VC6
Boulimie fait
le tour du rire
en 1 heure 45
Les aventures de Phileas Fogg comme on ne les imagine pas
Gilles Simond
«Jen’avaisjamaisvu
Martine rire
autant», se sou-
vient Lova Golov-
tchiner en évo-
quant la décou-
verte du spectacle Le tour du monde en
80 jours avec sa compagne, au Café de la
Gare, à Paris. Martine Jeanneret renché-
rit: «D’abord c’est bien écrit, avec une
vraie progression. Le plaisir et le rire
grandissent au fil du spectacle.» Golov-
tchiner reprend: «A l’âge canonique qui
est le nôtre, on devient pourtant de plus
en plus difficile…» Les spectateurs qui se
pressent depuis mercredi au Théâtre
Boulimie n’ont pas tous l’âge «canoni-
que» des deux fondateurs de la maison.
Ils ne boudent en tout cas pas leur plaisir
en découvrant la version lausannoise de
cette comédie déjantée.
Si la trame est bien celle de l’aventu-
reux voyage circumterrestre imaginé par
Jules Verne en 1872, elle n’est ici qu’un
prétexte. Du pari insensé entre gentle-
men du Reform Club à la découverte
finale du problème de calendrier, les
auteurs français Sébastien Azzopardi et
Sacha Danino ont mis des gags à la place
des scènes d’action et n’ont songé qu’à
visiter les différentes sources du rire.
Anachronismes, bons mots, caricatures
burlesques, comique de répétition, co-
médiens quittant leurs personnages pour
s’adresser au public ou parler entre eux,
tout y est pensé pour dérider le specta-
teur.
«Au départ, nous avions pensé inviter
la troupe parisienne qui a créé la pièce en
2006, explique Lova Golovtchiner. Ils
n’étaient pas opposés à venir, mais
c’était impossible. A Paris, ils en sont à la
1300e représentation, et ils la jouent en-
core cinq ou six fois par semaine! Alors
on s’est dit qu’on allait monter le specta-
cle nous-mêmes, avec des comédiens
d’ici.» Ayant obtenu les droits, le duo
Jeanneret-Golovtchiner a recruté le longi-
ligne Marc Donnet-Monay, pince-sans-
rire taillé pour le costume du flegmatique
Phileas Fogg. Monté sur ressorts, le Pas-
separtout de Karim Slama a l’air de sortir
d’un dessin animé de Tex Avery. Kaya
Güner se charge du foireux inspecteur
Fix alors que Frédéric Gérard multiplie
les changements de costume d’une quin-
zaine de personnages secondaires. Entre
ces habitués de la maison, une petite
nouvelle, la Genevoise Jade Amstel, a été
choisie pour se glisser dans le sari de
Mme Aouda. La veuve qui sera sauvée
par Fogg des vilains Hindous chantant
«Ce soir, on lui met / ce soir, on lui met le
feu…»
«Je ne suis pas certaine que nous
aurions pu monter le spectacle sans cette
équipe, relève Martine Jeanneret, il n’est
pas facile à jouer. Il faut un peu de techni-
que et des acteurs possédant le sens du
comique, qui sachent faire passer les ef-
fets et donner du rythme à l’ensemble.»
L’autre problème, c’était l’exiguïté du
Théâtre Boulimie, qui a obligé les met-
teurs en scène à faire preuve de créati-
vité. La solution est venue d’un petit pla-
teau posé sur la scène, facile à transfor-
mer en compartiment de train, en bouti-
que de souk ou en jungle inquiétante.
Ainsi, il permet de dédoubler l’action.
Côté marketing, Boulimie n’a pas eu à
se casser la tête et a découvert que Jules
Verne n’a rien perdu de son pouvoir d’at-
traction: «Le titre du spectacle et la distri-
bution ont fait démarrer les réserva-
tions», se réjouit Lova Golovtchiner. Avis
aux amateurs d’humour: le bouche-à-
oreille créé par les spectateurs aux zygo-
matiques bien détendus après les pre-
mières représentations aura tôt fait de
remplir Boulimie jusqu’au dernier stra-
pontin.
Lausanne, Théâtre Boulimie
Jusqu’au sa 16 avril
ma-je à 19 h, ve-sa à 20 h 30
Rens.: 021 312 97 00
www.theatreboulimie.com
Quand Phileas Fogg (Marc Donnet-Monay) flingue Jack le cow-boy (Kaya Güner) d’une balle verbale, Aouda (Jade
Amstel) et Passepartout (Karim Slama) apprécient. Le second Jack (Frédéric Gérard) grimace.
NICOLAS GOLOVTCHINER
Depuis la dissolution
du Quatuor Alban Berg,
en 2008, Valentin Erben
profite de sa «liberté»
recouvrée. Le célèbre
violoncelliste joue demain
àVeveyavecsesamis
Matthieu Chenal
Neparlezpasderetraiteà
Valentin Erben. A 66 ans,
le violoncelliste viennois
ne peut pas imaginer s’ar-
rêter de jouer. «Que vou-
lez-vous, c’est ma vie!»
s’exclame-t-il, à quelques jours de sa ve-
nue à Vevey pour les concerts Arts et
Lettres. Figure historique du Quatuor Al-
ban Berg, qu’il avait fondé en 1970 avec
Günther Pichler, Valentin Erben reste le
plus populaire des anciens membres du
célèbre quatuor à cordes, dissous en
2008. Pas de doute, avec lui, il y a une vie
après la réclusion au sein du quatuor.
«Ma vie où le Quatuor Alban Berg avait la
priorité absolue, même sur la vie privée,
s’est terminée il y a bientôt trois ans. Pen-
dant trente-huit ans, je n’ai fait que du
quatuor car c’est une quête de perfection,
une lutte quotidienne. Aujourd’hui, on
voit de moins en moins de musiciens se
sacrifier autant, mais je ne le regrette nul-
lement. Nous nous étions entendus là-
dessus car cela nous semblait valable si
nous voulions réussir.» L’aura des Alban
Berg était sans doute à ce prix.
La conversion s’est faite en somme
progressivement, car le Quatuor Alban
Berg a connu une première rupture en
2005, avec la mort de l’altiste Thomas
Kakushka, aussitôt remplacé par son
élève, Isabel Charisius.
«L’idée que l’aventure du quatuor
pouvait peut-être s’arrêter s’est concréti-
sée petit à petit, si bien que j’ai eu des
projets très variés tout de suite après no-
tre tournée d’adieux. Il y a eu d’abord la
création d’un duo, hélas éphémère, avec
une danseuse de Taïwan, FangYi Sheu.
Elle a mis fin à sa compagnie pour aller
danser chez Martha Graham, à New York.
Cette expérience orientale m’a beaucoup
apporté, avec cette manière d’aborder la
musique comme espace et mouvement
alors que, en Occident, nous ne la conce-
vons qu’avec nos oreilles. Mes autres acti-
vités, outre l’enseignement, ont été des
participations à des tournées avec les
Quatuors Arditi, Ysayë et Belcea (ndlr:
magnifique enregistrement du Quintette
de Schubert chez EMI),quelquesconcer-
tos avec orchestre, des projets de musi-
que de chambre, comme ici à Vevey, des
conférences sur la musique, un festival de
musique de chambre que j’ai créé en
Champagne avec ma femme, il y a deux
ans, dans une sublime grange restaurée
(les Musicales d’Orient). Et, depuis jan-
vier, il y a le Trio Stark.»
La venue à Vevey de Valentin Erben et
de ses amis est aussi une belle histoire de
fidélité. «Depuis dix ans, nous jouons
l’Octuor de Schubert quasi dans la même
formation, avec Hanna Weinmeister et
Daniel Sepec aux violons, Aloïs Posch à la
contrebasse, Norbert Täubl à la clari-
nette, Radovan Vlatkovi au cor et Milan
Turkovic au basson. Depuis longtemps,
nous voulions faire une tournée ensem-
ble, mais trouver un agenda commun
pour huit musiciens suroccupés n’est pas
facile. Cette tournée voit enfin le jour
cette année, avec des escales à Frankfort,
àNeumarkt,àMadrid,àFlorenceet...à
Vevey.»
Son ensemble? «Un groupe d’amis
musiciens. Nous nous retrouvons dans la
tradition et l’esprit typiquement vien-
nois, par amour de Schubert à un haut
niveau artistique. Ce n’est pas seulement
commercial, cela va bien au-delà.»
Comme tout ce qu’entreprend ce gé-
néreux musicien...
Ve v e y , T h é â t r e
Di 20 mars (19 h 30)
Rens.: 021 925 94 94
www.artsetlettres.ch
L’Octuor de Valentin Erben (au centre au violoncelle), des amis réunis pour
célébrer Schubert, «dans la tradition et l’esprit typiquement viennois».
DR
Du théâtre au roman… et vice versa
Monter Le tour du monde en 80 jours
sur scène est parfaitement justifié
puisque, à l’origine, Jules Verne avait
commencé par en faire… une pièce
de théâtre.
En 1872, il imagine l’intrigue et le
plan de l’histoire, dont il confie la
rédaction au dramaturge Edouard
Cadol. Puis il s’attelle à la rédaction
du roman. Le tour du monde paraît
en feuilleton en novembre-décembre
1872, mais la pièce, elle, est refusée
par les théâtres. L’année suivante,
Verne se remet au travail pour adapter
le roman à la scène, cette fois avec le
prolifique auteur Adolphe Dennery. Il
provoque alors la colère de Cadol, qui
s’estime floué bien qu’on lui promette
un quart des droits d’auteur. Verne
et Dennery ajoutent des personnages,
notamment féminins, et multiplient
les duels à l’épée.
Le spectacle est créé en novembre
1874 au Théâtre de la Porte Saint-
Martin, à Paris, avec de gros moyens,
puisqu’on peut même voir un éléphant
sur scène. C’est un triomphe et la pièce
reste plus d’un an à l’affiche sans
interruption. «Toute la maisonnée veut
voir et refaire le Tour du monde,cet
étonnant succès», écrivit Victor Hugo
aux directeurs du théâtre. La pièce sera
reprise pour l’Exposition universelle
de 1878, puis montée au Théâtre du
Châtelet dès 1886. Elle sera jouée,
avec des pauses, plus de soixante ans!
Eclairage
Ils se retrouvent par
amour de Schubert
Naissance d’un
nouveau trio
«Dans le trio, il y a plus d’espace pour
l’individu que dans le quatuor»,
analyse Valentin Erben. Mais la raison
qui a poussé le violoncelliste à
intégrer une nouvelle formation, le
Trio Stark, est plus essentielle encore.
«Quand j’étais enfant, j’ai beaucoup
fait de trio en famille et j’ai toujours
rêvé d’en faire au niveau profession-
nel. Après une première tentative
avortée, je cherchais l’occasion.
J’avais connu la violoniste Nurit Stark
et le pianiste Cédric Pescia pendant
leurs études. Ils avaient formé un trio
éphémère il y a quinze ans et je savais
qu’ils avaient envie d’en refaire.
Je leur ai posé la question, et ils ont
accepté. Nous avons commencé
àtravaillerensembleetjesuis
aux anges.»
Le concert inaugural aura lieu
en ouverture du festival du pianiste
lausannois, à Kléber-Méleau, à
Renens. «C’est pour moi un nouveau
défi, avoue le violoncelliste. Cédric et
Nurit sont jeunes, donc ils me
poussent à me tenir à niveau. Ce sont
de grands musiciens, ouverts à tout,
prêts à changer leur vision, doués
d’une grande honnêteté. Cédric a une
représentation mentale et harmoni-
que des œuvres qui est prodigieuse;
au violon, Nurit a un talent incroyable
et une musicalité immense. Ce trio
me rend heureux.»
Pour Cédric Pescia et sa compagne
israélienne, ce parrainage prestigieux
les fait entrer définitivement dans la
cour des grands.
Rencontres musicales
autour de Cédric Pescia
Renens, Théâtre Kléber-Méleau,
du me 4 au di 7 mai
Soirée Schumann le 4 mai: le Trio Stark
(Nurit Stark, Cédric Pescia, Valentin Erben)
www.ensemble-enscene.ch
Inédit
Le violoncelliste
Valentin Erben,
figure historique
du Quatuor Alban
Berg, qu’il avait
fondé en 1970 avec
Günther Pichler