publiés en 1971 et 1972, L'Islam entre l'appel à Dieu et l'État et L'Islam
demain posent les jalons de son engagement politique.
Mais c'est en septembre 1974, avec sa lettre ouverte au roi, au titre
provocateur, L'Islam ou le déluge, que l'imam s'attaque frontalement à Hassan II.
Deux années seulement après le putsch manqué du général Oufkir, dans un
contexte de suspicion voire de paranoïa gouvernementale et de pouvoir arbitraire, le
roi reçoit cette missive violente d'une centaine de pages. Avec l'éloquence d'un
Sayyid Qotb, cet intellectuel qu’il admirait et qui avait en Égypte rejoint les rangs des
Frères Musulmans, l'auteur dénonce la fitna, le désordre, et la corruption, et exhorte
le roi à appliquer lashûra, principe de démocratie directe, et à mettre ainsi fin à son
pouvoir arbitraire. Plus tard Abdessalam Yassine s'inspirera de la révolution
iranienne de l'imam Khomeiny, fondateur de la république islamique, et du principe
de Welayat al-Faqih, système politique fondé sur le pouvoir légitime d'un juriste-
théologien, guide suprême issu du clergé. Pour l'heure, il est emprisonné pendant
presque quatre ans sans jugement. À sa libération, il retourne à Marrakech, sa ville
natale, mais les autorités, redoutant la portée de ses prêches, lui retire l'autorisation
d'officier dans sa mosquée. Le mûrshid retournera en prison en raison de ses
discours tenus contre le roi avant d'être assigné à résidence surveillée.
« Il s'agit d'islamiser la modernité, non de moderniser l'Islam »
Le mouvement d’Al'Adl wal-Ihssane est connu en français sous le nom de Justice et
Bienfaisance. Le terme Ihssane a un sens religieux, mystique et social puisqu'il
désigne à la fois la station spirituelle la plus élevée chez les gnostiques musulmans,
chiites comme sunnites, et l'engagement sincère et véritable dans la société. Le parti
opère depuis 1973 à la fois sur le terrain de l'action sociale (santé, éducation,
formation), d'où une popularité grandissante au Maroc, que sur le terrain religieux par
la da'wa, l'enseignement de la religion par le prêche et l'organisation de cercles
religieux à travers le pays. La lutte est donc spirituelle et temporelle. Le but est
d'éduquer le musulman pour changer la société. Le changement doit venir du bas, du
peuple. Il s'agit de purifier, à la racine, la société, touchée par les maux de la
corruption et de la fitna et défiée par les problèmes sociétaux contemporains : les
effets du capitalisme libéral, l’absence de perspective pour la jeunesse marocaine,
l’individualisme, la place de la femme dans la société, la corruption, etc. Il faut «
islamiser la modernité » par l’établissement d’un califat islamique et l’union des pays
musulmans, car Abdessalam Yassine est nostalgique d’un âge d’or islamique.