UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT

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L’ISLAM
UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT
Du même auteur
-
Échange inégal, ordre économique international, 1977, NEA,
Dakar.
-
Économie politique, tome 1 : Economie descriptive, 1979, NEA.
-
Économie politique, tome 2 : Théorie économique, 1981, NEA.
-
Intégration économique, perspectives africaines, 1985, Publisud
(Paris), NEA.
-
Économie politique pour l’Afrique, 1992, UREF-AUPELF
(Paris), NEA.
-
Sénégal : les ethnies et la nation, 1994, L’Harmattan, Paris.
-
L’Afrique dans la mondialisation, 2002, L’Harmattan.
-
L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions de
Bretton-Woods, 2002, L’Harmattan.
-
« Économie politique de la zakât : dimension économique et
fiscale », Études en économie islamique, Banque islamique de
développement, Djeddah, avril 2001.
Nous sommes conscients que quelques scories subsistent dans cet ouvrage.
Vu l’utilité du contenu, nous prenons le risque de l’éditer ainsi
et comptons sur votre compréhension.
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-13904-6
EAN : 9782296139046
Makhtar Diouf
L’ISLAM
UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT
Économie politique de la Charî’a
Histoire et Perspectives Méditerranéennes
Collection dirigée par Jean-Paul Chagnollaud
Dans le cadre de cette collection, créée en 1985, les Éditions L'Harmattan
se proposent de publier un ensemble de travaux concernant le monde méditerranéen des origines à nos jours.
Déjà parus
Hassane Zouiri, Le Partenariat euro-méditerranéen. Contribution au développement du Maghreb, 2010.
Tarek HEGGY, Le Djinn Radical, 2010.
Mehenni AKBAL, Père Henri Sanson s.j. Itinéraire d'un chrétien d'Algérie, 2010.
Hadj MILIANI, Des louangeurs au home cinéma en Algérie, 2010.
Houria ALAMI M'CHICHI, Le féminisme d'Etat au Maroc, 2010.
Jean-Marc VALENTIN, Les parlementaires des départements d'Algérie sous la
IIIe République, 2010,
Jean OTTER, Journal de voyages en Turquie et en Perse, Présentation d'Alain
Riottot, 2010.
Mohammed TELHINE, L'islam et les musulmans de France. Une histoire de
mosquées, 2010.
Maher ABDMOULEH, Partenariat euro-méditerranéen. Promotion ou instrumentalisation des Droits de l'homme, 2010.
Saïd SADI, Amirouche, une vie, deux morts, un testament. Une histoire algérienne, 2010.
Mahmoud-Hamdane LARFAOUI, L’occupation italienne de la Libye. 18821911, 2010.
Pierre PINTA, Sebha, ville pionnière au cœur du Sahara libyen, 2010.
Roxanne D. MARCOTTE, Un Islam, des Islams ?, 2010.
Stéphane PAPI, L’influence juridique islamique au Maghreb, 2009.
E. AKÇALI, Chypre : un enjeu géopolitique actuel, 2009.
L. ABDELMALKI, K. BOUNEMRA BEN SOLTANE, M. SADNI-JALLAB,
Le Maghreb face aux défis de l’ouverture en Méditerranée, 2009.
H. BEN HAMOUDA, N. OULMANE , R. SANDRETTO (dir.), Emergence en
Méditerranée : attractivité, investissements internationaux et délocalisations,
2009.
Mohamed SAADI, Le difficile chemin des droits de l’homme au Maroc, 2009.
Moncef OUANNES, Militaires, Elites et Modernisation dans la Libye contemporaine, 2009.
Remerciements
Je remercie chaleureusement mon frère et ami Moustapha Ndiaye,
islamologue et interprète de conférence (arabe-français-arabe). Ses remarques et suggestions pertinentes sur le manuscrit m’ont été d’un grand
apport. Toutefois, je reste seul responsable des imperfections et erreurs qui
pourraient être décelées dans le texte.
M. D.
Dakar, Juin 2008
5
Avant-propos
Mon intérêt pour le rapport entre religion et développement
remonte loin dans le temps, à mes années d’étudiant. En 1966, à la
Faculté de Droit et de Sciences économiques de Paris j’avais été très
impressionné par une conférence d’un membre du Conseil du patronat français, Octave Gélinier, qui venait de publier son livre Morale de l’entreprise
et destin de la nation. L’essentiel de son propos était que dans le monde
développé, les moins développés étaient les pays latins restés sous l’emprise
du Catholicisme (France, Italie, Espagne, Portugal), et que les plus développés étaient les pays où avait triomphé la réforme protestante (Amérique du
Nord, Europe du Nord).
Cette idée est restée en veilleuse dans mon esprit, jusqu’à ce que bien
des années après être retourné au Sénégal, elle soit remuée par les échos de
propos d’une conférence tenue à Dakar en 1983 par des Sénégalais de
souche musulmane : « l’Islam est un frein au développement ». Ce qui avait
déclenché des réactions, comme la création du Cercle d’études et de recherches Islam et développement (Cerid) par un groupe d’intellectuels musulmans arabophones et francophones, provenant de différentes disciplines.
Je me suis tout de suite inscrit dans ce mouvement, avec la perspective
de poursuivre la réflexion à partir de mon souvenir de la conférence de Mr
Gélinier. Des lectures ultérieures m’ont permis de découvrir que la thèse
Protestantisme-facteur de développement et la thèse Islam-frein au développement procédaient d’une même source : le sociologue allemand Max Weber. La jonction était ainsi faite, pour ce qui était de ma préoccupation.
Ce qui au départ devait être de la dimension d’un article est devenu un
ouvrage, au cours de plus d’une quinzaine d’années de recherches, de réflexion et de rédaction. Cela, compte tenu du fait qu’en dehors des 200 documents mentionnés dans la bibliographie et dans le corps du texte, il a fallu
procéder à plusieurs relectures de la référence de base, le Coran, dans le
texte arabe confronté avec différents commentaires et traductions. Ce qui a
permis de constater la véracité du propos de Yusuf Ali, cet érudit exégète du
Coran, qui avoue trouver toujours quelque chose de nouveau dans le Coran
chaque fois qu’il le lit. Sans compter que l’actualité scientifique, économique, sociale, culturelle, politique apporte régulièrement son lot d’éléments
que l’on peut rapporter à tel ou tel verset. C’est dire qu’écrire à partir du
Coran est assurément un exercice passionnant, mais non exempt de difficultés.
7
Seulement, à un moment donné, il faut bien se résoudre à poser la
plume pour publier, même si conscient du déficit de maturation du texte.
Pour une écriture qui se situe en fait dans le champ des sciences sociales, il
est toujours loisible de se consoler, avec la perspective de réédition(s). Surtout en ayant à l’esprit la remarque de ce maître de la plume qu’était Paul
Valéry : « Je ne connais pas d’oeuvre terminée. Je ne connais que des ouvrages abandonnés ». Et Jean Guitton qui rapporte le propos, de renchérir
que dans tout ouvrage de l’esprit, il faut bien qu’à un moment donné, le fruit
indécis se détache de l’arbre.1
1. Jean Guitton, Le travail intellectuel, Paris, Aubier-Montaigne, 1951
8
- Nous n’avons rien omis dans ce Livre
(Coran 6 : 38)2
- Je peux dire à partir de ma propre expérience que lorsque
quelqu’un étudie le Coran avec l’intention de faire une recherche sur
un quelconque problème, il y trouve une réponse, même dans ces versets sur lesquels il est passé rapidement sans avoir jamais imaginé ce
qu’ils renfermaient
(Abdallah Yusuf Ali, Le Saint Coran, Texte, Traduction et
Commentaire p. 26).3
2. Mâ faratnâ fil kitâbi min’ chay’inn
3. I can say from my own experience that when one studies the Qurân with a view to making
research into any problem, one will find an answer to it even in those verses which one had
skipped over without ever imaginating that it lay hidden therein (Adallah Yusuf Ali, The Holy
Qurân, Text, Translation and Commentary, p. 26)
Sommaire
Introduction .............................................................................. 15
1- Religions et développement .................................................
1.1. Sociologie religieuse et judéo-christianisme ............................
- Rationalité, capitalisme et éthique économique : Max Weber .
- Protestantisme et activité économique : Max Weber................
- Judaïsme et activité économique : Werner Sombart .................
- Théologie et morale économique : le Catholicisme thomiste ...
1.2. Valeurs asiatiques et développement ........................................
1.3. Ce qui est dit sur l’Islam ...........................................................
- Démarche de déconstruction de l’Islam : de l’épée à la plume
- Premiers assauts contre ‘’l’Islam-paganisme’’ .......................
- Philosophes en contribution sur ‘’l’Islam-fatalisme’’..............
- Orientalisme sur ‘’l’Islam-obscurantisme’’ .............................
- Sociologie religieuse : Max Weber sur l’Islam .......................
- Economie du développement : ‘’l’Islam frein au développement’’ ...................................................................................
- Autre Orientalisme, autre visage de l’Islam .............................
25
27
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30
37
38
40
42
42
42
45
47
51
2 - Ce que dit l’Islam .................................................................
2.1. Ce que n’est pas l’Islam ............................................................
- Islam et magie ...........................................................................
- Islam et fatalisme ......................................................................
- Déterminisme et libre arbitre ..............................................
- Qadâr et Taqdîr ..................................................................
- Islam et acte humain de création ..............................................
- Islam et science .........................................................................
2.2. L’individu dans l’Islam.............................................................
- Responsabilité personnelle et initiative ...................................
- Foi et raison ..............................................................................
- Préparation psychologique du musulman .................................
61
63
63
66
66
69
72
76
81
82
84
86
11
52
56
2.3. La dimension Charî’a ............................................................... 93
- Humanisme et humanisme ........................................................ 93
- Objet et démarche de la Charî’a ............................................... 94
- Pourquoi la Charî’a ? ............................................................... 96
- Ethique, morale, praxéologie, utilitarisme et rationalité ........... 97
- Contours de la Charî’a dans cette étude ................................... 101
- La Charî’a, une exclusivité de l’islam....................................... 103
3 - Les interdits de la Char’îa, freins au développement ? .... 107
3.1. Jeux de hasard ........................................................................... 109
3.2. Intoxicants ................................................................................ 116
3.3. Interdits alimentaires ................................................................ 121
3.4. Fornication, homosexualité....................................................... 125
- Le principe de l’interdiction ..................................................... 125
- Zinâ et sida .............................................................................. 136
- Freudisme, psychanalyse et sexualité ...................................... 131
- Freudo-marxisme et libération sexuelle .................................... 133
- Coran et psychanalyse ............................................................. 135
3.5. Intérêt-usure .............................................................................. 138
- Le ribâ dans le Coran ............................................................... 138
- Le Christianisme et le Judaïsme sur l’usure ............................. 141
- Des penseurs non-musulmans sur l’intérêt ............................... 142
- Pratiques de taux d’intérêt zéro en pays non-musulmans ........ 148
- Incidences négatives du taux d’intérêt ...................................... 149
4- Les pratiques cultuelles de la Charî’a, freins au
développement ? .......................................................................... 151
4.1. La prière .................................................................................... 153
4.2. Zakât et Waqf........................................................................... 161
4.3. Le jeûne .................................................................................... 169
4.4. Le pèlerinage aux lieux saints................................................... 172
Conclusion sur les commandements de la Chari’â ......................... 174
5- Dimensions et approches du développement ...................... 179
5.1. Approches non-islamiques........................................................ 181
- La philosophie : le bonheur humain comme finalité ................ 181
12
- L’économie politique : la dimension humaine évacuée............ 183
- Retour de l’humain : l’indice de développement humain ......... 185
5.2. Approche islamique .................................................................. 187
- Islam et mission de civilisation................................................. 188
- Islam et richesse matérielle ....................................................... 192
- Indicateur islamique de développement ................................... 196
6- l’Islam sur le développement économique .......................... 201
6.1. Rareté des ressources et gestion optimale................................. 203
- Au départ la rareté des ressources ............................................ 203
- Impératif de gestion optimale des ressources ........................... 205
- Gestion financière : la solution islamique................................. 209
6.2. Accumulation de capital et industries motrices ........................ 213
- Impératif d’accumulation de capital physique .......................... 213
- Industries motrices .................................................................... 214
- Le fer, pôle de développement............................................. 215
- L’agriculture, base du développement économique............ 218
6.3. Le capital humain ..................................................................... 221
- Education, savoir, connaissance ............................................... 221
- Hygiène et santé........................................................................ 225
6.4. Le travail ................................................................................... 233
6.5. L’activité économique dans la durée et dans l’espace .............. 240
- Le court terme : le cycle économique ....................................... 240
- Le long terme : étapes de développement économique ........... 242
- Islam et mondialisation ............................................................. 244
6.6. Les freins au développement .................................................... 245
- Comportements anti-économiques irrationnels ........................ 245
- Corruption........................................................................... 246
- Aliénation culturelle ............................................................ 247
- Echange inégal dans les relations économiques internationales ..................................................................................... 249
- Commerce extérieur et échange inégal ............................... 251
- Endettement extérieur et échange inégal ............................ 254
7- Développement et mal-développement .............................. 259
7.1. La société d’abondance en procès ............................................ 261
13
- Le fétichisme du matériel ......................................................... 261
- Le bonheur à l’arrivée ? ............................................................ 262
- La réaction libertaire ................................................................. 263
- Le stress en roue libre ............................................................... 263
7.2. Le suicide : un révélateur ? ....................................................... 266
7.3. Développement durable ............................................................ 272
- L’environnement en péril ......................................................... 272
- Islam et développement durable ............................................... 274
- Le problème des énergies renouvelables .................................. 275
Conclusion ................................................................................ 277
Références bibliographiques ................................................... 281
Liste des noms cités dans le texte ............................................ 293
14
Introduction
Cette recherche a été suscitée par les assertions selon lesquelles
l’Islam est un frein au développement. Ces propos dont les prémices sont
lointaines, ont été exprimés ouvertement par des économistes, au cours des
deux ou trois dernières décennies. Les ouvrages universitaires publiés dans
les années 1950 et 1960 sur les problèmes de développement stigmatisaient
des attitudes sociales et religieuses incompatibles avec tout progrès. Sans
toutefois que l’Islam soit mentionné expressément. Mais dans d’autres publications (articles) dans la même période, et surtout par la suite, ce sont les
valeurs islamiques qui sont ciblées comme vecteurs de sous-développement.
La thèse selon laquelle l’Islam est un frein au développement
présente en tout cas l’intérêt de montrer qu’il est possible de trouver un rapport entre l’Islam et certains aspects du développement. N’est-ce pas dans le
Coran qu’on peut lire :
- Nous (Allah) n’avons rien omis dans ce Livre (Coran
6 : 38)4
Dans un autre verset, le Coran est présenté comme
- un exposé explicite de toute chose…
(Coran 16 : 89)
Ces versets ne peuvent qu’aiguiser la curiosité du chercheur qui peut y
voir un point d’appui, pour mettre en confrontation ce qui est dit sur l’Islam
avec ce que dit l’Islam, particulièrement sur des problèmes
se rapportant au développement. Ce qui passe par une étude socioéconomique plus poussée de l’Islam : lecture socio-économique du Coran
qui en est le texte de base, et analyse socio-économique des pratiques qui en
découlent.
Notre premier engagement dans cette voie a été la rédaction en 1995
d’un article non publié, plutôt document de travail (working paper), qui a
servi de base pour une recherche un peu plus approfondie, dont le présent
texte est le résultat.
Dans cette étude, la référence au Coran et à la Sunna, qui sont les
sources constitutives de l’Islam5, découle de l’évidence. Le Coran est la
4. Dans les références au Coran, le premier nombre représente le numéro de la sourate, et le
second nombre représente le numéro du verset. On doit lire ici : sourate 6, verset 38.
5. Au niveau de la législation, il est reconnu deux autres sources secondaires : Qiyâs, ou
raisonnement par analogie, et Ijmâ, ou consensus justifié par ce propos du Prophète (psl) :
15
source première. La Sunna est constituée par les propos (hadîss)6 et actes du
Prophète Muhammad (psl), de même que ses approbations et condamnations
d’actes accomplis par d’autres en sa présence.
En fait, il s’agit de deux sources complémentaires, la Sunna étant tout
simplement le prolongement du Coran dans une forme plus explicite, comme
le précisent ces versets :
- Nous avons fait descendre le Coran pour que tu (toi Muhammad) exposes
clairement aux gens ce qui a été descendu sur eux et afin qu’ils réfléchissent
(Coran 16 : 44)
C’est le Coran qui fait injonction aux musulmans de reconnaître
l’autorité de la Sunna :
- Quiconque obéit au Messager obéit à Allah (Coran
4: 80)
Le Prophète (psl) lui-même a été très clair dans son sermon d’adieu :
« Je laisse derrière moi deux choses : le Coran et la Sunna. Si vous vous y
tenez, vous ne vous égarerez jamais ».
Comme il s’agit de présenter ce que nous considérons être la position
réelle de l’Islam sur la question, nous avons estimé que la rigueur scientifique la plus élémentaire était de nous en remettre directement au Coran et à
la Sunna. Ce qui justifie la présentation de pas moins de 220 versets du Coran et d’une cinquantaine de hadîss.7 En plus, tous les versets présentés ici
sont du type muhkam, c’est-à-dire très clairs, à signification établie, constituant la substance, les fondations du Livre (Coran 3 : 7). De même, les hadîss cités dans le texte sont du type sahih, c’est-à-dire à authenticité reconnue, non susceptibles de prêter à spéculations et controverses.
Pour réaliser cette étude, nous avons utilisé des sources diverses. Pour
le Coran : le texte en arabe ; les traductions françaises de Régis
Blachère, de Jacques Berque, et celle de la Présidence Générale des
Directions des Recherches Scientifiques Islamiques (Arabie Saoudite)
effectuée par Hamidullah ; en Anglais, les traductions et commentaires de
Yusuf Ali et de Pickthall ; en Wolof, la première langue parlée au Sénégal,
les commentaires (tafsîr)8 d’érudits sénégalais, et la traduction écrite du professeur Assane Sylla. Le texte sur lequel nous nous sommes le plus appuyé
‘’ma communauté ne se mettra jamais d’accord sur une erreur’’. Mais compte tenu de la
nature de notre sujet, il ne sera tenu compte ici, et pour l’essentiel, que du Coran et de la
Sunna.
6. Cest la tradition de rédaction en langue anglaise sur l’Islam qui a imposé la formulation
hadîth (le th terminal anglais se prononce ss). Ce texte étant en langue française, il me paraît
plus logique d’écrire hadîss...
7. Le pluriel de hadîss est a-hâdîth, mais nous écrirons hadîss dans toute la suite de l’exposé.
8. Au pluriel, tafâsir
16
est la version en Anglais résumée de At-Tabari, Al-Qurtubi, Ibn Kathir, avec
commentaires tirés du Sahih Al-Bukhâri, présentée par Muhammad Taqi-udDin Al-Hilali et Muhammad Muhsin Khan. Pour les hadîss, les recueils
complets de Bukhâri et de Muslim et les recueils sélectionnés de Tirmidhi et
de Abu Daoud maintenant tous disponibles en disque compact (CD ROM
Alim) en langue anglaise. Compte tenu de la nature du sujet, il est aussi fait
place à un certain nombre de citations d’auteurs faisant autorité dans leurs
domaines.
Les exégèses du Coran sont généralement présentées selon la méthode
analytique, c'est-à-dire, verset après verset ; comme dans le texte coranique.
Les livres de fiqh (science des lois de l’Islam, ou droit islamique) privilégient la présentation par thèmes. Dans une étude comme celle-ci, on ne peut
recourir qu’à la présentation thématique : autour d’un même thème, seront
réunis les différents versets qui s’y rapportent et qui figurent dans des sourates (chapitres) différentes ; la même démarche est entreprise pour les hadîss. Le point de départ est toujours constitué par la réalité socioéconomique qui fournit le thème d’étude, auquel viennent s’incorporer les
passages du Coran et les hadîss appropriés.
Cependant, il convient d’avoir présent à l’esprit que le Coran ne traite
de façon explicite d’aucune discipline particulière. Le Coran n’a pas vocation à être un manuel ‘’d’économie du développement’’. Il se trouve que
certains versets du Coran, qui pour les musulmans est la parole non altérée
de Dieu, en formulant des principes, constituent une introduction, une esquisse, à des centres d’intérêt de différentes disciplines scientifiques. La
tâche du chercheur est de faire l’effort de les découvrir et de les développer,
en procédant aux recoupements nécessaires. Lorsqu’il est économiste
comme l’auteur de ce texte, il fera inévitablement une lecture socioéconomique du Coran. Ce qui tient un peu de l’ ijtihâd, dans le sens modeste
que lui donne Jacques Berque : effort de découverte (Berque 1981 : 73). Ce
qui n’a rien à voir avec une quelconque tentative de re-interprétation ou reformulation des lois de la Char’iâ. L’essentiel dans un tel exercice est de ne
pas se démarquer des principes fondamentaux de l’Islam. Il convient de ne
pas perdre de vue que le Coran se présente comme un ‘’texte non ambigu,
droit’’ (Coran 18 : 1 ; 2), clair, accessible à quiconque fait l’effort de
l’étudier méthodiquement. Ce qui n’exclut nullement le recours aux textes de
tafsîr, surtout pour les passages relatifs aux pratiques cultuelles.
Il ne s’agit ici que de rechercher s’il existe une base scientifique
rationnelle aux commandements et recommandations de la Char’iâ, dans
leur rapport avec le développement. La caution d’une telle démarche nous
paraît se trouver dans le Coran même, par ses nombreux appels à la
réflexion.
17
Dans un premier temps, le Coran s’adresse à la raison (aql, fikr),
comme nous le verrons plus loin, pour inviter à comprendre afin d’accepter
son message : un devoir qui incombe à tous les musulmans.
Dans un second temps, le Coran invite au tadabbur, c’est-àdire une étude approfondie de ses versets. L’expression afalâ yatadabbarû’n
mentionnée dans ces versets (Coran 4 : 82 ; 47 : 24) est chaque fois suivie de
al-qurân (le Coran) : ce qui est un appel à l’investigation, à la réflexion, à la
quête de compréhension du texte coranique, dans le contexte des évènements
et des problèmes de chaque époque. Notons que c’est dans le verset 82 de la
sourate 4 que le terme al-qurân apparaît pour la seconde fois dans le texte9.
La première apparition se situe dans le verset 185 de la sourate 2 pour préciser l’objet du Coran : guide pour les humains. Par la suite, il est conseillé de
se livrer au tadabbur sur le texte coranique : afalâ yatadabbarû’n al-qurâna.
Une invite adressée aux ‘’doués d’intelligence’’ (ûlû’l albâbi) (Coran 38 :
29). C’est par exemple le tadabbur qui doit être activé pour faire une lecture
allégorique10 des récits du Coran concernant les prophètes :
- Il y a dans ces récits des leçons pour les doués d’intelligence (Coran
12 : 111)
La sourate Yusuf d’où est extrait ce verset en est l’exemple type,
comme nous le verrons.C’est aussi la démarche de tadabbur qui permet
d’arriver à des découvertes comme les ‘’miracles scientifiques du Coran et
de la Sunna’’.
L’image a été donnée ici d’un océan sur lequel chaque marin navigue
aussi loin que le lui permettent ses capacités. Parce que, comme l’a suggéré
le Syrien Muhammad al-Mubârak, le Coran a tracé des sortes de pointillé
pour l’innovation des humains sur un certain nombre de chapitres (cité par
Berque 1993 : 91).
N’oublions pas que le Coran fait sa présentation comme un
message universel, abstraction faite du temps et de l’espace. Les circonstances historiques de révélation (asbâb al-nuzûl) des versets, d’ailleurs limitées, ne doivent pas en faire perdre de vue la portée générale. Les versets du
Coran doivent être compris comme régis par la dialectique du particulier et
de l’universel.
L’étude fera une bonne place à Max Weber (1860 – 1920) et à toute
une lignée de penseurs que l’on peut polariser autour de lui ; certains, des
prédécesseurs ; d’autres, des contemporains ; d’autres encore, des disciples
de générations suivantes. Mais, pourquoi Max Weber ? Parce que le penseur
allemand est considéré comme le père de la sociologie religieuse, le cadre
9. Dans des versets antérieurs (comme Coran 2 : 2), c’est le terme al kitâb (le Livre) qui est
utilisé pour parler du Coran
10. L’allégorie est l’expression d’une idée par une image
18
dans lequel se situent toutes les recherches visant à établir un rapport, positif
ou négatif, entre le développement et telle ou telle religion.
Quant aux autres, ce sont des auteurs dont la notoriété est plus reconnue dans d’autres domaines, mais qui ont jeté quelques réflexions sur le
thème du rapport entre religion et développement. C’est le cas par exemple
d’un compagnon de recherche de Max Weber, son compatriote Werner
Sombart (1863-1941) et de Emile Durkheim (1858-1917), un des pionniers
de la sociologie en France.
Précisons que ces études de sociologie religieuse se sont pour
l’essentiel polarisé autour du Christianisme et du Judaïsme dans leur rapport
avec le développement.
Dans cette étude, en marge de l’Islam, et en dehors de la Bible et
autres textes saints du Christianisme, des références seront faites aussi aux
enseignements des autres religions : le Bouddhisme, le Confucianisme,
l’Hindouisme, le Taoisme. Toutes, des religions qui ont précédé l’Islam, et
qui commencent à inspirer des réflexions de sociologie religieuse relatives
au développement11.
Ce n’est qu’à une période récente que l’Islam a été intégré dans ce
cadre de recherche. C’est ainsi que le thème “Islam et développement’’ a fait
l’objet d’un certain nombre de publications.
Certaines, comme celles de Monteil (1961), Rodinson (1966, 1980),
Arkoun (1972), Amar Samb (1978) ont pour auteurs des intellectuels talentueux, mais non-économistes, et manquent par conséquent du sousbassement d’analyse économique nécessaire. D’autres, comme celles de
Austruy (1960, 1961, 1967), De Bernis (1960), Daley et Publigandia (1970),
et Sutcliffe (1975) procèdent d’économistes non-musulmans, dont la documentation sur l’Islam ne va jamais aux sources directes que sont le Coran et
la Sunna, ceci quelle que soit leur position de sympathie ou de défiance à
l’égard de cette religion.
Des économistes musulmans ont aussi produit une littérature non
moins abondante sur le sujet : Ahmad (1978, 1980), Siddiqi (1979),
Ragab (1980), Akhtar (1982), Zarabozo (1983), Sharif (1983), Abdul Qadir
(1986), Akram Khan (1985), Fahim Khan (1986), Sadeq (1987, 1989)….
Les thèmes qui reviennent le plus souvent dans ces études sont la critique de la notion occidentale de croissance et de développement, considérée
comme inadaptée dans un contexte islamique, et l’explication du retard économique des pays islamiques. Ces écrits ont ainsi l’immense mérite d’avoir
balisé le terrain, en posant explicitement et de façon différente le problème
du rapport entre Islam et développement. Mais ils nous paraissent présenter
quelques limites : les écrits qui présentent l’Islam comme un frein au déve11. La sociologie religieuse centrée sur les valeurs asiatiques commence à faire l’objet de
publications. Citons en français M. Morishima, Capitalisme et Confucianisme, Flammarion,
Paris, 1987
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loppement ne sont pas suffisamment explorés par ces auteurs musulmans ;
ils n’exploitent pas assez les nombreux passages du Coran et de la Sunna qui
nous paraissent pouvoir être rapportés à des problèmes de développement ;
ainsi, ils ne procèdent pas aux rapprochements qui s’imposent entre les théories universitaires de la croissance et du développement, et certains propos
contenus dans le Coran et dans les hadîss ; enfin, ces auteurs musulmans ne
se réfèrent pas à la sociologie religieuse weberienne, qui est tout de même
pionnière dans ce type de réflexion.
Cela dit, cette étude n’a pas la prétention de clore la recherche sur le
thème “Islam et développement”, d’autant plus qu’il n’est guère sûr qu’elle
ait elle-même échappé aux défauts signalés plus haut, dans les études antérieures sur la question. Nous avons surtout visé à dresser des points de repère
pour la réflexion et pour des discussions ultérieures. Si l’étude peut, avec
d’autres, contribuer à la découverte d’une voie islamique de développement
comme le suggérait le professeur Kurshid Ahmad, ce sera tant mieux, et bien
au-delà de nos attentes. Le sociologue américain Talcott Parsons concluait
son introduction à Sociologie de la religion de Max Weber en ces termes :
« C’est un point de départ pour d’autres étapes dans la série sans fin des
étapes qui constituent le processus d’amélioration de la connaissance » (Parsons : lxvii). La présente étude s’inscrit dans cette voie.
Pourquoi le sous-titre ‘’Economie politique de la Charî’a’’ ? D’abord,
pour mettre en évidence l’approche par l’économie politique. Avec la précision que la démarche adoptée dans cette étude ne sera pas celle de l’analyse
économique ‘’pure’’, dans l’un ou l’autre de ses deux moments microéconomique et macroéconomique, d’où toute considération extra-économique
est bannie : ce qui relève de ‘’ l’économisme’’. D’ailleurs la nature du sujet
ne s’y prête pas. Il nous a paru plus pertinent de déborder de l’instance économique, sans l’exclure, pour explorer un spectre plus large de la société
dans ses différentes dimensions, dont la religion bien entendu. Cette approche, dite du ‘’sociologisme’’12, est celle de l’économie politique dans sa
conception originelle. Aux Etats-Unis, en 1886, le Révérend George W.
Boardman invitait ses collègues ministres du culte protestant à étudier
l’économie politique, parce que selon lui, ‘’branche de la théologie naturelle’’ (Cochran : 186). Il ne pouvait bien entendu s’agir que de l’économie
politique conçue dans une approche ‘’sociologiste’’.13 Le développement
s’inscrit dans une dynamique de longue période ; son étude est de ce fait
justiciable des méthodes historiques, philosophiques et sociologiques, et non
12. Les termes ‘’économisme’’ et ‘’sociologisme’’ ont été judicieusement proposés par le
Professeur André Marchal (Méthode scientifique et science économique, Paris) pour montrer
la différence entre les deux approches.
13. L’analyse économique pure ne sera développée aux Etats-Unis que quelques années après,
par John Bates Clark qui y annonce l’économie politique néoclassique.
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