CHALANDS
THÉÂTRE DES
SAISON 2014-2015
VAL-DE-REUIL
Une chance, un rêve, une force.
par Marc-Antoine Jamet
Maire de Val-de-Reuil
Vice-Président de la Région Haute-Normandie
ÉDITORIAL
Certains ont une enfance heureuse. La mienne, comme celle
de ma sœur, fût théâtrale. Nous n’en avons pas été moins bien
élevés, formés et, d’une certaine façon, comblés. Mais c’était
spécial. En tout cas diérent. Notre mère était comédienne
(à la scène et à la ville). Notre père était crique dramaque.
Très crique. Nos vacances débutaient par Avignon. Le fesval
faisait travailler nos parents. L’un le stylo à la main, au sixième
rang d’orchestre, dans l’obscurité du public. Lautre avec la
troupe du Soleil, sur la scène, sous la lumière des projecteurs.
Face-à-face en quelque sorte. Est-ce pour cela que leurs goûts
paraissaient aux anpodes ? De fait, ils ne s’entendaient sur
rien ou presque. La confrontaon domesque dépassait les
niveaux sonores admis par la réglementaon des aéroports.
Burton et Taylor, si on veut être genl. Même le Mistral se
taisait quand ces deux-là s’arontaient. Le tonnerre n’étant
que le bruit des éclairs, la tempête familiale produisait de
l’énergie. Allons plus loin : il en ressortait à intervalles très
irréguliers deux ou trois choses de posif. Oui, les fréquents
orages, ni aendus, ni désirés, qui déchiraient notre ciel privé,
laissaient apparaître quelques éclaircies d’autant plus belles
et appréciées qu’elles étaient rares. Réchaués, réconciliés,
par ce soleil, nos parents, volens, nolens, devenaient
indispensables et complémentaires.
«On ne perd jamais son temps au théâtre…»
Pendant vingt ans, nous nous sommes nourris de ces deux
univers, de ces deux hémisphères. Notre éducaon, en
général, s’est faite avec eux, sur le tas, en voyage, à table, plus
qu’à l’école. Le théâtre fut un des ouls de cet apprenssage.
Privés de Disney, nous avons découvert avec nos géniteurs
Shakespeare en bosniaque, le moderne, Lesage à
l’Hôtel d’Aumont, la commedia dell’arte, le kathakali, après
1968 les acteurs qui se déshabillent ou qui embrassent
les spectateurs, les représentaons qui commencent à 22
heures et celles qui durent 22 heures. Rudes épreuves !
Mon grand-père nous réconfortait quand il nous sentait
désemparés par le Living Theatre, Bob Wilson ou le Grand
Magic Circus. «La pire dramaturgie est toujours une idée.
La pire scénographie est toujours de l’art. La pire mise-en-
scène est toujours une lecture. Tout comme on n’est jamais
seul avec un livre, on ne perd jamais son temps au théâtre».
A dix ans ou à moins, sa sagesse de sénateur romain nous
était d’un faible secours. Un fossé intellectuel nous séparait.
Profondément. Contrairement à lui, la rue d’Ulm ne nous avait
pas encore éclairés de ses lumières (elle ne le ferait jamais).
Nous resons donc étrangers à ses arguments. Parce que
nous l’aimions bien, parce qu’il nous impressionnait, parce
que peu nombreux étaient ceux qui pouvaient prétendre
rivaliser avec sa culture encyclopédique, nous tenons
de comprendre ses mots en les faisant tourner dans nos
cerveaux. Pas toujours sans succès. Cela pouvait marcher. Si,
souvent, on dormait sur les gradins, parfois, à bien suivre les
répliques, on apprenait. Des sensaons, des soluons, des
situaons. La vie et ses aléas. Nous nous préparions à devenir
adultes en ingurgitant comédies et tragédies. Nous avions
nos préférences : les intrigues plutôt que les tourments, la
puissance davantage que l’amour, le rire plus que la cruauté.
Nous éons pets. Mieux que de l’huile de foie de morue
pour grandir.
Deux cents pièces vues
chaque année
Nos souhaits n’étaient pas toujours
exaucés. A l’instar du Parlement en régime
présidenel, nous n’éons pas les maîtres
de l’ordre du jour. Impossible de faire le tri
entre les textes, les auteurs, les distribuons
que nous allions voir et écouter. Tout était
imposé. Le menu avait été composé, il y a plus
ou moins longtemps, par Brecht, Marivaux
ou Pinter, Chéreau, Planchon et Vitez, Nadia
Strancar, Jean-Luc Bouté et Mona Her. Il
n’était pas jusqu’aux lieux dont les choix
ne correspondaient pas à nos voeux. Nous
aimions les théâtres à l’italienne, ceux du
Boulevard et du Vaudeville, tout tendus de
rouge et d’or, rassurants, opulents, et nous
nous retrouvions par un froid de gueux dans
des gares, des usines et des cartoucheries
désaectées. Au l de ces pérégrinaons,
bon an, mal an, notamment pendant les
vacances et les week-ends, nous assisons
cent fois à la même pièce jouée chaque
soir par notre mère, déchirant les ckets ou
servant au bar, et aux cent pièces diérentes
jugées chaque soir par notre père. Cinq ou
six «Dom Juan», deux ou trois «Roi Lear»,
c’était notre ordinaire. Je passe pour la
forme les débats, les colloques, les émissions
y compris «le masque et la plume» où l’un
ou l’autre répétait ce que nous avions déjà
entendu à table, sur un mode plus ou moins
conictuel. Théâtre, man, midi et soir,
seven days a week, ce n’était pas un camp
à régime sévère. Pourtant, à la queson
«combien de fois vos parents vous ont-ils
emmenés au théâtre cee année ?», nous
avions pris l’habitude de menr, car, pour
avoir lui répondu imprudemment «150 à 200
fois», mon professeur de Français m’avait
fait copier sur des pages et des pages «je
ne me rends pas intéressant auprès de mes
pets camarades en racontant n’importe
quoi».
Vérités et mensonges
Bien des expériences peuvent être le
catalyseur d’une adolescence. Le sport, les
video games, la moto, les boîtes de nuit, les
diplômes, que sais-je encore ? La mienne
fût celle du théâtre. Sans en jouer. Sans en
écrire. Cest ainsi. La raison est simple. Le
théâtre est une chance. Le théâtre est une
force. Le théâtre est un rêve. Le miracle
qu’il propose est le plus singulier qui soit.
Numérique ou de papier, le livre reste un
objet rectangulaire sans grâce véritable.
Un tableau, une sculpture, aussi évocateurs
soient-ils, une performance, une installaon,
aussi sophisquées soient-elles, sont des
oeuvres nies. Le théâtre, dépassant le texte
et la mise en scène, est la vie, sa vérité et ses
mensonges, le changement, la diversité et
l’aléatoire. Chaque soir le même et chaque
soir diérent. Dans une même pièce, à un
même instant (“Qu’en un lieu, en un jour,
un seul fait accompli, enne jusqu’à la n
le théâtre rempli serinait-on au collège
citant la règle des trois unités de Boileau),
un auteur, des acteurs et des spectateurs
se retrouvent. Ils communient ; Egypens,
grecs et romains avaient même associé
ce moment étonnant aux mystères de la
religion. Il arrivait que des fumées propices
libèrent les esprits et leur fassent franchir les
fronères de la percepon.
Un théâtre pour nos enfants
Soir après soir, chacune de ces rencontres
est unique, physique, chimique. Les
comédiens sont là. On entend leur voix. On
perçoit leur soue. On sent leur fague ou
leur joie. Leur sang palpite. Leur peau pâlit
ou s’enamme. Leur chair est la nôtre là sur
la scène à quelques mètres de nous. Ce sont
des femmes et des hommes comme nous.
Et pourtant, lorsque le noir se fait, ils nous
emmènent vers des pays lointains. Lévasion.
Ne serait-ce que pour cela, par respect,
comme ma mère me l’a appris, lorsque le
rideau tombe, je connue d’applaudir la
plus pitoyable des daubes pour peu que les
trois coups du brigadier aient reten, car
c’est toujours un travail qu’il faut saluer, une
prise de risque, un danger. Cee émoon, je
l’ai ressene. De manière privilégiée. Parce
qu’elle vous emporte vers le meilleur, vers
ce qui est plus complexe et plus intéressant,
vers ce qui aide et permet de se dépasser,
je suis heureux que le Théâtre à Val-de-
Reuil, par les moyens qui lui sont donnés,
soit accessible à chaque habitant, à chaque
enfant et que sur la route des falaises passe
en brinquebalant le chariot de Thespis.
Même par intermience, je ne connais pas
de véhicules qui fonconnent aussi bien aux
énergies renouvelables.
ÉDITORIAL
Photos Olivier Bonnet
© Olivier Bonnet - Dominique Boivin
Un regard sur le monde
par enoît Geneau
Directeur du Théâtre des Chalands
et toute l’équipe du Centre Culturel
ÉDITORIAL
Cee saison sera la dernière au Théâtre des Chalands. Nous
quions un lieu que nous aimons, un lieu chargé de belles
histoires, de rencontres inoubliables, d’émoons, de chaleur.
Nous quions un théâtre parculièrement apprécié du public
et des arstes.
Dans moins d’un an, nous nous installerons au Théâtre de
l’Arsenal. Magnique espace dédié au spectacle vivant, il
est plus grand, plus fonconnel, plus accessible. Il ouvre des
perspecves incroyables qui traversent les fronères de la
ville. Il sera un lieu de spectacles, de créaons, de rencontres,
de praques arsques, un lieu de vie.
Nous y inventerons de nouvelles formes, des moments de
rencontres privilégiés entre arstes et publics, et, ensemble,
nous donnerons à ce nouveau théâtre son identé et son
âme.
Et pour cee année de transion, nous vous proposons
une saison tournée sur le monde. Aux côtés de compagnies
normandes et hexagonales, nous avons invité l’Afrique du
Sud, l’Espagne, la Russie, la Suisse, l’Australie, la Belgique.
Parce que la culture est une belle façon de découvrir les
autres, parce que plus que jamais nous avons besoin de nous
rapprocher de nos voisins plutôt que de s’en inquiéter, cee
nouvelle saison souhaite vous faire partager d’autres regards.
Dans les mois qui viennent, nous vous invitons, de nouveau,
à la curiosité, à la gourmandise, à la découverte, aux
souvenirs…. Vous pourrez découvrir la dernière créaon de
ces fameux clowns russes de la famille Sémianyki, écouter
pour la première fois à Val-de-Reuil Juliee ou Dick Annegarn
qui fêtera ses 40 ans de carrière. Côté danse, ne ratez pas la
compagnie de Julien Lestel qui viendra présenter deux très
belles pièces néoclassiques, découvrez « Kudu » ce projet
hybride d’Erik Truaz, jazzman franco-suisse et de Grégory
Maqoma chorégraphe sud-africain très en vogue aujourd’hui.
Et pour compléter ce pet tour du monde, la compagnie
Casus d’Australie vous coupera le soue avec sa prestaon
acrobaque emplie de poésie et délivrée de toute apesanteur.
Avant de vous souhaiter une belle saison en notre compagnie,
je ne peux terminer ces quelques mots sans évoquer les
dicultés que rencontre la Culture en général pour exister,
voire survivre. Ces dicultés placées au devant de la scène
par une énième remise en cause du régime de l’intermience
le printemps dernier demandent à chacun d’être vigilant à ce
que la culture ne soit pas reléguée à l’arrière plan des priorités
de l’acon publique. Sans arstes plus de spectacles, plus
de créaons, sans techniciens plus de son, plus d’images, le
« noir plateau »... alors quel regard porter sur le monde ?
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