Messe du Mardi 8 décembre 1998, homélie du Père Pierre AFONSO Solennité de l'Immaculée Conception, L'ILE-BOUCHARD La compassion de Notre Dame de la Prière nous révèle la miséricorde du Père La compassion de Notre Dame de la Prière nous révèle la miséricorde du Père Comment Notre Dame de la Prière nous aide-t-elle à accueillir la Miséricorde du Père en cette année préparatoire au Grand Jubilé de l'An 2000? Comment la Compassion de Marie nous fait-elle découvrir la miséricorde de Dieu? 1- La croix, révélation de la miséricorde Les hommes étant malheureusement pécheurs, l'amour de Dieu créateur devient à leur égard un amour de miséricorde. le cœur de Dieu s'ouvre à la misère de l'homme pécheur. Et de façon poétique on peut dire que l'amour de Dieu, devant la faiblesse humaine, devient tendresse. Il se fait encore plus tendre pour venir au secours de l'homme blessé de partout par son propre péché et par le péché des autres. L'homme vulnérable et fragilisé, malade et essoufflé, se laisse aimer et accueillir par Dieu en Jésus-Christ qui nous guérit de nos blessures par ses propres blessures, par l'offrande de sa vie sur la croix et par la résurrection. Dans son corps, il a porté nos péchés sur le bois de la croix, afin que nous puissions mourir à nos péchés et vivre dans la justice: c'est par ces blessures que vous avez été guéris. (1 Pierre 2, 24). La croix de Jésus nous dévoile l'infini de la miséricorde divine: la force de la vie divine passe par la faiblesse de l'amour crucifié. La Vierge Marie est là debout, au pied de la croix de Jésus. Elle s'associe au sacrifice de Jésus en offrant sa vie, son âme transpercée par le glaive de la douleur, comme avait annoncé Syméon (cf Luc 2, 35). La compassion de la Mère unie à la passion de son Fils, la fait devenir Mère des croyants représentés par le disciple bien-aimé, Mère des Vivants, Mère de l'humanité. En donnant son Fils unique premier-né, elle reçoit la multitude des fils. Jésus est l'aîné d'une multitude de frères (Romains 8, 29), les hommes sauvés par le sacrifice rédempteur; et il nous confie à Marie, sa mère. Notre Dame de la Prière nous désigne le crucifix de son chapelet. Et même elle nous le donne à embrasser. Marie nous donne Jésus qui se donne à nous pour notre salut. Et elle nous appelle à l'aimer de tout notre cœur, à l'accueillir dans le don qu'il nous fait de sa vie, nous pauvres pécheurs. Embrasser le crucifix, c'est embrasser le cœur de Jésus, aimer l'Amour, se laisser embraser par l'amour du cœur de Dieu, accueillir la révélation de la miséricorde du Père dans le cœur transpercé de Jésus répandant l'eau vive de l'Esprit. L'Eglise proclame que Marie est Immaculée depuis sa conception par ses parents Anne et Joachim, qu'elle est sans péché et pleine de grâce dès sa conception. Pleinement humaine, elle échappe toutefois à la condition pécheresse de l'humanité. Le dogme de l'Immaculée Conception, proclamé en 1854 par le Pape Pie IX, confesse: La bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel. (Catéchisme de l'Eglise Catholique, n°491). Et par la grâce de Dieu, Marie est restée pure de tout péché personnel tout au long de sa vie. (Catéchisme de l'Eglise Catholique, n°493). Elle n'a été que oui à la grâce tout au long de sa vie, (voir 2 Corinthiens 1, 17-20). Elle a été préservée par pure grâce divine de tout péché originel et personnel par anticipation de la mort et de la résurrection de Jésus. Marie était à la croix, et plus encore elle est sous le signe de la croix depuis sa conception. Elle peut faire sur elle-même le signe de croix. Elle bénéficie en effet, par anticipation, du salut par la croix de Jésus. Elle est sauvée par le Christ mais par préservation intégrale du péché originel et personnel alors que nous autres c'est par guérison. Marie peut donc chanter pour elle-même la miséricorde du Seigneur dans le Magnificat, elle en est le fruit le plus beau. Le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. Saint est son nom, et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. (Luc 1, 49-50). Le mot Magnificat dans le cœur de Notre Dame de la Prière exprime son action de grâces au Père des miséricordes pour elle et pour tous ceux qui accueillent la miséricorde du Père dans la victoire de la croix. Et comme sa joie est grande lorsque nous chantons le Magnificat aux Vêpres. Notre Dame de la Prière, nous apprend à accueillir l'amour sauveur de Jésus, à reconnaître que nous sommes sauvés par la croix du Christ. Le péché n'a pas de prise sur la Vierge Marie, il ne la marque pas. Elle n'a pas commis de péché dans sa vie. Vierge sainte et pure, elle est le chef d'œuvre créé par le Père dans son Fils, façonné par l'Esprit-Saint. La triple invocation, à la fin de chaque dizaine de chapelet, O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ! nous rappelle que sans péché, elle devient le refuge des pécheurs. Le fait d'être Immaculée ne l'éloigne pas des pécheurs que nous sommes, bien au contraire, car c'est le péché qui sépare, qui divise et éloigne les hommes de Dieu et les uns des autres. Elle est le lieu dans lequel et par lequel les hommes pécheurs vont trouver Jésus Sauveur. Par elle le Verbe éternel s'est fait chair, par son fiat le Fils nous est donné. Alors par elle nous accueillons Jésus, nous sommes enfantés à la vie filiale des baptisés dans le Christ, pardonnés et sanctifiés. A la croix elle nous reçoit comme ses propres enfants et nous l'accueillons comme notre propre Mère. Ici elle se dira si tendrement notre "Maman du Ciel". 2- Accueillir la compassion d'une maman Marie, Mère, Maman, et comme une maman, elle embrasse les pécheurs que nous sommes, blessés par le péché et par les maladies. Par cette tendresse maternelle s'exprime sa compassion pour nous. Et il faut avoir la simplicité d'accepter de se laisser embrasser. Parfois la souffrance ou le péché peuvent sembler si lourd à porter qu'on n'a plus la force de donner sa main, de tendre la main… Mais pour une maman, pour sa maman… pour tant d'amour. Nous devons garder ou retrouver ce cœur d'enfant, ce cœur filial rempli de confiance, et que le doute ne vient pas altérer. Rappelons-nous les paroles de Jésus: "Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis: celui qui n'accueille pas le royaume de Dieu à la manière d'un enfant n'y entrera pas." Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains. (Marc 10, 14-16). Marie ne se détourne pas des pécheurs mais leur dévoile sa douceur de Maman. Il y a quelque chose de profond à méditer ici. Nous savons bien comment le pécheur le plus endurci, au cœur le plus dur comme pierre, peut fondre en larmes et craquer devant un tel abîme d'amour et de tendresse d'une maman. Quelque que soit les manques d'amour et les blessures de l'amour, l'amour d'une authentique maman se révèle notre fondement et ce qu'il y a de plus tendre. Nous sommes tous nés d'une femme et nous sommes tous renés de Marie dans le Christ. En nous embrassant, Marie vient à notre secours. Elle exprime par ce geste la miséricorde du Père qui veut nous prendre dans ses bras comme ses enfants prodigues. De même encore dans notre expérience d'accompagnement de personnes malades et souffrantes n'avons-nous pas tout simplement tenu la main de celui qui souffre, en silence sans rien dire, caressé sa main doucement, pris sa main dans nos mains, geste de sympathie, geste d'affection, de compréhension, de soutien, de compassion. (Remarquez le 1er vitrail dans la chapelle de la Sainte Vierge où Marie est au chevet de Saint Joseph dans son lit de mort alors que Jésus le bénit, Marie lui prend la main pour l'embrasser. Je pense aussi au célèbre baiser au lépreux de la part de Saint François d'Assise, et encore au partage du manteau au pauvre à demi-nu par Saint Martin à la porte d'Amiens). Amour au-delà des mots, car les mots ne suffisent plus, il s'exprime une sorte d'âme à âme. Une compréhension intérieure. En nous prenant la main, la Vierge Marie nous exprime son amour devant la souffrance de notre péché. C'est en silence, comme elle était en silence au pied de la croix, devant Jésus identifié aux pécheurs. Et c'est dans ce silence que nous pouvons nous laisser aimer, âme à âme. Et aussi Marie nous tend sa main secourable, elle nous invite à prendre sa main dans un geste de réciprocité, nous indignes pécheurs, qui avons tout à recevoir et rien à donner. Et non, justement nous pouvons donner l'humble fiat de notre cœur, la réponse de notre liberté portée par la grâce qui nous précédera toujours. Nous accueillons Marie comme notre Maman. Nous la reconnaissons comme telle et nous la prenons chez nous. Nous la choisissons comme notre Maman. Accepter de se laisser aimer par Marie et l'aimer sincèrement et filialement. Reconnaître son sourire et la réjouir par notre sourire d'enfant. Le sourire de Marie exprime sa tendresse maternelle, son acquiescement à nos préoccupations, et encore sa tendre compassion pour les pécheurs. Rappelons-nous comment Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face a été guérie, à 10 ans, par le ravissant sourire de la Sainte Vierge: Ne trouvant aucun secours sur la terre, la pauvre petite Thérèse s'était aussi tournée vers sa Mère du Ciel, elle la priait de tout son cœur d'avoir enfin pitié d'elle… Tout à coup la Sainte Vierge me parut belle, si belle que jamais je n'avais vu rien de si beau, son visage respirait une bonté et une tendresse ineffable, mais ce qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme ce fut le "ravissant sourire de la Sainte Vierge". (Manuscrit A 30r°). 3- Entrer dans la compassion de Marie Marie demande la prière pour les pécheurs, avec insistance. La compassion de Marie pour les pécheurs s'exprime aussi par sa prière, son intercession maternelle. Elle nous fait entrer dans le regard d'amour de Jésus sur les hommes pécheurs. Nous sommes nous-mêmes inclus dans cette prière pour les pécheurs: dans le Je vous salue Marie on dit bien: priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Marie nous agrandit le cœur en l'ouvrant aux autres, en l'ouvrant à la misère du péché des autres en les regardant comme des frères en Jésus-Christ. Elle nous fait vivre la béatitude: Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde! (Matthieu 5, 7). Devenir miséricordieux, accueillir un cœur de miséricorde de la part du Père miséricordieux. C'est la compassion d'un pécheur pour d'autres pécheurs! Sublime ouverture du cœur! Nous pouvons par notre compassion pour nos frères pécheurs comme nous leur permettre de faire l'expérience de la tendresse de la Vierge Marie et de la miséricorde de Dieu. Nous pouvons aider nos frères à se laisser embrasser par Marie et à embrasser Jésus. Nous pouvons nous porter les uns les autres vers Dieu par Marie! Comment oserions-nous garder pour nous-mêmes ce que nous avons découvert et expérimenté de la miséricorde de Dieu? Comment ne pas le partager aux autres, à la foule des hommes, et les inviter? En ce lieu de grâce, nombreux sont les pèlerins qui prient pour la France depuis les événements de 1947. Alors que notre pays était en train de se diviser, menacé dans son unité et donc blessé et souffrant, Marie intercède pour la nation comme une grande famille fragilisée et vacillante, et elle nous fait entrer dans sa compassion à l'égard de notre peuple, dans l'unité de la famille plus grande encore de tous les peuples de la terre. La compassion se fait prière pour l'unité et la réconciliation. Notre compassion pour les pécheurs nous conduit à demander nous aussi à Marie: que faut-il faire pour consoler Notre-Seigneur de la peine que lui font les pécheurs? elle nous répond tout simplement: Il faut prier et faire des sacrifices. Elle nous montre combien ce chemin de la compassion pour les pécheurs, pour les hommes blessés par le mal et le péché est la charité de la prière et de l'offrande des sacrifices de chaque jour. Saint Paul disait aux chrétiens de Colosses : Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu'il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l'accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l'Eglise. (Colossiens 1, 24). La souffrance offerte prend alors une toute autre dimension. Le Père du Ciel dans son pardon inépuisable nous associe à la passion de son Fils avec et en Marie pour exprimer sa miséricorde pour les pécheurs. Il nous donne de prendre sur nous, qui ne sommes rien par nous-mêmes mais tout dans le Christ, et donc finalement de prendre dans le Christ, pour donner aux pécheurs, par la prière, les sacrifices et la charité concrète et inventive. O grand mystère de la miséricorde de notre Père, si tendrement manifesté par la compassion de Notre Dame de la Prière! Quelle espérance pour chacun de nous, et pour le monde entier! AMEN.