LES CAHIERS DU PAYS DE GUÉRANDE, 49, 2010 FLORE REMARQUABLE EN PAYS DE GUÉRANDE
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Ce terrible constat n’affecte pas seulement les
espèces végétales. Que les âmes sensibles s’abstiennent
de prendre connaissance de l’état des populations de
mammifères, amphibiens et reptiles des Pays-de-la-
Loire6! Par exemple, le petit crapaud Pélobate cultri-
pède (Pelobates cultripes) a été signalé pour la dernière
fois en 1994 sur le secteur du Pouliguen. Le Pays de
Guérande et plus particulièrement Pen-Bron était
alors la limite septentrionale de répartition de cette
espèce7menacée au niveau mondial.
Les raisons locales de ces disparitions sont
connues : l’artificialisation du littoral, l’évolution
des pratiques agricoles, la surfréquentation touris-
tique et l’introduction d’espèces invasives.
L’artificialisation du littoral est liée à l’urbanisa-
tion et la construction d’infrastructures routières.
Elle a été particulièrement fatale aux massifs dunaires
réduits à la portion congrue dès les années 1960. Et
que dire des marais salants grignotés par les remblaie-
ments (y compris de déchets de tous ordres), puis
aménagés en zones commerciales ? Mais comme il est
coutume de le dire : « c’est l’époque qui voulait ça ».
L’urbanisation et les routes conduisent aussi à un
autre phénomène, le morcellement et l’atomisation
des habitats. Ceux-ci peuvent alors se réduire à de
simples timbres-poste, éloignés entre eux et sans
possibilités d’échanges, entraînant inéluctablement
la disparition de certaines espèces.
L’Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale)
espèce protégée au niveau européen, encore présent sur
les ruisseaux du coteau de Guérande en 2001 est signalé
disparu en 2007. On peut se demander si cette petite
libellule, toujours observable sur de petits tronçons de
cours d’eau sur le bassin du Mès et de Pont-Mahé, se
maintiendra quand on connaît l’éloignement des sites
entre eux et le comportement casanier de cet insecte8.
L’évolution des pratiques agricoles traditionnelles
vers une agriculture « moderne » a été préjudiciable
au bocage et à ses espèces, au travers notamment des
aménagements fonciers. L’arasement des talus et
des haies, la rectification et le surcreusement des
cours d’eau, le drainage et le comblement de mares
étaient alors justifiés pour agrandir les parcelles et
pérenniser économiquement l’agriculture. Fort heu-
reusement, il faut reconnaître que la Presqu’île a su,
néanmoins, conserver de beaux secteurs bocagers.
Paradoxalement, la déprise agricole sur certains
milieux a mené au développement de friches, nette-
ment moins intéressantes du point de vue de la
diversité des espèces. Des plantes communes sans
grande valeur patrimoniale (Épine noire, Prunus
spinosa, ronces,…) ont succédé aux riches bruyères
des landes autrefois pâturées, à Pen-Bé, au Croisic
ou sur le coteau guérandais.
La surfréquentation touristique menace aussi la
biodiversité : piétinement des habitats et espèces
protégées des dunes grises, pêche à pied dans les
herbiers à zostères (Zostera noltii) et récifs d’Her-
melles (Sabellaria alveolata), remblaiement des
chemins creux pour les randonneurs et autres engins
à moteurs. Sous la pression touristique, les com-
munes ont dû développer le nettoyage mécanique
systématique des plages, supprimant de fait les pos-
sibilités de développement d’une végétation unique,
la végétation annuelle des laisses de mer où prospé-
rait autrefois la fameuse… Euphorbe péplis. Le net-
toyage systématique condamne aussi le réensablement
de la dune et provoque érosion aggravée et recul du
trait de côte.
L’introduction d’espèces étrangères dites « inva-
sives » est considérée, au niveau mondial, comme la
deuxième cause de disparition de la biodiversité.
Ces espèces exogènes ont une forte capacité de dis-
sémination, pas ou peu de prédateur, et s’adaptent à
des milieux variés. Ragondins (Myocastor coypus),
Écrevisses de Louisiane (Procambarus clarkii) et
Jussies (Ludwigia sp.) ont maintenant une bien triste
réputation dans la Presqu’île. Tout comme le Bac-
charis à feuilles d’arroche (Baccharis halimifolia),
l’Ailante glanduleux (Ailanthus altissima) ou l’Herbe
de la pampa (Cortaderia selloana) pourtant si prisée
des jardiniers.
En 2005, le conservatoire botanique national de
Brest a clairement mis en évidence sur la dune de La
Falaise l’impact négatif du Baccharis halimifolia :
le nombre d’espèces observées est d’autant plus
faible que le degré d’infestation par le Baccharis
augmente9.
Les pollutions majeures conduisent aussi à l’éro-
sion de la biodiversité. Lors de la marée noire de
L’Erika, près de 65 000 oiseaux mazoutés (notam-
ment le Guillemot de Troïl Uria aalge) ont été récu-
pérés, la plupart morts. La mortalité globale estimée
est de l’ordre de 150 000 oiseaux, ce qui fait de
L’Erika l’une des marées noires au monde les plus
meurtrières pour la gente ailée10.
À une échelle qui nous échappe, même si nous
avons notre part de responsabilité, l’effet de serre et
l’élévation de la température à la surface du globe
modifient les conditions de vie des espèces, mena-
çant nombre d’entre elles, notamment les plus spé-
cialisées11.
Enfin, il ne faut pas non plus oublier une autre
grande cause de réduction de la diversité biologique,
la surexploitation des ressources naturelles, même si
son impact est difficile à évaluer pour notre terri-
toire.