4 5 Témoignage La Gruyère / Mardi 9 mai 2017 / www.lagruyere.ch La Gruyère / Mardi 9 mai 2017 / www.lagruyere.ch «La médecine m’a détruite et reconstruite» En 2015, Chloé Kolly a développé un syndrome de Lyell, une allergie aux médicaments rare, extrême et souvent mortelle. Récit d’une rapide descente aux enfers et d’un lent retour parmi les vivants. XAVIER SCHALLER SANTÉ. En Suisse, une personne sur un million souffre chaque année d’un syndrome de Lyell. Une réaction allergique extrême qui survient à la suite d’un traitement médicamenteux. Pour Chloé Kolly, en 2015, c’était de simples anti-inflammatoires. La jeune femme de 27 ans a grandi à Bulle et a étudié la physiothérapie. En janvier 2015, elle est engagée par un cabinet du chef-lieu. Mais, après six mois d’activité, elle est mise en arrêt de travail à cause d’épicondylites à répétition. «Un coude, puis l’autre. Dans ce métier, c’est un problème courant en début de carrière. On ne dose pas bien sa force et on ne prend pas assez de repos. J’étais prise dans un rythme de vie à 100 à l’heure. Je travaillais à 100% et je faisais du sport tous les soirs.» On lui prescrit des traitements anti-inflammatoires. Deux fois du Voltaren, à un mois d’intervalle. «La deuxième fois, je suis passée au Novalgin après une semaine, à cause notamment de brûlures d’estomac.» L’un de ces médicaments va provoquer une réaction allergique grave, un syndrome de Lyell (voir ci-contre). «Ça a commencé assez bizarrement, se souvient la jeune femme. Un bouton de fièvre sur la lèvre, puis des symptômes grippaux (fatigue, maux de tête, bouffées de chaleur), alors qu’on était au mois de juillet.» Ces symptômes durent quatre jours, puis ses yeux deviennent rouges. Comme son ophtalmologue, qu’elle consulte le 16 juillet, elle soupçonne une conjonctivite. Sauf que les gouttes prescrites ne font pas effet. Des démangeaisons Le soir même, elle ressent aussi des démangeaisons génitales. «Cela commençait à faire beaucoup. Vers minuit, je suis allée aux urgences à Riaz. Comme ils n’ont pas de service gynécologique, ils m’ont donné une crème contre les mycoses et m’ont dit de consulter mon gynécologue le lendemain.» A 3 h, Chloé Kolly est de retour chez elle. Elle se sent toujours mal, a très chaud et commence à respirer difficilement. «A 6 h, j’étais de retour aux urgences avec mon copain. Là, ça a été la panique.» Des cloques se forment sur sa peau qui commence à s’ulcérer. Elle a 39 degrés de fièvre et sa saturation en oxygène n’est plus que de 92% – contre 98-99% pour une personne en bonne santé. Et malgré une injection d’adrénaline, son état ne s’améliore pas. «Le docteur Firmann a envoyé des photos de mes muqueuses à un dermatologue, le docteur Poffet. Celui-ci a immédiatement identifié le problème et m’a envoyée à Berne, au service dermatologique de l’Hôpital de l’Ile.» Toujours véhiculée par son ami, elle effectue un détour par son appartement. «Il fallait récupérer tous les médicaments que j’avais pris pour pouvoir établir une chronologie.» La peau se décolle partout A son arrivée à Berne, sa peau se décolle sur tout le corps. «Avec de nouveaux points rouges, qui ressemblaient à des boutons de varicelle. En fait, c’étaient des trous qui s’ouvraient dans mon épiderme.» De nombreux médecins viennent la voir, mais elle reste en chambre normale. «Je pensais encore que ma situation n’était pas trop grave et sous contrôle.» L’allergie médicamenteuse dont elle souffre connaît plusieurs types. Elle est en fait victime du plus aigu, le syndrome de Lyell. Ensuite tout empire et devient flou dans l’esprit de Chloé Kolly. Elle se souvient de son transfert aux soins intensifs: «J’étais mal et hyperfaible. Ça me brûlait, je ne pouvais plus me déplacer. J’avais d’énormes cloques partout, qui s’ouvraient et saignaient. Mes poumons se remplissaient d’eau, j’avais un masque à oxygène sur le nez.» Sa famille a été prévenue de son hospitalisation. Quand elle intègre les soins intensifs, ses parents, en vacances en France, décident de rentrer dans la nuit. Le corps médical, lui, semble démuni. «Personne n’était sûr du diagnostic. Quelque chose d’auto-immun, mais quoi?» Certains parlaient même de sida tant ses défenses s’étaient effondrées rapidement. «Il y a eu un moment assez difficile. Devant tous mes proches réunis, les médecins ont annoncé que mon pronostic vital était engagé. Moi, je n’avais pas cette impression. Je leur ai dit: “C’est bon, je ne vais pas laisser cette cochonnerie m’avoir!” J’étais en mode combat et j’avais confiance.» Un mois de coma artificiel Elle a néanmoins de plus en plus de mal à respirer et demande à être intubée. Ensuite, elle est plongée dans un coma artificiel. Elle se réveillera au CHUV, au Centre romand des brûlés, un mois plus tard. Avant de la réveiller, les médecins ont attendu que ses plaies externes soient refermées. «On m’a raconté que j’étais passée par tous les états, notamment très bas, avec des infections pulmonaires.» L’hôpital a recensé l’ensemble de ses traitements dans un livre. «Quand les médecins ont annoncé à mes proches que mon pronostic vital était engagé, je leur ai dit: “C’est bon, je ne vais pas laisser cette cochonnerie m’avoir!”» CHLOÉ KOLLY La forêt près de chez elle est l’un des premiers endroits où Chloé Kolly a eu envie de se balader, dès que sa santé le lui a permis. Elle apprend maintenant à vivre avec sa différence, notamment un œil qui ne retrouvera jamais sa vision et son apparence d’avant. PHOTOS CHLOÉ LAMBERT «Mes nombreuses visites y avaient aussi laissé un mot. C’était chouette de voir tout ce soutien et de pouvoir retracer cette histoire. Il y avait aussi un panneau de photos dans ma chambre, quand je me suis réveillée. Ça m’a touchée.» Chloé Kolly a l’impression de n’avoir passé que quelques jours à l’hôpital. «Je n’avais conscience ni de la gravité de mon état ni des traitements subis. Mais, après un mois d’alitement, je n’avais plus un muscle qui fonctionnait. Je n’arrivais pas à parler, pas à bouger, pas à m’asseoir. Lorsqu’on m’a désintubée, je devais même penser: inspire, expire.» Elle reste deux mois et demi à l’hôpital. Dès qu’elle réussit à se lever et à marcher quelques mètres avec de l’aide, elle quitte les soins intensifs. «Quand je suis passée à l’étage de la chirurgie reconstructive, comme le font tous les grands brûlés, j’étais un moineau.» Elle a perdu douze kilos et est encore nourrie par sonde gastrique. «Au niveau du moral, cela a été en dents de scie pendant très longtemps.» Ses yeux l’inquiètent et la font énormément souffrir. Durant son coma, le Lyell a continué dans cet organe, jusqu’à détruire complètement la cornée. «Je voyais, mais mes yeux n’étaient plus protégés. Je restais dans le noir tout le temps, car la lumière me faisait mal.» En plus de ses nombreux traitements, elle se rend presque tous les jours à la Clinique ophtalmologique, en ambulance. Rentrer à la maison Fin octobre 2015, la jeune femme peut rentrer à la maison, à Bulle. «Cela a été une des périodes les plus difficiles pour moi. Je quittais le cadre rassurant de l’hôpital et la routine des soins. Mes parents étaient, eux aussi, extrêmement fatigués et je sentais leur inquiétude.» Sa vue se péjore toujours. Elle ne voit plus que des ombres ou des silhouettes. «J’étais comme tétanisée. Je restais là où on me posait. J’avais peur de casser des choses ou de me taper et j’étais physiquement très faible.» Elle se demande parfois si elle trouvera encore la force de se battre. Mais elle se ressource auprès de ses proches, dans la nature, avec les chevaux ou durant les balades en tandem. Avec l’aide de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants, elle apprend à surmonter son handicap: cuisiner, prendre ses médicaments, marcher avec une canne blanche, prendre le bus. Sa cornée finit par cicatriser, mais comme elle ne contient plus assez de cellules souches, elle se reconstitue avec du tissu qui n’est pas transparent. «Le paradoxe, c’est que plus je guérissais et moins je voyais. Ma vision se bouchait, de l’extérieur vers l’intérieur.» En janvier 2016, elle ne voit pratiquement plus. «A un moment donné, j’ai dû me poser la question: est-ce que je reste sur mon lit à pleurer sur mon sort ou est-ce que je continue à avancer?» Elle se force donc à planifier au moins une activité par jour. Si ce n’est pas possible, tant pis, au moins elle aura essayé. «Aujourd’hui encore, je suis parfois complètement à plat. Pendant un ou deux jours, je ne peux même pas faire des choses simples comme débarrasser la vaisselle.» Chloé Kolly n’a jamais été révoltée par ce qui lui est arrivé. Elle a rebâti sa vie, petit à petit. En août 2016, elle s’est installée à Pringy avec son copain. En février, on lui a implanté une prothèse oculaire (voir ci-contre). Aujourd’hui, elle voit à 100% d’un œil et rêve de travailler à nouveau, de faire du sport, de voyager pour voir toutes ces choses qu’elle a failli ne jamais voir. «C’est fou de penser que la médecine m’a détruite et reconstruite. L’opération qui m’a redonné la vue est incroyable, mais rien ne serait arrivé sans le système médical. Je n’en veux pas aux médecins, un peu plus à l’industrie pharmaceutique.» ■ Syndrome lié à un médicament Le syndrome de Lyell est une réaction allergique déclenchée par un médicament. Celui-ci stimule le système immunitaire et l’amène à tuer les cellules de l’épiderme, faisant se décoller la peau. C’est en fait une forme grave, qui touche au moins 30% de la surface du corps, de nécrolyse épidermique toxique. Ce syndrome touche un Suisse sur un million. L’allergie survient lors de la prise d’un nouveau médicament. «Certains sont plus à risques, comme les anticonvulsivants, les antibiotiques ou l’allopurinol, utilisé contre la goutte», note Olivier Gaide. Médecin adjoint en dermatologie au CHUV, il a récemment publié une étude concernant les mécanismes moléculaires régissant cette maladie. «En théorie, n’importe quel médicament peut provoquer ce syndrome. Mais quand un traitement est bien toléré depuis des années, ce genre de problème ne survient pas.» Lors d’un Lyell, la couche superficielle de la peau meurt d’un coup et ne joue plus son rôle d’étanchéité. Les bactéries peuvent entrer; l’eau, les électrolytes et le sérum sortir. «Ces pertes peuvent notamment faire dysfonctionner les reins ou le «En théorie, n’imcœur, comme chez les grands porte quel médicabrûlés.» ment peut provoquer Les patients meurent des du décollement cutané. ce syndrome. Mais effets «Dès que 30% de la peau est quand un traitement touchée, le taux de mortalité est proche de 40%, selon est bien toléré dedifférentes études. Plus la puis des années, ce surface de peau décollée est importante – 60% chez genre de problème Chloé Kolly – plus le risque ne survient pas.» augmente. Deux choses à faire dès Dr OLIVIER GAIDE lors: arrêter le médicament en cause et confier le patient à un centre pour grands brûlés. En fonction de la dose prise et du type de médicament, la substance peut néanmoins rester présente un certain temps dans le corps, précise Olivier Gaide. «En revanche, il n’y a jamais d’atteinte du derme. Si l’on compare à une brûlure, cela correspond à un degré 2 superficiel.» Il n’y a ainsi pas de cicatrices de rétraction et pas de changement du derme comme les grands brûlés. Durant le processus de cicatrisation, les soins peuvent néanmoins être extrêmement douloureux. Dans un contexte de gestion de la douleur, le patient peut être plongé dans un coma artificiel, comme ce fut le cas pour la Gruérienne. Des troubles de pigmentation peuvent persister assez longtemps. «Chez les patients qui ont une peau foncée (type 4 à 6), cela est particulièrement visible. Leur peau apparaît bigarrée, en confettis de différentes couleurs, ce qui les gêne beaucoup.» Au niveau des complications, les cheveux peuvent tomber et ne pas repousser, de même pour les ongles. «Dans une très grande majorité des cas, des problèmes apparaissent sur les muqueuses. Des synéchies peuvent se former, par exemple au niveau génital ou entre la conjonctive et la paupière.» Des ponts se créent et la peau colonise ces muqueuses – c’est ce phénomène qui a rendu la cornée de Chloé Kolly opaque. Olivier Gaide voit deux types de préventions possibles. «D’abord, ne donner des médicaments que pour des bonnes raisons. Quand vous avez vu plusieurs cas de Lyell, vous y pensez chaque fois que vous prescrivez un médicament.» Ensuite, pour certains antirétroviraux, il est possible de tester la réponse immunitaire des patients et d’exclure si nécessaire le traitement. XS Implanter une canine dans l’œil pour rendre la vue L’ostéo-odonto-kératoprothèse, ou comment retrouver la vue par l’entremise d’une dent. Pour fabriquer une ostéo-odonto-kératoprothèse, une canine est prélevée, avec de l’os autour, chez le patient. Une tranche est découpée dans l’os et la racine. Cette dernière est percée d’un trou pour accueillir un tube transparent en plexiglas. La prothèse ainsi créée est ensuite fixée dans l’œil, à la place de l’iris. Une membrane de peau, préalablement découpée dans la bouche du patient et fixée sur l’œil, recouvre le dispositif et le protège. Une ouverture y est pratiquée pour permettre à la lumière d’atteindre la rétine à travers le tube. UNIVERSITÉ DE MIAMI RECONSTRUCTION. Aveugle durant des mois, Chloé Kolly a recouvré la vue, à 100% ou presque, grâce à une ostéoodonto-kératoprothèse. Pour faire simple, une équipe de chirurgiens a prélevé l’une de ses canines pour fabriquer une prothèse optique, qui a été greffée dans son œil. L’opération, qui existe depuis les années 1960, a été réalisée à Bâle, par le professeur David Goldblum: «Elle est pratiquée sur des personnes qui ont une cécité bilatérale en raison d’une cornée opaque. Mais il est indispensable que leur rétine et leur nerf optique fonctionnent.» Pour Chloé Kolly, une greffe classique était impossible, car sa cornée ne contenait plus de cellules souches. La jeune femme a rencontré David Goldblum le 8 juillet 2016. «Cela a été une bouffée d’espoir. On m’avait vaguement parlé d’une kératoprothèse, mais en précisant que rien n’était envisageable dans l’immédiat. Je m’étais préparée à rester aveugle plusieurs années.» Pour David Goldblum, du service ophtalmologique de l’Hôpital universitaire de Bâle, rien ne s’oppose à une intervention rapide. Le temps de réunir les indispensables spécialistes. «Trois semaines après notre rencontre, j’ai reçu des dates: le 8 novembre pour la première opération, le 1er février pour la seconde.» Un tube dans une dent La pose d’une ostéo-odonto-kératoprothèse se déroule en deux phases. La première a duré six heures et demie. Deux équipes de l’Hôpital universitaire ont travaillé de concert: celle de David Goldblum pour la partie ophtalmologique et celle de son collègue Christoph Kunz pour la chirurgie maxillo-faciale. Ce dernier a prélevé une canine, en conservant de l’os autour de la racine. Il a ensuite découpé une tranche dans l’os et la racine. Percée, cette dernière a accueilli le tube de plexiglas, qui va permettre la vision. «Coller ce dispositif dans une dent avec de l’os vital autour, c’est ça le truc», s’enthousiasme David Goldblum. D’une part, les dents intègrent facilement des corps étrangers. «Depuis les Egyptiens, on y a collé un peu n’importe quoi: de l’or, des pierres, de l’amalgame et beaucoup d’autres matériaux.» Alors, pourquoi pas du plexiglas? D’autre part, en gardant de l’os autour de la dent, on parvient à tromper l’œil. «Il ne considère pas le greffon comme un corps étranger. Il ne remarque pas non plus qu’il y a un tube transparent qui n’appartient pas à la dent.» Un œil recouvert de peau Avant de pouvoir fixer la prothèse, celle-ci doit se charger de tissus et se vasculariser. Celle de Chloé Kolly a été glissée sous la peau de sa paupière, pour une durée de trois mois. «On peut la mettre n’importe où. Alors on choisit un endroit où elle ne dérange pas trop: la joue, la paupière, le ventre.» Pendant que la dent était préparée, David Goldblum et son équipe ont décollé la paupière, qui avait adhéré à l’œil, et ont retiré l’ensemble des tissus malades. A l’intérieur de la joue, ils ont ensuite découpé un morceau de peau pour en recouvrir l’œil. Cette membrane servira de protection à la prothèse et à l’organe en général. «Ma première opération s’est bien déroulée, note Chloé Kolly. Il n’y avait pas grand risque, à part celui de perdre une deuxième dent.» Pour une personne encore faible, cela représente malgré tout une épreuve. «J’ai mis du temps à récupérer: mes poumons se sont à nouveau engorgés, je devais manger des bouillies et des soupes à cause des plaies dans ma bouche, j’avais des difficultés à me déplacer à cause du prélèvement d’os sur le bassin (pour combler le trou laissé dans la mâchoire).» Sans iris ni cristallin Avant la deuxième opération, qui a duré quatre heures, la jeune femme était bien plus stressée. Même si le taux de réussite était bon, elle risquait de perdre son œil. David Goldblum a incisé sous la paupière pour récupérer le greffon. Il a ensuite ouvert la membrane de peau et l’œil, qu’il a vidé de son iris, de son cristallin et de son humeur vi- «Quand mes patients voient mieux après l’opération, je suis déjà content. Alors 100%, c’est une réussite extraordinaire.» DAVID GOLDBLUM treuse. «C’est le moment critique, souligne le médecin. L’œil est “à ciel ouvert”. Comme un ballon coupé, il n’offre pas de résistance.» S’il s’écrase sur luimême, impossible de le récupérer. Une fois la prothèse en place, la peau a été recousue sur l’œil, ne laissant qu’une petite ouverture à la sortie du cylindre de plexiglas. Chloé Kolly a ensuite dû garder la paupière close durant une semaine. «Quand le docteur Goldblum a ouvert ma paupière, il y a d’abord eu la lumière. Je voyais la lumière. Il m’a dit: “Attendez, je nettoie le cylindre.” Et là, je revoyais. Malgré l’inflammation, j’ai tout de suite pu lire. Je devais être à 10% d’acuité visuelle.» gens que j’avais rencontrés pour la première fois en étant aveugle.» Avec ses lunettes, son acuité visuelle est maintenant de 100%. «Quand mes patients voient mieux après l’opération, je suis déjà content, explique David Goldblum. Alors 100%, c’est une réussite extraordinaire.» La Gruérienne ne voit néanmoins que d’un côté et doit apprendre à vivre avec quelques autres difficultés. «Pour lire, par exemple, je dois rapprocher le texte. Mon œil ne fait plus le focus. Comme il n’a plus d’iris, il ne s’adapte pas non plus à la lumière.» Quand elle passe d’un endroit lumineux à un endroit sombre, elle ne voit rien, le temps que son cerveau s’adapte. Une acuité visuelle à 100% Un suivi à vie Chloé Kolly est rentrée chez elle avec l’envie de tout regarder, de rattraper presque deux ans de sa vie. «Aveugle, on se fabrique des images avec les autres sens. Quand les “vraies” images apparaissent, c’est très bizarre. Le plus drôle a été de découvrir le visage des D’autre part, son champ visuel a été diminué de moitié, limité à 90°. «Un peu comme si je regardais à travers le hublot d’un bateau. Je ne pourrais ainsi plus jamais conduire une voiture. Par rapport à une canne blanche, c’est un petit désagrément.» Un suivi à vie sera également obligatoire. «Deux risques principaux existent, précise David Goldblum: le glaucome – la tension qui augmente dans l’œil – et le décollement de la rétine.» En revanche, avantage des autogreffes, aucun médicament antirejet n’est nécessaire. La muqueuse qui recouvre la prothèse doit seulement être hydratée, une ou deux fois par jour, avec de la pommade. Selon les études réalisées, 80% des personnes opérées ont conservé leur prothèse au moins vingt-cinq ans. «Nous n’opérons pas l’autre œil au cas où le patient ferait partie des 20% d’échecs, notamment les cas où l’os se détériore avec le temps.» D’autre part, un centrage précis du dispositif est difficile. «Si deux prothèses sont installées et que leurs tubes ne sont pas exactement au même niveau, le patient va voir double.» Pour expliquer son travail, le docteur Golblum a filmé et mis en ligne l’une de ses opérations (www.youtube.com/ watch?v=6DfugbHQmm). Cœurs sensibles s’abstenir. XAVIER SCHALLER