L’Homme dans l’Impasse Ecologique ?
Pierre-Yves Longaretti
Le poids de l’activité humaine sur l’écosystème global, totalement négligeable durant la quasi-totalité de
l’histoire humaine, est aujourd’hui devenu si important qu’il déséquilibre l’environnement naturel dont cette
activité dépend. L’ère industrielle a ouvert une période de croissance matérielle exponentielle, qui, amplifiée par
la croissance elle aussi exponentielle de la population humaine et des espèces qu’elle a domestiquées, perturbe
de façon considérable les écosystèmes naturels, et peut mettre en danger à moyen terme — quelques dizaines
d’années — la survie d’un grand nombre d’espèces, y compris l’homme lui-même.
L’humanité doit faire face à des menaces de tous ordres, qu’elle a largement contribué à créer. La plus
connue est le réchauffement climatique, et sa kyrielle de phénomènes climatiques extrêmes. Le rôle des
émissions humaines de gaz à effet de serre sur ce réchauffement — lié principalement à notre utilisation des
carburant fossiles : pétrole, gaz naturel, charbon — n’est plus à démontrer. Mais l’étau se resserre de toutes
parts : déplétion des ressources en eau douce, baisse de fertilité des sols dans les plus grandes régions agricoles
du monde, progression de la désertification, explosion démographique dans les régions les plus fragiles… la liste
est longue ; nombre de ces phénomènes se renforcent mutuellement, exigeant une réponse rapide et de grande
ampleur si l’on souhaite éviter le pire pour des pans entiers de l’humanité et du monde vivant.
Cette situation est inédite sous plusieurs aspects. Diverses sociétés anciennes ont été confrontées à des
problèmes environnementaux qu’elles avaient partiellement ou totalement provoqués ; un certain nombre n’ont
pas su y faire face et ont disparu. Néanmoins, il s’agissait à chaque fois de problèmes locaux ou régionaux,
n’ayant pas d’impact sur la planète dans son ensemble ; par ailleurs, seuls quelques indicateurs
environnementaux ou sociétaux avaient dépassé la cote d’alerte dans ces sociétés. Pour la première fois, la
situation est dégradée globalement et non plus seulement localement, et sur tous les fronts à la fois. Ce problème
nous concerne tous. Les émissions de gaz carbonique locales s’homogénéisent dans l’atmosphère au niveau de
toute la planète en l’espace de quelques jours ; les tempêtes de sable créées par la désertification des zones
agricoles chinoises touchent les pays voisins, comme la Corée, et de plus en plus souvent le continent nord-
américain. Mais dans le même temps, notre connaissance des phénomènes en jeu et notre capacité à y faire face
n’a jamais été aussi grande.
Cette situation résulte, en dernière analyse, de la somme des comportements individuels, démultipliés à
l’échelle de l’humanité tout entière. Dans le même temps, même si un certain nombre de tendances ne pourront
pas être renversées à court ou moyen terme, et que des seuils de non retour ont déjà été franchis, des marges de
manœuvres importantes nous sont encore accessibles, et il nous incombe de les mettre en œuvre le plus
rapidement possible.
L’absence de réaction déterminée du monde politique comme du monde économique face à l’ampleur
des bouleversements écologiques mondiaux et à leurs implications géopolitiques, sociales et éthiques résulte
apparemment de plusieurs facteurs : inertie des modes de pensée et d’action dans un contexte de mandats courts
et de conflits d’intérêts entre groupes sociaux ; méconnaissance des modes d’organisation et d’évaluation socio-
économiques alternatifs envisageables — y compris dans le cadre d’une économie de marché adaptée à la
nouvelle donne planétaire — et compatibles avec les contraintes imposées par l’écosystème global dont nous
dépendons pour notre survie ; manque d’outils d’évaluation et d’outils de gestion suffisamment élaborés
permettant la mise en place d’une organisation socio-économique où seraient dissociés bien-être social et humain
et croissance du flux de ressources matérielles et énergétiques dans l’économie ; et, sous-tendant ces derniers
points, ubiquité de la pensée économique dominante, et de la philosophie qu’elle véhicule sur la nature de
l’Homme, dans tous les domaines de la Res Publica.
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