LA PRESSE AFFAIRES
EncollaborationavecHECMontréal,
nous poursuivonsnotresérie de cinq
articlessurle phénomène. Lesangles
ont volontairementétésélectionnés
pour débouterlesdiscourspopulisteset
lesidéesreçues.
GERMAINBELZILE
COLLABORATIONSPÉCIALE
Àl’été2006,le cycle de négocia-
tionsde Doha,quiavaitdébuté
en novembre2001, aétéoffi-
ciellementmissurlaglacepar
le directeur-généralde l’OMC,
PascalLamy.Faut-ils’inquiéter
de cedéraillement? Encorefaut-il
savoircequ’est-ceque « le cycle
Doha»etquelsétaientlesobjec-
tifs.Nous brossonsiciuntableau
quiaidera à comprendrele
contexte, maissurtout lesenjeux
de cetéchec.
Dohaest lavilleoùladernière
ronde de négociation entamée en
2001parlespays membresde
l’Organisationmondiale ducom-
merce(OMC)adébuté.
Cetteronde portaitexpressé-
mentsurunsecteur économique
vitalpour lespays moinsdéve-
loppés,l’agriculture. Parailleurs,
d’autrespoints trèssensibles
pour lespays développésétaient
égalementàl’agenda:lesservi-
ces,le règlementdesdifférends,
l’environnementetlesdroits de
propriétéintellectuelle.
Malgrél’importancedes
enjeux,le processus atout de
même déraillé, une première
dansl’histoiredeshuit rondes
précédentes.
C’est en effetaudébut des
années1930,dansle contextede
ladépressionéconomiqueetface
àl’opinion publique, queplu-
sieurspays augmententde façon
marquée leurstarifsdouaniers.
Ils’ensuitune chutedramati-
queducommerceextérieur,ce
quiaggravelacriseéconomique
mondiale.
EnEurope tout comme en
Amériquedunord, on comprend
vitequ’il faut redémarrerle com-
merceinternational, maiscela
poseunproblème politiquediffi-
cileàsolutionner.Eneffet,alors
quelesbénéficesd’une réduction
desentravesaux importations
sontdiffuséslargementparmi le
public(sous forme de prixplus
faiblesetde choixplus grands
pour lesconsommateurs), les
conséquencessontfortement
concentréessurunpetitnombre
d’entreprisesetde travailleurs
locaux quiproduisentdes
biensen concurrenceavecles
importations.
Puisquelespersonnessurles-
quelleslespertessontconcentrées
serontnécessairementplus actives
politiquementquecellesquiont
peuàgagnerindividuellement,il
est biendifficilede mobiliserune
coalitionintéresséesàlutterpour
deséchangesplus libres,même si
pour l’ensemble de l’économie les
gainssontsupérieursaux pertes.
Ilexistecependantune solution
àceproblème :relierlabaisse
destarifsàunavantage concentré
pour unautregroupe.Ainsi, dès
le milieudesannées1930,les
États-Unisetplusieursautrespays
ontcommencéànégocierde
façon bilatérale une réduction
desentravesaucommerce.
Àpartirde 1947,un
groupe de 23 pays dévelop-
péscommenceànégocierde
façon parallèledesréduc-
tionstarifaires.Lesaccords
ainsisignés,aucoursde huit
rondesde 1947à1995,por-
tentle nomde GATT (Gene-
ralAgreements on Tarifsand
Trade). La huitième ronde
(UruguayRound),s’est de
plus conclueparlacréation
de l’Organisationmondiale
ducommerce(OMC).
Lesdiverses rondesde
négociationont,jusqu’àce
jour,donnédesrésultats
probants.Enparticulier,le
KennedyRound apermis
une réductionmondiale de
35 % destarifsalors quele Tokyo
Round apermisune réduction
supplémentairedestarifsetune
diminutiondesbarrièresnon-
tarifaires.Aux États-Unis,le
tarif douaniermoyen imposéaux
importationsest passéde 60 % en
1932 à25 % en 1945 etàmoinsde
5 % aujourd’hui.
Lesprincipesde fonctionnement
duGATT-OMC sontsimples.
Lorsqu’une réductionde tarifs
douaniers d’entrée est accordée
àunpays,le même avantage est
automatiquementaccordé àtous
lesmembresde l’OMC.
Parailleurs,l’éliminationcom-
plètedesentravesaucommerce
avecunautrepays peut être
négociée, sansavoiràaccorder
unmême accèsàsesmarchésaux
autresmembresde l’OMC.Ainsi,
laformationde blocscommerciaux
tel l’Aléna,le Mercosuretl’Union
Européenne aétépossible dansle
cadrede l’OMC.
Une foislestarifsabaissés,une
clauseempêche qu’on lesélèvede
nouveau.Actuellement,presque
tous lestarifsdespays dévelop-
péssontainsicontraints,contre
environ 75 % danslespays moins
développés.
Cependant,certainssecteurs
économiquessontencorepeu
touchéspardesaccordsbilatéraux
oumultilatéraux.C’est le casde
l’agriculture, desservicesetdes
textiles.
Eneffet,lespays développés
subventionnentmassivementleurs
agriculteurs(voirle tableau). Ces
subventionsfontchuterlesprix
etrendentdifficilelaproduction
etl’exportationde biensagricoles
parlespays pauvres.
Lelobbydes agriculteurs
Ennovembre2001, àDoha,
auQatar,lespays membresde
l’OMC décidaientdoncd’entre-
prendreune nouvelle ronde de
négociationsportantplus spécifi-
quementsurl’agriculture, lesser-
vices,le règlementdesdifférends,
l’environnementetlesdroits de
propriétéintellectuelle.
Toutefois,il est politiquement
trèsdifficiled’élimineroumême
de réduiresignificativementces
subventionspuisquelesagricul-
teursdisposentd’unlobbybien
organiséetqu’il est clairquetoute
réductiondessubventionsrédui-
raitde façon importanteleurs
revenus.
Parailleurs,au-delàdessub-
ventions,certainsproduits agri-
colessontprotégéspardestarifs
énormes.Àtitred’exemple,les
taxesàl’importationcanadiennes
surlesproduits laitiers misesen
placepour protégerle systèmede
gestionde l’offre, peuventattein-
dreunsommentde 300%(1).En
fait,dansplusieurspays dévelop-
pés,certainesproductionsagrico-
lesn’existentqueparcequ’elles
sontlourdementsubventionnées
etprotégées.
Devantlamobilisationdesagri-
culteurslesdirigeants politiques
ontreculé.Aprèsquatreans,les
négociationsentaméesàDoha
étantcomplètementbloquées,
le directeur de l’OMC dut jeter
l’épongele 24juilletdernier.
Pour lapremièrefoisdepuis
1945,lesgouvernements ontcal-
culé quele coût politiqued’une
réussitedesnégociationsétait
supérieur aux bénéficesde la
libéralisationducommerce.
Quellesserontlesconséquen-
ces? Devantcetéchec,on peut
prévoirune augmentationd’ac-
cordscommerciaux régionaux
etbilatéraux,accordsquiseront
nécessairementpirequetout
accordglobal.
Cependant,lesconséquences
sontbeaucoupplus graves.
Tout d’abord, il est clair
qu’auchange, lesconsomma-
teursdespays développésont
perdu,auprofitdeslobbys des
agriculteurs.
Deuxièmement,lespays en
voiede développement,dont
l’économie repose en grande par-
tie surlesproduits agricoles,sont
encoreettoujoursfreinésdans
leur développementéconomique
parlesmultiplesbarrièresàl’en-
trée surleslucratifsmarchésde
l’occident.
S’il faut en ajouter,le déraille-
mentdesnégociationslaisseles
enjeux de l’environnement,de la
propriétéintellectuelle etdesser-
vicessansréponse.
Dansl’économie dusavoir
quenous abordonsactuel-
lement,cesquestionssont
pressantesetlesretardssont
coûteux pour tous lespays,
maispeut-être encoreplus pour
lespays développés.
Germain Belzileestchargéde
formation,Institutd’économie
appliquée,HECMontréal
(1)Source:Agencedes services
frontaliersduCanada
L’OMCetle cycle denégociations deDoha
Nousavons tousune opinionsur lamondialisation,souvent
acquiseàtraversdes annonces depertes d’emplois au
profitde paysen émergence. Onliteton entendaussi que
lamondialisationentraîneraassurémentle laminage des
particularités régionalesetde ladiversitéculturelle. A-t-on
vraimentraison des’inquiéter?La mondialisationpeut-elle
aussi constituer une chance?
GESTIOND’AUJOURD’HUI
Subventions agricoles
É.-U.Europe CanadaJaponNorvège Suisse Australie N.-Zélande
1633 21 58 67 69 5 1
42,7133,86,047,42,9 5,61,50,3
2003-2005
(en % des recettes
des agriculteurs)
2005
(enmilliards$US)
Source:OCDE
Puisqueles personnes
surlesquellesles pertes
sontconcentrées seront
nécessairementplus
actives politiquementque
cellesquiontpeuàgagner
individuellement,il est
biendifficile demobiliser
une coalitionintéresséeà
lutter pourdes échanges
plus libres.
PHOTOARCHIVES AFP
Manifestationdes agriculteurs del’Union européenne contre une diminutiondes subventions.