Pierre Aubé
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, juillet/août 2015
Construit autour d’une enquête pour savoir si le portrait de Descartes attribué à Frans Hals - et
conservé aujourd'hui au Statens Museum de Copenhague - auquel nous devons l'image familière
du philosophe reproduite dans les manuels, a bien été peint par lui et dans quelles circonstances,
Le Philosophe, le prêtre et le peintre
de Steven Nadler est un livre singulier, susceptible d'être lu de
multiples manières.
La toile de fond en est la Hollande, ou Descartes, en quête de tranquillité, a passé vingt ans de sa
vie, écrit la plus grande partie de son œuvre et où, selon le Discours de la méthode, «
parmi la foule
d'un grand peuple fort actif, et plus soigneux de ses propres affaires que curieux de celles d'autrui,
sans manquer d'aucune des commodités qui sont dans les villes les plus fréquentées », il a « pu
vivre aussi solitaire et retiré que dans les déserts les plus écartés».
Mais le Descartes qui nous est ici présenté n'est pas ce génie solitaire et misanthrope que l'on a
parfois décrit. Loin de vivre reclus, il se lie ainsi d'amitié à cette époque avec deux prêtres
catholiques, dont les soirées musicales et la compagnie l'aident à supporter les rigueurs de l'hiver
hollandais. Et l'un d'eux, le jésuite Augustin Bloemaert, désirant garder un souvenir de Descartes,
prend, semble-t-il, l'initiative de faire exécuter son portrait, lorsque le philosophe, en 1649, quitte
la Hollande pour la Suède ou il devait mourir quelques mois plus tard. Amateur d'art et lui-même
collectionneur, Bloemaert s'adresse alors à Frans Hals, artiste génial et extravagant, dont la
manière quasi impressionniste de peindre ses portraits a coups de pinceau brusques et par taches
de couleurs vives - tranche si résolument sur le style lisse de ses contemporains.
Au-delà de la seule énigme, en elle-même passionnante, du portrait de Descartes par Frans Hals,
Steven Nadler, spécialiste américain de la philosophie du XVII
esiècle, nous livre tout à la fois un
portrait peu conventionnel du philosophe, une excellente introduction à sa philosophie et un
tableau du Siècle d'or hollandais, où s'entrelacent avec bonheur histoire intellectuelle, histoire de
la peinture et histoire politique et religieuse.
Jean Blain
Le Monde diplomatique
, 26 mai 2015