cours TCA94-25

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Obésités
et
troubles du
comportement
alimentaire
Dr Gérard APFELDORFER
Janvier 2015, Paris
Ne pas reproduire sans l’autorisation de l’auteur
Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
Gérard Apfeldorfer, 2015
ANOREXIA NERVOSA (Diagnostic and Statistical Manuel, DSM-V, 2013)
A. Refus de maintenir un poids égal ou supérieur au poids minimum compte tenu de l’âge et de la taille.
B. Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, même avec un poids anormalement bas.
C. La forme et le poids du corps sont perçus de façon anormale, le jugement porté sur soi-même est indûment influencé par la forme et le poids du corps, ou il existe un déni des conséquences du bas poids corporel.
D. Chez les femmes pubères, aménorrhée, c’est-à-dire absence de règles durant au moins 3 cycles consécutifs.
On distingue 2 types d’Anorexia nervosa :
Type boulimies/vomissements : la personne présente des hyperphagies incontrôlées accompagnés de comportements compensatoires pour prévenir une prise de poids, tels des vomissements provoqués, des prises abusives de
laxatifs ou de diurétiques.
Type restrictif : la personne ne présente ni épisodes d’hyperphagies incontrôlées, ni comportements compensatoires pour prévenir la prise de poids.
BULIMIA NERVOSA
(Diagnostic and Statistical Manuel, DSM V, 2013)
A. Épisodes récurrents d’hyperphagie incontrôlée. Un épisode d’hyperphagie incontrôlée consiste en : 1. prises
alimentaires, dans un temps court inférieur à 2 heures, d’une quantité de nourriture largement supérieure à celle que
la plupart des personnes mangeraient dans le même temps et dans les mêmes circonstances. 2. Une impression de
ne pas avoir le contrôle des quantités ingérées ou la possibilité de s’arrêter.
B. Le sujet met en œuvre des comportements compensatoires visant à éviter la prise de poids (vomissements provoqués, prises de laxatifs ou de diurétiques, jeûnes, exercice excessif).
C. Les épisodes d’hyperphagie incontrôlée et les comportements compensatoires pour prévenir une prise de poids
ont eu lieu en moyenne 2 fois par semaine durant au moins 3 mois.
D. Le jugement porté sur soi-même est indûment influencé par la forme et le poids du corps.
E. Le trouble ne survient pas au cours d’une anorexie mentale.
HYPERPHAGIE BOULIMIQUE (« Binge eating disorder », DSM-V, 2013)
A. Épisodes récurrents de crises de boulimies (« binge eating »). Une crise de boulimie répond aux 2 caractéristiques suivantes :
1) Absorption, en une courte période de temps (moins de 2 heures), d’une quantité de nourriture dépassant
notablement ce que la plupart des personnes mangent dans le même temps et dans les mêmes circonstances.
2) Sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise (par exemple, sentiment
de ne pas pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce qu’on mange ou la quantité de ce qu’on
mange).
B. Durant les crises de boulimie, au moins trois des critères suivants d’absence de contrôle sont présents :
1) Prise alimentaire nettement plus rapide que la normale.
2) L’individu mange jusqu’à l’apparition de sensations de distension abdominale inconfortable.
3) Absorption de grandes quantités d’aliments sans sensation physique de faim.
4) Prises alimentaires solitaires afin de cacher aux autres les quantités ingérées.
5) Sensations de dégoût de soi, de dépression, ou de grande culpabilité après avoir mangé.
C. Le comportement boulimique est source d’une souffrance marquée.
D. Le comportement boulimique survient en moyenne au moins 2 fois par semaine sur une période de 6 mois.
E. Le comportement boulimique n’est pas associé à des comportements compensatoires inappropriés (par
exemple vomissements, prise de laxatifs, exercice physique intensif), ne survient pas au cours d’une Anorexie mentale (Anorexia nervosa) ou d’une Boulimie (Bulimia nervosa).
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
Gérard Apfeldorfer, 2015
L’APPROCHE COGNITIVO-COMPORTEMENTALE
Dans les prises en charge de l’obésité avec Hyperphagie boulimique et de la
Bulimia nervosa, la tenue du carnet alimentaire et la thérapie cognitive sont utilisées dans tous les cas. Dans l’obésité, on insiste généralement plus sur les techniques de contrôle du stimulus, tandis que dans la Bulimia nervosa, on met plus
en avant la prise régulière de trois repas par jour, les comportements alternatifs
incompatibles avec la boulimie-vomissement et l’exposition à la prise d’aliments
anxiogènes. Dans l’anorexie mentale, il est essentiel de débuter par un travail
sur l’acceptation de la graisse corporelle. Quel choix de valeurs la personne faitelle pour la suite de son existence ? Pour vivre selon ces valeurs, un corps plus
normal est nécessaire, et il faut le deuil du contrôle conscient de son poids et de
ses formes corporelles. Un travail sur la restriction cognitive est nécessaire dans
la majorité des cas. En fait, les différentes techniques doivent être adaptées, de
préférence sur un mode individuel, au patient pris en charge.
1) CE QUE VEUT DIRE MANGER NORMALEMENT
Mais avant de passer en revue les méthodes de soins des troubles du comportement alimentaire, encore faut-il définir ce qu’on entend par « comportement
alimentaire normal ».
Les prises alimentaires sont en grande partie gérées à un niveau inconscient
par des processus de régulation neuropsychophysiologiques. L’acte alimentaire
est l’objet de contrôles à de multiples niveaux, permettant des régulations performantes, grossièrement à l’échelle de la semaine :
a) Niveau physiologique quantitatif : l’écoute et le respect des sensations
alimentaires (faim, volume, rassasiement global) permettent de contrôler les apports énergétiques. On mange alors idéalement quand on a
une faim modérée, on cesse de manger lors de sensations de rassasiement modérées. Les émotions, telles la culpabilité de consommer certains aliments « interdits », l’anxiété de grossir, ou toutes autres émotions suffisamment intenses empêchent la perception des sensations de
faim et de rassasiement.
b) Niveau physiologique qualitatif : l’écoute et le respect des appétences
spécifiques permet de contrôler les apports en nutriments et micronutriments. Le plaisir anticipé dépend de l’état nutritionnel et des conditionnements alimentaires.
c) Niveau affectif et relationnel : c’est à partir de l’acte alimentaire, qui
leur sert d’étayage, que se développent les premières relations affectives. Manger sur un mode convivial est un aspect indispensable des
liens sociaux. L’empathie qui naît du partage facilite la régulation alimentaire : voyant l’autre manger ce que nous mangeons, nous sommes
ramenés à nos sensations alimentaires. Des repas socialisés et ritualisés
pris dans un cadre rassurant et agréable, en disposant d’un temps suffisant, facilitent un comportement alimentaire contrôlé par les centres
nerveux concernés.
d) Niveau cognitif : on mange en fonction de valeurs culturelles, religieuses, scientifiques, qui déterminent les aliments comestibles, les
modes de préparation, les lieux et horaires, les manières de table. On
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
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ingère des aliments sensés, porteurs d’histoires et de symboles. Plus
prosaïquement, les prises alimentaires sont partiellement gérées à un
niveau cognitif conscient : on « garde une place pour le dessert », on
« fait honneur » à un banquet.
e) Niveau émotionnel : manger des aliments réconfortants peut servir au
contrôle des émotions et stresses. Lorsqu’on est en restriction cognitive,
on ne trouve pas ce réconfort et on continue donc à manger sans pouvoir s’arrêter.
Le contrôle inconscient des comportements alimentaires s’apparente à un perpétuel bricolage de l’organisme visant à satisfaire en priorité les besoins les plus
urgents à un moment donné : besoins énergétiques, besoins en nutriments et
micronutriments, faim de représentations, faim des autres, ou protection contre
les stresses et certains états émotionnels vécus comme insupportables. Les comportements alimentaires excessifs, en plus et en moins, sont régulés lors des
prises alimentaires ultérieures par les mécanismes de corrélation post-prandiale et
d'ajustement calorique. Lorsque certains besoins l’emportent constamment sur les
autres, l’alimentation cesse d’être correctement régulée.
Ce dont il est question, avec les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire et de problèmes pondéraux, c’est rétablir une alimentation
régulée, qui s’oppose tout autant à une alimentation anarchique qu’à une alimentation rigidifiée sur des bases cognitives. Ou encore, on peut opposer une
alimentation réflexive (où il convient de « réfléchir » consciemment et suivre des
règles) à une alimentation intuitive (fondée sur l’écoute des sensations et émotions).
2) LA PRISE EN CHARGE
a) L’analyse fonctionnelle
C’est un temps fondamental de la prise en charge. Doivent particulièrement
être pris en considération : le statut pondéral des parents, l’histoire pondérale et
les différentes méthodes précédemment essayées, le comportement alimentaire,
ses variations, le degré de restriction alimentaire (voir “carnet alimentaire”),
l’estime de soi, les préoccupations concernant le poids et les formes corporelles,
les niveaux d’anxiété, de dépression, d’affirmation de soi dans le champ alimentaire et en dehors, les conflits de pouvoir, ce que le sujet attend du traitement et
du thérapeute.
L’analyse fonctionnelle se pratique lors d’entretiens semi-structurés (analyse
fonctionnelle SECCA et Analyse fonctionnelle de Fontaine et Ylieff) ou à l’aide
de grilles d’entretiens structurés. De nombreux questionnaires spécifiques sont
proposés aujourd’hui. Citons à titre d’exemples : le DEBQ (Dutch Eating
Behviour Questionnaire), explorant la restriction, l’émotivité, l’externalité ; le
« Eating Disorder Examination » de Fairburn et Cooper, qui explore la restriction alimentaire, les préoccupations concernant la nourriture, les formes corporelles et le poids ; le test d’habitudes alimentaires (EAT) et l’inventaire des désordres alimentaires de Garner et Garfinkel (EDI). Divers questionnaires plus
généraux d’auto-évaluation (par exemple : échelles d’affirmation de soi de Rathus, de dépression de Hamilton ou de Beck), des tests de personnalité peuvent
être aussi utilisés.
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b) La définition des objectifs du traitement.
Les objectifs du traitement doivent être définis préalablement avec le patient.
Dans le cas de la boulimie, il est préférable de proposer une diminution importante des boulimies-vomissements et non une éradication totale, donc
d’aborder d’emblée les attitudes dichotomiques du patient (voir “thérapies cognitives”).
Dans le cas de l’obésité, trois axes sont à considérer : 1) les troubles du comportement alimentaire et la restriction cognitive ; 2) Les désordres émotionnels,
où l’individu répond par un comportement alimentaire à un problème non alimentaire ; 3) le rejet du corps et la stigmatisation sociale du corps gros (voir
schémas). L’analyse fonctionnelle devra permettre de déterminer l’axe ou les
axes qui seront abordés en priorité pour un patient donné.
Il est en effet parfois judicieux de ne pas aborder les troubles du comportement alimentaire en premier lieu, mais d’axer le travail tout d’abord sur le corps
et la stigmatisation, ou sur les difficultés émotionnelles.
Dans les cas de surcharge pondérale, il est souhaitable de rappeler au patient
que le thérapeute n’est pas un amaigrisseur, que les objectifs qu’on propose sont
d’ordre comportemental, émotionnel et cognitif, que la perte de poids surviendra de surcroît, éventuellement. Lorsqu’on n’encourage pas la restriction cognitive, la perte de poids ne peut en effet avoir lieu que lorsque des progrès suffisants auront été obtenus.
Dans tous les cas, l’objectif proposé est l’écoute et le respect des sensations
alimentaires, la levée des obstacles qui l’empêchent. Manger en fonction de ses
sensations alimentaires permet la stabilisation du poids au poids d'équilibre ou
set-point. La remise en question d’un poids idéal est un point généralement trop
douloureux pour qu’il puisse être abordé d’entrée de jeu.
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
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c) Les aspects relationnels de la prise en charge
Il convient bien évidemment d’instaurer d’emblée une alliance thérapeutique,
où thérapeute et consultant travaillent conjointement au même but. Le thérapeute formule des hypothèses, propose des exercices qui sont discutés, que le
patient doit s’approprier. Il est en permanence invité à s’observer, faire ses
propres expériences, en tirer les conséquences.
Ceci est d’autant plus important ici que la plupart des personnes en difficulté
avec leur poids et leur comportement alimentaire placent le lieu de contrôle
(LOC) de leur vie, de leur alimentation, de leur poids, à l’extérieur d’euxmêmes. Ils se vivent sans volonté propre et sont tentés de faire appel à la volonté
d’une personne extérieure. Ainsi, ils pensent qu’eux-mêmes ne peuvent avoir de
contrôle sur leurs ingesta et demandent à un médecin ou à un gourou de les
« faire maigrir ». Puis, se sentant contrôlés de l’extérieur, ils luttent ensuite
contre ce contrôle.
APPROCHE TRIAXIALE
Trois axes seront à considérer : la restriction cognitive, les problèmes émotionnels, l’acceptation de soi sans honte et sans crainte de stigmatisation. Selon
les personnes, ces axes revêtiront plus ou moins d’importance. L’analyse fonctionnelle permettra de déterminer une stratégie, un ordre de priorités dans les
objectifs du traitement, qui seront discutés avec le patient afin de dégager un
contrat thérapeutique.
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
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a) Approche éducationnelle
Toute approche cognitivo-comportementale comporte des aspects informatifs.
Ils portent généralement sur la nutrition, les mécanismes biologiques de la régulation pondérale et les causes de l’obésité, les effets de l’exercice physique, les
effets biologiques et psychologiques de la restriction alimentaire, des hyperphagies, des vomissements, des prises de laxatifs et diurétiques. Il est donc souhaitable que le thérapeute ait une formation minimale en nutrition et en physiologie.
L’explicitation des mécanismes cognitifs et émotionnels entretenant les hyperphagies incontrôlées, des aspects psychosociaux contribuant à entretenir un
désir irrationnel de minceur sont considérés comme faisant partie intégrante de
l’approche cognitive (voir “thérapie cognitive”).
En ce qui concerne l’obésité, l’abord proposé ici est différent de celui habituellement utilisé par nombre de médecins somaticiens et nutritionnistes, et même
par de nombreux comportementalistes : dès lors qu’on décide de prendre en
considération le syndrome de restriction cognitive, des consignes diététiques
comme surveiller les apports caloriques, diminuer les graisses consommées,
avoir un apport équilibré en glucides et protéines, consommer des aliments
riches en fibres, ne peuvent plus être considérés autrement que comme des renforçateurs de la restriction.
L’apport éducationnel va alors porter sur les mécanismes physiologiques régulateurs de la prise alimentaire : la faim, le rassasiement, les appétences spécifiques en fonction de l’état nutritionnel sont des sensations qui doivent guider
naturellement les prises alimentaires. Pour que cela soit possible, il convient de
recréer ou de créer les conditions matérielles et psychoémotionnelles, nécessaires à l’écoute de ses besoins psychophysiologiques.
Il convient de reconsidérer avec le patient les croyances concernant les aliments à haute densité calorique : ce sont des aliments à fort pouvoir nourrissant,
qui permettent de satisfaire son appétit avec peu. On les consomme donc avec
toute l’attention qu’ils méritent, en veillant à l’apparition du rassasiement sensoriel spécifique (Voir “thérapie cognitive”.)
Le travail sur la restriction cognitive permet habituellement de désamorcer
l’attirance exagérée pour ce type d’aliment, ainsi que de reconsidérer les
croyances concernant les aliments « diététiquement corrects ». Une alimentation
équilibrée sur le plan nutritionnel s’établit alors souvent spontanément, ou bien
sur les conseils du thérapeute.
b) Self-monitoring : le carnet alimentaire
Le patient répond aux questions quoi, quand, où, comment. Outre noter ce qui
est mangé, il peut aussi noter ce qu’il a eu envie de manger, sans l’avoir mangé.
En fait, selon les cas, l’accent peut être mis sur :
• La prise de conscience des sensations de faim et de satiété. Il s’agit d’identifier et
de réhabiliter ces sensations internes.
• La prise de conscience des réactions émotionnelles : vide interne, angoisses de séparation, anxiété, confusion, tristesse et dépression, colère, culpabilité, honte,
joie. L’« ennui » : le sujet mange alors lorsqu’il se retrouve seul et inoccupé. Ce
terme vague recouvre sans doute un fléchissement de la perception de soi, ou
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l’émergence de cognitions accompagnées d’émotions douloureuses. Il s’agira de
reconnaître ces états émotionnels, de les différencier des sensations de faim.
• La prise de conscience de l’influence de l’environnement : influences de la vue, de
l’odeur, de la présence de nourritures appétentes ; prises alimentaires à table,
dans le placard, réfrigérateur, en faisant la cuisine, en donnant à manger aux
enfants. Ces facteurs tirent leur puissance de l’état de restriction cognitive.
• La prise de conscience de l’influence des facteurs relationnels : difficulté à refuser
les aliments offerts, à s’affirmer. Alimentation compulsive par provocation et
défi, dans le cadre d’un conflit de pouvoir.
• La rythmicité des prises alimentaires : lorsque l’alimentation est déstructurée
depuis plusieurs années (personnes boulimiques), il s’agit d’insister avant toute
chose sur le rétablissement d’une alimentation civilisée et socialisée, prise à horaires normaux, avec des aliments cuisinés.
On voit que les techniques de self-monitoring débordent largement du simple
contrôle diététique. Les péripéties du carnet alimentaire (notes différées, absence
de notation, refus de noter) permettent d’aborder les aspects cognitifs (opposition restriction/excès, raisonnable/déraisonnable, bonne/mauvaise, diabolisation des sucres et graisses, jeux de transgression) ainsi que la relation thérapeute-patient (fétichisation, instauration d’une relation de pouvoir).
La tenue d’un carnet alimentaire permet de centrer l’attention du patient sur
les facteurs d’environnement, relationnels et émotionnels qui commandent les
prises alimentaires, plutôt que sur le poids ; il permet aussi d’aborder les attentes du patient face à son thérapeute : la perfection de sa tenue peut par
exemple être le signal d’une fétichisation du thérapeute ; le refus de le tenir peut
à l’inverse prévenir qu’on entre dans une phase où le thérapeute est vécu par le
patient comme une menace.
Où et
quand ?
Quoi et
combien ?
F/R
envie
Pourquoi ?
12 h, chez
moi, seule
Café, sucrettes
3 tartines fromage à
tartiner
1 tr. Jambon
2/5
C’est mon petit-déjeuner et mon déjeuner
en même temps.
18 h 30
Avec
Stéphane
Tomates, sauce huile
paraffine
1/4 poulet sans la peau
1 salade frisée au
citron
2 tr. Pain
1 yaourt
3 abricots
2/5
C’est le vrai repas de la journée. Si je ne
mange pas avant de partir au travail, je ne
me sens pas bien.
23 h
Equipe
01 h
Equipe
1 pain aux raisins
02 h, avec
Lulu
Des chocolats, je ne
sais plus combien
Biscuits Petit Ecolier,
6 ou 7
0/8
Pas
envie
C’est Antoinette qui a apporté les pains
aux raisins. Je ne peux pas refuser, elle
est très gentille.
2/ ?
La boîte de chocolats a été offerte par la
Très
— 9 — famille d’un malade.
envie
???
Lulu ne va pas bien, je discute avec elle.
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c) Le travail sur la restriction cognitive
Nous ne décrirons pas ici la clinique de la restriction cognitive, mais seulement la façon de la prendre en charge.
C’est à partir du carnet alimentaire qu’on peut déterminer avec le patient les
aliments anxiogènes ou culpabilisants, dits aliments tabou. Ces aliments peuvent
être totalement évités, ou bien consommés lors de boulimies, ou encore consommés apparemment normalement, mais avec un sentiment de culpabilité. On
en dressera une liste détaillée, sur laquelle on demandera de noter, non pas
« chocolat », mais « Milka Suchard aux noisettes ». Les aliments concernés sont
habituellement : chocolats, bonbons, biscuits, gâteaux, viennoiseries, fromages,
charcuteries, plats en sauce, céréales, féculents, certains fruits et légumes.
On demande aussi au patient de dresser la liste de ses aliments obligatoires,
qu’il se croit obligé de consommer pour éviter la culpabilité. Il s’agit le plus souvent des fruits et légumes crus ou cuits sans apport de graisse ou de sucre, des
aliments allégés. Ou bien il se croit obligé de faire des « repas équilibrés ». Rappelons à cette occasion que si l’alimentation doit être équilibrée dans son ensemble, les repas n’ont pas besoin de l’être.
Il s’agit tout d’abord de réorganiser les prises alimentaires. Un temps suffisant
est nécessaire, le lieu doit être adéquat, il s’agit aussi de privilégier la convivialité. Avant de commencer à manger, un temps de détente est nécessaire, et on
peut proposer de pratiquer éventuellement quelques minutes de relaxation. Enfin, une consommation attentive permet seule de repérer les sensations et les
émotions alimentaires.
Exercices sur les sensations alimentaires :
1) Exercice d’observation de la faim : suppression du petit-déjeuner, attente des sensations de faim, puis observation de leur évolution. Lorsqu’on le décide, collation, puis attente à nouveau des sensations de faim.
2)
Expérience des différents niveaux de faim. La petite faim: sauter le petit-déjeuner, attendre les premières manifestations de la faim, puis manger. Attendre à nouveau les manifestations d’une petite faim. Moyenne
faim: retarder l’heure du déjeuner, puis retarder l’heure du dîner. Grande
faim: supprimer petit-déjeuner et déjeuner, attendre jusqu'au milieu de
l’après-midi pour prendre un repas ou une collation.
A chaque fois, noter la plus ou moins grande vitesse d’ingestion, la capacité à porter attention au goût des aliments, le plaisir à manger, la perception du rassasiement, le respect du rassasiement.
Déterminer le meilleur moment pour manger: la faim idéale.
3)
Dégustation : On put commencer par un aliment standard, puis passer à
un aliment tabou, choisi par le consultant. Vue / odeur / texture / sons /
saveurs / arômes / sensations trigéminales / goût de gras. Jetage de
l’excès (exercice de séparation et de deuil).
4)
Remplacement du repas par un aliment tabou, à forte densité énergétique, en quantité plafonnée. La quantité maximale à consommer est déterminée pour chacun. Habituellement environ 500 Kcal (déjeuner moyen
= 750 Kcal). Pendant 4 jours consécutifs, remplacer le déjeuner habituel
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
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par un aliment à forte densité énergétique. Manger dans les conditions
d’une dégustation : attentivement, au calme, en solo, sans autre activité,
avec des couverts si l’aliment le permet. Arrêter de manger dès qu’on est rassasié de
l’aliment choisi, c'est-à-dire quand le plaisir gustatif fléchit, avant le dégoût. On peut être rassasié de l’aliment choisi, mais avoir encore faim. 2) Attendre au minimum une heure,
puis prendre une collation de son choix, en cas de faim seulement. Il est
important de conserver à l’esprit la possibilité de cette collation de l’après-midi afin de
ne pas craindre d’avoir faim et ne pas manger excessivement au déjeuner par peur d’une
faim future. Au dîner, manger librement en fonction de la faim et de la sa-
tiété. Se peser le premier et le dernier jour.
5)
Remplacement d’un repas par un aliment tabou, à forte densité énergétique, en ajustant la consommation à ses besoins. Prévoir, chaque jour,
une quantité de l’aliment tabou supérieure à la quantité maximum qu’on
est susceptible de consommer durant la journée. Supprimer le déjeuner
habituel, consommer l'aliment-tabou en pleine conscience, jusqu’au rassasiement gustatif. Si on a faim dans l'après-midi, consommer le même
aliment. En fin de journée, jeter ce qui n'a pas été consommé. Au dîner,
manger librement en fonction de la faim et de la satiété. Se peser le premier et le dernier jour
d) Abord des problèmes émotionnels par la thérapie cognitive
Les mécanismes cognitifs qui maintiennent les troubles du comportement
alimentaire sont à expliciter au patient : il existe une chaîne de causalité avec
rétroactions entre faible estime de soi, préoccupations corporelles excessives,
restrictions alimentaires, hyperphagies incontrôlées et vomissements provoqués.
Basse estime de soi
Préoccupations concernant le
poids et les formes corporelles
Restriction
alimentaire
Mécanismes cognitifs du
maintien des boulimies
(Fairburn, Marcus,
Wilson, 1993)
Hyperphagies
incontrôlées
Vomissements
provoqués
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D’une façon générale, on demande au patient de repérer : 1. les situations ; 2.
les états émotionnels ; 3. les pensées automatiques (préconscientes) précédant,
accompagnant ou succédant aux excès alimentaires. Les distorsions cognitives
sont analysées. Des cognitions alternatives sont recherchées. Dans un second
temps de la thérapie, les événements cognitifs sont mis en relation avec des distorsions des schémas cognitifs profonds (inconscients) et des distorsions des
processus cognitifs (dichotomie, inférence arbitraire, abstraction sélective, surgénéralisation, minimisation et maximisation, personnalisation).
Dans une première étape, on passe en revue les diverses croyances irrationnelles concernant la nourriture et le poids. Par exemple, beaucoup perçoivent
mal la relation existant entre les prises alimentaires et les variations de poids,
pensent que l’on peut grossir sans manger, sous le coup de contrariétés et
d’émotions fortes, par exemple, ou bien maigrir en mangeant de grosses quantités de nourriture, si cette nourriture est une « bonne nourriture ». Ils dichotomisent les aliments, les distinguent selon des critères moraux et non pas selon des
critères simplement diététiques : certains aliments, tels les sucres et les graisses,
ou encore les viandes, sont ainsi diabolisés tandis que d’autres, tels les fruits et
légumes frais, les laitages, sont portés aux nues, parés de toutes les vertus.
Cette division entre aliments purs et impurs, angéliques et diaboliques est remise en question. Le sujet est encouragé à consommer les aliments qu’il
s’interdit habituellement, dans des quantités déterminées par ses sensations
alimentaires. Le thérapeute demande parallèlement de repérer et de noter le discours intérieur que le patient se tient à cette occasion. Il s’agit le plus souvent de
craintes paniques de grossir ainsi que de pensées de dévalorisation liées à l’idée
de faute et de péché.
Une seconde étape consiste, à partir de situations concrètes, à passer en revue
le discours intérieur et les raisonnements que se tient le sujet et qui favorisent
directement ou indirectement la prise alimentaire. Quels raisonnements le sujet
élabore-t-il afin de s’autoriser à manger? Met-il en avant le gaspillage s’il ne finissait pas sa portion, voire le plat? Pense-t-il que les autres convives
s’offusqueraient s’il ne faisait pas honneur au repas ? Croit-il que s’il ne mange
pas, il ne pourra pas se concentrer sur son travail, ou bien qu’il ressentira des
symptômes physiques insupportables? Se dit-il que tout désagrément donne
droit à une compensation alimentaire consolatrice ou qu’inversement tout succès doit se fêter par un plaisir alimentaire ? Estime-t-il que son hyperphagie est
due à une névrose profondément enracinée, contre laquelle il est vain de lutter,
ou bien qu’il est un « mangeur compulsif », un toxicomane de la nourriture, qui
ne peut, par définition, avoir aucun contrôle sur ce qu’il mange ?
Diverses alternatives cognitives à ces discours intérieurs sont élaborées : le sujet peut par exemple se dire qu’il n’acceptera pas de se faire manipuler, directement ou indirectement. Il ne mangera plus malgré lui, n’acceptera plus d’être le
jouet d’un environnement et de proches tentateurs. Il mangera en fonction de
ses sensations alimentaires.
Il est fréquent, tant chez les sujets boulimiques que chez les hyperphages prandiaux, que le
comportement alimentaire ne cesse de basculer entre deux pôles, l’un très restrictif, l’autre très
excessif. Dans le pôle restrictif, le sujet se vit comme sage, raisonnable, sérieux, dans le droit
chemin. Mais le moindre écart suffit à le faire basculer. Il tombe alors dans l’excès et se vit
comme débauché, en proie à de vils instincts qu’il convient de satisfaire avant que la culpabilité
ne fasse basculer le comportement dans l’autre sens. Cette culpabilité d’avoir cédé à la tentation
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
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peut elle aussi entretenir le comportement hyperphage. Elle s’accompagne d’un discours intérieur auto-dévalorisant et dramatisant : puisqu’on s’est avili en mangeant, « on ne vaut rien » et
on ne parviendra « jamais » à mincir. La prise alimentaire, dans ces conditions, est vécue comme
un moyen de se complaire dans le vice et se teinte de masochisme.
L’analyse de ces différents mécanismes cognitifs permet au sujet de prendre
conscience de sa façon négativiste d’interpréter les événements. Bien souvent, il
tire des conclusions sans preuve, généralise à partir d’un événement ponctuel, se
centre sur des détails séparés de leur contexte, minimise les événements positifs,
maximise les événements négatifs. Le résultat est une dramatisation de
l’existence, une exigence irréaliste vis-à-vis de soi-même, une recherche d’un
contrôle de tous les instants, un mode de pensée dichotomique dont les maîtresmots sont toujours/jamais, bon/mauvais, permis/interdit.
Les préoccupations excessives concernant le poids et les formes corporelles
sont un facteur d’entretien des troubles du comportement alimentaire. De nombreux thérapeutes abordent ces aspects en incitant leurs patients à prendre conscience de la pression sociale qu’elle subissent et des contradictions de cette demande sociale.
EVÉNEMENT
Lever, petit
déjeuner
Courses
supermarché
EMOTION
Rien
Je fais des courses pour mon
mari et enfants et petits enfants.
C’est pour eux que j’achète
toutes ces choses, mais c’est moi
qui les mange.
Contrariété
11 h, je fais un
gâteau
12 h, déjeuner
léger :
1 tr. Jambon, 1
orange
Cinéma toute seule.
« Pédale douce »,
c’est Charlotte qui
me l’a conseillé.
DIALOGUE INTERIEUR
Je ne m’en sortirai jamais. Je ne
peux tout de même pas ne plus
faire de gâteau.
Je ne me dis rien. Je ne suis pas
intéressante.
Rien
Je ne vais jamais
au cinéma. Roger
ne veut pas. Très
nerveuse.
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Je me demande ce que je fais là
toute seule. Drôle de film. J’ai
l’impression que tout le monde me
regarde. Je voudrais sortir, mais
j’ai payé et il faut que je regarde
jusqu’au bout. Si je sortais en
plein milieu, tout le monde me
regarderait.
Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
Gérard Apfeldorfer, 2015
De nombreuses raisons, d’ordre biologique et psychologique, font que le corps de la plupart
d’entre nous ne peut satisfaire aux exigences de minceur actuelles. De plus, parallèlement à ces
exigences de minceur, il est demandé d’être un bon maître ou une bonne maîtresse de maison,
un joyeux convive, de faire honneur aux plats proposés. Ces contradictions sont particulièrement flagrantes dans les médias, qui font tout à la fois la promotion de la bonne chère, de nombreux en-cas sucrés ou salés, et proposent parallèlement un corps idéal hors de portée pour la
plupart. Il est demandé à la femme moderne d’être en même temps mère nourricière et superwoman sexy. En fait, deux modèles comportementaux opposés sont proposés et satisfaire à tous
deux relève de la quadrature du cercle. Est-il véritablement nécessaire de tenter de se conformer
à l’un ou l’autre de ces modèles sociaux, ou bien vaut-il mieux développer un itinéraire plus
personnel, plus aisément compatible avec sa biologie et sa psychologie propres ? Concrètement,
il s’agit pour les sujets hyperphages et boulimiques de prendre conscience du besoin exacerbé de
conformité sociale qui les habite, de trouver leur poids d’équilibre (set-point) et de l’accepter. Un
travail sur l’acceptation de soi est donc une étape essentielle de la plupart des prises en charge.
QUELQUES PENSÉES AUTOMATIQUES
NÉGATIVES PROPRES AUX OBÈSES ET AUX BOULIMIQUES
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Je ne dois pas gaspiller la nourriture.
Je ne peux pas refuser un plat que l'on m'offre.
Une grosse contrariété me donne droit à une compensation.
Après la première bouchée de nourriture interdite, il m'est impossible de m'arrêter de manger
et il ne me reste plus qu'à continuer.
Maintenant que j'ai recommencé à manger, mon régime est fichu et il ne me reste plus qu'à continuer.
Si je prends un kilo, je continuerai à grossir jusqu'à ce que je devienne obèse.
Seul le vomissement peut me permettre de contrôler mon poids.
Les aliments « grossissants », tels les sucreries ou les corps gras, font automatiquement grossir
quelle que soit la quantité mangée.
Les bonbons et gâteaux sont des nourritures mauvaises. Si j'en mange, je suis mauvais(e). Si je
suis mauvais(e), grossir est ma juste punition.
Les gens minces et beaux sont heureux et réussissent en tout ; les gens gros sont des ratés.
Mon apparence et mon poids témoignent de ma valeur.
Je suis gros ; personne ne peut m’aimer ; autant rester seul dans mon coin.
Ma capacité à me restreindre sur le plan alimentaire est la mesure du contrôle que j’exerce sur la
vie et ma destinée.
Si je perds juste 5 kg, ma vie en sera transformée.
Ma vie commencera vraiment lorsque j'aurai atteint le poids que je me suis fixé.
La prévention des rechutes fait partie de l’approche cognitive : une vision dichotomique des rechutes les favorise (un écart signifie que j’ai rechuté, donc je
m’autorise à rechuter effectivement) ; le patient doit prendre conscience que des
hyperphagies ponctuelles ne sont pas « anormales », qu’elles peuvent être gérées sans difficulté. Lorsque des problèmes surviennent qui réactivent les hyperphagies, ceux-ci doivent être identifiés et pris en compte, les techniques qui
ont servi à les maîtriser doivent être remises à l’honneur (carnet alimentaire, 3 à
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5 repas planifiés par jour, gestion de l’emploi du temps, comportements alternatifs, etc.)
e) ) Abord des problèmes émotionnels par les stratégies d’ajustement
Dans cette approche, les prises alimentaires incontrôlées sont vues comme des
comportements d’évitement de problèmes que l’individu ne parvient pas à surmonter. La difficulté alimentaire se substitue aux autres difficultés de la vie et
permet de les oblitérer temporairement. Cette incapacité conduit en outre le sujet à se dévaloriser et à se déprimer. Le thérapeute va donc aider le sujet à développer des stratégies d’ajustement (coping process) pour affronter le monde et le
stress, afin que la fuite dans l’hyperphagie ne soit plus nécessaire.
• Les techniques de relaxation ou de centrage sur une image mentale ou une litanie sont le plus souvent proposées dans cet esprit : lorsque l’impulsion alimentaire se fait sentir, la relaxation, des exercices respiratoires, la visualisation de
certaines images mentales mémorisées, une récitation mentale doivent permettre d’affronter l’angoisse sans recours à la boulimie.
• L’affirmation de soi. On peut proposer une démarche d’affirmation de soi
dans le domaine alimentaire. Bien des sujets TCA ont des difficultés à résister à
des pressions plus ou moins amicales les poussant à manger.
1) Significations du don alimentaire du point de vue social ; le refus acceptable. 2) Refuser une
sucrerie, refuser de se servir d’un plat ou d’en reprendre par la méthode du “disque rayé”. 3)
Repérage des jeux sociaux pervers poussant à manger. 4) Annonce à l’entourage que l'on modifie son comportement alimentaire et sollicitation d’un soutien.
Lorsqu’on aura mis en évidence une sensibilité particulière aux pressions sociales afin de rendre son corps conforme au modèle corporel en vigueur, cette
problématique pourra être abordée, soit à l’aide des techniques d’affirmation de
soi, ou encore à l’aide des modèles de thérapie cognitive.
Lorsque c’est le conjoint ou un membre de la famille qui fait pression pour
que la personne mange, ou, à l’inverse, pour qu’elle maigrisse, ou encore pour
qu’elle cesse d’avoir des boulimies, il s’agit alors de conflits de pouvoir. Les
pressions exercées ont souvent des effets paradoxaux et conduisent le plus souvent à manger davantage. S’affirmer, dans de tels cas, peut consister à élaborer
diverses réponses et stratégies à utiliser avec les personnes soi-disant bien intentionnées. Là encore, on peut faire appel aux techniques d’affirmation de soi ou à
celles de thérapie cognitive, ou encore à une association des deux.
Enfin, il est fréquent que des difficultés relationnelles quotidiennes, conjugales, familiales ou professionnelles entraînent une déstabilisation de l’individu,
conduisant à des prises alimentaires. L’affirmation de soi peut alors se révéler
une approche intéressante.
f) Les thérapies émotionnelles
L’abord direct des troubles émotionnels constitue la « 3 vague » des thérapies cognitivo-comportementales.
On peut comprendre les excès alimentaires comme étant causés par une intolérance aux émotions. Certaines émotions et cognitions sont perçues comme intolérables, et les conduites d’évitement émotionnel ne font que générer d’autres
émotions douloureuses secondaires (Modèle de Barlow).
ème
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
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Ou bien, on peut parler d’alexithymie, c'est-à-dire de difficulté à ressentir et
exprimer ses émotions. Manger est alors vu comme un passage à l’acte.
Ou encore, on recherche un trouble dissociatif, consistant en un détachement
de la réalité présente, une déconnection des sensations internes et des émotions,
un centrage sur le monde extérieur ou l’intellect. Les troubles dissociatifs sont
considérés comme dus à des situations traumatisantes de l’enfance (maltraitance, abus sexuels…)
Les thérapies émotionnelles de la 3ème vague mettent l’accent sur l’identification et l’acceptation des émotions.
Dans les addictions comportementales, on vise tout particulièrement un meilleure tolérance émotionnelle, face aux événements, aux ruminations, autocommentaires, pensées automatiques, aux perceptions corporelles, à la honte du
corps, aux rappels de mémoire de souvenirs douloureux.
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
Gérard Apfeldorfer, 2015
On fait l’économie des efforts d’évitement émotionnel: comportements addictifs, efforts distractifs, mobilisation de l’attention, persistance du problème originel.
On obtient un rétablissement naturel de l’humeur.
Techniques d’acceptation émotionnelle:
MBSR (Mindfulness Behavior Stress Reduction) Jon Kabat-Zinn, 1982, 1990
MBCT (Mindfulness Behavior Cognitive Therapy) Zindel Segal, Mark Williams, John Teasdale, 2002
DBT (Dialectical Behavior Therapy) Marsha Linehan, 1993
ACT (Acceptance and commitment therapy) Steven Hayes, 1999
f) Travail sur l’évitement phobique du corps et la stigmatisation
L’obèse, mais aussi le boulimique mince ou l’anorexique, sont fâchés avec leur
corps. Les causes en sont la stigmatisation de l’obésité, en particulier par les parents, mais aussi par le corps social dans son ensemble. Il peut aussi s’agir
d’événements d’histoire personnelle (atteintes à l’intégrité corporelle dans
l’enfance ou l’adolescence tels que viols ou attouchements incestueux).
La stigmatisation se définit comme le rejet et la disgrâce qui sont associés à ce
qui est vu comme une déformation physique (l’obésité, des formes corporelles
hors-normes) et une aberration comportementale (troubles du comportement
alimentaire) (voir W. Cahnman, 1968).
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
Gérard Apfeldorfer, 2015
Erwing Goffman, (Stigmate, 1975) définit la stigmatisation en 4 points : 1) Labellisation («anormal», «déviant») ; 2) Réduction à l’étiquette ; 3) Justification de
discrimination et d’exclusion ; 4) Le stigmatisé se construit alors en fonction de
ces rejets en développant une dépréciation personnelle altérant l’image de soi et
légitimant ces jugements négatifs.
Le corps médical est vu par les sociologues comme un « grand stigmatisateur » (JP Poulain. In Basdevant A. Guy-Grand B. Médecine de l’obésité, Flammarion,
Paris, 2004, p 17-25).
Il convient de distinguer la culpabilité et la honte. L’obèse est coupable de ne
pas respecter les normes sociales. La culpabilité est engendrée par le non respect
de normes intériorisées. Elle est avouable et peut être expiée (privations alimentaires, exercice physique, cures…)
L’obèse est aussi honteux d’être gros ; boulimiques et anorexiques, en proie à
une obésité imaginaire, le sont aussi. La honte est engendrée par le jugement des
autres. Elle est inavouable et inexpiable : elle doit être niée ou dissimulée. La
honte atteint l’individu dans son identité : atteinte de la persona, le personnage
social qui nous représente à nos yeux et aux yeux des autres ; sentiment
d’illégitimité, de déchéance privée ou publique ; inhibition, paralysie de la pensée ; dévalorisation de toute réussite, remise en question des investissements
psychiques narcissiques, sexuels ou d’attachement. La honte suscite chez les
autres: pitié, compassion, gêne, mépris.
L’approche cognitive permet un travail sur la stigmatisation. Il s’agit : 1) de reconnaître la stigmatisation, la honte qu’elle engendre, ses effets destructeurs ; 2)
de passer en revue les croyances irrationnelles sur le corps parfait, l’apparence
parfaite, la santé parfaite ; 3) d’apprendre à décoder les messages socioculturels
faisant la promotion de la perfection corporelle.
On demande au patient d’apporter des photographies de membres de sa famille (parents et grands-parents, frères et sœurs, cousins, tantes et oncles) et
d’établir des comparaisons entre leur physique et le sien, afin de réinscrire ce
corps dans une perspective génétique et historique.
On demande au patient de noter les discours d’auto-dévalorisation (« Je suis
laid, gros, je ne vaux rien » ; « Ce corps traduit mon manque de volonté » ; « Jamais mon corps ne pourra devenir tel que je le souhaite ») et les discours concernant les relations sociales (« Personne ne peut aimer quelqu’un ayant ce
corps » ; « quelqu’un qui m’aime avec ce corps n’est pas aimable » = syndrome
de Groucho Marx).
On pourra, à partir de là, utiliser la thérapie cognitive de Beck ou l’approche
par la pleine conscience.
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
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L’entraînement aux habiletés sociales est un temps indispensable pour diminuer
l’évitement phobique des situations sociales et accepter le regard des autres :
Exemple de hiérarchie d’une phobie sociale due aux formes corporelles :
— Soins de toilette, ou massages, sauna, ou hammam
— Gym douce, yoga, expression corporelle, ou danse
— Regarder et commenter des photos ou films de soi, aux différents âges
— Marcher dans la rue (posture, maintien, respect de soi)
— Prendre transports en commun, piscines, plages
— Acheter des vêtements et s’affirmer face aux vendeurs
— Manger en public des aliments diététiquement incorrects
— Expliquer son travail thérapeutique à un de ses proches
— Expliquer son travail thérapeutique à son médecin, à un collègue
— Manger des aliments diététiquement incorrects avec ses proches
— Discuter avec ses proches: « et si je ne maigris pas?… »
L’exercice physique, qui a souvent une valeur aversive, ne doit être réintroduit que graduellement, en commençant par des éléments simples : marche à
pied, montée d’escalier.
Et l’anorexique mentale ?
Concernant l’anorexie mentale, les approches classiques ont toujours utilisé
une approche pragmatique : ainsi Lasègue, en 1873, préconise la séparation
d’avec la famille comme moyen thérapeutique.
Lorsque la vie du patient est en danger, l’objectif pondéral n’est pas négocié,
mais présenté au patient comme une nécessité imposée par la réalité biologique.
Un contrat de poids est proposé. Notons aussi qu’un travail sur les sensations
alimentaires de faim et de rassasiement ne peut pas être entrepris lorsque le
poids est trop bas, les sensations étant alors faussées.
Certains continuent à utiliser une procédure opérante: durant l’hospitalisation,
l’octroi d’avantages divers (objets à disposition, visites de parents, élargissement
de la liberté consentie au patient) aux progrès dans la normalisation alimentaire
et pondérale. Peuvent être encouragés selon une procédure opérante: la prise de
poids, la diminution des comportements d’évitement de reprise de poids (exercice physique intensif…), la réintroduction d’aliments exclus, à des moments et
dans des quantités prédéfinies.
Les éléments essentiels de la thérapie sont :
• Le travail sur la lipophobie et l’acceptation du poids, des formes corporelles ;
• Le travail sur le comportement alimentaire : rétablir une alimentation
socialisée, travailler sur la restriction cognitive, travailler à diminuer les
boulimies ou en prévenir l’apparition ;
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La réduction des facteurs de stress, des éléments dépressifs ;
L’abord des problèmes relationnels et familiaux.
L’approche cognitive apparaît comme un moyen privilégié d’instaurer une alliance thérapeutique. Dans cette perspective, il n’est pas demandé au patient de
se soumettre aux avis judicieux d’un expert, mais plutôt de participer à une recherche consistant à découvrir comment ses croyances et ses comportements
influent sur son expérience personnelle. On ne lui demande pas de renoncer à
ses croyances, ou de les considérer comme irrationnelles, mais d’en examiner la
signification et les conséquences qui en résultent.
Par exemple, on peut demander au patient de faire la liste des avantages et inconvénients de son anorexie. Le thérapeute peut insister sur les différents avantages qui seront perdus si le patient reprend du poids, et sur le fait que ce dernier doit obtenir certaines compensations en échange de la perte de ces avantages. Par ailleurs, les symptômes dont se plaint habituellement le patient, tels
les troubles de la concentration et de la mémoire, les tendances dépressives,
l’obsession de la nourriture, sont rattachées à la restriction alimentaire et à un
poids trop bas, le thérapeute rappelant un principe de réalité : il n’est pas possible d’éliminer ces inconvénients de façon sélective, et leur disparition passe
par la remise en question de l’idéal de minceur du patient.
Selon une procédure désormais bien codifiée, dérivée de l’approche de Aaron
T. Beck et de ses condisciples, on passe en revue les différentes croyances du
patient concernant la nourriture, le poids et les formes corporelles. La validité de
celles-ci, leurs conséquences pratiques sont pointées ; les erreurs logiques, telles
l’attention sélective ou le raisonnement dichotomique sont discutés. Le patient
est classiquement encouragé à : 1. repérer ses distorsions cognitives ; 2. rechercher des cognitions alternatives ; 3. examiner les implications de ses cognitions.
Certains auteurs ajoutent, pour les anorexiques, une quatrième question, « est-il
adapté d’agir en fonction de mes croyances ? » cette question ayant pour but de
dispenser de convaincre le patient que ses croyances sont erronées.
L’approche cognitive s’élargit au fur et à mesure à des thèmes plus généraux,
tels que les éléments sur lesquels reposent l’estime de soi, les relations avec la
famille ou les amis, les relations amoureuses. On pointe les erreurs logiques, les
buts inatteignables et les conséquences de tels objectifs. L’accent est mis sur la
recherche de situations ayant valeur de renforcements positifs, le développement de stratégies nouvelles.
On considère habituellement qu’un tel mode de psychothérapie nécessite de
une à deux années de traitement. Dire qu’il existe peu d’études contrôlées évaluant l’efficacité de ces approches est un euphémisme.
La pleine conscience et la thérapie ACT semblent prometteuses : les exercices
tels que le body-scan permettent de recentrer la personne sur ses sensations corporelles plutôt que sur un corps vu comme un objet esthétique. Les nuisances
des pensées automatiques concernant le poids et les formes corporelles, la lutte
contre les désirs alimentaires, sont pointées : elles mobilisent la personne autour
de ces problèmes, l’empêchant de se consacrer à quoi que ce soit d’autre. La personne souhaite-t-elle passer toute son énergie et le reste de sa vie à contrôler son
alimentation et son poids, ou bien d’autres directions de vie (valeurs) lui parais-
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Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
Gérard Apfeldorfer, 2015
sent-elles plus importantes ? Que peut-elle accepter afin d’aller dans le sens de
ses valeurs ?
Citons encore l’approche paradoxale de Gorgio Nardone et al. qui distingue :
— L’anorexie mentale sacrificielle : la malade, en devenant un symptôme familial, devient le centre d’intérêt. Il s’agit d’une stratégie pour reconstituer une unité familiale défaillante. Stratégie thérapeutique : le sacrifice doit être verbalisé et officialisé, dans le cadre d’une thérapie familiale ou d’une thérapie individuelle.
— L’anorexie mentale abstinente : le problème majeur est celui d’une hypersensibilité,
d’une incapacité à contrôler les émotions. Chaque événement est dramatisé et
constitue une atteinte à l’estime de soi. En fixant son attention sur la privation de
nourriture et le poids, l’anorexique minore notablement ses émotions et sensations ; elle fait une brillante démonstration de volonté, renforçant l’estime de soi.
Stratégie thérapeutique : la valeur de protection de la stratégie anorexique est à
développer avec la patiente (métaphore de l’armure) ; on l’encourage à développer de nouvelles stratégies encore plus courageuses et valorisantes, par exemple
dans le domaine des relations sociales.
♣♦♥♠
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Gérard Apfeldorfer, 2015
QUELQUES LECTURES…
-
Apfeldorfer Gérard. Mangez en paix ! Odile Jacob, 2008
Apfeldorfer Gérard, Jean-Philippe Zermati. Dictature des régimes : attention ! Odile
Jacob, 2006
Apfeldorfer Gérard. Je mange donc je suis. Surpoids et troubles du comportement
alimentaire. Éditions Payot, 1991, 2002.
Apfeldorfer Gérard. Anorexie, boulimie, obésité. Flammarion Ed. Paris, 1995, 2007
Apfeldorfer Gérard. Maigrir, c’est dans la tête. Odile Jacob Ed. Paris, 1997
Brownell K. D. and Fairburn C. G. Editors. Eating Disorders and Obesity. Guilford
Press, NY, 1995
Chapelot Didier, Louis-Sylvestre Jeanine. Les comportements alimentaires.
Tec&Doc editions, 2004.
Chozen Bays Jan. Manger en pleine conscience. Arènes éditions, 2013
Fairburn C. G., Wilson G.T. Binge Eating, nature, assessment and treatment. Guilford Press, NY, 1993
Garner D.M. & Garfinkel P. E. (Eds). Handbook of Psychotherapy for Anorexia
Nervosa and Bulimia. 1984, NY
Mirabel-Sarron Christine. Bien manger. Bayard Editions, Paris, 1999.
Nardone Giorgio, Verbitz Tiziana, Milanese Roberta. Manger beaucoup, à la folie,
pas du tout. Seuil, 2004.
Perroud A. Savoir traiter la boulimie avec les TCC. Retz, 2010
Perroud A. Faire face à l'anorexie : Une démarche efficace pour guérir. Retz, 2009.
Zermati J.P. Maigrir sans régime. Editions Odile Jacob, Paris, 2002.
Jean-Philippe Zermati, Gérard Apfeldorfer, Bernard Waysfeld. Traiter l'obésité et le
surpoids. Odile Jacob, 2010
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