Obésités
et
troubles du
comportement
alimentaire
Dr Gérard APFELDORFER
Janvier 2015, Paris
Ne pas reproduire sans l’autorisation de l’auteur
Obésités, boulimies : approches cognitivo-comportementales.
Gérard Apfeldorfer, 2015
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ANOREXIA NERVOSA (Diagnostic and Statistical Manuel, DSM-V, 2013)
A. Refus de maintenir un poids égal ou supérieur au poids minimum compte tenu de l’âge et de la taille.
B. Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, même avec un poids anormalement bas.
C. La forme et le poids du corps sont perçus de façon anormale, le jugement porté sur soi-même est indûment in-
fluencé par la forme et le poids du corps, ou il existe un déni des conséquences du bas poids corporel.
D. Chez les femmes pubères, aménorrhée, c’est-à-dire absence de règles durant au moins 3 cycles consécutifs.
On distingue 2 types d’Anorexia nervosa :
Type boulimies/vomissements : la personne présente des hyperphagies incontrôlées accompagnés de comporte-
ments compensatoires pour prévenir une prise de poids, tels des vomissements provoqués, des prises abusives de
laxatifs ou de diurétiques.
Type restrictif : la personne ne présente ni épisodes d’hyperphagies incontrôlées, ni comportements compensa-
toires pour prévenir la prise de poids.
BULIMIA NERVOSA (Diagnostic and Statistical Manuel, DSM V, 2013)
A. Épisodes récurrents d’hyperphagie incontrôlée. Un épisode d’hyperphagie incontrôlée consiste en : 1. prises
alimentaires, dans un temps court inférieur à 2 heures, d’une quantité de nourriture largement supérieure à celle que
la plupart des personnes mangeraient dans le même temps et dans les mêmes circonstances. 2. Une impression de
ne pas avoir le contrôle des quantités ingérées ou la possibilité de s’arrêter.
B. Le sujet met en œuvre des comportements compensatoires visant à éviter la prise de poids (vomissements pro-
voqués, prises de laxatifs ou de diurétiques, jeûnes, exercice excessif).
C. Les épisodes d’hyperphagie incontrôlée et les comportements compensatoires pour prévenir une prise de poids
ont eu lieu en moyenne 2 fois par semaine durant au moins 3 mois.
D. Le jugement porté sur soi-même est indûment influencé par la forme et le poids du corps.
E. Le trouble ne survient pas au cours d’une anorexie mentale.
HYPERPHAGIE BOULIMIQUE Binge eating disorder », DSM-V, 2013)
A. Épisodes récurrents de crises de boulimies binge eating »). Une crise de boulimie répond aux 2 caractéris-
tiques suivantes :
1) Absorption, en une courte période de temps (moins de 2 heures), d’une quantité de nourriture dépassant
notablement ce que la plupart des personnes mangent dans le même temps et dans les mêmes circonstances.
2) Sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise (par exemple, sentiment
de ne pas pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce qu’on mange ou la quantité de ce qu’on
mange).
B. Durant les crises de boulimie, au moins trois des critères suivants d’absence de contrôle sont présents :
1) Prise alimentaire nettement plus rapide que la normale.
2) L’individu mange jusqu’à l’apparition de sensations de distension abdominale inconfortable.
3) Absorption de grandes quantités d’aliments sans sensation physique de faim.
4) Prises alimentaires solitaires afin de cacher aux autres les quantités ingérées.
5) Sensations de dégoût de soi, de dépression, ou de grande culpabilité après avoir mangé.
C. Le comportement boulimique est source d’une souffrance marquée.
D. Le comportement boulimique survient en moyenne au moins 2 fois par semaine sur une période de 6 mois.
E. Le comportement boulimique n’est pas associé à des comportements compensatoires inappropriés (par
exemple vomissements, prise de laxatifs, exercice physique intensif), ne survient pas au cours d’une Anorexie men-
tale (Anorexia nervosa) ou d’une Boulimie (Bulimia nervosa).
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L’APPROCHE COGNITIVO-COMPORTEMENTALE
Dans les prises en charge de l’obésité avec Hyperphagie boulimique et de la
Bulimia nervosa, la tenue du carnet alimentaire et la thérapie cognitive sont uti-
lisées dans tous les cas. Dans l’obésité, on insiste généralement plus sur les tech-
niques de contrôle du stimulus, tandis que dans la Bulimia nervosa, on met plus
en avant la prise régulière de trois repas par jour, les comportements alternatifs
incompatibles avec la boulimie-vomissement et l’exposition à la prise d’aliments
anxiogènes. Dans l’anorexie mentale, il est essentiel de débuter par un travail
sur l’acceptation de la graisse corporelle. Quel choix de valeurs la personne fait-
elle pour la suite de son existence ? Pour vivre selon ces valeurs, un corps plus
normal est nécessaire, et il faut le deuil du contrôle conscient de son poids et de
ses formes corporelles. Un travail sur la restriction cognitive est cessaire dans
la majorité des cas. En fait, les différentes techniques doivent être adaptées, de
préférence sur un mode individuel, au patient pris en charge.
1) CE QUE VEUT DIRE MANGER NORMALEMENT
Mais avant de passer en revue les méthodes de soins des troubles du compor-
tement alimentaire, encore faut-il définir ce qu’on entend par « comportement
alimentaire normal ».
Les prises alimentaires sont en grande partie gérées à un niveau inconscient
par des processus de régulation neuropsychophysiologiques. L’acte alimentaire
est l’objet de contrôles à de multiples niveaux, permettant des régulations per-
formantes, grossièrement à l’échelle de la semaine :
a) Niveau physiologique quantitatif : l’écoute et le respect des sensations
alimentaires (faim, volume, rassasiement global) permettent de contrô-
ler les apports énergétiques. On mange alors idéalement quand on a
une faim modérée, on cesse de manger lors de sensations de rassasie-
ment modérées. Les émotions, telles la culpabilité de consommer cer-
tains aliments « interdits », l’anxiété de grossir, ou toutes autres émo-
tions suffisamment intenses empêchent la perception des sensations de
faim et de rassasiement.
b) Niveau physiologique qualitatif : l’écoute et le respect des appétences
spécifiques permet de contrôler les apports en nutriments et micronu-
triments. Le plaisir anticipé dépend de l’état nutritionnel et des condi-
tionnements alimentaires.
c) Niveau affectif et relationnel : c’est à partir de l’acte alimentaire, qui
leur sert d’étayage, que se développent les premières relations affec-
tives. Manger sur un mode convivial est un aspect indispensable des
liens sociaux. L’empathie qui naît du partage facilite la régulation ali-
mentaire : voyant l’autre manger ce que nous mangeons, nous sommes
ramenés à nos sensations alimentaires. Des repas socialisés et ritualisés
pris dans un cadre rassurant et agréable, en disposant d’un temps suffi-
sant, facilitent un comportement alimentaire contrôlé par les centres
nerveux concernés.
d) Niveau cognitif : on mange en fonction de valeurs culturelles, reli-
gieuses, scientifiques, qui déterminent les aliments comestibles, les
modes de préparation, les lieux et horaires, les manières de table. On
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ingère des aliments sensés, porteurs d’histoires et de symboles. Plus
prosaïquement, les prises alimentaires sont partiellement gérées à un
niveau cognitif conscient : on « garde une place pour le dessert », on
« fait honneur » à un banquet.
e) Niveau émotionnel : manger des aliments réconfortants peut servir au
contrôle des émotions et stresses. Lorsqu’on est en restriction cognitive,
on ne trouve pas ce réconfort et on continue donc à manger sans pou-
voir s’arrêter.
Le contrôle inconscient des comportements alimentaires s’apparente à un per-
pétuel bricolage de l’organisme visant à satisfaire en priorité les besoins les plus
urgents à un moment donné : besoins énergétiques, besoins en nutriments et
micronutriments, faim de représentations, faim des autres, ou protection contre
les stresses et certains états émotionnels vécus comme insupportables. Les com-
portements alimentaires excessifs, en plus et en moins, sont régulés lors des
prises alimentaires ultérieures par les mécanismes de corrélation post-prandiale et
d'ajustement calorique. Lorsque certains besoins l’emportent constamment sur les
autres, l’alimentation cesse d’être correctement régulée.
Ce dont il est question, avec les personnes souffrant de troubles du compor-
tement alimentaire et de problèmes pondéraux, c’est rétablir une alimentation
régulée, qui s’oppose tout autant à une alimentation anarchique qu’à une ali-
mentation rigidifiée sur des bases cognitives. Ou encore, on peut opposer une
alimentation réflexive (où il convient de « réfléchir » consciemment et suivre des
règles) à une alimentation intuitive (fondée sur l’écoute des sensations et émo-
tions).
2) LA PRISE EN CHARGE
a) L’analyse fonctionnelle
C’est un temps fondamental de la prise en charge. Doivent particulièrement
être pris en considération : le statut pondéral des parents, l’histoire pondérale et
les différentes méthodes précédemment essayées, le comportement alimentaire,
ses variations, le degré de restriction alimentaire (voir “carnet alimentaire”),
l’estime de soi, les préoccupations concernant le poids et les formes corporelles,
les niveaux d’anxiété, de dépression, d’affirmation de soi dans le champ alimen-
taire et en dehors, les conflits de pouvoir, ce que le sujet attend du traitement et
du thérapeute.
L’analyse fonctionnelle se pratique lors d’entretiens semi-structurés (analyse
fonctionnelle SECCA et Analyse fonctionnelle de Fontaine et Ylieff) ou à l’aide
de grilles d’entretiens structurés. De nombreux questionnaires spécifiques sont
proposés aujourd’hui. Citons à titre d’exemples : le DEBQ (Dutch Eating
Behviour Questionnaire), explorant la restriction, l’émotivité, l’externalité ; le
« Eating Disorder Examination » de Fairburn et Cooper, qui explore la restric-
tion alimentaire, les préoccupations concernant la nourriture, les formes corpo-
relles et le poids ; le test d’habitudes alimentaires (EAT) et l’inventaire des dé-
sordres alimentaires de Garner et Garfinkel (EDI). Divers questionnaires plus
généraux d’auto-évaluation (par exemple : échelles d’affirmation de soi de Ra-
thus, de dépression de Hamilton ou de Beck), des tests de personnalité peuvent
être aussi utilisés.
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b) La définition des objectifs du traitement.
Les objectifs du traitement doivent être définis préalablement avec le patient.
Dans le cas de la boulimie, il est préférable de proposer une diminution im-
portante des boulimies-vomissements et non une éradication totale, donc
d’aborder d’emblée les attitudes dichotomiques du patient (voir “thérapies co-
gnitives”).
Dans le cas de l’obésité, trois axes sont à considérer : 1) les troubles du com-
portement alimentaire et la restriction cognitive ; 2) Les désordres émotionnels,
l’individu répond par un comportement alimentaire à un problème non ali-
mentaire ; 3) le rejet du corps et la stigmatisation sociale du corps gros (voir
schémas). L’analyse fonctionnelle devra permettre de déterminer l’axe ou les
axes qui seront abordés en priorité pour un patient donné.
Il est en effet parfois judicieux de ne pas aborder les troubles du comporte-
ment alimentaire en premier lieu, mais d’axer le travail tout d’abord sur le corps
et la stigmatisation, ou sur les difficultés émotionnelles.
Dans les cas de surcharge pondérale, il est souhaitable de rappeler au patient
que le thérapeute n’est pas un amaigrisseur, que les objectifs qu’on propose sont
d’ordre comportemental, émotionnel et cognitif, que la perte de poids survien-
dra de surcroît, éventuellement. Lorsqu’on n’encourage pas la restriction cogni-
tive, la perte de poids ne peut en effet avoir lieu que lorsque des progrès suffi-
sants auront été obtenus.
Dans tous les cas, l’objectif proposé est l’écoute et le respect des sensations
alimentaires, la levée des obstacles qui l’empêchent. Manger en fonction de ses
sensations alimentaires permet la stabilisation du poids au poids d'équilibre ou
set-point. La remise en question d’un poids idéal est un point généralement trop
douloureux pour qu’il puisse être abordé d’entrée de jeu.
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