cinéma, de l’architecture et de l’accès aux savoirs
et à la culture. En revanche, des secteurs comme
le patrimoine nécessitent une forte intervention
d’activités externes, par exemple celle d’ouvriers
du bâtiment spécialisés dans la réhabilitation de
monuments historiques. La presse et l’industrie
du livre requièrent également -du moins encore
quelque temps- le concours des imprimeries.
Au-delà des enjeux politiques de valorisation du
secteur culturel, la lettre de mission adressée aux
inspecteurs généraux est claire. Il ne s’agit pas
uniquement de justifier la dépense publique, mais
-contexte économique oblige ?- de rechercher
l’efficacité de l’intervention ; l’objectif est de
«déterminer les leviers d’action qui permettraient
d’utiliser pleinement le potentiel de croissance des
industries culturelles». Dans ce contexte, une attention
particulière a été portée à la mode, au cinéma,
à l’audiovisuel et aux jeux vidéo, qui, fleurons
de l’industrie culturelle française, sont porteurs
d’enjeux commerciaux à l’international. Surtout, ces
trois derniers sont particulièrement affectés par les
bouleversements technologiques en œuvre, et les
ministères sont invités à «suivre et à anticiper les
mutations sectorielles» pour renforcer l’attractivité
du territoire français. Ces industries se développent
en effet via les nouveaux modes de diffusion et de
consommations numériques -des plateformes qui
captent une partie de la richesse créée.
On perçoit clairement le paradoxe d’une telle vision
de l’intervention de l’État dans le financement
culturel : le cibler vers les industries rentables, ou au
fort potentiel de croissance, détache l’intervention
de la notion de service public de la culture, pour
valoriser l’aspect marchand, très loin des idéaux
qui ont vu naître le ministère de la Culture et la
notion même de politique culturelle. L’État est-il là
pour financer ce qui rapporte, ou pour faire vivre
les œuvres de l’esprit ?
Un budget de 13,9 M d’euros ?
Cette richesse produite par la culture nécessite un
investissement public conséquent : 13,9 M d’euros,
concède le rapport entérinant les chiffres du MCC,
«dont 11,6 M d’euros en crédits budgétaires, 1,4 M
d’euros en dépenses fiscales et 0,9 M d’euros en taxes
affectées». Mais ce chiffre est contestable en tant
que base de travail : les dépenses des collectivités
locales ne sont pas comptabilisées, or elles sont
aujourd’hui, en volume, plus importantes que celles
que le MCC consacre à la culture : en fait, en dehors
de l’audiovisuel et de la presse, le ministère de la
Culture ET de la Communication consacre moins de
7 M d’euros à la culture. Ainsi certains secteurs
sont très peu impactés par la puissance publique
(les arts visuels, les industries d’’image et de son,
l’architecture et le livre). D’autres en revanche
captent d’énormes crédits, notamment l’audiovisuel
(97,6% de sa valeur ajoutée, redevance comprise) et
l’accès au savoir et à la culture. L’État joue surtout
un rôle structurant pour le cinéma, le patrimoine,
la presse et le spectacle vivant, avec un apport
entre 9 et 15% de leur valeur ajoutée : il est loin,
contrairement à ce qu’il prétend, d’être le principal
financeur de la culture dite publique.
Et le qualitatif ?
S’il s’agit de justifier l’effort financier de l’État
à l’attention de la culture, en arriver à prouver
la nécessité de l’investissement culturel par sa
rentabilité a quelque chose de misérable, et risque
en fait de desservir les secteurs qui nécessitent
de l’investissement… à perte. Tout doit-il être
rentable ? On pourrait supprimer les théâtres, les
hôpitaux, les transports et les écoles, qui coûtent
bien trop cher et ne rapportent rien… La volonté
même de chiffrage doit donc aussi être critiquée,
elle va à l’encontre de l’idée d’exception culturelle.
La culture doit-elle rapporter ? Mais surtout, l’État
doit-il financer ce qui rapporte ou pourra le faire ?
On prend le risque d’un abandon
dès lors qu’il s’agit de justifier
par l’économie l’existence d’un
budget et d’un ministère de la
Culture…
Le rapport, d’ailleurs, tente
quelques intrusions qualitatives ;
«Les retombées économiques ne
sont pas la seule justification
d’une subvention publique»,
concèdent les inspecteurs, car
les résultats peuvent être autant
à attendre «en termes de prestige
et de positionnement culturel
que d’impact économique direct».
On se demande si ce sont les
retombées économiques ou le
prestige qui justifient les dépenses
de santé ?
En dehors de cette mécon-
naissance des enjeux réels de
la culture, le rapport introduit
une méthodologie opérationnelle
quant à l’incidence de la culture
sur les territoires. Pour l’étude,
l’échantillon était composé de
cinq manifestations culturelles
(Blues Passion de Cognac, les
Vieilles Charrues de Carhaix,
Django Reinhardt de Samois-
sur-Seine, Arts et traditions
populaires de Confolens, les
Médiévales de Provins). Cette
même méthodologie est en cours
d’application pour évaluer les
retombées économiques... de
Marseille Provence 2013. Que
Marseille veut remplacer par une
Capitale du Sport pour booster
à nouveau le territoire, preuve
même que l’impact économique
de la culture peut amener à la
sacrifier ! les retombées cultu-
relles se font dans les esprits, leur
émancipation, qui passe par la
pérennisation du fonctionnement
des équipements nouveaux et
une attention sur le long terme
à la santé du secteur.
ANNE-CLAIRE VELUIRE Et AGNÈS FRESCHEL
Le rapport L’apport de la culture
à l’économie en France a
été établi par Serge Kancel,
Inspecteur général des affaires
culturelles, Jérôme Itty, Inspecteur
des finances, Morgane Weil,
Inspectrice des finances, sous la
supervision de Bruno Durieux,
Inspecteur général des finances
© Ministère de la Culture et de la Communication
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