Si elle ne fait pas partie des plus célèbres plantes endémiques de

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Stantari #14
Natura
La nivéole à longues feuilles,
Acis longifolia, station de Galéria.
Cliché F. Medail
Si elle ne fait pas partie
des plus célèbres plantes
endémiques de Corse,
la timide nivéole à
longues feuilles nous
raconte, aussi bien
quune autre, comment
se sont constitués les
particularismes et
la richesse botanique
de l’île.
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Nature
L
par Frédéric Médail, Katia Diadema & Laetitia Hugot
La Corse constitue une entité fort originale au sein de la région
méditerranéenne sur le plan de la flore et de la végétation
vasculaire* (plantes à fleurs et fougères). Cette originalité
biogéographique s’explique par son histoire géologique très
contrastée, son isolement, sa position de refuge durant les
glaciations du Pleistocène*, mais aussi par l’hétérogénéité et
la diversité des conditions environnementales, et ce sur de
faibles distances. La Corse fait d’ailleurs partie de l’un des dix
points chauds (hotspots) régionaux de biodiversité identifiés
sur le pourtour méditerranéen, sur la base de la richesse
floristique et du nombre d’endémiques. Le récent bilan de la
flore corse dressé par Daniel Jeanmonod et Jacques Gamisans
dans le cadre de Flora Corsica montre ainsi que l’île est riche de
2 325 végétaux vasculaires* indigènes dont 316 endémiques,
soit un taux d’endémisme voisin de 14 %. Si quatre-vingts
végétaux endémiques sont communs avec la Sardaigne, 146
sont strictement localisés à la Corse.
S’intéresser à l’endémisme permet de mieux comprendre
l’histoire et l’évolution du monde vivant, les relations
passées entre des régions continentales ou insulaires. Mais
c’est aussi considérer en priorité un patrimoine biologique
unique à préserver, car il est le fruit d’un héritage rencontré
nulle part ailleurs au monde. La grande richesse en plantes
endémiques corses explique que les connaissances détaillées
sur leur distribution, biologie et écologie restent à parfaire.
Le cas de la nivéole à longues feuilles est symptomatique, car
depuis sa description en  par J. Gay, cette endémique
stricte de Corse n’avait fait jusqu’alors l’objet d’aucune
étude spécifique, malgré son intérêt biogéographique et sa
répartition restreinte.
Description de l’espèce
Assez voisines sur le plan systématique des perce-neige (genre
Galanthus, absent de Corse), les nivéoles du genre Acis font
partie des monocotylédones* et sont le plus souvent intégrées
à la famille des Amaryllidaceae. La dizaine d’espèces de
nivéoles décrites se localise en majeure partie sur le pourtour
méditerranéen occidental. La mise en place de ce genre est
fort ancienne, datant probablement du Tertiaire. La nivéole
Frédéric Médail est professeur d’écologie
et de biogéographie végétale à l’université
d’Aix-Marseille (IMEP), Katia Diadema
est chargée de mission au Conservatoire
botanique national méditerranéen et Laetitia
Hugot est responsable du Conservatoire
botanique national de Corse (OEC)
La nivéole
à longues feuilles :
histoire d’une endémique rare
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Natura La nivéole à longues feuilles
à longues feuilles est d’ailleurs considérée comme une espèce
paléoendémique qui s’est différenciée suite à l’isolement de
la Corse. Cette espèce a longtemps été intégrée au genre
Leucojum L. sous le nom Leucojum longifolium (J. Gay ex
M. J. Roemer) Gren. avant d’être placée dans le genre Acis
sous le nom d’Acis longifolia.
C’est une petite plante herbacée vivace d’une vingtaine de
centimètres de hauteur, à bulbe ovoïde (type biologique* :
géophyte). La hampe florale, haute de 10 à 25 cm, porte
une à trois (rarement quatre) petites fleurs blanches portées
sur des pédicelles* penchés et sortant d’une spathe à bord
membraneux et à deux valves. La fleur est en forme de cloche
ouverte, à 6 tépales blancs de forme ovale, de 8 à 13 mm de
long ; le style est filiforme, plus court que les étamines. Elle
s’épanouit d’avril à juin, selon l’altitude des populations.
Les feuilles sont étroitement linéaires (12 à 25 cm de long
pour 1 à 2 mm de large), plus longue que la hampe florale,
et planes. Le fruit est une capsule, en forme d’olive. Acis
longifolia se distingue nettement de la nivéole à fleur rose
(Acis rosea), l’autre espèce du genre présente en Corse et la
plus proche du point de vue phylogénétique* : ses feuilles
apparaissent avant les fleurs (espèce synanthée) alors que
chez A. rosea les feuilles se développent après la floraison
(espèce hystéranthée), la fleur est blanche chez A. longifolia
mais rose clair chez A. rosea ; la floraison est printanière alors
qu’elle est automnale chez A. rosea.
Les fruits de la nivéole à longues feuilles,
cascade de l’Ondella, haut Asco.
Cliché F. Medail
Cliché F. Medail
La nivéole à longues feuilles, station de Galéria.
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La nivéole à longues feuilles
Une distribution mondiale très restreinte,
mais une certaine abondance locale…
Les premières récoltes de nivéoles, conservées dans les herbiers
Bonaparte et Rouy, à l’université de Lyon, ont été effectuées
entre  et  ; elles proviennent toutes de la partie
nord-ouest de l’île (environs d’Ota, Evisa et Calvi). Au début
du e siècle, le botaniste suisse J. Briquet indique qu’elle
est “localisée autour du massif du Cinto, plus rare dans celui du
Rotondo”. Plus récemment, J. Gamisans et J.-F. Marzocchi
mentionnent que l’espèce est localisée dans le massif du Cintu
(jusqu’à proximité de la mer) et le nord du massif du Rotondu,
mais pouvant être localement fréquente”.
Le recensement actuel indique l’existence (postérieure à
) de 48 populations distinctes (voir carte) ; parmi celles-
ci, seulement cinq étaient déjà connues antérieurement.
Onze populations citées avant  n’ont pas été revues, le
plus souvent à cause de leur localisation imprécise. Au sein
des dix grands secteurs écogéographiques de Corse, la nivéole
se localise surtout dans le secteur du Cintu (V), en particulier
dans la réserve de biosphère (MAB, Unesco) de la vallée du
Fango où dix-neuf populations ont été recensées, et à un
degré moindre dans le secteur du Rotondu (VI). En situation
périphérique, quelques rares populations existent dans les
secteurs du Cap Corse (I), Tenda (II), San Petrone (III),
Renosu (VII) et Incudine-Bavella (VIII). Si le centre de la
distribution d’Acis longifolia demeure bien le nord-ouest de
l’île, plusieurs populations récemment identifiées ont conduit
à élargir quelque peu son aire de distribution totale.
Des exigences écologiques variées
Acis longifolia est présent depuis le bord de mer (pour la
population du cordon de galets de la plage de Galéria)
jusqu’à 1 500 m d’altitude (haute vallée d’Asco, près du
refuge de l’Ondella). Plus des deux tiers des populations se
situent entre 5 et 500 m d’altitude, c’est-à-dire aux étages de
végétation* thermo-méditerranéen et méso-méditerranéen.
De nombreuses endémiques de Corse se caractérisent par
une forte plasticité écologique et se rencontrent le long d’un
important gradient altitudinal, depuis le littoral jusqu’à plus
de 1 000 m. L’extension de niche écologique*, en Corse, d’une
vingtaine de plantes sub-endémiques présentes sur cette île
et dans le sud-est de la France a été mise en évidence.
Caractéristique de situations d’insularité, ce phénomène
s’explique par une richesse floristique insulaire initialement
plus faible, en raison des colonisations plus difficiles et du
nombre réduit d’individus (effet de fondation), ce qui réduit
l’intensité de la compétition entre espèces. Les populations
arrivant à s’implanter durablement peuvent alors coloniser
plus facilement des habitats variés, et il y a souvent une
inflation de densité des populations. Un autre mécanisme
a été suggéré pour expliquer l’organisation des espèces
endémiques : leur distribution altitudinale plus importante
par rapport aux espèces de plus vaste distribution et leur
plus grande fréquence à moyenne altitude s’expliquent
plutôt par l’influence déterminante des cycles glaciaires-
interglaciaires du Pleistocène*. L’étage de végétation* qui a
persisté en Corse durant toutes ces fluctuations climatiques
est d’ailleurs celui de moyenne altitude, qui est aussi la zone
écologique optimale pour la nivéole à longues feuilles.
Pourquoi une telle amplitude écologique
II
III
V
VI IV
VIII
VII
IX
I
L'Île-Rousse
Saint-Florent
Bastia
Porto-Vecchio
Bonifacio
Propriano
Ajaccio
Cargèse
Calvi
Monte Renoso
Monte Rotondo
Monte Cinto Corte
Stations récentes,
présentes après 1980
Stations anciennes,
découvertes avant 1980
et non revues
NB : une station peut englober
plusieurs populations proches sur
le plan géographique
Répartition de la nivéole à longues feuilles (d’après Médail et al.,
2006, complété).
chez les plantes endémiques corses ?
Doc. K. Diadema & F. Médail / Infographie Grand Chien éds.
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Natura La nivéole à longues feuilles
Toutefois, les populations les plus abondantes se localisent
en moyenne et haute altitude. La nivéole est indifférente à
l’exposition, mais elle se rencontre préférentiellement en
situation ombragée à basse altitude.
Comme bon nombre de végétaux endémiques corses (cf.
encadré), la nivéole à longues feuilles possède une vaste
amplitude écologique. J. Gamisans et J.-F. Marzocchi
l’indiquent dans les forêts et les maquis clairs, les cistaies, les
fruticées* naines, les pelouses, plus rarement les rochers”. En
fait, l’habitat primaire et l’optimum écologique de la nivéole
correspondent aux anfractuosités temporairement fraîches
et humides des rochers siliceux ombragés. Dans ce type
d’habitat, seules quelques espèces peuvent s’accommoder
de ces conditions écologiques si particulières. C’est donc
le biotope la nivéole peut persister durablement car
les variations microclimatiques sont plus modérées et les
phénomènes de compétition interspécifique bien plus réduits
par rapport au maquis environnant. Une telle situation
existe au mont Rondoli, surplombant Calvi, qui abrite la
population la plus ancienne connue : signalée le  mai 
par J. Foucaud et E. Simond, elle a été retrouvée plus d’un
siècle après, en avril  !
L’étude de la flore associée à la nivéole permet de distinguer
trois communautés végétales principales :
- les pelouses à plantes annuelles, dominées par les graminées
comme les canches et les vulpies, les légumineuses telles
L’origine et la différenciation des neuf espèces de nivéoles
méditerranéennes pour la plupart des endémiques à aires
restreintes – sont très anciennes, probablement tertiaires.
Une des hypothèses, basée sur les analyses caryologiques*,
morphologiques et génétiques et sur la distribution actuelle
des espèces, suggère que l’expansion et la diversification de
ce genre se seraient effectuées à partir d’espèces ancestrales
présentes en Afrique du Nord. Deux routes de migration semblent
possibles, et probablement conjointes, avant de rejoindre le
nord de la Méditerranée : par le détroit de Gibraltar et par le
détroit de Messine.
La différenciation des deux nivéoles endémiques corses (A.
longifolia et A. rosea) a pu se produire au Miocène, suite à
la fragmentation du massif protoligure* et à la dérive du
bloc corso-sarde consécutives à l’ouverture du bassin liguro-
provençal survenue entre 23 et 20 millions d’années (Ma). Des
connexions biogéographiques plus récentes entre ces régions
aujourd’hui séparées ont aussi eu lieu à la fin du Miocène lors
des deux épisodes de la crise de salinité du Messinien (5,96-
5,33 Ma) liée à la fermeture du détroit de Gibraltar. Le second
épisode, vers 5,5 Ma a été le plus sévère, avec une baisse du
niveau marin de 1 500 à 2 000 m par rapport à l’actuel, ce qui
a induit un assèchement de la plupart des plaines abyssales.
Corse et Sardaigne étaient alors complètement reliées à la
future péninsule italienne. Mais les modalités de migration
et l’implantation de nouvelles populations végétales au sein
d’environnements peu propices (car le plus souvent hypersalés)
restent débattues.
La distribution des nivéoles, héritage d’une biogéographie très ancienne
Distribution des 9 espèces de nivéoles (genre Acis), en fonction
de la paléogéographie du bassin ouest-méditerranéen lors de
la crise de salinité du Messinien, et évolution des nombres
chromosomiques (de n = 7 à n = 9) du genre (d’après K. Diadema,
2006).
Doc K. Diadema
A. fabrei
A. nicaeensis
A. valentina
A. ionica
A. rosea
A. longifolia
A. automnalis
A. tingitana
A. trichophylla
n = 9
n = 8
n = 7
1 / 7 100%

Si elle ne fait pas partie des plus célèbres plantes endémiques de

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