Radioprotection 2011 DOI: 10.1051/radiopro/2011141
Vol. 46, n° 4, pages 493 à 510
RADIOPROTECTION – VOL. 46 – © EDP Sciences, 2011 493
Article
Les effets des rayonnements ionisants
sur le système cardiovasculaire
F. MILLIAT1, M. BENDERITTER1, M.-H. GAUGLER1
(Manuscrit reçu le 25 avril 2011, accepté le 19 juillet 2011)
RÉSUMÉ Le traitement par radiothérapie des cancers des sphères thoracique, médiastinale et
ORL est associé à un risque de complications cardiovasculaires. Les patients traités
et guéris de leur cancer sont de plus en plus nombreux, vivent de plus en plus
longtemps, et leur devenir à long terme doit être pris en considération. Les
complications cardiovasculaires associées principalement au traitement des cancers
du sein, du lymphome de Hodgkin et des tumeurs de la tête et du cou se manifestent
de manière insidieuse et chronique. Leur survenue est liée à de nombreux facteurs
comme l’âge du patient au moment du traitement, le nombre d’années suivant la
radiothérapie, la dose et le volume au cœur et aux gros vaisseaux (artères coronaires
et carotides) ou encore l’association avec les autres facteurs de risque
cardiovasculaire traditionnels. Les mécanismes physiopathologiques sont mal
connus. Même si des similitudes avec l’athérosclérose liée à l’âge sont établies, les
spécificités et les particularités de l’athérosclérose radio-induite pour des fortes
doses d’irradiation restent à établir. Pour des faibles niveaux d’exposition aux
rayonnements ionisants, des études épidémiologiques récentes suggèrent aussi un
risque accru de développer des pathologies cardiovasculaires. L’amélioration
des connaissances sur les mécanismes lésionnels à l’origine des pathologies
cardiovasculaires radio-induites et l’identification plus précise des populations à
risque devraient permettre dans le futur une prise en charge plus efficace de ces
patients à risque vasculaire.
ABSTRACT Effect of ionizing radiation on cardiovascular system
Radiotherapy treatment for cancer of the chest, mediastinal area or the neck area is
associated with increased risk of cardiovascular disease. With the increasing number
of cancer patients and the increased treatment efficiency, the number of cancer
survivors is increasing exponentially. The cancer survivors live longer and their
long-term follow-up must be considered. The cardiovascular toxicity is mainly
associated with the treatment of breast cancer, Hodgkin’s lymphoma and head and
neck cancer. Radiation-induced cardiovascular effects are insidious and chronic.
Their occurrence is linked to numerous factors including the age of the patient at the
beginning of the radiotherapy schedule, the number of years following radiotherapy,
the doses (and volume) to the heart and the large vessels (coronary and carotid
arteries), and the association with the traditional cardiovascular risk factors.
Pathophysiological mechanisms remain unclear and, even if similarities with age-
related atherosclerosis were established, the specificities of the radiation-induced
atherosclerosis for high doses remain to be discovered. For low/moderate doses of
ionising radiation, recent epidemiological studies provide evidence of increased risk
of cardiovascular pathologies. A better knowledge of the mechanisms associated
1Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, DRPH, SRBE, Laboratoire de radiopathologie et de thérapies
expérimentales (LRTE), Fontenay-aux-Roses, France.
Article publié par EDP Sciences
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with the radiation-induced cardiovascular pathologies and the more precise
identification of the populations at risk in the future should allow a more effective
care of these patients with cardiovascular risk.
Keywords: Ionising radiation / radiotherapy / cardiovascular risk
Introduction
Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité dans le
monde (Ross, 1999). Au sens large, ces pathologies sont associées à des
dysfonctionnements du système circulatoire et affectent la fonction et/ou
l’intégrité de différents organes comme le cœur, le cerveau, les reins ou encore les
membres inférieurs. Des facteurs de risque tels que l’hypercholestérolémie,
l’hypertension, le diabète, et le tabagisme sont associés à ces pathologies.
L’utilisation des rayonnements ionisants en thérapeutique et en diagnostic
exposent aussi les patients à un risque de complications cardiovasculaires. Des
études épidémiologiques concernant des patients traités par radiothérapie pour un
lymphome de Hodgkin, (Swerdlow et al.,2007) pour un cancer du sein (Paszat
et al.,1998) ou de la tête et du cou (Dorresteijn et al.,2002) montrent un lien entre
l’exposition aux rayonnements ionisants et le risque de développer à plus ou moins
long terme des pathologies cardiovasculaires. Pour les fortes doses d’irradiation,
des études expérimentales viennent étayer les observations cliniques et apportent
des éléments quant aux mécanismes biologiques sous-jacents. Pour des niveaux
d’exposition plus faibles, les résultats sont plus contradictoires et sont obtenus sur
la base de quelques études épidémiologiques (McGale and Darby, 2005 ; Little
et al.,2008 ; Metz-Flamant et al.,2009 ; Little et al.,2010).
Les pathologies cardiovasculaires radio-induites résultent d’atteintes du cœur
et des gros vaisseaux (Fig. 1). Les pathologies cardiaques incluent des anomalies
cardiaques pouvant atteindre les différentes tuniques du cœur comme le péricarde,
le myocarde et l’endocarde et à l’origine de coronaropathies, de valvulopathies
symptomatiques ou asymptomatiques. Ces pathologies peuvent aboutir à des
insuffisances cardiaques modérées à sévères. Les cardiopathies ischémiques
incluent l’infarctus du myocarde et l’angine de poitrine. Au niveau du cœur, il
convient de dissocier les complications cardiaques résultant de l’atteinte des
microvaisseaux (péricardite, myocardite et endocardite) lors d’irradiation de la
sphère thoracique (Heidenreich and Kapoor, 2009), dont le stade ultime est la
fibrose cardiaque radique, des complications cardiaques résultant de l’atteinte des
artères coronaires (pouvant être à l’origine de cardiopathie ischémiques et
d’infarctus du myocarde) lors d’irradiations thérapeutiques pour traiter un
lymphome de Hodgkin ou un cancer du sein. Les complications cérébrovasculaires
sont, elles, liées à l’atteinte des artères carotides lors de radiothérapie pour des
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LES EFFETS DES RAYONNEMENTS IONISANTS SUR LE SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE
cancers de la sphère ORL et se manifestent par des accidents vasculaires cérébraux
(AVC) (Gaugler et al.,2011).
En radiopathologie, le concept selon lequel une atteinte des microvaisseaux
pourrait être à l’origine et l’élément crucial de la progression des lésions tissulaires
radio-induites, contribuant à terme aux dysfonctionnements des organes dont le
cœur, ne sera pas développé dans cette revue. Celle-ci portera sur les conséquences
cardiovasculaires des irradiations thérapeutiques avec une attention particulière
pour les atteintes des gros vaisseaux, consécutives à l’athérosclérose. Dans un
second temps, les mécanismes moléculaires, biologiques et physiopathogiques
Effets des Rayonnements ionisants
Atteintes de la
Microcirculation
du coeur
Atteintes des
gros vaisseaux
Athérosclérose
Tissu Cardiaque
Péricardite Myocardite Endocardite
Valvulopathie
coeur
Carotides
Infarctus myocarde
Fibrose radique / Cardiopathie ischémique
Accident
vasculaires
cérébraux
Trouble de la conduction
Artères coronairesValves
Insuffisance cardiaque
Radiothérapie pour cancers
du sein, lymphome de Hodgkin
Radiothérapie pour
cancers ORL
Dysfonctionnement cardiaque
Effets des Rayonnements ionisants
Atteintes de la
Microcirculation
du coeur
Atteintes des
gros vaisseaux
Athérosclérose
Tissu Cardiaque
Péricardite Myocardite Endocardite
Valvulopathie
coeur
Carotides
Infarctus myocarde
Fibrose radique / Cardiopathie ischémique
Accident
vasculaires
cérébraux
Trouble de la conduction
Artères coronairesValves
Insuffisance cardiaque
Radiothérapie pour cancers
du sein, lymphome de Hodgkin
Radiothérapie pour
cancers ORL
Dysfonctionnement cardiaque
Figure 1 – Représentation schématique des effets des rayonnements ionisants sur le système
cardiovasculaire dans le cas des traitements par radiothérapie pour les cancers du sein,
le lymphome de Hodgkin et les cancers de la sphère ORL.
Simplistic schema of ionising radiation effects on cardiovascular system after radiation therapy
for breast cancer, Hodgkin’s disease and head and neck cancer.
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496 RADIOPROTECTION – VOL. 46 – N° 4 (2011)
étayés par des études expérimentales seront décrits. Enfin, les conséquences
potentielles d’exposition à des faibles doses d’irradiation seront abordées.
1. Radiothérapie et risque cardiovasculaire
Environ 50 à 60 % des patients atteints d'un cancer bénéficient d’une radiothérapie
au cours de leur traitement. Bien que son efficacité thérapeutique soit indéniable,
la radiothérapie entraine des dommages aux tissus sains présents dans le champ
d’irradiation, avec comme conséquence d’éventuelles complications radio-
induites à long terme (Bentzen et al.,2003).
À l’instar de l’athérosclérose liée à l’âge, l’athérosclérose radio-induite se
développe insidieusement et de façon chronique. Le temps de latence entre
l’irradiation et l’apparition des signes cliniques est de plusieurs années.
Globalement, le risque relatif (RR) d’événements cardiovasculaires chez les
patients irradiés est supérieur à celui de la population générale. Il est lié à des
paramètres tels que : le nombre d’années suivant la radiothérapie, le champ
d’irradiation (dose et volume), l’âge du patient au moment du traitement, la
prédisposition génétique et les facteurs de co-morbidité vasculaire associés.
Des études montrent l’augmentation du risque cardiovasculaire avec la période
de suivi après le traitement par radiothérapie. Sur plus de 100 000 patientes traitées
par radiothérapie pour un cancer du sein, le RR de mortalité cardiaque passe de
1,10 avant 10 ans à 1,53 après 15 ans pour les patientes ayant un cancer du sein
gauche comparées aux patientes traitées pour un cancer du sein droit (Clarke et al.,
2005 ; Darby et al.,2005 ; Demirci et al.,2009). Pour des patients jeunes traités
pour un lymphome de Hodgkin par une radiothérapie supradiaphragmatique, le
RR d’infarctus du myocarde par rapport à la population générale est multiplié par
2,4 après 10 ans de suivi, il atteint 4,3 au-delà de 20 ans (Swerdlow et al.,2007).
Pour des patients de plus de 65 ans traités par radiothérapie pour un cancer de la
tête et du cou, l’incidence des AVC passe de 19 % à 5 ans à 34 % à 10 ans (Smith
et al.,2008). Avant 60 ans, le RR d’AVC passe de 3,7 pour un suivi post-
radiothérapie inférieur à 10 ans à 10,1 pour un suivi supérieur à 10 ans (Dorresteijn
et al.,2002).
2. Champ d’irradiation, dose, volume, âge, facteurs de risque
traditionnels et risque cardiovasculaire
L’influence du champ d’irradiation sur le risque cardiovasculaire est illustrée par
le cas du cancer du sein. Une méta-analyse sur 40 essais cliniques randomisés (soit
environ 20 000 patientes) portant sur le bénéfice thérapeutique de la radiothérapie
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LES EFFETS DES RAYONNEMENTS IONISANTS SUR LE SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE
dans le traitement du cancer du sein montre une baisse de la mortalité chez les
patientes traitées par radiothérapie (Early Breast Cancer Trialists' Collaborative
Group, 2000). En revanche, cet effet favorable est contrebalancé par une
augmentation du taux de mortalité annuel lié à des complications cardiovasculaires
dues à l’irradiation des artères coronaires, des artères carotides ou d'autres artères
principales. L’analyse de 63 essais randomisés incluant 32 800 femmes traitées
pour un cancer du sein montre que le taux de mortalité du aux pathologies
cardiaques est 27 % plus élevé chez les femmes traitées par radiothérapie que chez
les femmes non traitées par radiothérapie (Clarke et al.,2005). La latéralité
droite/gauche d’atteinte d’un cancer du sein n’influence pas l’utilisation ou non de
la radiothérapie. Cependant, le risque de pathologies cardiovasculaires associées
dépend du sein traité et les patientes ayant un cancer du sein gauche sont les plus
exposées (Paszat et al.,1998). Vingt ans après la radiothérapie, les coronaropathies
touchent 25 % des patientes traitées pour un cancer du sein gauche contre 10 %
pour celles traitées pour un cancer du sein droit (Harris et al.,2006). Des études
ont tenté d’estimer une dose seuil de tolérance et d’établir une relation dose/effet.
Pour le cœur, la dose de tolérance décrite est que le volume cardiaque recevant
35 Gy doit être inférieur à 30 % et que la dose par fraction ne doit pas excéder
2 Gy. L’établissement d’une relation dose/effet se heurte au problème de la
pertinence d’estimation de la dose et de sa précision (Bolling and Willich, 2010),
ainsi qu’à la détermination d’une incidence du rapport dose/volume sur le risque
de complications cardiovasculaires tardives. La dose moyenne au cœur est estimée
de 1 à 20 Gy en fonction de la latéralité de la tumeur et/ou de la technique utilisée
(Taylor et al.,2007). L’évolution des techniques de radiothérapie implique que les
irradiations de la sphère thoracique (cancer du sein ou du poumon) entrainent des
doses au cœur hétérogènes et la prise en compte de la dose moyenne au cœur, du
volume cardiaque exposé, de la région du cœur qui reçoit la dose maximum sont
autant de paramètres qui influencent potentiellement le risque de pathologies
cardiovasculaires. Une étude montre que pour des cancers du sein traités entre les
années 1950 et 1990, la dose moyenne au cœur entier est de 0,9 à 14 Gy pour un
cancer du sein gauche et de 0,4à6Gypour le traitement d’un cancer du sein droit
(Taylor et al.,2007). L’irradiation des chaines mammaires internes engendrent des
doses au cœur de 3 à 17 Gy pour un cancer du sein gauche et de 2 à 10 Gy pour un
cancer du sein droit. La partie antérieure du cœur et l’artère inter-ventriculaire
antérieure, site anatomique propice à l’athérosclérose pouvant provoquer des
infarctus du myocarde, sont les zones anatomiques les plus exposées en terme de
dose. Bien que la balistique se soit améliorée au cours de ces 50 dernières années
et que les doses moyennes au cœur ainsi que celles reçues par l’artère inter-
ventriculaire antérieure aient considérablement diminuées, une étude montre que
pour 50 patientes traitées en 2006 pour un cancer du sein gauche en Grande-
Bretagne, la dose moyenne au cœur entier est de 2,3 Gy, la dose reçue par l’artère
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