L’Homme dans l’Impasse Ecologique ?
Pierre-Yves Longaretti
(avril 2007)
www.alternativeplanetaire.org
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L’Homme dans l’Impasse Ecologique ?
Pierre-Yves Longaretti
Le poids de l’activité humaine sur l’écosystème global, totalement négligeable durant la quasi-totalité de
l’histoire humaine, est aujourd’hui devenu si important qu’il déséquilibre l’environnement naturel dont cette
activité dépend. L’ère industrielle a ouvert une période de croissance matérielle exponentielle, qui, amplifiée par
la croissance elle aussi exponentielle de la population humaine et des espèces qu’elle a domestiquées, perturbe
de façon considérable les écosystèmes naturels, et peut mettre en danger à moyen terme — quelques dizaines
d’années — la survie d’un grand nombre d’espèces, y compris l’homme lui-même.
L’humanité doit faire face à des menaces de tous ordres, qu’elle a largement contribué à créer. La plus
connue est le réchauffement climatique, et sa kyrielle de phénomènes climatiques extrêmes. Le rôle des
émissions humaines de gaz à effet de serre sur ce réchauffement — lié principalement à notre utilisation des
carburant fossiles : pétrole, gaz naturel, charbon — n’est plus à démontrer. Mais l’étau se resserre de toutes
parts : déplétion des ressources en eau douce, baisse de fertilité des sols dans les plus grandes régions agricoles
du monde, progression de la désertification, explosion démographique dans les régions les plus fragiles… la liste
est longue ; nombre de ces phénomènes se renforcent mutuellement, exigeant une réponse rapide et de grande
ampleur si l’on souhaite éviter le pire pour des pans entiers de l’humanité et du monde vivant.
Cette situation est inédite sous plusieurs aspects. Diverses sociétés anciennes ont été confrontées à des
problèmes environnementaux qu’elles avaient partiellement ou totalement provoqués ; un certain nombre n’ont
pas su y faire face et ont disparu. Néanmoins, il s’agissait à chaque fois de problèmes locaux ou régionaux,
n’ayant pas d’impact sur la planète dans son ensemble ; par ailleurs, seuls quelques indicateurs
environnementaux ou sociétaux avaient dépassé la cote d’alerte dans ces sociétés. Pour la première fois, la
situation est dégradée globalement et non plus seulement localement, et sur tous les fronts à la fois. Ce problème
nous concerne tous. Les émissions de gaz carbonique locales s’homogénéisent dans l’atmosphère au niveau de
toute la planète en l’espace de quelques jours ; les tempêtes de sable créées par la désertification des zones
agricoles chinoises touchent les pays voisins, comme la Corée, et de plus en plus souvent le continent nord-
américain. Mais dans le même temps, notre connaissance des phénomènes en jeu et notre capacité à y faire face
n’a jamais été aussi grande.
Cette situation résulte, en dernière analyse, de la somme des comportements individuels, démultipliés à
l’échelle de l’humanité tout entière. Dans le même temps, même si un certain nombre de tendances ne pourront
pas être renversées à court ou moyen terme, et que des seuils de non retour ont déjà été franchis, des marges de
manœuvres importantes nous sont encore accessibles, et il nous incombe de les mettre en œuvre le plus
rapidement possible.
L’absence de réaction déterminée du monde politique comme du monde économique face à l’ampleur
des bouleversements écologiques mondiaux et à leurs implications géopolitiques, sociales et éthiques résulte
apparemment de plusieurs facteurs : inertie des modes de pensée et d’action dans un contexte de mandats courts
et de conflits d’intérêts entre groupes sociaux ; méconnaissance des modes d’organisation et d’évaluation socio-
économiques alternatifs envisageables — y compris dans le cadre d’une économie de marché adaptée à la
nouvelle donne planétaire — et compatibles avec les contraintes imposées par l’écosystème global dont nous
dépendons pour notre survie ; manque d’outils d’évaluation et d’outils de gestion suffisamment élaborés
permettant la mise en place d’une organisation socio-économique où seraient dissociés bien-être social et humain
et croissance du flux de ressources matérielles et énergétiques dans l’économie ; et, sous-tendant ces derniers
points, ubiquité de la pensée économique dominante, et de la philosophie qu’elle véhicule sur la nature de
l’Homme, dans tous les domaines de la Res Publica.
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1. Les enjeux du réchauffement climatique1 :
La question du réchauffement climatique et des phénomènes extrêmes qui l’accompagnent occupe de plus en
plus le devant de la scène médiatique. En France, par exemple, les interventions répétées d’un défenseur très
populaire et médiatique de l’environnement, Nicolas Hulot, dans la campagne présidentielle en cours ont conduit
à l’émergence de la prise de conscience de l’ampleur du problème. Dans toute l’Europe, la question a commencé
à s’imposer ces dernières années à la suite des 45,000 morts causés par la canicule de 2003 ; prise de conscience
diffuse, néanmoins, du fait de l’étalement dans le temps des décès. Aux Etats-Unis, il a fallu le choc constitué
par le passage de l’ouragan Katrina (voir Fig. 1), qui a complètement ravagé la Nouvelle-Orléans, pour que cette
préoccupation finisse par émerger de façon forte. Les Etats-Unis ne sont toujours pas signataires du pourtant
timide protocole de Kyoto sur la réduction d’émissions de gaz à effet de serre — l’une des causes principales du
réchauffement climatique. Mais néanmoins, nombre de villes et d’états américains ont décidé d’appliquer ce
protocole à leur échelle, et le Président Bush ne nie plus le rôle de l’activité humaine sur le changement
climatique.
Fig. 1 : Katrina dans le Golfe du Mexique en août 2005
( source : NASA )
Deux choses sont à noter en tout premier lieu en ce qui concerne le réchauffement de la planète.
D’abord, le phénomène est incontestable, et de fait, non contesté. Ensuite, le rôle de l’activité humaine comme
source essentielle de ce réchauffement n’est pas non plus contesté par la communauté scientifique dans son
écrasante majorité, comme le confirme le dernier rapport2 de l’Intergovernmental Panel on Climate Change
(IPCC), rendu public en début d’année. Il convient de souligner que les résumés des rapports de l’IPCC sont
approuvés mot à mot par les représentants de tous les Etats. C’est une donnée essentielle dans un contexte où de
nombreux lobbies visent à entretenir la confusion sur ce sujet : la contestation de la réalité scientifique, encore
forte dans les médias, est virtuellement nulle dans la communauté scientifique. De plus, le mécanisme selon
lequel l’activité humaine impacte sur le réchauffement planétaire — l’effet de serre — est lui aussi compris :
l’énergie solaire arrive au sol en traversant l’atmosphère, chauffe terre et mer qui à leur tour réémettent leur trop-
plein de chaleur dans l’atmosphère sous forme de rayonnement infrarouge. Ce rayonnement infrarouge reste plus
ou moins piégé par l’atmosphère, qui lui est largement opaque. Certains gaz présents en faible quantité dans
l’atmosphère augmentent notablement sa capacité à piéger le rayonnement réémis par la surface, en particulier le
gaz carbonique et le méthane ; le premier est produit par la combustion de carburants fossiles, le second par
diverses activités industrielles et agricoles. Ce piégeage accru est ce qui produit l’augmentation de température
(voir Fig. 2).
1 Pour un exposé relativement complet et simple d’accès des enjeux climatiques et énergétiques, voir le livre de Jean-Marc
Jancovici, L’avenir Climnatique (2002, Le Seuil, Points Sciences). Nombre d’informations sont aussi disponibles sur son site
(http://www.manicore.com).
2 Le résumé pour décideur de ce rapport peut être téléchargé sur le site de l’IPCC : www.ipcc.ch, de même que les précédents
rapports de synthèse ou rapports complets (les derniers remontent à 2001). Ces documents détaillent nombre d’informations
supplémentaires sur le contenu de cette section.
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Il convient également de cerner les enjeux et les impacts du changement climatique, et de lire
correctement les signaux qui y sont associés. Sur ce dernier point par exemple, on cite souvent le chiffre de 0.6°
d’augmentation de la moyenne de la température de la planète depuis le début du XXème siècle. A première vue,
ce chiffre peut paraître petit, voire banal, si on le compare par exemple aux 10 ou 20° de variation saisonnière
typiquement enregistrés dans les pays tempérés entre l’hiver et l’été. L’apparente faiblesse de cette tendance
continue par rapport aux fluctuations annuelles explique d’ailleurs que le phénomène ait mis plusieurs décennies
à être confirmé de façon indubitable. Cependant, cette variation, même modeste, est significative et inquiétante,
pour plusieurs raisons.
Fig. 2 : Schéma de principe de l’effet de serre
(source : gouvernement canadien www.pc.gc.ca/docs/v-g/ie-ei/cc/climate_e.asp)
D’une part, il s’agit d’un effet cumulatif. Prenons comme point de comparaison un autre
phénomène très étale dans le temps : les variations de températures associées aux glaciations. Les âges glaciaires
sont dus à des variations de l’orbite terrestre bien connues en Mécanique Céleste ; ils se traduisent par des
variations de la température moyenne de la planète de l’ordre 5°, sur des périodes de l’ordre de 100,000 ans (voir
Fig. 3). Ces 5° représentent aussi a priori une variation de température peu importante en comparaison des
variations saisonnières. Pourtant, c’est sous l’effet de ces 5° qu’une grande partie de l’Europe a été recouverte
sous plus d’un kilomètre de glace à la dernière glaciation. L’effet d’une chute ou d’une hausse de température
étalée sur plusieurs siècles ou millénaires s’additionne année après année pour produire un tel résultat. La
deuxième raison rendant cette variation préoccupante est que ce réchauffement n’est pas réparti de manière
uniforme sur tout le globe : les régions polaires se réchauffent plus vite que les régions équatoriales. Par
exemple, l’augmentation moyenne des températures en Europe a été de 1.4° et non pas de 0.6° sur la même
période. Les dégâts du changement climatiques sont encore plus accentués dans les régions arctiques, où les
Inuits voient littéralement la glace fondre sous leurs yeux.
Fig 3. : Variations de température, de concentration en gaz carbonique et en poussière de l’atmosphère sur les 400,000
dernières années. La périodicité de 100,000 ans est celle des âges glaciaires (source : Petit et al, 19993)
3 Petit J.R., Jouzel J., Raynaud D., Barkov N.I.,Barnola J.M., Basile I., Bender M., Chappellaz J., Davis J., Delaygue G.,
Delmotte M., Kotlyakov V.M., Legrand M., Lipenkov V., Lorius C., Pépin L., Ritz C., Saltzman E., Stievenard M. (1999).
Climate and Atmospheric History of the Past 420,000 years from the Vostok Ice Core, Antarctica, Nature, 399: 429-436.
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La troisième source d’inquiétude provient de l’importance et de la fréquence accrue des phénomènes
extrêmes. Les 1.4° juste mentionnés sont plus que vraisemblablement la cause directe en Europe de la liste
grandissante de catastrophes « exceptionnelles », se succédant à un rythme quasi-annuel : tempêtes hivernales
d’une violence extrême, inondations d’ampleur inouïe, canicules estivales record etc. La fréquence des cyclones
tropicaux et leur violence sont aussi une conséquence du réchauffement climatique, les cyclones tirant leur
énergie de la chaleur emmagasinée dans les mers. Outre les dégâts humains effrayants, comme dans le cas de la
Nouvelle-Orléans, les montants des dégâts matériels sont en croissance constante, et les assureurs eux-mêmes
tirent la sonnette d’alarme : les compagnies d’assurance et de réassurance ne pourront plus à l’échelle des
quelques prochaines décennies couvrir les risques liés aux événements climatiques extrêmes, qui menacent à
terme l’économie mondiale de banqueroute.
La dernière source d’inquiétude est la plus préoccupante. Elle concerne les risques de changement
brutaux et importants dans le climat. Je ne mentionnerai que les trois principaux. Le rythme de fonte des masses
glaciaires polaires est beaucoup plus rapide que ce que la communauté scientifique prévoyait il y a ne serait-ce
que quelques années. Outre le fait que cette fonte contribue à amplifier le réchauffement climatique par divers
mécanismes physiques, elle peut s’avérer catastrophique. En effet, la fonte de la glace recouvrant les masses
continentales polaires — le Groënland au nord, et le continent Antarctique au sud — se traduirait par une
augmentation du niveau des mers de plusieurs mètres. Par exemple, la fonte du glacier du Groënland conduirait à
elle seule à une montée des eaux de l’ordre de 6 mètres, et au recouvrement par ces eaux de fractions
significatives de surface terrestre continentale ou insulaire. Sachant que d’ici quelques décennies, près de la
moitié de la population mondiale habitera les zones côtières, et que celles-ci procurent de plus une part non
négligeable de l’alimentation de ces populations, les conséquences pour celles-ci seraient littéralement
catastrophiques. La fonte des glaces du Groënland pourrait aussi modifier de façon considérable la circulation
océanique (dite « thermohaline », voir Fig. 4), qui résulte des différences de température et de salinité à grande
échelle dans les océans du globe.
Fig. 4 : Circulation termohaline globale. Les courants chauds (en rouge) circulent en surface, les courants froids (en bleus)
en profondeur. Le Gulf Stream est la boucle située dans l’Atlantique Nord (source : IPCC)
On cite souvent le cas du Gulf Stream, dont l’influence tempère le climat de l’Europe. Une modification majeure
de ce courant océanique se traduirait, de façon paradoxale dans une période de réchauffement climatique
planétaire, par un refroidissement quasi-glaciaire de toute l’Europe. Un tel événement s’est déjà produit dans le
passé, à la fin de la dernière glaciation. Finalement, le réchauffement accentué des zones arctiques et polaires
provoque déjà la fonte du permafrost (ou pergélisol), en Sibérie par exemple. Il s’agit de la couche superficielle
de terre, gelée à longueur d’année ou presque jusqu’à une époque récente. Cette fonte représente bien sûr un
danger pour les installations humaines parce qu’elle compromet la stabilité du sol, conduisant à l’effondrement
des bâtiments, des routes, et autres. Mais, plus grave, ce sol est très riche en hydrure de méthane, un composé
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