Dossier | La Planète et l’agriculture en danger
12 | L’Information Agricole - N° 885 Mars 2015
Rapport GIEC*
Les experts sonnent l’alarme
Le 2 novembre 2014, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rendait public à Copenhague
(Danemark), la synthèse de son cinquième rapport sur le changement climatique (CC). Que faut-il en retenir ?
« Il faut agir vite et fort, sans quoi le
changement climatique produira
de plus en plus d’effets pervasifs,
sévères et irréversibles sur les sociétés
humaines et les écosystèmes ». C’est dans
ces termes forts que se sont exprimés les
experts du GIEC lors de la présentation de
leur rapport.
Pour limiter le réchauffement à moins
de 2
oC par rapport aux niveaux pré-
industriels, « des efforts considérables
visant à réduire durablement les émis-
sions de gaz à effet de serre doivent être
mis en œuvre », selon le GIEC. Des réduc-
tions de 40 % à 70 % des émissions de
GES d’ici 2050 par rapport à 2010, et des
niveaux d’émissions proches de zéro en
2100 sont préconisés.
Photos : D. R.
François Hollande qui a conclu le forum du 20 février dernier a rappelé que nous devions « limiter à 2 degrés
le réchauffement de la planète d’ici la fi n du siècle » par des engagements précis, alors que la tendance naturelle
est plutôt de 4 à 5 degrés, ainsi que l’indique Jean Jouzel, le vice-président du groupe d’experts intergouvernementaux
sur l’évolution du climat (GIEC). Certes, l’agriculture comme toutes les activités humaines émet des gaz
à effet de serre (GES) responsables du réchauffement climatique – dioxyde de carbone, protoxyde d’azote lié à
la fertilisation des cultures et méthane produit par les ruminants – mais elle n’arrive qu’en 3e position dans le monde
avec 21 % des émissions, derrière l’industrie 29 % et les transports 28 %. Elle subit elle-même les dérèglements climatiques
avec multitude d’évènements de plus en plus fréquents et violents, comme les inondations, la sécheresse, les cyclones…
La Planète et
La Planète et
l’agriculture en danger
l’agriculture en danger
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« Les options d’atténuation existent dans
chaque secteur majeur », explique les
experts. « Elles peuvent être rentables si
elles s’appuient sur une approche intégrée
combinant des mesures pour réduire la
consommation d’énergie et l’intensité des
GES, décarboner la fourniture d’énergie,
réduire les émissions nettes et accroître les
puits de carbone dans le secteur de l’usage
des terres. » Pour le secteur agricole, « les
options d’atténuation les plus rentables
sont la gestion de terres cultivées, la ges-
tion des pâturages et la restauration des
sols organiques », selon le rapport.
Autre élément confi rmé par les clima-
tologues : « l’infl uence humaine sur le
système climatique est claire ». « Les
émissions de gaz à effet de serre ont aug-
menté depuis l’ère préindustrielle, large-
ment contrôlées par la croissance démo-
graphique, la croissance économique, et
sont aujourd’hui plus élevés. » « Ceci a
conduit à des concentrations atmosphé-
riques de dioxyde de carbone (CO2),
de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux
(NH4) sans précédent depuis au moins
800 000 ans » déplore le Président du
GIEC, Rajendra Pachauri.
En ce qui concerne l’adaptation, un pre-
mier pas à venir est de « réduire la vul-
nérabilité et l’exposition à la variabilité
climatique actuelle », souligne le GIEC.
LES 5 CHIFFRES À RETENIR
95 % C’est le degré de certitude,
qualifi é d’« extrêmement probable », que
l’« activité humaine est la cause princi-
pale du réchauffement observé » depuis
le milieu du XXe siècle ;
4,8°C Après une hausse de 0,85 oC en
moyenne entre 1880 et 2012, l’augmen-
tation des températures moyennes à la
surface de la planète pourrait atteindre
4,8 oC à l’horizon 2100 par rapport à la
période 1986-2005, dans le scénario le
plus pessimiste, c’est-à-dire si les émissions
de gaz à effet de serre continuent à leur
rythme actuel (entre 0,3 oC et 3,1 oC pour
les autres scénarios) ;
98 cm Le niveau des océans en 2100
par rapport à la période 1986-2005 pourrait
s’élever de quasiment un mètre, dans le
scénario le plus pessimiste. Selon le dernier
rapport du GIEC, les océans se sont élevés
de 19 cm depuis la fi n du XIXe siècle ;
54 % Les émissions annuelles de CO2
d’origine humaine (combustibles fossiles,
production de ciment) sur la période 2002-
2011 étaient 54 % au-dessus du niveau de
1990 ;
– 70 % C’est la réduction nécessaire
des émissions mondiales de gaz à effet
de serre (CO2 mais aussi méthane et pro-
toxyde d’azote) en 2050 par rapport à leur
niveau de 2010 pour maintenir la hausse
moyenne des températures en dessous de
2 oC, selon le dernier rapport. Mais « depuis
2010, les émissions augmentent plus vite
encore que dans les décennies précé-
dentes », a déploré Rajendra Pachauri, le
président du GIEC.
Mais les experts expliquent également
que même si l’adaptation peut réduire les
risques des impacts du changement cli-
matique, il y a des limites à son effi cacité,
« particulièrement avec les changements
climatiques de plus grandes ampleurs et
plus rapides. »
Aurore Bescond
*
Groupe d’experts Intergouvernementaux sur l’Évolution du
Climat.
Aurore Bescond
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Dossier | La Planète et l’agriculture en danger
Négociations internationales
Quels enjeux pour l’agriculture ?
Le 18 décembre 2014, l’association TerrEthique organisait une rencontre sur l’agriculture et le changement climatique dans
la perspective de la future négociation internationale sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre 2015 (COP 21).
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agricole : évolutions des calendriers cultu-
raux, des territoires d’appellations, etc.
« La question exceptionnelle devient habi-
tuelle », explique Marie-Hélène Aubert.
Jusque-là peu abordée dans la négociation,
la question de l’adaptation se fait plus pré-
sente, à côté du sujet de l’atténuation. Les
PVD sont maintenant touchés par les évè-
nements climatiques. L’objectif de réduction
des émissions à – 50 % est par conséquent
devenu une pierre d’achoppement de la
négociation. Marie-Hélène Aubert rappelle
à juste titre que « les émissions dépassent
les frontières », d’où la confi guration parti-
culière de la négociation en cours.
« La négociation climatique ne doit pas être
séparée des objectifs de sécurité alimen-
taire », a mis en avant Stéphane Lemoing
lors de son intervention. « Or, ceci n’est
pas une évidence dans le contexte de la
négociation internationale » a-t-il souligné.
Il n’existe pas de volet spécifi que agricole
dans la négociation. Le risque encouru est
d’associer la réduction des GES à la réduc-
tion de la production agricole. « Il est donc
important pour le gouvernement français
de plaider le produire plus et mieux », de
mettre en avant le concept « d’effi cacité
des systèmes ». La spécifi cité de l’agri-
culture doit donc être retenue pour le minis-
tère de l’Agriculture « pour se garder d’une
approche de réduction automatique. »
A. B.
Marie-Hélène Aubert, conseillère
pour les négociations internatio-
nales climat et environnement
du Président de la République, et Stéphane
Lemoing, directeur de cabinet adjoint du
ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll,
participaient à cet échange, sous la Prési-
dence de Luc Guyau.
La conseillère a rappelé un élément qui
peut sembler une évidence : « En 20 ans,
le monde a changé. À l’époque de Rio
(Sommet de la Terre 1992), il faut signaler
que les différences de développement entre
les pays du Nord et du Sud étaient impor-
tantes, ce qui n’est pas sans infl uence sur les
négociations en cours. » En effet, les pays en
voie de développement (PVD) estiment que
les pays développés ne tiennent pas leurs
engagements, se référant à l’épineuse ques-
tion du soutien fi nancier Fonds vert pour
le climat, promis par les pays industrialisés
lors de la conférence de Copenhague en
2009 afi n d’aider les pays pauvres à lutter
contre le réchauffement climatique.
« Pour l’agriculture la question est diffi cile »
explique la conseillère. Les effets du chan-
gement climatique tels que la hausse des
températures ou encore l’augmentation de
la fréquence des évènements dits « excep-
tionnels » impactent directement l’activité
Photos : D. R.
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seule une partie de cette atténuation serait
refl étée dans l’inventaire national des
émissions de gaz à effet de serre. En effet,
l’inventaire national 2010 ne permet pas
de rendre compte de l’atténuation liée à
certaines actions (par exemple aux émis-
sions de méthane par les bovins suite aux
modifi cations des rations alimentaires, ou
au stockage de carbone lié au non-labour
ou l’agroforesterie).
Selon l’INRA, cette étude devrait contribuer
à faciliter la conception ou la réorientation
de politiques publiques destinées à réduire
les émissions de gaz à effet de serre dans le
secteur agricole.
Q
Aurore Bescond
Q Etude INRA
10 actions à mener
Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz
à effet de serre ? C’est la question qui a été posée aux chercheurs de l’INRA1 par le
MAAF2, le MEDDE3 et l’ADEME4 dans le cadre d’une étude publiée le 2 juillet 2013.
Lobjectif assigné aux chercheurs était
le suivant : déterminer et analyser
une dizaine d’actions portant sur des
pratiques agricoles et susceptibles de favori-
ser le stockage de carbone par l’agriculture
ou de réduire ses émissions de GES sans
impacter le niveau de production de plus
de 10 %.
Ce travail a mis en évidence un potentiel
d’atténuation important des émissions du
secteur agricole via ces dix actions. L’en-
semble des actions analysées conduirait à
l’horizon 2030 à une atténuation annuelle
cumulée représentant 32 millions de
tonnes de CO2 équivalent selon la métho-
dologie utilisée par les experts. Toutefois,
LES 10 MESURES IDENTIFIÉES PAR L’INRA
Diminuer les apports de fertilisants minéraux azotés
1. Réduire le recours aux engrais minéraux de synthèse, en les utilisant mieux et en valori-
sant plus les ressources organiques, pour réduire les émissions de N2O ;
2. Accroître la part de légumineuses en grande culture et dans les prairies temporaires,
pour réduire les émissions de N2O.
Stocker du carbone dans le sol et la biomasse
3. Développer les techniques culturales sans labour pour stocker du carbone dans le sol ;
4. Introduire davantage de cultures intermédiaires, de cultures intercalaires et de bandes
enherbées dans les systèmes de culture pour stocker du carbone dans le sol et limiter les
émissions de N2O ;
5. Développer l’agroforesterie et les haies pour favoriser le stockage de carbone dans le sol et la biomasse végétale ;
6. Optimiser la gestion des prairies pour favoriser le stockage de carbone.
Modifi er la ration des animaux
7. Substituer des glucides par des lipides insaturés et utiliser un additif dans les rations des ruminants
pour réduire la production de CH4 entérique ;
8. Réduire les apports protéiques dans les rations animales pour limiter les teneurs en azote des
effl uents et réduire les émissions de N2O.
Valoriser les effl uents pour produire de l’énergie et réduire la consommation d’énergie fossile
9. Développer la méthanisation et installer des torchères, pour réduire les émissions de CH4 liées au
stockage des effl uents d’élevage ;
10. Réduire, sur l’exploitation, la consommation d’énergie fossile des bâtiments et équipements agri-
coles pour limiter les émissions directes de CO2.
1 INRA : Institut national de la recherche agronomique.
2 MAAF : Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de
la forêt.
3 MEDDE : Ministère de l’écologie, du développement durable
et de l’énergie.
4 ADEME : Agence nationale de l’environnement et de la maî-
trise de l’énergie.
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Dossier | La Planète et l’agriculture en danger
Q Climat et biodiversité
Les scientifi ques s’interrogent
Le 6 novembre 2014, la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité et le ministère de l’Ecologie, du Développement
durable et de l’Energie ont organisé une Conférence Climat et Biodiversité, réunissant les experts français du GIEC et de
l’IPBES pour comprendre les interactions entre le climat et la biodiversité.
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et de l’IPBES (Plateforme internationale
de la biodiversité et des services écosys-
témiques) a présenté l’organisation et le
fonctionnement des deux plates-formes
ainsi que les liens possibles entre ces
deux entités. La création de l’IPBES en
2012 vient donc répondre à un besoin de
dialogue entre scientifi ques, politiques
et acteurs de la société pour relever des
défi s de la biodiversité au niveau mon-
dial, tout comme le travail du GIEC sur le
changement climatique. Les rapports du
GIEC sont aujourd’hui reconnus et utili-
sés par les États membres et l’ONU pour
déterminer les politiques de lutte contre
le changement climatique. Les futurs rap-
ports de l’IPBES sur l’état de la biodiversité
mondiale et les scénarios de son évolution
devraient également servir aux politiques
nationales et internationales pour lutter
contre l’érosion de la biodiversité.
De nombreuses
interactions envisagées
entre changement
climatique
et biodiversité
Les experts français ont ensuite échangé
sur les interactions possibles entre le chan-
gement climatique, l’état de la biodiversité
et son évolution. Ainsi devront être étudiés
l’impact du changement climatique sur la
biodiversité, et réciproquement l’impact de
l’érosion de la biodiversité sur le climat. Par
exemple, une écologue a étudié l’infl uence
de l’acidifi cation des océans (un des impacts
du changement climatique) sur la popula-
tion de zooplancton, qui diminue de ce fait.
Or le zooplancton est à l’origine du pro-
cessus d’absorption du CO2 dans l’océan.
Le CO2 est donc moins absorbé entraînant
ainsi l’augmentation de la concentration en
CO2 dans l’air : la boucle de rétroaction est
ainsi fermée.
Des actions pour 2015
En amont de la COP21, la ministre de l’Eco-
logie a décidé de mettre en œuvre plu-
sieurs actions en faveur de la recherche sur
la biodiversité et sur ses interactions avec
le climat. La préfi guration de l’Agence fran-
çaise pour la Biodiversité en 2015 devrait
permettre de faire le relais avec les travaux
de l’IPBES. Une table ronde sur le fi nance-
ment de la recherche en matière de biodi-
versité devrait également être organisée au
printemps 2015. Enfi n un colloque sur les
sciences participatives en matière de biodi-
versité sera organisé au cours de l’année.
Q
Texte et photo Kristell Labouss
Dans le cadre de la préparation de
la Conférence environnementale
2014, la ministre de l’Ecologie a
souhaité réunir les experts scientifi ques
français du GIEC et de l’IPBES pour rappeler
l’importance d’étudier les interactions
entre le climat et la biodiversité. La ministre
a notamment insisté sur la nécessité de la
recherche scientifi que sur ces enjeux et
a indiqué qu’elle souhaitait augmenter les
moyens alloués à ces recherches.
Climat et biodiversité :
une voix commune
internationale pour
les scientifi ques
Une première table ronde avec des
membres français du GIEC (Groupe inter-
gouvernemental d’experts sur le climat)
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