d'autres choix sont faits : aristocrates et marchands italiens se désintéressent
souvent de la guerre, qu’ils confient aux compagnies de mercenaires (les condotte),
ces troupes permanentes qui officient pour le plus offrant et n'épargnent guère les
populations : en 1334, les « chevaliers de la colombe», des Allemands, terrorisent la
Toscane. (...)
Enfin, si réunir une armée était difficile, la maintenir au fil du temps était chose plus
ardue encore. La professionnalisation du métier de la guerre fut lente. « Tout est
proie, ce que l'épée ou le glaive ne défend4 » La guerre tue, c'est une évidence,
mais elle tue de manière limitée. Sur le champ de bataille, les effectifs engagés
dépassent rarement les 30000 hommes. Si le nombre des morts directs semble
relativement peu élevé, en revanche les blessés meurent en foule par manque de
soins et d'hygiène et les poursuites donnent lieu à de véritables carnages : à
Formigny, en 1450, entre 50 et 80 % des effectifs sont tués. La guerre chasse plus
de civils qu'elle n'en tue, bien que l'on connaisse quelques massacres, telles ces 900
personnes brûlées dans l'église de Châtres en 1360. Les réfugiés affluent dans les
villes ou se cachent dans les forêts. Il y a en 1390 plus de Cahorsins à Montauban et
à Toulouse qu’à Cahors ; en 1444, un tiers de la population strasbourgeoise est
composé de gens en fuite. Les souverains procèdent en outre à des déplacements
autoritaires : Edouard III expulse les Calaisiens en 1347 et, en 1378, Charles V
évacue la population du Cotentin. Par ailleurs, les opérations militaires détruisent le
potentiel productif des campagnes : razzias et pillages mettent à mal le cheptel et les
réserves de grain, les blés sont piétinés par les chevauchées, etc. Le monde rural
est soumis à des ponctions supplémentaires en corvées ou impôts : il faut aider à la
construction des châteaux, participer à leur garde, nourrir les soldats. Or les ravages
de la guerre augmentent les friches, poussent à fuir les villages ; ne dit-on pas en
France que « les bois sont revenus par les Anglais » ? Thomas Basin, évêque de
Lisieux (mort en 1491), a laissé des pages poignantes sur le silence effrayant des
campagnes normandes désertées. Cela étant, si les dégâts sont réels, ils sont
rarement irrémédiables et le monde rural a su résister. Des villages se fortifient, des
ligues se constituent, des paysans s'arment et combattent, à l'instar du « Grand
Ferré » qui livre bataille aux Anglais en 1358, devant le château de Longueil près de
Creil. Les villes sont des cibles privilégiées. Elles sont obligées de se rétracter
derrière leurs remparts, laissant détruire leurs faubourgs, tandis que les sièges
affament leurs populations et que l'insécurité entrave le commerce :
l'approvisionnement se fait mal, les exportations sont bloquées. Le budget urbain
consacre parfois tant à la guerre que les dépenses nécessaires à l'équipement ou
l'entretien s'amenuisent : des halles ou des ponts non entretenus s'effondrent, le
pavage disparaît sous les ordures, favorisant elles-mêmes les épidémies. La guerre
détruit également une partie des possessions foncières des bourgeois et diminue
leurs rentes. En revanche, certaines activités (travail du cuir, fabrication des armes)
profitent des conflits. Et puis certaines villes vivent de la guerre, ou du moins en
profitent, à force de campagnes victorieuses. En Italie, les affrontements entre les
cités sont monnaie courante et Florence, Milan ou Venise en tirent souvent un
immense profit. Mais ces villes sont à la dimension de petits Etats et disposent de
ressources gigantesques en comparaison des cités de France ou d’Empire. Pourtant,
ces dégâts sont amplifiés par l'une des caractéristiques du temps: les formes
illégales de la guerre, celles où s'illustrèrent les Grandes Compagnies du XIVe
siècle, les Ecorcheurs du XVe, qui firent régner la terreur dans les campagnes,
pillant, violant et massacrant au mépris de toute règle. En Allemagne, les «chevaliers
brigands» multiplient les exactions et n'hésitent pas à s'en prendre aux villes, qui