qui, compte tenu de ses compétences,
sait ce qui est bon pour le malade; il lui revient donc de définir
l'intérêt de ce dernier et de prendre la décision en fonction de
l'idée qu'il s'en fait. Dans ce modèle de relation, il est acquis que
le médecin prend toujours des options qu’il estime bénéfiques au
malade; il n'est donc pas nécessaire de l'informer, ni de lui
demander s'il est d'accord.
Encore faut-il ajouter que porter atteinte à l'intégrité
physique d'une personne est constitutif d'une infraction de coups
et blessures volontaires, les médecins n'échappant à leur
responsabilité pénale que si l'intervention a un but thérapeutique.
Or, c'est précisément ce point qui constituera une pierre
d'achoppement et conduira à la loi du 20 décembre 1988, dans
une lente gestation dont le contexte mérite d'être rappelé.
C’est
parce
qu’il
est
apparu
progressivement
que
l’amélioration des connaissances et l’intérêt d’une personne
d’être soignée ne coïncidaient pas nécessairement, que la
participation de cette dernière à une recherche a été organisée
par des règles spécifiques. L’expérimentation a été autonomisée
par rapport aux soins et est devenue une pratique identifiée
comme telle. Il n’est pas indifférent de savoir que la création de
règles propres s’est faite dans le cadre des essais de
médicaments. Il existe depuis 1941 une législation et une
réglementation visant à protéger5 les éventuels utilisateurs de
médicaments. Avant l’entrée de la France dans le Marché
commun ceux-ci ne pouvaient être mis sur le marché qu’après
avoir obtenu un visa, procédure qui nécessitait de faire la preuve
que des essais thérapeutiques relatifs à la molécule avaient été
conduits.
les soins) mais ne coïncide pas nécessairement avec l’intérêt
thérapeutique qui est celui du patient à être soigné.
5 La loi du 11 septembre 1941 modifiée par la loi du 22 mars 1946 a
établi un statut de la spécialité pharmaceutique.
68
Une fois le Traité de Rome ratifié, plusieurs directives6
transposées en droit français ont organisé l’autorisation de mise
sur le marché, laquelle n’est accordée que si le produit a fait
preuve de son innocuité et de son intérêt thérapeutique. Or, la
démonstration doit en être faite grâce à des essais thérapeutiques
mais aussi de pharmacologie et de toxicologie cliniques. Ces
derniers à la différence des premiers sont sans caractère
thérapeutique pour ceux sur qui ils sont effectués, car il s'agit de
mettre en évidence les effets pharmacologiques du produit
expérimenté, d'étudier son métabolisme, d'établir des résultats
pharmacocinétiques; toutes ces recherches ont été entreprises sur
des volontaires sains ou, en tous les cas en dehors de tout acte de
soins, puisque les règles dont se sont dotés les médecins français
leur interdisaient d'envisager de telles recherches sur des
patients, faute d'intérêt thérapeutique pour ces derniers.
Par hypothèse, ces personnes n'étant pas malades,
l'intervention
sur leur corps n'avait pas de légitimité
thérapeutique; aussi était-elle pénalement punissable. En outre,
les conséquences dommageables d'un acte volontaire ne peuvent
être assurées. Aussi est-ce pour ces deux raisons que les milieux
de l'industrie pharmaceutique ont, à partir de 1980, mis en avant
les
contradictions
existant
entre ces
différentes
règles
juridiques, contradictions qui les conduisaient, pour respecter
une catégorie de règles– celles de l'autorisation de mise sur le
marché des médicaments– à tomber sous le coup d'une autre
catégorie de règles, celles du droit pénal. On aurait pu trouver
cette situation curieuse puisque les médecins n'auraient fait
qu'obéir à une disposition particulière de l'arsenal juridique
La Directive européenne 65/65 CEE du 26 Janvier 1965 concernant le
rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques et la
Directive européenne 75/318 CEE du 20 mai 1975 sur le
rapprochement des législations des États membres concernant les
normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et
cliniques en matière d'essais de médicaments.
6
69
applicable à l'autorisation de mise sur le marché. Mais, au regard
du droit pénal français, seule une loi peut exceptionnellement
légitimer un comportement qui, sans cette dernière constituerait
un délit. Or, le texte prévoyant des essais sans but thérapeutique
n'était qu'un arrêté.
On peut s’interroger sur le point de savoir pourquoi il a
semblé nécessaire de protéger les potentiels utilisateurs de
médicaments sans que ceux sur qui les essais étaient conduits
pour garantir leur effet thérapeutique et faire en sorte d’écarter
une potentielle nocivité, bénéficient d’une prise en considération
équivalente de leurs intérêts. Cela est dû au fait que les
médecins qui réalisaient ces expérimentations estimaient agir
dans l’intérêt de leurs patients au prétexte que ceux-ci pouvaient
espérer en retirer un bénéfice éventuel7. A partir du moment, où
en revanche l’idée s’est progressivement affirmée qu’une
expérimentation était conduite dans l’intérêt général et non dans
l’intérêt de la personne, cette activité a été considérée comme
autonome et a cessé d’être confondue avec les soins.
Les garanties imaginées ont trait à la protection de
l’intégrité
physique
de
la
personne,
sachant
qu’une
expérimentation ne peut être imposée à celle-ci ; aussi des règles
ont-elles été édifiées de telle façon à lui assurer des garanties au
regard de la qualité scientifique des projets de recherche, à lui
fournir une information complète et à ne conduire une recherche
qu’autant que la personne l’aura acceptée. Dans cette hypothèse,
si l’on n’est pas certain que la personne puisse avoir intérêt à
participer à une recherche, au moins peut-on prendre en
considération son point de vue, en l’informant du projet et en ne
le conduisant qu’avec son accord.
7 Confusion exposée supra note 4, entre intérêt et bénéfice ; un essai
est conduit au nom de l’intérêt général d’une amélioration des
connaissances biomédicales. S’il est possible qu’une personne en retire
un bénéfice, cela n’implique nullement que l’essai soit réalisé dans
l’intérêt thérapeutique de cette dernière.
70
Ce n’est que très récemment8 avec le développement des
techniques de procréation in vitro que s’est posée la question de
l’acceptabilité sociale d’une expérimentation sur l’embryon.
Humain, il l’est, en tant qu’il est un stade du développement de
la vie, mais constituant un ensemble de cellules il peut
n’apparaître à certains que comme un matériau de recherche. A
l’instar de l’expérimentation sur l’homme, celle de l’embryon
met en cause la vie mais de manière différente. Tout d’abord, on
n’a pas affaire à un adulte qui peut exprimer son point de vue et
notamment accepter ou refuser de participer à un essai ; mais
surtout la procréation in vitro en permettant le développement de
l’embryon en dehors du corps d’une femme l’a autonomisé
parce que, momentanément ou définitivement il n’est pas relié
au corps de cette dernière. Or, la création des embryons in vitro
a été réalisée pour pallier les difficultés de certains couples à
avoir des enfants par leurs propres moyens.
Ainsi que le précise la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994, a été
mise en place une assistance médicale à la procréation dont
l’objet « est de remédier à l’infertilité dont le caractère
pathologique a été médicalement diagnostiqué »9. La réalisation
de cette assistance passe par la création en nombre supérieur à
celui nécessaire à une fécondation, de telle façon à ne pas
multiplier de manière excessive le traitement hormonal auquel la
femme est soumise ; les embryons qui ne sont pas implantés
sont congelés, leur conservation étant prévue dans le but de
réaliser la demande parentale dans un délai de cinq ans10. Le
choix du législateur en 1994 est explicite : la création comme la
conservation des embryons ont pour seule finalité la procréation.
8
Selon Charles Thibault la première fécondation in vitro chez
l’homme a été réalisée en 1969 et la première naissance remonte à
1978 : Ch. Thibault, « De la nécessité de l’expérimentation sur
l’embryon humain et de son contrôle », in Les lois « bioéthique » à
l’épreuve des faits, sous la direction de B. Feuillet-Le Mintier, Puf, 1999,
231.
9 Art. L 152-2 al.2 Code sant. pub.
71
Ces techniques sont des substituts à la reproduction humaine
naturelle ; ceci explique qu’elles aient été organisées de manière
à ressembler dans toute la mesure du possible à cette dernière.
Toutefois, tous les embryons n’étant pas utilisés pour la
reproduction, ceux dits surnuméraires ont, à partir du début des
années 1980, fait l’objet de recherches « visant à la connaissance
du développement normal et pathologique des embryons avant
l’implantation »11. Ainsi que l’explique Michèle Plachot12, leur
congélation a changé les données du problème ; en effet, leur
conservation ayant été rendue possible, ils n’ont plus
nécessairement été transférés in utero immédiatement. Cette
technique a contribué à poser la question de l’utilisation des
embryons qui ne faisaient pas l’objet d’un transfert, pour réaliser
une demande parentale. Pour les chercheurs, il eut été
regrettable de ne pas s’en servir afin d’étudier les défaillances de
la reproduction humaine pour pouvoir y porter remède. Mais
cette revendication a fait l’objet de vives critiques, notamment
de la part de ceux qui pensent que ces techniques ont
instrumentalisé l’embryon, le réduisant à n’être qu’une chose,
un matériau biologique.
En réalité, c’est l’intervention humaine dans le processus
vital qui est l’objet de ces critiques, ce qui explique que la
création de la vie soit mise sur le même plan que son
interruption. De ce fait, les discussions extrêmement vives au
sujet de l’embryon sont d’abord et avant tout de nature
idéologique, ce qui explique le parallèle qui est fait avec
l’interruption volontaire de grossesse ; dans l’un comme l’autre
cas, le « sort » de l’embryon dépend d’un choix fait par des
Art. L 152-3 Code sant. pub.
M. Plachot, « La recherche sur les embryons humains : quelles
recherches, quelles conséquences ? » in Le savant et le politique
aujourd’hui, Albin Michel, 1996, 155.
12 M. Plachot, ibid.
10
11
72
personnes, d’où l’idée que ces dernières exercent un droit sur la
vie, lequel s’opposerait au droit à la vie13.
Curieusement, aucune comparaison n’est jamais faite entre
la recherche sur l’être humain et celle sur l’embryon humain,
alors pourtant que dans le premier cas, même si des modalités de
protection ont été organisées, le risque existe que les personnes
soient objectivées ; de plus, les recherches sont conduites dans
l’intérêt
général
d’une
meilleure
compréhension
des
mécanismes vitaux, mais certainement pas dans l’intérêt de la
personne qui accepte de s’y prêter. Et il ne suffit pas que les
personnes soient consentantes pour que toutes les questions
soulevées par la recherche sur l’être humain soient d’emblée
réglées. Il semble donc bien que la manière d’aborder la
recherche sur l’embryon est conditionnée par le fait que
l’embryon
renvoie
à
la
reproduction
humaine,
sujet
éminemment sensible.
La protection des personnes qui se prêtent à une
recherche : la conjugaison d’un contrôle a priori avec la prise
en considération du choix de la personne
La ratification par la France le 21 janvier 198114 du Pacte
international de New-York relatif aux droits civils et politiques
nécessitait à plus ou moins long terme l’édification de règles
relatives aux essais sur l’homme. En effet, aux termes de son
article 7 : "nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est
interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à
une expérience médicale ou scientifique" sachant par ailleurs
que son article 5 al. 2 prévoit expressément que : "il ne peut être
admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux
13
Cette position est clairement développée par B. Mathieu, La
recherche sur l’embryon au regard des droits fondamentaux constitutionnels,
D. 1999, chron. 451-456.
14 Décret du 21 janv. 1981, JO 1er février 1981.
73
de l'homme reconnus ou en vigueur dans tout État partie au
présent Pacte en application de lois, de conventions, de
règlements ou de coutumes, sous prétexte que le présent Pacte
ne les reconnaît pas ou les reconnaît à un moindre degré".
L’énoncé de l’article 7 de ce Pacte imposait de créer des règles
prévoyant que les médecins devraient demander aux personnes
leur accord avant de procéder à une expérimentation, que
l'expérimentation soit avec ou sans bénéfice thérapeutique,
puisque cet article vise les expériences médicales et les
expériences scientifiques.
Une proposition de loi fût déposée le 13 octobre 1988 qui
portait sur "les essais destinés à faire l'objet d'une autorisation de
mise sur le marché" et ne concernait donc que les essais relatifs
à des substances médicamenteuses15. Mais cette proposition de
loi fut d'emblée modifiée à la demande de la Commission des
affaires sociales qui fit observer que conçue ainsi, elle heurterait
le principe d'égalité des citoyens devant la loi.
En effet, puisque c'est la nature du geste –son caractère
expérimental– qui est en cause et non pas la nature du produit
ou de l'objet dont on veut mesurer les effets, il n'était pas
pensable de limiter l'application des règles aux seules personnes
sur qui auraient été expérimentés certains types de produits.
Aussi est-on passé de la formule : "les essais pratiqués chez
l'homme et ayant pour objet d'évaluer les propriétés définies à
l'article L511 du code de la santé d'une substance à visée
thérapeutique ou diagnostique sont régis par les dispositions du
présent chapitre"16 à la rédaction suivante : "les essais, études ou
expérimentations organisés et pratiqués sur l'être humain en vue
du développement des connaissances biologiques ou médicales
sont autorisés dans les conditions prévues au présent livre...", le
Ceci explique qu'il était prévu de l'insérer après l'article L605 Code
sant. pub. dans le cadre des dispositions relatives à la pharmacie.
16 On rappelle que l'article L511 Code sant. pub. définit le
médicament.
15
74
titre de la proposition ayant par ailleurs changé pour devenir une
loi "relative à la protection des personnes qui se prêtent à des
recherches biomédicales".
La modification de rédaction de ce texte a eu pour
conséquence de changer la portée de la loi ; en mettant en
exergue les personnes et non plus les produits, il n'a plus été
possible de raisonner en fonction d'une catégorie particulière de
produits qui seule aurait été concernée. De ce fait, c’est la
nature de l’activité entreprise, à savoir une recherche
biomédicale qui entraîne la protection de la personne.
Une personne néophyte n'ayant aucune aptitude à porter un
jugement, aussi bien sur la pertinence de la recherche envisagée
que sur les risques éventuels qu'elle comporte, tout projet de
recherche est soumis à un contrôle qui articule avis d'un
organisme consultatif et pouvoir de police de l'administration.
Ce système a pour but d'assurer une garantie globale identique à
tous ceux qui se verront proposer de participer à la recherche en
question17. Puis, au stade de la réalisation du projet, chaque
personne bénéficie d'une protection individuelle sous forme de
deux obligations pesant sur l'investigateur : lui donner une
information circonstanciée sur le projet et recueillir son
consentement pour participer à la recherche.
La loi a confié le contrôle a priori au comité consultatif de
protection des personnes dans la recherche biomédicale18. Cet
organisme comporte des représentants des professionnels de
santé et des personnes qualifiées à l'égard des questions
d'éthique, dans le domaine social, psychologique et juridique. Sa
17 A ce mode de protection, il faut ajouter le fait que la loi du 20
décembre 1988 opère un certain nombre de distinctions au sein des
personnes susceptibles d'être l'objet de recherches et prévoit que des
recherches ne peuvent être conduites que si elles ne présentent aucun
risque sérieux prévisible (art. L 209-4 Code sant. pub. pour les femmes
enceintes, les parturientes et les mères qui allaitent) ou que s'il en est
attendu un bénéfice direct et majeur (art. L 209-5 Code sant. pub. pour
les personnes privées de liberté, les malades en situation d'urgence et
les personnes hospitalisées sans consentement).
75
composition a donc été conçue de telle façon que ceux qui
entreprennent des recherches puissent être entendus par des
professionnels, mais également que ceux qui seront amenés à y
participer voient leurs intérêts pris en compte et protégés par la
présence de personnes ayant fonction de les représenter19. L'idée
implicite qui sous-tend ce choix est que chaque catégorie
d'intérêts –ceux des chercheurs et ceux des personnes
susceptibles de participer à une recherche– doit être prise en
compte.
Tout projet doit être présenté à un comité; en effet "avant de
réaliser une recherche biomédicale sur l'être humain, tout
investigateur est tenu d'en soumettre le projet à l'avis de l'un des
comités consultatifs de protection des personnes dans la
recherche
biomédicale
compétents
pour
la
région
où
l'investigateur exerce son activité. Il ne peut solliciter qu'un seul
avis par projet de recherche"20.
La saisine d'un comité de protection est obligatoire et celuici a pour mission de donner une appréciation sur le projet qui lui
est soumis, en faisant porter cette dernière sur les exigences
fixées par la loi. Celles-ci sont de deux ordres : des dispositions
ayant pour but d'assurer la qualité scientifique du projet
(adéquation entre les objectifs poursuivis et les moyens mis en
œuvre, qualification des investigateurs) et des dispositions
donnant des garanties aux personnes qui se prêtent à une
recherche (information, consentement). Une fois l’avis rendu, le
promoteur qui est à l’initiative de la recherche doit informer
Art. L 209-12 al. 1 Code sant. pub.
La loi prévoit que "les comités sont composés de manière à garantir
leur indépendance et la diversité des compétences dans le domaine
biomédical et à l'égard de questions éthiques, sociales, psychologiques
et juridiques" (art. L 209-11 al. 5 Code sant. pub.).
20 Leur implantation est régionale; il sont actuellement au nombre de
48.
18
19
76
l’autorité administrative21 afin qu’elle soit en mesure d’exercer
son pouvoir de police, c’est-à-dire de suspendre voire d’interdire
la recherche22.
Si le contrôle, tel qu'il a été initialement conçu, continue à
s'exercer sur les projets de recherche, des obligations
d'information pèsent dorénavant sur le promoteur en ce qui
concerne les effets survenus au cours de la réalisation de la
recherche. Ainsi, le promoteur doit informer l'autorité
administrative de tout effet ayant pu contribuer à la survenue
d'un décès, provoquer une hospitalisation ou entraîner des
séquelles organiques ou fonctionnelles durables ou susceptibles
d'être dues à la recherche. Il doit également transmettre toute
information
relative
à
un
fait
nouveau
concernant
le
déroulement de la recherche lorsque celui-ci est susceptible de
porter atteinte à la sécurité des personnes qui se prêtent à la
recherche. Il informe enfin de tout arrêt prématuré de la
recherche en indiquant le motif de cet arrêt23. C'est donc une
obligation de communication d'informations qui pèse sur le
promoteur, c'est-à-dire une obligation de faire connaître à
l'autorité
administrative
toute
une
série
d'événements
indésirables et/ou dommageables. Celle-ci dispose dorénavant
également
du
pouvoir
de
demander
des
informations
complémentaires sur la recherche. Et l'absence de réponse est un
cas supplémentaire pouvant entraîner la suspension ou
l'interdiction de la recherche qui est venu s'ajouter au risque
pour la santé publique ou au non-respect des dispositions de la
loi.
Soit à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
pour les produits remboursés à l’article L 793-1 ou au ministre de la
Santé dans les autres cas.
22 Il ne s’agit en aucun cas d’une autorisation laquelle impliquerait que
l’autorité statue sur chaque recherche. Précisons que le comité de
protection des personnes doit communiquer tout avis défavorable afin
d’alerter ladite autorité.
23 Art. L 209-12 al. 6 Code sant. pub.
21
77
Le contrôle a priori a pour objectif de veiller à ce que le
projet soit conforme aux exigences de la loi, aussi bien du point
de vue des conditions générales de protection (catégories de
personnes bénéficiant d'une protection accrue24, contenu de
l'information délivrée, compétences des professionnels de santé
qui conduiront la recherche…) que du point de vue des risques
qu'elles pourraient comporter pour la santé des personnes. Quant
aux mesures de suspension ou d'interdiction, elles permettent
d'intervenir au cours de la réalisation de la recherche entreprise,
si cette dernière semble entraîner des effets indésirables voire
même nocifs. Entre 1988 et 1998, on constate que les
modifications législatives ont construit un système d'alerte de
plus
en
plus
précis,
le
promoteur
devant
informer
l'administration pour que cette dernière puisse prendre les
mesures qu'elle estime s'imposer et qui ont pour but de limiter
les risques d'atteinte à l'intégrité physique des personnes, objet
de l'essai. Certes, le fait que des personnes aient accepté de
participer à une recherche, est l'expression d'un choix que leur
donne la loi du 20 décembre 1988, mais aussi importante que
soit cette modalité de protection, elle ne saurait aller à l'encontre
de ses intérêts.
La prise en considération du choix de la personne est un
point essentiel de la loi du 20 décembre 1988, fondée sur l’idée
que la démarche de recherche n’étant pas équivalente à la
démarche de soins, il n’est pas possible de prétendre qu’une telle
entreprise serait conduite dans l’intérêt du patient Même s’il
faut en tirer un avantage éventuel, elle l’est dans l’intérêt général
de l’amélioration des connaissances médicales et biologiques.
La manière dont est rédigée la loi n'est cependant pas sans
poser un problème. En effet, elle prévoit que "préalablement à la
réalisation d'une recherche biomédicale sur une personne, le
consentement libre, éclairé et exprès de celle-ci doit être
24
Cf. note 17.
78
recueilli après que l'investigateur ou un médecin qui le
représente, lui a fait connaître : l'objectif de la recherche, la
méthodologie et sa durée, les bénéfices attendus, les contraintes
et les risques prévisibles, y compris en cas d'arrêt de la
recherche avant son terme, l'avis du comité… Il informe la
personne dont le consentement est sollicité de son droit de
refuser de participer à une recherche ou de retirer son
consentement
à
tout
moment
sans
encourir
aucune
responsabilité"25. Cet énoncé décrit l'obligation de l'investigateur
vis-à-vis de la personne en mettant le consentement en premier,
l'information à donner n'étant qu'une modalité du recueil du
consentement. Pourtant, une volonté n'est jamais exprimée en
soi, mais toujours en fonction d'une proposition ou d'une
demande préalable. C'est donc l'information qui devrait être
présentée en premier comme une obligation qui pèse sur
l'investigateur,
l'expression
du consentement apparaissant
comme sa suite éventuelle.
La rédaction de ce texte traduit la position de la majorité des
chercheurs qui considèrent que c’est l’accord de la personne qui
légitime leur intervention sur le corps de celle-ci ; c’est parce
qu’une personne a consenti qu’ils s’estiment autorisés à
conduire une recherche. Pourtant tel n’est pas le cas : c’est la loi
qui autorise la pratique de la recherche biomédicale en
conformité aux conditions qu’elle fixe, et notamment le recueil
du consentement, ce dernier devant bien entendu être conforme
aux exigences qui le gouvernent. Ainsi, toutes les personnes qui
ne sont pas susceptibles de l’exprimer –incapables mineurs et
majeurs
protégés–
devraient
être
exclues
de
toute
expérimentation. Cependant, la loi n’a pas retenu ce parti
puisqu’elle a choisi de limiter leur participation à des recherches
« que si l’on peut en attendre un bénéfice direct pour leur
Art. L 209-9 al. 1 et 2 Code sant. pub; sur une application de ce texte,
cf. C. A. Paris, 1er mars 1996, D. 1999, 603, note I. Roujou de Boubée.
25
79
santé ». Puisque l’accord de la personne constitue une condition
essentielle de sa protection, chaque fois que le consentement ne
peut pas être exprimé valablement, la recherche ne devrait pas
pouvoir être entreprise ; mais, une telle solution aurait pour
conséquence d’écarter du champ des recherches biomédicales
toute une série d’individus qui présentent un intérêt d’un point
de vue biologique. Aussi la loi de 1988 ne les exclut pas afin de
ne pas empêcher les chercheurs d’accéder à leur corps
biologique, alors que les règles ont pourtant pour objectif de les
protéger en tant qu’individus sociaux.
On peut donc légitimement se demander si le rôle du
consentement, tel qu’il est conçu par la loi de 1988, est
véritablement protecteur. Cette interrogation est d’autant plus
fondée qu’en principe, il n’est valide que si une information
préalable complète a été fournie à celui qui est susceptible de le
donner. Pourtant la loi prévoit une exception qui concerne les
personnes malades26. Elle est fondée sur l’idée que, dans
l’intérêt du malade, le médecin peut légitimement taire un
diagnostic ou un pronostic graves. Cette règle de nature
déontologique27 permet au médecin de ménager le malade
lorsque l’appréciation de sa situation la lui recommande. Mais,
elle implique que ce dernier se fasse l’interprète des intérêts du
patient et donc qu’il les apprécie à sa place. Or, la fonction de
l’information est de communiquer à une personne un certain
nombre de renseignements pour lui permettre de prendre une
décision en connaissance de cause ; c’est la personne qui
détermine ses intérêts et apprécie la manière dont elle entend
Il existe une seconde exception introduite par la loi n° 94-630 du 25
juillet 1994 ; elle concerne les recherches en psychologie qui peuvent
ne faire l’objet que d’une information succincte, de telle façon que les
réactions des personnes soient spontanées.
27 Sous l’empire du code de déontologie du 28 juin 1979 la règle était
que le médecin pouvait laisser un patient dans l’ignorance d’un
diagnostic grave ; cette règle est dorénavant l’exception depuis
l’entrée en vigueur du code de déontologie médicale du 6 septembre
1995.
26
80
qu’ils soient servis. Aussi est-ce pour cette raison que la loi du
20 décembre 1988 fixe un contenu précis à l’information que
l’investigateur doit donner à la personne.
La limitation de cette information dans l’hypothèse d’une
maladie grave est critiquable parce qu’elle crée une confusion
entre la recherche biomédicale et les soins, alors précisément
que la loi du 20 décembre 1988 a dissocié l’expérimentation de
l’activité thérapeutique. Cette exception ramène la pratique de
l’essai aux conceptions antérieures à 1988, ce qui a pour
conséquence qu’un malade peut être inclus dans un essai sans
qu’il le sache ; cette situation est rendue possible parce que ,
dans ce cas, le pouvoir est donné au médecin de décider à la
place de la personne. En outre, cette solution apparaît comme
dorénavant dépassée eu égard aux changements intervenus en
matière d’information du patient.
Les règles existantes visent deux objectifs : 1° faire en sorte
de limiter la dangerosité des essais grâce à des procédures de
contrôle a priori et de vigilance et 2° ne pas imposer à ceux qui
ne le voudraient pas de participer contre leur gré à une
recherche. Cependant, à cet égard les règles existantes ne sont
pas sans défaut ; certes, elles exigent une information préalable
la plus complète possible et l’expression d’un consentement
éclairé. Mais, de ce double point de vue, les exceptions sont
telles qu’elles privilégient la conduite d’une recherche pour ne
pas se priver de catégories biologiques de personnes ou de types
de maladies ; elles prévoient également de ne pas fournir une
information totale lorsque la personne est laissée dans
l’ignorance du diagnostic de sa maladie, ce qui a pour
conséquence dans l’un et l’autre cas, de limiter la protection de
la personne.
L’interdiction de l’expérimentation sur l’embryon : sa
création ne doit avoir qu’une finalité de procréation
81
Dans le projet de loi n° 2600 du 21 mars 1992 relatif au don
et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain et à la
procréation médicalement assistée, les dispositions relatives à
cette dernière définissaient seulement les moyens et les
conditions pour obtenir un enfant par certaines techniques. Il
réunissait dans un même livre l’ensemble des règles juridiques
ayant trait à toutes les formes de médecine de substitution : de
ce fait, la procréation médicalement assistée28 était mise sur le
même plan que les prélèvements d’organes, de tissus humains et
de cellules, la création d’un embryon étant considérée comme
faisant partie d’un processus médical. La conservation et
l’utilisation des embryons seront évoqués au stade de la
discussion parlementaire. Le principe sera admis que la finalité
de la conservation des embryons non implantés est la poursuite
ultérieure d’un projet de procréation, sachant qu’à titre
exceptionnel des projets de recherche médicale sur des
embryons conservés seront possibles. Un amendement prévoyait
que les conditions de cette recherche seraient définies par décret,
ce qui permettait ainsi aux parlementaires de se soustraire à un
débat sur ce sujet.
Mais le Sénat modifia l’architecture initiale du projet pour
que les règles relatives à l’embryon humain le rattachent à la
conception d’un enfant. Il proposa de scinder les dispositions
légales en les répartissant de la manière suivante : les règles
régissant la procréation médicalement assistée ont été insérées
dans le livre II du Code de la santé publique qui est consacré à
l’action sanitaire et médico-sociale en faveur de la famille et la
référence à l’assistance médicale à la procréation a été
supprimée de l’intitulé du livre VI, ce dernier ne concernant plus
que les éléments et produits du corps humain. Le Sénat estima
28 D’où, dans le livre VI, deux titres successifs : titre I « Des principes
et règles applicables au don et à l’utilisation des éléments et produits
du corps humain » et titre II « De la procréation médicalement
assistée ».
82
en effet que la plupart des dispositions adoptées par l’Assemblée
nationale consacraient, sinon une réification des embryons
humains, du moins leur assimilation à des produits du corps
humain en méconnaissant leur vocation à devenir des êtres
humains. Aussi le fait d’intégrer les textes qui y sont relatifs
dans le livre II du Code de la santé publique traduit-il le souci du
Sénat de mettre en avant l’objectif à atteindre : la conception
d’un enfant, d’où le lien avec la famille et la jeunesse.
En outre, le Sénat vota un texte interdisant la recherche sur
l’embryon en prévoyant toutefois que des études pouvaient être
autorisées « à condition qu’elles n’entraînent ni la destruction de
l’embryon, ni des amputations ou des lésions irréversibles ».
Les mots choisis renvoient aux atteintes à l’intégrité physique,
révélant que les sénateurs estimaient qu’il fallait l’assimiler à
une personne humaine.
A partir de ce stade de la discussion parlementaire une
opposition fut établie entre l’expérimentation sur l’embryon et
l’observation de l’embryon. Elle est sous-tendue par l’idée
qu’expérimenter c’est se livrer à des manipulations qui ont pour
conséquence de détruire l’embryon tandis qu’étudier l’embryon,
c’est l’examiner et donc ne pas mettre en cause son intégrité29.
Pour éviter que les chercheurs éludent l’interdiction, en faisant
passer une recherche pour une étude, le texte voté précisa que
les études « ne peuvent avoir pour effet de porter atteinte à
l’intégrité de l’embryon ». Dans le texte final il est indiqué
qu’elles doivent avoir une finalité médicale et ne pas porter
atteinte à l’embryon, la référence à son intégrité ayant disparu.
L’abandon du terme « intégrité » n’est pas anodin : dans la
29
Cette distinction a notamment été développée par le ministre
délégué à la Santé, P. Douste-Blazy : « L’expérimentation qui porte
atteinte à l’intégrité des embryons doit être frappée d’une interdiction
absolue. Cela n’exclut pas nécessairement des études qui se fondent
sur une observation ne portant pas atteinte à l’intégrité des embryons,
JO débat Sénat, séance du 18 janv. 1994, 263.
83
mesure où cette rédaction ne s’y réfère plus expressément, elle
ne permet pas d’identifier l’embryon à l’être humain.
Ce qui était en jeu dans ce débat c’est ce qu’on a appelé le
statut de l’embryon. Certains parlementaires ont même proposé
le vote d’un texte qui aurait affirmé que « l’embryon humain est
un être humain ». L’enjeu était donc clairement idéologique et
l’interdiction de la recherche a constitué une solution
transactionnelle qui a permis d’éviter une position extrême
identifiant embryon et personne humaine.
La revendication d’un texte disant ce qu’est l’embryon
s’inscrit dans un débat récurrent qui n’a pas cessé depuis le vote
de la loi du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de
grossesse. Celle-ci ayant, à certaines conditions, autorisé la
femme à interrompre sa grossesse, ceux qui sont opposés à cette
possibilité ont proposé à plusieurs reprises –et notamment à
l’occasion du vote des lois bioéthiques– de donner un « statut »
à l’embryon humain. Le terme renvoyant à l’état et à la capacité
des personnes, il s’agit par l’intermédiaire du droit à la vie dont
serait titulaire l’embryon, d’affirmer sa qualité de sujet de droit.
Cette argumentation a pour objectif, en reconnaissant des droits
à l’embryon de lui donner la possibilité de les exercer contre la
femme qui le porte. En effet, le sujet de droit se définit par sa
capacité à être titulaire de droits, ceux-ci se définissant euxmêmes comme des prérogatives attribuées à la personne dans
son intérêt et lui permettant de jouir d’une chose ou d’exiger
d’autrui une prestation ; et si, parmi ces droits, le fœtus a le droit
de naître, cela implique que ce droit contredit la possibilité pour
la femme de pratiquer une interruption volontaire de grossesse.
L’affirmation que le fœtus est un sujet de droit a donc pour
objectif d’empêcher la femme d’avorter30.
30 Ainsi, B. Mathieu, art. pré. 453 écrit-il « reconnaître à l’embryon un
droit subjectif à la vie ne pose pas de véritable problème juridique à
partir du moment où l’embryon comme l’incapable, peut être
représenté dans la défense de ses droits ».
84
Cependant cette argumentation est fondée sur une confusion
soigneusement entretenue entre personne humaine et personne
juridique alors pourtant que le droit ne confond pas l’une avec
l’autre. La personnalité juridique se définit par la capacité
juridique, c’est-à-dire l’aptitude à être titulaire de droits et à les
exercer. Certes une personne physique est un sujet de droit ;
mais c’est dans le cadre de la vie juridique, créatrice de relations
entre particuliers –qu’il s’agisse de créer des liens de personne à
personne ou d’acquérir des biens– qu’elle joue un rôle. Cette
même personne est une « personne humaine »31, les atteintes
volontaires à la vie ou à l’intégrité physique lorsqu’elle les subit
étant constitutives d’infractions sanctionnées de peines. Or, en
ce qui concerne l’embryon, c’est bien la vie et l’existence
physique et non pas sa capacité à commercer juridiquement qui
sont en cause.
L’expérimentation sur le fœtus comme l’interruption
volontaire de grossesse, constituent des interventions qui, à ce
titre, sont susceptibles d’interrompre un processus vital ; et,
puisqu’elles donnent aux personnes adultes un pouvoir sur la
vie, ceux qui considèrent qu’elles ne doivent pas être possibles
affirment que le fœtus est traité comme une chose, un objet, un
matériau. La grande force de cette argumentation provient du
fait que ce vocabulaire, renvoyant aux catégories susceptibles
d’appropriation, permet d’affirmer la déshumanisation de
l’embryon du fait même de l’homme.
Les chercheurs contre qui est portée cette accusation
rétorquent en démontrant la nécessité de l’expérimentation en
vue de l’amélioration de la santé. Or, si de tels arguments sont
reçus pratiquement sans discussion aucune quand il s’agit de
traitements médicamenteux ou chirurgicaux et légitiment
l’expérimentation sur l’homme, ils ne sont pas pris en
considération lorsque l’expérimentation est envisagée sur
31
Cet énoncé est celui retenu par le nouveau Code pénal.
85
l’embryon. L’hypothèse la plus vraisemblable est que tout ce qui
touche à la reproduction, et donc à la fois à la sexualité et à la
fécondité, n’est pas appréhendé dans les mêmes termes que les
pratiques médicales dont l’objet est de traiter des maladies et/ou
des handicaps. En effet, ce sont des modifications de pratiques
sociales induites depuis les années 1970 par la contraception
orale32 qui sont contestées par ceux qui y opposent le respect de
la nature; ce dernier plaide en faveur d’une non intervention
dans les processus vitaux qu’il s’agisse aussi bien de créer que
d’empêcher une vie.
Il ne faut pas perdre de vue que les projets de lois
bioéthiques présentés par les socialistes en 1992 ont subi des
modifications notables du fait du changement de majorité à
l’Assemblée nationale. La droite a profondément modifié les
dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation en
faisant en sorte qu’elles copient la reproduction naturelle33.
Ceci explique pourquoi la création d’un embryon n’est
envisageable que « dans le cadre et selon les finalités d’une
assistance médicale à la procréation34» et que la « conception in
vitro d’embryons humains à des fins d’étude, de recherche ou
d’expérimentation
est
interdite » de même que « toute
expérimentation sur l’embryon est interdite »35. Tout au plus des
études peuvent être menées sur des embryons conçus pour une
procréation si le couple en est d’accord. Celles-ci ne peuvent
être entreprises qu’après avis conforme de la Commission
nationale de médecine et de biologie de la reproduction, dans
des conditions36 qui sont calquées sur le modèle de
Cf. sur ce point H. Leridon, Les enfants du désir, Hachette, coll.
Pluriel, 1995.
33 De même, les embryons non utilisés par le couple peuvent être
confiés à un autre couple qui les accueille à l’instar de l’adoption d’un
enfant.
34 Art. L 152-3 al. 1 Code sant. pub.
35 Art. L 152-8 al. 1 et 2 Code sant. pub.
36 Art. R 152-8 al. 1 Code sant. pub.
32
86
l’expérimentation sur l’homme qui distingue les recherches avec
et sans bénéfice individuel direct.
Elles ne peuvent porter que sur l’amélioration des
techniques d’assistance médicale à la procréation. Mais, la
possibilité offerte depuis 1998 de cultiver des cellules souches
embryonnaires permet d’envisager des recherches ouvrant des
perspectives importantes pour de nombreuses maladies37 ; dès
lors des études expérimentales qui ne sont plus limitées à la
reproduction mais concernent la santé en général sont
envisageables. Cette nouvelle situation devrait contribuer à
rapprocher l’expérimentation sur l’embryon humain de celles
sur l’être humain, ses finalités étant voisines.
En conclusion, il nous semble utile de mettre en évidence
que, d’une manière générale, l’expérimentation implique une
tension entre le respect de l’intégrité physique et la nécessité
d’entreprendre
des
recherches
visant
à
améliorer
les
connaissances de nature biomédicale. Pour tenter de toujours
mieux soigner les patients, des recherches doivent être conduites
aussi bien sur les personnes que sur les embryons ; dans l’un
comme dans l’autre cas, ces recherches sont opérées au nom de
l’intérêt général lequel ne correspond ni à l’intérêt de la
personne sur qui elle sont réalisées, ni à la finalité de procréation
de l’embryon humain. C’est donc en termes de contradiction
d’intérêts que se pose l’utilisation de personnes ou d’embryons
pour des recherches.
Cf. pour un bilan de ces techniques le rapport établi par Ch.
Thibault et P. Tambourin, « Etat des connaissances sur la reproduction
des mammifères et de l’homme et sur l’utilisation des cellules
indifférenciées », Annexe 6 du rapport du Conseil d’Etat, Les lois de
bioéthique : cinq ans après, La Documentation française, 1999, 243-263.
Cf. également A. Claeys, C. Huriet, Le clonage, la thérapie cellulaire et
l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires, Office parlementaire
d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, rapport Ass.
nat. n° 2198, Sénat n° 238, 2000.
37
87
Il est donc nécessaire que dans ces deux hypothèses, les
projets entrepris soient solidement étayés de telle façon que leur
caractère indispensable soit démontré. Deux écueils doivent être
évités : minimiser les conséquences dommageables potentielles
pour les personnes sur lesquelles une expérimentation est
conduite, laisser entreprendre n’importe quelle recherche sur
l’embryon au prétexte que certains l’assimilent à un être
intouchable. Dans un cas comme dans l’autre, le contrôle de la
validité du projet de recherche devrait être accru. En effet, c’est
la nécessité thérapeutique qui est mise en avant pour
entreprendre une expérimentation ; la légitimité d’un tel
argument est telle qu’il est souvent difficile de le contester
puisqu’une meilleure connaissance des processus biologiques
vise à améliorer les soins. Cependant, les éventuels bénéficiaires
de ces recherches ne sont pas les personnes sur qui elles sont
conduites, mais les futurs patients, ce qui nécessite une
particulière vigilance.
Si la loi du 20 décembre 1988 a contribué à améliorer de
manière notable tant la qualité des projets que la prise en
considération du point de vue de personnes sur qui une
expérimentation est conduite, il n’en demeure pas moins
qu’existe un malentendu sur le rôle imparti au consentement de
la personne. Nombreux sont les chercheurs qui considèrent que
c’est l’accord de la personne qui rend légitime l’intervention sur
cette dernière. Pourtant tel n’est pas le rôle du consentement :
son recueil obligatoire signifie qu’il n’est pas possible d’imposer
un essai à une personne et non pas que celui-ci est envisageable
parce que la personne est d’accord. Si tel était le cas, toute
forme d’atteinte à l’intégrité physique serait possible parce
qu’elle aurait été acceptée. Le recueil du consentement est une
condition nécessaire mais pas suffisante ; il ne remplit sa
fonction qu’autant que l’intervention envisagée est légitime. Le
risque est donc, que sous couvert de l’accord des personnes, des
interventions risquées ne soit tentées sur elles.
88
Quant aux expérimentations sur l’embryon, si elles sont
interdites c’est parce que le législateur voit dans ce dernier une
personne potentielle, qui serait empêché de venir à la vie compte
tenu des atteintes subies. Outre que l’embryon sur lequel
peuvent être envisagées des recherches ne dépasse pas cent
cellules, la représentation que la loi s’en fait implique de le
considérer en tant qu’entité détachée de la femme, ce qui est
paradoxal. En effet, le choix législatif fait en 1994 a consisté à
considérer les modalités techniques de procréation comme des
moyens médicaux mis à la disposition des couples pour les aider
à avoir un enfant . Si ce procédé n’est pas « naturel », il n’en
demeure pas moins que la naissance d’un enfant n’est possible
que s’il est transféré dans l’utérus de la femme. L’embryon ne
pourra se développer qu’autant qu’il est rattaché à celle qui est
susceptible de lui donner la vie.
C’est la situation de femme enceinte qui produit un certain
nombre d’effets juridiques38, l’embryon comme le fœtus n’étant
pas détachables de la mère ; aussi, est-ce la femme enceinte, que
son état place dans une situation de détresse, qui seule« peut
demander à un médecin l’interruption de sa grossesse ». Se
référer à la catégorie juridique de l’objet comme le font certains
impliquerait une dispute sur la propriété ; or, l’embryon n’est
pas un bien qui serait susceptible d’appropriation. En réalité, la
qualification proposée –l’embryon comme objet– nécessite pour
prospérer de penser l’embryon indépendamment de la femme
qui le porte. Pour la soutenir, il faut détacher ce dernier de la
femme, ce qui permet de n’attacher d’importance qu’à
l’embryon. Cette position permet de construire une hiérarchie
des intérêts entre l’embryon et la femme dans le but de défendre
l’idée que la grossesse devrait se continuer sans tenir compte
d’un refus éventuel de la femme.
89
Ceux qui défendent de telles idées se gardent bien de
préciser clairement que leur position impliquerait d’obliger une
femme à porter l’enfant et à le mettre au monde contre le gré de
cette dernière ; une telle revendication n’ayant guère de chance
d’être reçue dans le contexte actuel des pratiques sociales, le
« statut » de l’embryon discuté à propos de l’expérimentation
leur permet de construire la représentation d’un embryon
indépendant de la femme, en avançant l’idée qu’il serait non pas
un objet, mais une personne ; à ce titre, il serait titulaire de droits
qui seraient susceptibles d’être exercés contre la femme. Mais il
n’y a pas lieu de choisir entre l’une ou l’autre de ces catégories
juridiques de nature civiliste qui n’ont de sens que dans un débat
sur l’appropriation. Les règles actuellement applicables sont à
analyser par référence à leur contexte social, en l’occurrence des
pratiques et des gestes médicaux. Mais, comme en matière
d’essais sur l’homme, il serait impératif de mettre en place un
contrôle véritable du contenu des projets scientifiques, de telle
façon que les chercheurs ne tirent pas argument des positions
naturalistes irréalistes39 de certains pour conduire des recherches
comme ils l’entendent.
Dominique Thouvenin
Dominique Thouvenin est professeur de droit à l'université
Paris 7 – Denis-Diderot.
Elle a notamment fait partie de la Commission nationale de
consultation publique de répartition et d'attribution des greffons
(mars-juillet 1996). Elle a été chargée par l’Agence nationale
d’accréditation et d’évaluation en santé d’édifier des
38 Par exemple, la femme bénéficie d’une surveillance médicale de sa
grossesse (arts. L 154 et 155 Code sant. pub.), de prestations
familiales…
39 En ce qu’elles voudraient imposer leur choix à toutes les femmes.
90
recommandations professionnelles relatives à l’information du
patient (mars 1999-mai 2000).
Bibliographie
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droit ?, PUF, Les voies du droit, 1987.
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(Biologie, personne et droit), 1991, 75-85.
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– G. Memeteau, L'embryon législatif, Dalloz, 1994, Chron. 355.
– C. Neirinck, « L’encadrement juridique de la recherche sur
l’embryon » in L’embryon humain, approche multidisciplinaire,
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en apparence sans réponse de la bioéthique, 9 mars 1998, n° 29.
– P. Nouvel, « Qu’est-ce que l’embryon humain a d’humain ? »
in L’embryon humain, approche multidisciplinaire, Economica
1996, 319-325.
– P. Pedrot, « La recherche sur l’embryon : un consensus
impossible » in Les lois de « bioéthique » à l’épreuve des faits,
sous la direction de B. Feuillat-Le Mintier, PUF, 1999, 243-260.
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juridique, la loi de 1975 et l'avortement, Stratégies de la presse
et du droit, Presses universitaires de Lyon, 1979, 77.
– D. Thouvenin, La loi du 20 décembre 1988 : loi visant à
protéger les individus en lui organisant les expérimentations sur
l’homme ? ALD, 1989, 89-128 ; « L’influence de la « loi
Huriet » sur l’organisation de la recherche », Gestions
hospitalières 1992, 697-703 ; « L'embryon au regard du droit »,
in L'embryon humain est-il humain ?, PUF, coll. Forum Diderot,
1996, 27-46 ; « L’expérimentation sur l’homme en France :
analyse globale du système, points sensibles » in Bioéthique –
Les enjeux du progrès scientifique (colloque de Nancy du 7
mars 1998), à paraître aux éditions Bruylant.
91
Article paru in L’humain est-il expérimentable ?, PUF, coll. Forum Diderot, 2000,
65-92.
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