Séminaire « Archéologie des Humanités » Institut des Humanités de Paris Atelier du 6 mai 2011 « Règles de la raison et rationalité de la pensée en terre d'Islam » présenté par Pascal Crozet (CHSPAM-SPHERE) , Ahmad Hasnaoui (CHSPAM-SPHERE) , Cristina Cerami (CH SPAM-SPHERE) et Ziad Bou Akl (EPHE) Compte rendu par Florence Dupont Bibliographie : D. Black : Logic and Aristotle's Rhetoric and Poetics in Medieval Arabic Philosophy, Brill, Leiden, 1990. - M. Mahdi : La Cité vertueuse d'Alfarabi. La Fondation de la philosophie politique en Islam, Albin Michel, 2000. Averroès : L’Islam et la raison. Anthologie de textes juridiques théologiques et polémiques, Paris, GF Flammarion, 2000. W. B. Hallaq : A History of Islamic Legal Theories. An Introduction to Sunnî usûl al-fiqh, Cambridge (UK), Cambridge University Press, 1997. F. Griffel : Al-Ghazâlî’s Philosophical Theology, Oxford, Oxford University Press, 2009. Pascal Crozet (CHSPAM-SPHERE) – présentation On se souvient de la polémique déclenchée par le livre de Sylvain Guggenheim Aristote au Mont-St Michel. Les racines grecques de Europe chrétienne, qui non seulement niait le rôle central des arabes dans la transmission des textes grecs à l’Occident latin, mais encore déniait à la culture de langue arabe – langue « sémitique » qui plus est islamique, toute capacité à une pensée rationnelle et la cantonnait dans la poésie. Cette thèse a fait long feu même si on lit sut le net des pamphlets haineux publiés contre « les collabo » sur des blogs extrémistes. Elle traduit cependant une ignorance de ce qu’ont été et ce que sont la philosophie et la science arabes et souligne la difficulté à en Europe à assumer la part de la culture arabo-islamique qui l’a constituée. Combler cette lacune dans la culture occidentale, en finir avec cette méconnaissance pourrait être un des objectifs du futur IHP. C’est pourquoi les trois exposés sont centrés sur la rationalité, valeur essentielle de la civilisation islamique qui est un axe de l’Histoire de la philosophie arabe. On verra en outre come se faisait le dialogue avec la tradition grecque. 2 points bons à rappeler 1) - l’importance des traductions arabes dans la transmission des savoirs grecs vers l’Europe, en particulier dans les sciences. Les éléments d’Euclide ont été connus par une traduction arabe. - À quoi il faut ajouter les apports propres des sciences arabes comme l’algèbre qui a révolutionné les mathématiques. 2) Le Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes médiévales montre qu’au Moyen-âge cette vie intellectuelle est un tout qui conjugue le latin, l’arabe et l’hébreu. Et aussi que l’histoire des sciences est inséparable de l’histoire de la philosophie Tout cela suggère que dans un institut des Humanités il n’y’aurait pas d’histoire de la philosophie sans une histoire des sciences et réciproquement. Et que la triple tradition intellectuelle latine, arabe et hébraïque devrait y trouver aussi sa place. Ahmad Hasnaoui (CHSPAM-SPHERE) : L'âge de la démonstration Selon les philosophes de l’islam classique (11-12ème s) : Aristote marque l’entrée dans l’âge de l’achèvement des sciences, ayant atteint un statut démonstratif : Al Fârâbî, Avicenne, Avempace, Averroès partagent la même vision de la genèse et du développement des savoirs. Muhammad ibn Muhammad ibn Tarkhan ibn Uzalagh al-Farabi (en persan : محمد )راب یف اconnu en Occident sous les noms de Alpharabius, Al-Farabi, Farabi, Né en 872 à Faryab en en Afghanistan, il meurt à Damas,en 950. Abū 'Alī al-Husayn ibn 'Abd Allāh ibn Sīnā (en arabe : هللا ع بد ب ن ال ح س ين ع لی اب و ) س ي نا ب ن, connu sous le nom de Ibn Sīnā ou Avicenne. Né en 980 près de Boukhara, en Perse, et meurt en Iran, en juin 1037. Ibn Baja ( ب اجة اب نen arabe) né à Saragosse vers 1085 et mort à Fès vers 1138) après un passage par Oran1, dont le nom latinisé est Avempace. Abu'l-Walid Muhammad ibn Rouchd (احمد ب ن احمد ب ن محمد ب ن احمد ب ن محمد ال ول يد أب و ) ر شد ب نné en 1126 à Cordoue, mort le 10 décembre 1198 à Marrakech, plus connu en Occident sous son nom latinisé d'Averroès. Ils projettent sur cette évolution le schéma des types d’arguments développé dans les différents traités de logique d’Aristote, qui ont été rassemblés dans l’organon systématisé des commentateurs. Ils posent comme but de ce corpus logique les 2d analytiques qui donnent l’exposé démonstratif d’une science et en régressant à partir de ce but, ils remontent dans le temps en plaçant dans les différents traité les constituants de la démonstration. Ils commencent par le syllogismes, puis ils passent aux constituants du syllogisme :le s propositions puis aux constituants des propositions : les termes. Ils en viennent après aux théories dés argumentations non démonstratives, y compris à la rhétorique qui sert à établir des opinions non fermes et enfin à la poétique qui induit des imagés Ce schéma projeté sur l’histoire dont l’aboutissement est la constitution des arguments démonstratifs donne une vision totalisante de l’enseignement d’Aristote. Cette vision a eu 4 conséquences, entre autres : Elle a eu un rôle de filtrage de la tradition grecque. Elle a servi à circonscrire la validité et la limite des nouvelles disciplines, liées à la religion islamique, comme le kalâm ou théologie spéculative Elle a fourni le modèle d’expositions d’une discipline scientifique Rôle de la dialectique comme méthode d’investigation des principes dans les disciplines scientifiques Texte d’al Fârâbî (872–950) tiré du livre des particules. (résumé du texte). Le texte porte sur la progression dans l’utilisation des méthodes d’investigation pour chercher des causes des êtres naturels et mathématiques. La séquence historique est : Rhétorique Sophistique – Dialectique - Stade Démonstratif seul capable de réaliser la certitude. Cette progression se fait par le perfectionnement de chaque discipline jusqu’a ce qu’une nouvelle discipline, plus opérante s’en sépare. Ainsi la progression se fait par la distinction de chaque discipline qui se sépare de la précédente où elle était confondue, comme la dialectique dans la sophistique. Les domaines concernés sont les réalités naturelles (le monde sensible) et les réalités mathématiques (figures, nombres reflets dans les miroirs et couleurs). Puis la science politique, science de la volonté, n’apparaît qu’ensuite après la séquence des méthodes. Dans ce domaine les méthodes dialectiques s’affermissent au point de devenir presque scientifiques (Platon). Puis dernière étape ; celle d’Aristote quand se distinguent toutes les méthodes et se parfait la philosophie théorique universelle. Fin de l’histoire du savoir. 2 remarques sur ce passage d’al Fârâbî . - Genèses des méthodes logiques : composition puis différenciation, méthode supérieure se dégage d’une méthode inférieure. Séparation et purification. - Émergence graduelle de méthodes supérieures avec une redéfinition de la méthode inférieure. Les méthodes mathématiques sont les modèles d’une méthode démonstrative. Autres textes allant dans le même sens d’Avicenne, Averroès, d’Avempace (Ibn Baja) Conséquences -1) Principe de sélection à l’égard de l’héritage grec – classement des auteurs - et explique « l’oubli de Platon ». œuvre non systématique donc pas de propositions enseignable. Ironie. Littéraire forme dialogue ? Traduction la langue de <Platon. Mais plus fondamental : Platon appartient à l’âge proto démonstratif. Autre cas Galien qui avait pourtant rédigé un Traité de la démonstration (perdu) et à longueur de pages invoquait les critères de la démonstration pour présenter ses propres argumentations. Mais Gallien chassé du panthéon de l’âge de la démonstration. il est médecin, appartient à une discipline subordonnée et inférieure. Qui ne peut dicter ses règles à une discipline supérieure. Le médecin ne peut pas s’installer dans la position du philosophe naturel et ne peut pas présenter des théories sur les êtres. Il s’illusionne sur les outils logiques qu’il utilise pour découvrir les causes dans l’observation. Il commet un sophisme en raisonnent par la négation de l’antécédent, confondant la cause et la relation (section d’un nerf, méthode expérimentale). Même reproche chez Averroès. 2) Restrictions sur les nouvelles disciplines. Exclusion de la dialectique dans la discussion théologique et conformité à l’idéal de la sciences = macroscopique : nécessite d’avoir des positions de départ puis de procéder par déduction. Microscopique= voir si les arguments internes sont conformes à la méthode démonstrative d’Aristote. 3) La dialectique ne joue plus le rôle qu’elle avait chez Aristote ; elle servait à exploration des principes d’une science ; elle ne sert qu’à la didactique des principes. 4) Attitude à l’égard des disciplines positives ou locales. Critique de la théodialogie qui utilise la rhétorique et au mieux la dialectique, sombrant parfois dans la sophistique. Le Kalâm est disqualifié à cause de l’insuffisance congénitale de ses moyens théoriques. Ce qui renforce la séparation de la philosophie et de la théologie. Absence d’un débat entre les deux, d’égale à égale. Pourquoi ? Cette histoire du savoir par les Arabes du 11-12 s n’est pas tombée du ciel, Elle a une longue histoire mais cependant avec l’âge de la démonstration il y a vraiment une nouvelle philosophie du savoir. Remonte-t-elle à Aristote ? Il a fallu la mise en place de la systématisation des types d’arguments selon leur valeur épistémique pour que cette vision prenne toute son ampleur, et que s’instaure un imaginaire de l’historicité du savoir, en tout cas de la logique. C’est cependant une historicité bien particulière puisque cette histoire semble s’arrêter avec Aristote et l’âge de la démonstration. Comment comprendre cette révolution intellectuelle ? Certes il y a eu un événement déterminant, la translation brutale d’un savoir. Mais l’établissement du canon d’exposition d’une discipline scientifique à l'âge de la démonstration dépasse l’événement et l’historicisation du savoir. doivent sans doute remonter à la longue tradition du commentaire, qui a cherché dans les textes d’Aristote qui arrivaient une unité et l’a trouvée en plaçant les 2ds analytiques comme aboutissement et but des traités aristotéliciens sur la logique. Cristina Cerami (CH SPAM-SPHERE) : La cité et le philosophe : al Fârâbî et Averroès sur le statut de la philosophie en Islam La question abordée est celle de la place de la philosophie et du rôle du philosophe dans la communauté politiqué fondée sur la Charia. Al Fârâbî est l’initiateur de cette réflexion entre philosophie et politique en terre d’islam. Elle remonté aux grecs Aristote et Platon: conditions de la réalisation d ‘une cité juste et d’un régime parfait. Et le rôle que le philosophe y joue. La tradition platonicienne et aristotélicienne est réinterprète et adaptée à une communauté déjà réglée par une loi religieuse. Al Fârâbî pose la question de liens entre la philosophie politique d’un côté et les science islamiques du droit et la théologie de l’autre, sommairement entre religion et politique ? Ses références sont surtout platoniciennes. Dans ses livres : la cité vertueuse, le régime politique, les principes des opinions des habitants de la cité parfaite, il développe le même principe unique : il faut connaître l’homme, sa nature propre et son rapport au cosmos pour établir le meilleur gouvernement possible. La question première est : quel est le bonheur absolu auquel l’homme aspire. La réponse scientifique suppose la connaissance des facultés de l’homme et de structure de l’univers. Connaissance qui fonde la politique comme sciences. D’où la politique est une science universelle. La politique doit permettre la perfection de l’homme comme homme dans le cosmos. L’homme parfait et accompli est celui qui connaît les causes des essences. Le philosophe. Car le propre de l’homme est la raison et son bonheur est dans l’actualisation parfaite de cette faculté rationnelle. Mais tous les hommes n’en sont pas capables par nature et par éducation. La théologie spéculative et le droit musulman ne sont pas universels car elles sont historiquement déterminée (révélation coranique et. Opinions de la communauté) elles, et donc elles ne suffisent pas à la science politique même si elles sont nécessaires car elles, ont des fonctions pratiques dans le cadre de la communauté islamique. Le droit actualise la loi et la théologie spéculative argumente et justifie les actes et les opinions définis par la loi religieuse. L’état est fondé sur la raison et la loi. Dans cet état, seuls les hommes ayant la parfaite connaissance des étants sont heureux car ils réalisent la perfection de l’âme humaine qui par nature rationnelle. Mais ils sont en nombre limité. Les autres l’approchent plus ou moins cette perfection sans l’atteindre. Le gouverneur, prince et législateur de cet état c'est le philosophe, il désigne à chacun la tâche et le but qui lui permettra d’approcher de plus près le bonheur, son degré maximum de perfection. En utilisant des discours divers, selon ses destinataires, rationnels ou persuasifs par la rhétorique selon l’opinion et en s’appuyant sur la loi révélée. Discours de Socrate ou celui de Thrasymaque plus adéquate pour la multitude. Pour al Fârâbî il n’y a donc pas de césure entre la philosophie et la politique. D’un point de vue théorique. C’est le philosophe qui peut et doit fonder le meilleur régime politique. Le philosophe et la cité sont nécessaires »’un à l’autre Averroès s’inscrit dans la même tradition de pensée. Mais Il n’est pas dans la continuité d’Al Fârâbî selon la plupart des exégètes. Et Il a été récemment rapproche d’Ibn Baja (Avempace) qui remet en cause la modèle platonicien alfarabien dans son ouvrage principal Le régime du solitaire. Selon Ibn Baja, le philosophe doit s’écarter de la cité qui est imparfaite où il ne peut réaliser la perfection à laquelle il aspire comme tout homme. Prémices d’un divorcé entre le gouvernement de soi et le gouvernement des autres. Ce qui ruine de façon moderne la prétention ancienne du philosophe à assumer des fonctions politiques. Même pensée chez Averroès ? A la différence d’al Fârâbî il n’intègre pas la rationalité religieuse dans un dispositif cognitif global dominé et régi par la philosophie, Averroès adopte la démarche inverse et sépare strictement religion et philosophie. Et donc la philosophie se sépare de la cité qui est régie par la loi religieuse. Cette position est très présente dans les textes de la période où il est grand cadi de Séville et où Il combat la doctrine de Ghazali (cf. exposé suivant) qui dénonce les philosophes comme hérétiques Averroès répond sur la question du statut légal de la philosophie. Il lit dans le Coran qu’elle est obligatoire et affirme que ce sont les théologiens acharites et mutazilites qui sont hérétiques en suscitant le doute chez les hommes par la multiplicité de leurs discours non scientifiques. .Mais propose-t-il ailleurs une forme de rapport direct entre une cité fondée sur la loi religieuse et la philosophie, en dehors de ce débat. C’est suggéré par le Prologue de son commentaire à la physique d’Aristote qui montre quel est le rôle de la philosophie dans la vie pratiqué. Juste avant il avait écrit un commentaire à la République de Platon, où il montre le. Rôle direct du philosophe dans l’éducation des gouverneurs afin de faire une cité vertueuse. Une cité vertueuse est possible et donc la présence en son sein d‘hommes vertueux, si les futurs gouverneurs sont éduques dans la connaissance philosophique théorique afin qu’ils possèdent les vertus pratiques (le courage, la justice, la Grandeur d’âme). Devenus gouverneurs ils vont opter pour la loi générale que toutes les nations doivent suivre sans que leurs lois spécifiques contredisent les lois humaines. La philosophie doit aussi être arrivée à son achèvement comme c’est le cas à son époque et dabs sa communauté. Si ces hommes exercent le pouvoir sur une période longue la cité idéale sera possible. La philosophie est la méthode éducative et le but à atteindre. I Dans le prologue du commentaire à la physique il développe et démontre cette position. Il pose la question classique : Quelle est l’utilité des sciences de la Nature ? La réponse est qu’elles contribuent à atteindre la perfection de l’homme et son bonheur. L’homme qui mérite le nom d’homme est celui qui a atteint la perfection dans les sciences par rapport à l’ignorant, comme le vivant par rapport au mort. En outre, celui qui atteint la perfection dans les sciences théoriques possède du même coup toutes les vertus humaines pratiques. Averroès démontre pour chacune comment ces vertus découlent de la connaissance théorique. Mais le gouverneur ne doit pas suivre la méthode scientifique, réservée à l’élite, pour l’éducation du peuple , il doit lui préférer la méthode persuasive. Donc il suit sur ce point al Fârâbî Donc Averroès, d’une certaine façon, maintient la tradition qui fait du philosophe un gouverneur, vs Ibn Baja. Ziad Bou Akl (EPHE) : « Pourquoi la Loi a été révélée aux hommes ? » Droit et Politique dans la pensée d’al-Ghazâlî. Al-Ghazâlî (1055–1111) autrefois connu en Occident sous le nom de Algazel (arabe : abū ḥāmid al-ġazālīy) est un penseur musulman d'origine persane. Opposé à la pensée d’Averroès, il souvent été présenté comme hostiles à la philosophie et la raison et se réfugiant dans la mysticisme. Dans son ouvrage Tahafut al-Falasifa (L’incohérence des philosophes) (1095), il montre, par la méthode même des philosophes, que les philosophes n'aboutissent qu'à des erreurs, qui contredisant la Révélation. La critique vise principalement l'aristotélisme d'Avicenne.) Cet exposé va montrer que la pensée de Ghazâlî ne peut pas être réduite à une opposition simpliste entre raison et religion. S’il est vrai que Ghazâlî a combattu la philosophie arabe issue de la tradition grecque, le recours à la toute puissance de Dieu lui permet de se libérer du naturalisme moral au profit d’une définition rationnelle de la loi. Chez Ghazâlî la théologie de la toute puissance divine a été investie à des fins rationnelles. Certes il s’oppose à al Fârâbî mais comme s’opposent deux systèmes rationnels concurrents qui tentent d’expliquer le rapport de l’homme à la société et à l’univers, et non pas comme un théologien soumis aveuglément à la religion et un philosophe exerçant sa raison. L’école de pensée auquel il se rattache l’ash'arisme, affirme que la toute puissance de dieu l’affranchit de toute soumission à une morale qui lui serait extérieure. La loi décide du bon et du mauvais, il n’y a pas de morale naturelle, sur laquelle la loi s’appuierait. C’est la loi qui pose le bien et le mal de façon conventionnelle. La nature seule c’est le chaos, L’ash'arisme s’oppose au mutazilisme. (mutazilisme : école de pensée théologique musulmane apparue au VIIIe siècle inspirés de la philosophie grecque qu'elle cherche à combiner avec les doctrines islamiques, en montrant leur compatibilité.) La véritable origine du sentiment moral est sociale et psychologique. Les hommes ne font pas le bien pour le bien dont ils auraient une connaissance directe. Ils agissent pour le bien soit pour leur utilité personnelle, soit parce qu’ils ont été éduqués par la société qui forment les hommes en vue de sa conservation. Quand les hommes pensent agir moralement en fait ce sont des raisons psychologiques et sociales (le goût de la goire par ex.) qui sont à l’origine de leurs actions. Il n’y a donc aucune raison objective derrière les préceptes juridiques. Les volontés de Dieu sont insondables et arbitraires. Tout discours rationnalisant sur la loi divine est impossible, la raison ne sert à rien. Est-on réduit à une injonction : l’homme doit obéir aux lois parce que l’homme doit obéir à son créateur ? Ce n’est pas la réponse de Ghazali. Il élabore une théorie des Objectifs de la loi qui a valu chez les juristes jusqu’au du 18em s. Si l’homme ne peut pas dégager le bien d’une chose, en revanche il peut en voir l’utilité dans une situation donnée. Tels sont les objectifs de la loi qu’il peut lui-même comprendre et contribuer à réaliser. Les objectifs de la loi sont : préserver la religion des hommes (donc s’opposer au prêche des hérétiques), préserver l’intégrité des corps (condamnation du meurtre), préserver l’esprit des hommes (interdit de l’alcool), préserver sa progéniture (punition de l’adultère), préserver la propriété privée (punition du vol). L’intérêt supérieur à une loi permet d’enfreindre une loi particulière. Exemple canonique : tuer des musulmans (interdit par la loi) en guerre, au nom de la nation à préserver. Ces objectifs de la loi ne sont pas propres à la loi musulmane mais concernent toutes les lois humaines, c’est la définition universelle des lois. Donc la loi n’est pas définie par l’obéissance à Dieu. Ghazâlî voulait rompre le lien entre la nature et la loi, Dieu lui sert à réaliser cette rupture. Ce qui lui permet d’affirmer la Contingence d'un ordre conventionnel s’appuyant sur la toute puissance de Dieu. Si l’on compare les buts de la loi chez Averroès (né en 1126 à Cordoue, mort en 1198 à Marrakech), on voit qu’elle vise à asseoir 4 vertus (de la philosohie grecque): la modestie, la justice, le courage et la générosité. Sa politique est ancrée dans l’éthique : la loi sert à consolider ce qu’il y a de moral dans l’homme. Ghazâlî lui ne croît pas à une morale innée de l’homme. Pour lui la loi créé les conditions favorables à une vie en société sans chercher à améliorer l’homme moralement. Averroès et Ghazâlî correspondent à deux courants de pensée différents, l’un grec, l’autre non, mais qui ne s’opposent pas comme rationnel et obscurantiste. Certes Averroès a combattu la doctrine de Ghazâlî mais comme une menace contre la tradition grecque. Bibliographie : D. Black : Logic and Aristotle's Rhetoric and Poetics in Medieval Arabic Philosophy, Brill, Leiden, 1990. M. Mahdi : La Cité vertueuse d'Alfarabi. La Fondation de la philosophie politique en Islam, Albin Michel, 2000. Averroès : L’Islam et la raison. Anthologie de textes juridiques théologiques et polémiques, Paris, GF Flammarion, 2000. W. B. Hallaq : A History of Islamic Legal Theories. An Introduction to Sunnî usûl al-fiqh, Cambridge (UK), Cambridge University Press, 1997. F. Griffel : Al-Ghazâlî’s Philosophical Theology, Oxford, Oxford University Press, 2009.