Chap. 2 - Questions de sens et de définition
ProblèmeÌdeÌlaÌdéfinitionÌd’unÌmoyenÌd’expressionÌentreÌphilosophieÌetÌjournalisme,ÌmieuxÌcommentÌ
établirÌdesÌpasserellesÌentreÌlesÌabîmesÌdeÌcesÌdeuxÌdisciplines,ÌsansÌtomberÌdansÌlaÌdoubleÌtentationÌ
insidieuseÌetÌleÌpiègeÌnihilisteÌàÌlaÌfoisÌdeÌl’antiphilosophieÌetÌl’anti-journalisme.Ì
Faits,ÌidéesÌetÌconceptsÌetÌaporiesÌdansÌnotreÌfictionÌthéorique.ÌTensionsÌetÌtorsions,ÌliensÌetÌruptures.Ì
LeÌrécitÌsoulèveÌdeuxÌquestionsÌquiÌintéressentÌfondamentalementÌleÌphilosopheÌsystématiqueÌ:ÌcelleÌ
duÌnarrateurÌ,ÌquiÌrapporte/reporteÌdesÌévénementsÌqu’ilÌaÌtraversésÌetÌauxquelsÌilÌaÌsurvécu,ÌetÌcelleÌ
duÌcommencementÌ(généalogie).ÌÌEnÌeffet,ÌsiÌdansÌtoutÌsystème,ÌtoutÌseÌtient,ÌcommentÌisolerÌunÌpointÌ
deÌdépart,ÌcommentÌtrouverÌunÌpremierÌprincipeÌ?ÌQuelÌestÌl’incipitÌduÌrécitÌphilosophique,ÌsiÌcelui-
ciÌn’estÌvraiÌqu’arriméÌàÌlaÌtotalitéÌsimultanéeÌduÌsystèmeÌ?ÌEtÌsurtout,ÌcommentÌaccéderÌauÌsystèmeÌ
depuisÌleÌnonÌsystèmeÌouÌleÌhorsÌsystèmeÌreprésentéÌdansÌnotreÌfictionÌthéoriqueÌparÌleÌ«ÌreportageÌ
d’idéesÌ»ÌetÌleÌ«ÌjournalismeÌphilosophiqueÌ?ÌÌ
«ÌCeÌqueÌl’enfantÌaÌvuÌ»ÌdeÌJean-FrançoisÌLyotardÌ:ÌuneÌdescriptionÌinitialeÌouÌultime,ÌvoireÌdécorÌ
Potemkine.ÌDeÌlaÌcritiqueÌdesÌdiscoursÌàÌlaÌpossibilitéÌd’uneÌécriture.
IlÌs’agit,ÌàÌtraversÌlesÌmétamorphosesÌetÌlesÌparadoxesÌd’uneÌnotionÌquiÌaÌrarementÌretenuÌl’atten-
tionÌdesÌphilosophesÌcommeÌd’ailleursÌdesÌjournalistes,Ìd’identifier,ÌdeÌsaisir,ÌdeÌtrierÌetÌdeÌtenterÌdeÌ
hiérarchiserÌquelquesÌoppositionsÌconceptuellesÌauÌcentreÌdeÌnotreÌfictionÌthéoriqueÌ:Ìcénacle/foule,Ì
idée/événement,ÌparoleÌdialogique/ÌmonstrationÌ(ouÌ«ÌfaireÌvoirÌapophantiqueÌ»)ÌdesÌfaits,Ìavant-garde/
arrière-garde,ÌmaîtreÌdeÌl’instant/curieux/Ìflâneur,Ìsavoir/flânerieÌdesÌpetitsÌfaits,ÌgrandsÌrécits/anglesÌ
particuliers,Ì essai//reportage,Ì savoir/pouvoir/dispositif,Ì pensée/opinionÌ (doxa),Ì spécialiste/profane,Ì
orthodoxie/hérésie,ÌÌspectateur/acteur,Ìrassembleur/décentreur,ÌformeÌtournéeÌversÌlaÌsaisieÌduÌtout/
bruitÌduÌdehorsÌ;Ìétonnement/curiosité,Ìvoyou12/voyeur/voyant,Ìetc.
Sens,Ìsignification,ÌreprésentationÌsurÌl’échiquier13ÌduÌmondeÌetÌdesÌmédiasÌ:Ìsituation/configuration,Ì
événement/coup,Ìetc.
La question des temporalités14 :ÌtempsÌdeÌl’urgenceÌ(journal)ÌetÌtempsÌ«ÌsystémiqueÌ»Ì(philosophie).Ì
LesÌdeuxÌtemporalitésÌduÌjournalismeÌ:ÌleÌprésentÌduÌreportage,ÌleÌpasséÌre-composéÌduÌjournalismeÌ
deÌl’aprèsÌ(deÌlaÌvoixÌetÌduÌtémoignage).Ì«ÌTheÌtimeÌisÌoutÌofÌjointÌ»ÌLeÌtemps,ÌàÌl’imageÌdeÌl’époque,Ì
estÌhorsÌdeÌsesÌgonds.
LeÌtempsÌduÌreporterÌd’idéesÌentreÌsignifianceÌetÌinsignifianceÌaprèsÌleÌtempsÌdeÌl’essaiÌauÌXXeÌ
siècle.ÌPeut-onÌiciÌparlerÌd’Ì«ÌespritÌCritiqueÌ»ÌpourÌcaractériserÌnotreÌoxymoreÌ?
Chap. 3 - Michel Foucault passe ses idées en revue
Lorsqu’unÌintellectuelÌ«ÌarchéologueÌ»ÌpasseÌlui-mêmeÌauxÌactesÌetÌrencontreÌleÌ«ÌjournalismeÌphi-
losophiqueÌ»ÌpourÌs’enÌservir,ÌvoireÌl’asservirÌàÌsaÌstratégieÌcommunicanteÌafinÌdeÌconfronterÌsesÌ
idéesÌetÌd’élargirÌsonÌaudience.Ì
12 Jacques Derrida “Voyous” (Paris, Galilée, 1993), p. 98 : “La voyoucratie constitue déjà, institue même une sorte de contre-pouvoir ou
de contre-citoyenneté”. En un sens paradoxal, elle est proche d’une certaine forme de journalisme qui se veut aussi un contre pouvoir,
même un “4e pouvoir”.
13 Youri Felshtinsky, Vladimir Popov Viktor Kortchnoï, Boris Gulko “Le KGB joue aux échecs” (Moscou, Ed. Terra, 2009) en russe.
14 Harmut Rosa « Accélération. Une critique sociale du temps ». (Beschleunigung. Die Veränderung des Zeitstrukturen in der Moderne).
Traduit de l’allemand par Didier Renault. Paris, La Découverte « Théorie critique », 2010. Selon Rosa, l’accélération dénit l’essence
de la modernité mieux que la rationalisation, l’individuation, la division du travail ou la domestication de l’homme et de la nature.
Libératrice pendant deux siècles, elle mettrait aujourd’hui en péril la conduite de nos existences et, plus grave encore, la possibilité
même d’une action politique capable de transformer le cours de l’histoire. L’accélération a « pétrié » le temps. Le discours de la crise,
la multiplication des politiques d’urgence, la « prévalence de l’exécutif sur le législatif », sont, selon sa thèse, parmi les conséquences
de la pression exercée par l’accélération sur le monde politique. En produisant des individus sans avenir et des gouvernants réactifs
plutôt qu’actifs, le « noyau de la modernisation » s’est en dénitive « retourné contre le projet de la modernité».