Revue Hématologie 2010 ; 16 (4) : 284-92 Déficit en facteur XI Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Factor XI deficiency Emmanuelle de Raucourt1 Frédéric Bauduer2 Brigitte Pan-Petesch3 Jenny Goudemand4 1 Laboratoire d’hématologie, Hôpital de Poissy-SaintGermain-en-Laye ; CTH de Versailles, Hôpital Mignot <[email protected]> 2 Service d’hématologie, CHIC Côte-Basque, Bayonne ; Laboratoire de génétique humaine, Université Victor-Segalen Bordeaux 2, Bordeaux 3 Pôle d’hématologie-transfusion, CHRU de Brest 4 CTH, CHU de Lille Mots clés : déficit en facteur XI, facteur XI, déficit rare Abstract. FXI deficiency is a rare bleeding disorder which has a particularly high incidence among Ashkenazi Jews. FXI deficiency is a mild bleeding disorder associated with site injury bleeding typically involving tissue at high fibrinolytic activity. Replacement therapy either with fresh frozen plasma or a factor XI concentrate is the mainstay of therapy. The poor correlation between FXI levels and the bleeding phenotype, the variability of the bleeding diathesis even in the same patient, and the potential complications of the treatments have caused difficulty in formulating concrete treatment recommendations. This review gives an overview of the structure, and the role of FXI in the coagulation pathway, the pathophysiology, the genetic basis, the clinical manifestations and the management of FXI deficiency. Key words: factor XI deficiency, factor XI, rare bleeding disorder e déficit constitutionnel en facteur XI (FXI) fait partie des déficits rares des facteurs de la coagulation et pose encore de nombreuses questions quant à sa prise en charge. Le rôle du FXI dans la cascade de la coagulation reste très étudié mais demeure encore mal connu ; des travaux récents ont par ailleurs montré l’importance que pourraient jouer les facteurs de la voie endogène, en particulier le FXII et FXI dans le développement des thromboses, donnant un intérêt nouveau à cette voie considérée un temps comme secondaire, voire inutile. Nous présenterons, dans un premier temps les principales données sur la structure et le rôle du FXI dans la coagulation, ainsi que la physiopathologie, l’épidémiologie et la génétique de son déficit ; nous rapporterons enfin l’expression clinique, le diagnostic biologique et la prise en charge de ce déficit. La problématique des rarissimes déficits acquis en FXI n’est pas abordée dans cette revue. Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 doi: 10.1684/hma.2010.0478 L Tirés à part : E. de Raucourt 284 Résumé. Le déficit constitutionnel en facteur XI (FXI) est un déficit rare de la coagulation, mais son incidence est particulièrement élevée parmi les Juifs Ashkénazes. Le déficit en FXI, y compris dans les formes sévères, constitue une pathologie modérée de l’hémostase ; en effet, il n’y a pas ou peu de saignements spontanés mais post-traumatiques ou chirurgicaux en particulier au niveau des tissus à haute activité fibrinolytique. Le traitement des hémorragies au cours des déficits en FXI repose sur la substitution par du PFC ou des concentrés de FXI. La faible corrélation entre le phénotype hémorragique et le taux de FXI, la variabilité des saignements y compris chez un même individu, et les complications potentielles des traitements, rendent sa prise en charge délicate. Cette revue rapporte les principales données sur la structure et le rôle du FXI dans la coagulation, la physiopathologie, l’épidémiologie et la génétique de son déficit ainsi que l’expression clinique, le diagnostic biologique et la prise en charge de ce déficit. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Structure du FXI Le FXI, comme la plupart des facteurs de la coagulation, est le zymogène d’une serine protéase. Il présente, en revanche, une structure tout à fait unique car il circule sous la forme d’un homodimère : le FXI est en effet constitué de deux sousunités identiques de 80 kDa reliées par un pont disulfure. Chaque chaîne peptidique comporte dans sa partie N terminale 4 domaines homologues nommés domaine Apple et désignés A1, A2, A3, A4 (figure 1). Ces domaines jouent un rôle déterminant dans les interactions du FXI avec ses ligands, en particulier la liaison à la GPIb plaquettaire et au FIX par le domaine A3, au kininogène de haut poids moléculaire par le domaine A2. Le domaine catalytique (SP) est constitué par la triade (His 413, Asp 462, et Ser 557) localisée dans la région C-terminale de la molécule [1]. La structure tridimensionnelle de la molécule montre que chaque monomère a une forme de « tasse sur une soucoupe », les domaines apple formant un disque sur lequel repose le domaine catalytique [2] (figure 2). Les deux chaînes peptidiques sont reliées par leurs domaines A4 grâce à un pont disulfure et des liaisons hydrophobes. Dans la circulation, le FXI est stabilisé au sein d’un complexe formé avec le kininogène de haut poids moléculaire. Le rôle de la dimérisation du FXI reste encore à élucider, elle semble être essentielle pour sa fonction et a été supposée jouer un rôle dans sa sécrétion. Activation du FXI Le FXI peut être activé par le FXIIa, la thrombine ou également par le FXIa lui-même (auto-activation). L’activation du FXI résulte du clivage d’une seule liaison peptidique en Arg 369-Ile 370 conduisant à la formation de deux chaînes lourdes contenant les domaines Apple et de deux chaînes légères SP SP A1 A4 A1 A4 A2 A2 A3 A3 Figure 1. Structure du FXI. Domaine sérine protéase C321 C321 Domaine sérine protéase Apple 4 Apple 4 Apple 3 Apple 1 Apple 2 Apple 2 Apple 2 Figure 2. Structure tridimensionnelle du FXI. 285 Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. contenant deux sites actifs [3]. Pour Wu et al., la dimérisation serait nécessaire à l’activation du FXI, l’un des monomères serait lié à la thrombine ou au FXIIa permettant l’activation de l’autre monomère, par un mécanisme de transactivation [4]. Il a été récemment décrit par Smith et al. que l’activation du FXI par la thrombine et par le FXIIa générait un intermédiaire contenant un monomère activé et un monomère non activé dénommé 1/2- FXIa. Cette dernière forme serait majoritaire dans le plasma durant l’activation de la coagulation et permettrait l’activation du FIX [5]. Activation du FIX par le FXIa Le FIX est le substrat naturel du FXIa. Son activation est un processus complexe faisant intervenir une enzyme possédant deux sites catalytiques et un substrat clivable à deux endroits précis. Lors de l’activation par le FXIa, deux liaisons peptidiques sont clivées en position Arg145-Ala 146 et Arg 180- Val 181 générant du FIXaβ. Contrairement à l’activation par le complexe FT-FVIIa qui génère un intermédiaire le FIXaα par une première scission de la liaison Arg 145-Ala 146, l’activation du FIX par le FXIa ne produit pas d’intermédiaire, la dimérisation pourrait jouer un rôle dans cette absence d’accumulation de FIXaα [6]. Pour Gailani et al., la mise en évidence du 1/2-FXIa, d’une part, et de la liaison préférentielle du FXI non activé à la GP1bα plaquettaire, d’autre part, suggère que la partie zymogène se fixe aux plaquettes activées permettant à la sous-unité active libre de cliver le FIX. Le FXI ne possédant pas de domaine Gla, site de liaison aux plaquettes activées, la dimérisation permettrait ainsi de focaliser l’activation du FIX à la surface des plaquettes activées ou sur des surfaces cellulaires [1]. Rôle du FXI dans la coagulation et la fibrinolyse Le FXI est synthétisé par les hépatocytes. La présence de FXI dans les plaquettes a été rapportée par certains auteurs, certains d’entre eux ayant même évoqué l’existence dans les mégacaryocytes, d’un gène du FXI différent de celui de l’hépatocyte ; les études en RT- PCR n’ont toutefois pas permis de confirmer cette hypothèse. Malgré tout, la présence de FXI dans les plaquettes reste ainsi un sujet de controverse, mais semble peu probable ou en tout cas à des concentrations très faibles [7]. Le rôle exact du FXI dans la coagulation reste mal connu et fait actuellement le sujet de nombreuses recherches. Classiquement, la coagulation était décrite comme une série de réactions enzymatiques en cascade, conduisant à la transformation du fibrinogène soluble en fibrine insoluble. Deux voies distinctes étaient impliquées : la voie endogène (ou encore voie du contact) initiée par l’activation du FXII par la prékallicréine et le KHPM et la voie exogène (ou voie du Facteur tissulaire) initiée par l’activation du FVII (figure 3). Voie du contact Voie exogène HK PK K TF FXIIa FXII FVIIa FXIa FXI FVIIIa FIX FIXa PL Ca++ PL FXa FX Ca++ FVa FIIa Fibrinogène 286 FVII FII Fibrine Figure 3. Le schéma classique de la coagulation sanguine. Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. L’absence de complication hémorragique chez les patients ayant des déficits complets en FXII, en Kininogène de Haut poids moléculaire ou en prékallicréine a fait supposer que la voie endogène ne jouait pas de rôle physiologique dans la coagulation. En revanche, la présence d’un syndrome hémorragique post-chirurgical chez certains sujets présentant des déficits en FXI suggérait depuis longtemps un rôle du FXI dans l’hémostase. Dans les années 1990, la mise en évidence de l’activation du FXI par la thrombine [3, 8], dans un effet de feed back positif a permis de proposer un modèle dans lequel après inactivation par le TFPI du complexe FT-FVIIa-FXa, l’activation du FXI permettrait au niveau des plaquettes activées, la génération d’un deuxième « burst » de thrombine permettant la croissance du caillot (figure 4). Il a par ailleurs été montré que le FXI inhibait la fibrinolyse de façon indirecte. En effet, la quantité de thrombine générée par le système FT-VIIa est insuffisante pour activer le TAFI (Thombin-Activable Fibrinolysis Inhibitor), la génération de thrombine via l’effet feed back positif du FXI permettrait l’activation du TAFI, assurant ainsi la protection du caillot de la fibrinolyse [9]. Cela pourrait expliquer en cas de déficit en FXI, la prépondérance des saignements au niveau des tissus à haute activité fibrinolytique. Le FXI ne jouerait donc pas de rôle dans le déclenchement de la coagulation, mais permettrait de maintenir une génération de thrombine suffisante pour assurer la croissance et la stabilisation du caillot, lorsque la voie du facteur tissulaire « starter de la coagulation » est inactivée [10, 11]. Le rôle exact de cette activation dans les conditions physiologiques reste discuté, plusieurs études, in vitro, ont montré un rôle important de la thrombine dans l’activation du FXI en particulier à faible concentration de facteurs tissulaire alors que d’autres retenaient des conclusions contradictoires [12]. Le rôle du FXI, in vivo, dans l’hémostase a été conforté par des travaux récents. Des études ont été menées sur l’activation en « feed back » du FXI dans des modèles de souris génétiquement modifiées. Dans des modèles de souris croisées, il a été retrouvé un syndrome hémorragique avec décès in utero chez les souris avec un déficit combiné en FT/FXI et FT/FIX mais pas chez les souris avec un déficit combiné en FT/FXII. Le FXIa est inhibé in vitro, par l’antithrombine, l’α1-antitrypsine, le C1-inhibiteur, et l’α2- antiplasmine, cependant il semble qu’in vivo, le principal inhibiteur du FXIa soit la protéase-nexine 2 [13]. Rôle du FXI et FXII dans les modèles de thrombose animale Plusieurs études dans des modèles de thrombose animale ont mis en évidence un rôle important du facteur XI mais aussi du facteur XII dans le développement du caillot. En effet les premières expériences sur des babouins ont montré que l’inhibition du FXI limitait la propagation du caillot dans un modèle de thrombose induite par shunt artério-veineux [14]. Plusieurs études sur des souris transgéniques déficitaires en FXI mais également en FXII ont conforté ces résultats montrant que ces déficits n’inhibaient pas la formation du caillot mais diminuaient de façon très significative sa taille et son extension, et cela dans différents types de modèles de thrombose aussi bien veineuse qu’artérielle [15]. Des études plus récentes ont porté sur des modèles d’ischémie cérébrale chez des souris déficitaires en FXI, montrant un effet protecteur du déficit avec une réduction sensible de la mortalité et des déficits neurologiques. Ceci est tout à fait en accord avec une publication israélienne montrant une incidence plus faible d’AVC chez les sujets ayant un déficit sévère en FXI comparé à la population générale, ce phénomène n’a pas été retrouvé pour l’infarctus du myocarde [16, 17]. Le déficit en FXI pourrait donc avoir un effet protecteur vis-à-vis de la thrombose, induisant même un impact positif en termes de survie [18]. IX VIIa XI FT VII XIa VIIIa IX TFPI X IXa TM TM IXa TAFI IIa Xa VIIIa VIIIa X TAFIa Xa Va II IIa Fibrinogène Figure 4. Rôle du FXI dans la coagulation. Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 Fibrinolyse Fibrine 287 Ces données confèrent un intérêt nouveau à la voie du système contact, celle-ci jouant certes un rôle limité dans la coagulation physiologique mais semblant donc essentielle pour le développement des thromboses. Ces nouvelles connaissances ouvrent des perspectives pour le développement de nouveaux antithrombotiques à risque hémorragique moindre. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Épidémiologie du déficit en facteur XI 288 Le déficit en XI a été décrit pour la première fois en 1953 par Rosenthal, chez trois patients d’une même famille, un homme de 50 ans et ses deux nièces, qui présentaient des saignements modérés, en particulier après extraction dentaire [19]. Cette affection héréditaire est retrouvée à une fréquence faible dans de nombreuses populations à travers le monde. Sa prévalence est estimée à environ 1:1 000 000. Néanmoins, le déficit en FXI est particulièrement fréquent chez les Juifs Ashkénazes parmi lesquels on dénombre 8 % de sujets hétérozygotes [20]. Cette prévalence élevée suggère un avantage pour l’hétérozygotie ou une liaison avec un gène ayant un effet favorable [21]. D’autres populations semblent présenter une fréquence accrue en premier lieu les Juifs d’Irak, mais aussi les Basques français [22] et un groupe résidant dans une région du nord est de l’Angleterre [23]. L’endogamie est un élément qui favorise l’augmentation de fréquence des formes sévères comme d’ailleurs celle des autres déficits rares en facteurs de la coagulation. Au Royaume Uni, le déficit en FXI représente environ 3 % des causes de pathologies hémorragiques selon le registre national, avec une majorité d’individus n’ayant pas d’origine juive connue [24]. Génétique du déficit en facteur XI Le déficit en FXI (OMIM 264900) est une affection autosomique considérée comme récessive, cependant qui peut parfois s’exprimer selon un mode dominant. Le gène du FXI est situé sur le chromosome 4 (4q35), à proximité du gène de la prékallicréine ; les produits de ces deux gènes partagent d’ailleurs un fort degré d’homologie [25, 26]. Il est constitué de 15 exons et 14 introns et mesure 23 Kb. Les deux premiers exons ne codent pas pour une partie de la molécule ayant un rôle physiologique. Les exons 3 à 10 sont à l’origine des 4 domaines répétés en tandem (A1 à A4). Enfin, les exons 11 à 15 codent pour l’activité enzymatique sérine protéase de la protéine. Les anomalies génétiques responsables des déficits sont multiples (mutations faux sens ou non sens, délétions, insertions ou anomalies d’épissage) et périodiquement de nouveaux variants sont décrits. A l’heure où nous rédigeons cet article, 188 mutations ont été répertoriées dans la base de données internationale interactive disponible sur internet (http//:www.factorxi.org). Elles peuvent intéresser les 4 domaines. La plupart des mutations sont à l’origine d’une baisse parallèle des activités coagulantes et antigéniques (CRM-) alors que 4 % seulement de formes CRM+ ont été recensées selon une étude publiée en 2005 [27]. Une insuffisance de stabilité de l’ARN messager a été incriminée pour la première fois il y a une quinzaine d’années comme cause possible de déficit. Kravtsov et al. [28] ont décrit deux mutations provoquant une simple substitution d’acide aminé dans le domaine catalytique (Gly400Val et Trp569Ser) qui agissent selon un mode dominant négatif : le FXI mutant qui ne peut être sécrété séquestre la forme protéique saine dans les cellules en créant des hétérodimères. Il n’y a donc plus chez l’hétérozygote de FXI fonctionnel en circulation. Une délétion complète portant sur tout le gène et siégeant entre deux séquences Alu a été rapportée sans traduction par un phénotype hémorragique sévère chez l’hétérozygote. Il est probable qu’il reste encore bien d’autres anomalies génétiques causales à découvrir. Globalement, trois grands mécanismes à l’origine des déficits en facteur XI ont été décrits à ce jour : – une réduction ou absence de synthèse polypeptidique ; – impossibilité de constituer des dimères ; – non-excrétion des homodimères normaux [29]. Le déficit en facteur XI chez les Ashkénazes est à 95 % lié à deux mutations (type II et III) alors que dans les autres populations les mutations incriminées sont multiples. La mutation de type II est une mutation non sens avec un codon stop dans l’exon 5 (GAA → TAA, Glu 117/terminaison, domaine A2) ; la mutation de type III est une mutation faux sens (ATT → ATC, exon 9, Phe283Leu, domaine A4). Les deux mutations ont une prévalence comparable chez les Juifs Ashkénazes avec des fréquences alléliques respectives à 0,0217 et 0,0254. Ces deux génotypes ont un impact différent en clinique. Les individus homozygotes pour le type II ont des taux de FXI très bas (< 1 U/dL) alors que ceux homozygotes pour la mutation de type III (entraînant un défaut de formation des dimères et de sécrétion) conservent des taux de FXI de l’ordre de 10 U/dL. Les hétérozygotes composites II/III ont des taux intermédiaires de FXI (3-5 U/dL) ; ils représentent le génotype le plus fréquent au sein de la population ashkénaze [21]. Ces mutations de type II et III peuvent être retrouvées à basses fréquences dans diverses populations comme cela a été démontré récemment en Italie. La génétique des déficits en facteur XI peut être rapprochée de l’histoire des populations. Les Ashkénazes constituent la branche du peuple juif qui a migré vers l’Est de l’Europe à partir de l’an 70 de notre ère suite à la destruction du temple de Jérusalem par les Romains. Il a été prouvé que les types II et III correspondaient à des effets fondateurs. L’équipe de Tel-Aviv a élégamment mis en évidence que l’anomalie responsable du type II était apparue avant la séparation des Ashkénazes de la population juive ancestrale ce qui explique sa présence chez les Juifs d’Irak. À l’inverse, la mutation à l’origine du type III, limitée au groupe Ashkénaze, est d’apparition plus récente. De plus, la mutation de type II peut être également retrouvée à moindre fréquence chez les Arabes de Palestine. Ce fait pourrait être expliqué par un mécanisme de flux génique (ce peuple cohabite avec les populations juives Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. depuis de nombreux siècles dans cette région du MoyenOrient). Plus récemment, deux nouvelles mutations en lien avec un effet fondateur ont été rapportées. Il s’agit de la Cys38Arg (exon 3) retrouvée chez les Basques français [30] et qui curieusement a été également isolée très récemment dans une zone du Finistère. Étant apparemment associée au même haplotype que celui présent chez les Basques, elle doit faire discuter un processus de mélange génétique entre ces deux régions, peut-être par le biais des migrations liées au métier de la pêche. Cette mutation induit à l’état homozygote des taux très faibles de FXI mais est rarement à l’origine de manifestations hémorragiques sévères [22, 30]. La deuxième mutation, Cys128Ter, retrouvée dans une population du nord est de l’Angleterre, siège dans l’exon 5 [23]. Diagnostic biologique du déficit en FXI Le diagnostic biologique du déficit en FXI repose sur des tests de routine simples. Le déficit peut être dépisté lors d’un bilan d’hémostase systématique par la mise en évidence d’un allongement isolé du TCA. Dans le cas d’un déficit isolé en FXI tous les autres tests de la coagulation (TP, fibrinogène, temps de thrombine) sont normaux. Le TCA est sensible au déficit sévère en FXI, et un peu moins aux déficits modérés. Le déficit en facteur XI peut également être mis en évidence lors de l’exploration d’un syndrome hémorragique ou dans le cadre d’une enquête familiale. Dans le cas d’un possible déficit modéré en FXI, même devant un TCA normal, un dosage du FXI doit être réalisé étant donné la moindre sensibilité du TCA dans ce contexte. Les circonstances de découverte des déficits en FXI ont évolué dans les dernières années, avant 1980 plus de 60 % des nouveaux diagnostics étaient faits dans le cadre de l’exploration d’un syndrome hémorragique, contre seulement environ 25 % des déficits dans les années 2000 [31]. Lorsque le déficit en FXI est identifié il peut être caractérisé par le dosage de l’antigène par test ELISA, permettant de différencier un déficit quantitatif, d’un déficit qualitatif éventualité beaucoup plus rare. Enfin, l’étude du gène du FXI dans les déficits sévères est utile pour évaluer le risque d’inhibiteur, ce risque étant particulièrement élevé en cas de mutations de type II [18]. Le diagnostic anténatal n’est pas justifié dans le déficit en FXI vu ses conséquences cliniques relativement limitées. Les normes du taux de FXI sont variables selon les auteurs, mais généralement le taux de FXI normal est compris entre 60-120 %. Un déficit en FXI est considéré comme sévère pour des taux < 15 % (pour certains auteurs 20 %) et correspond généralement à des mutations homozygotes ou hétérozygotes composites, le déficit est considéré comme modéré pour des taux compris entre 15 et 50 %. Le syndrome hémorragique étant souvent peu corrélé avec le taux de FXI, d’autres tests de coagulation comme les tests de génération de thrombine ou le thrombo-élastogramme pourraient être utiles pour évaluer le risque hémorragique, mais Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 il n’existe pas actuellement de données suffisantes permettant d’utiliser ces tests en pratique clinique. Par ailleurs, lors de la mise en évidence d’un déficit en FXI, il est important de compléter le bilan d’hémostase pour éliminer une pathologie associée de l’hémostase en particulier une maladie de Willebrand. Expression clinique du déficit en FXI Le déficit en FXI, y compris dans les formes sévères constitue une pathologie modérée de l’hémostase [32] ; en effet il n’y a pas ou peu de saignements spontanés en dehors des ménorragies, pas d’hémarthroses entraînant une impotence fonctionnelle, peu de saignement des muscles et tissus profonds, il n’a pas été non plus rapporté de saignement du système nerveux central. On retrouve dans les études, essentiellement des données sur les complications hémorragiques au cours des chirurgies (ou gestes invasifs) ou au décours des accouchements. En pratique, ce déficit est surtout exprimé lors de traumatismes ou de geste chirurgical, en particulier lorsque des tissus à haute activité fibrinolytique sont concernés (sphère ORL, tractus urogénital, muqueuse digestive). Dans les autres cas, les saignements sont moins fréquents en particulier pour les chirurgies orthopédiques, appendicectomies, circoncisions, ou lors de plaies cutanées [33]. L’incidence des hémorragies au cours de l’accouchement en cas de déficits sévères a été estimée à environ 20 % [24, 34]. Les complications hémorragiques peuvent être parfois retardées par rapport au traumatisme ou geste invasif. La symptomatologie hémorragique du déficit en FXI est variable selon les patients et même chez un individu donné, les saignements sont variables au cours des mêmes situations à risque [18]. Le taux plasmatique de FXI est faiblement corrélé au phénotype hémorragique, ce qui a rendu difficile la caractérisation du type de transmission de ce déficit. En effet certains patients avec un déficit sévère ne présentent pas de syndrome hémorragique y compris dans des situations chirurgicales, alors que des patients avec un déficit modéré vont développer des complications hémorragiques [6, 13, 18]. Cette variation pourrait être liée à de multiples facteurs : présence d’autres anomalies associées de l’hémostase, type de mutation, type de situation chirurgicale, ceci rendant difficile l’élaboration de recommandations de prise en charge de ce déficit. Les études israéliennes ont montré que les patients porteurs de mutation à l’état hétérozygote ont moins de risque hémorragique que les patients porteurs de mutation à l’état homozygote : dans une série de 94 chirurgies chez des patients hétérozygotes l’incidence des saignements a été de 9.6 %. Une autre étude a montré que les patients présentant un déficit sévère ont un risque de saignement plus important que ceux présentant un déficit partiel avec un risque relatif à 289 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 13 pour les déficits sévères contre 2,6 pour les déficits modérés [32]. En revanche, les études anglaises et iraniennes ont retrouvé des incidences de saignements compris entre 48-60 % chez des patients hétérozygotes ainsi que des saignements spontanés [24, 35, 36]. Ces différences ne sont pas clairement expliquées mais pourraient être liées en partie à la variabilité de la définition d’un « saignement », ou à la présence d’autres anomalies associées de l’hémostase, en particulier un déficit en facteur Willebrand, pathologie fréquente de l’hémostase dans toutes les populations [37]. 290 Traitements du déficit en FXI Concernant les traitements substitutifs, lorsque cela est nécessaire, le déficit en FXI peut être corrigé par apport de plasma frais congelé (PFC) ou de concentré en F XI. Le PFC Le plasma frais congelé apporte l’ensemble des protéines de la coagulation en particulier le FXI mais à des concentrations faibles. Il est admis que l’apport de 10 mL.kg-1 de PFC augmente d’environ 10 % l’activité plasmatique du F XI. Il est donc parfois nécessaire d’administrer de gros volumes de PFC pour atteindre un taux de FXI plasmatique suffisant. Cette surcharge volémique peut conduire à des complications cardio-pulmonaires en particulier chez le sujet âgé. Comme pour tout produit sanguin labile, l’utilisation de PFC comporte également un risque résiduel de transmission d’agents infectieux et de survenue de manifestations allergiques. L’administration de PFC reste néanmoins un traitement substitutif efficace. Il est le seul traitement disponible dans de nombreux pays. Les concentrés de F XI Il existe actuellement deux concentrés de FXI dont l’un est produit au Royaume Uni (BPL) et l’autre en France (LFB). Seul le concentré produit par le LFB est disponible en France : l’Hémoleven®. La demi-vie de la molécule injectée est d’environ 48 heures et l’administration d’une dose de 1 UI/kg augmente environ de 2 % le taux de F XI plasmatique [38]. L’utilisation de concentrés de F XI a l’avantage de ne pas nécessiter l’administration de volumes importants de soluté, et de présenter un risque infectieux très faible. Il a en revanche été rapporté dans les années 1990, une activation de la coagulation et des complications thrombotiques liées à l’utilisation de certains concentrés de FXI dont un utilisé en Israël et qui a, depuis, disparu du marché [39-41]. Ceci a conduit à l’ajout d’héparine dans le concentré britannique d’antithrombine, d’héparine et de C1-inhibiteur dans le concentré français. L’activation de la coagulation et surtout les complications thrombotiques graves voire mortelles rapportées avec les traitements par concentré de FXI ont été observées dans la grande majorité des cas chez des patients âgés ou présentant des facteurs de comorbidité cardio-vasculaire. Ces observations ont conduit à utiliser de faibles doses (10-20 UI.kg-1) et de ne pas administrer de dose supérieure à 30 UI.kg-1 [42]. Les concentrés de FXI sont actuellement préconisés dans la prévention des saignements dans certaines chirurgies chez les patients présentant un déficit sévère ou en traitement lors de complications hémorragiques. L’acide tranexamique L’acide tranexamique (Exacyl®, laboratoire Sanofi-Aventis) est un antifibrinolytique ; il ne corrige donc pas le déficit en facteur XI mais permet une stabilisation du caillot de fibrine. Son utilisation est proposée au cours de certains gestes invasifs ou d’hémorragies limitées. Il peut être utilisé seul ou en association avec le traitement substitutif mais dans ce dernier cas le risque thrombotique doit être bien évalué. L’acide tranexamique est particulièrement efficace dans la prévention ou le traitement de saignements des muqueuses, permettant dans ces situations d’éviter un traitement substitutif (par exemple : extractions dentaires). Les autres traitements D’autres molécules ont été proposées dans le traitement du saignement chez les patients présentant un déficit en FXI, en particulier lors de gestes invasifs ; l’usage de colle biologique est possible lorsque l’hémostase locale est accessible. L’utilisation de la desmopressine (Minirin®, laboratoire Ferring), traitement de choix des déficits modérés en facteur Willebrand et FVIII, a été proposée dans quelques cas, cependant l’augmentation des taux de FXI initialement rapportée n’a pas été confirmée par des études fiables [43]. Son utilisation ne semble justifiée que lorsque le déficit en FXI est associé à un déficit en facteur Willebrand. Enfin, l’utilisation du facteur VII activé (NovoSeven®, laboratoire Novo Nordisk) a été rapportée dans plusieurs séries de cas de déficit en FXI, en particulier en présence d’un inhibiteur du F XI, avec une bonne efficacité. L’utilisation du FVIIa comporte toutefois un risque thrombotique et les doses optimales ne sont pas connues [44]. Les indications L’absence de corrélation claire entre le taux de FXI et le phénotype hémorragique, la variabilité de l’expression chez un même sujet du déficit a rendu l’élaboration de recommandations difficile [45]. Il existe des recommandations britanniques formalisées sous forme de recommandations [42] et des recommandations israéliennes issues de différentes études cliniques. Le traitement substitutif est le traitement de choix du déficit sévère en FXI, lors de la plupart des chirurgies majeures (système nerveux central, cardio-thoracique, vasculaire, de la tête et du cou et chirurgie majeure abdominale) ou les chirurgies de l’oropharynx et urologique ; un traitement Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. préventif est alors indiqué avec pour objectif d’obtenir un taux de FXI d’environ 40 % pour les Israéliens [18, 32] et de 70 % pour les Britanniques. Au cours des autres chirurgies, le traitement substitutif peut ne pas être utilisé de façon systématique mais mis à disposition en cas de complication hémorragique [6]. Les chirurgies mineures et extractions dentaires peuvent être réalisées sous acide tranexamique (3 g/j), commencé 12 h avant le geste et poursuivi pendant 7 à 10 jours [6, 18, 32]. En cas de déficit modéré et d’antécédents hémorragiques importants, dans toutes les situations chirurgicales, l’utilisation de concentré doit être faite au cas par cas, en évaluant soigneusement le bénéfice/risque en fonction du risque thrombotique lié au patient et à la chirurgie et du risque hémorragique de l’intervention. Dans les études israéliennes, pour l’accouchement et le postpartum, chez les patientes ayant un déficit sévère au cours d’un accouchement normal par voie basse, voire en cas de césarienne, le traitement substitutif n’est pas indiqué à titre systématique mais en recours en cas d’hémorragie [34]. En l’absence de traitement substitutif la péridurale est contreindiquée ; le taux de FXI permettant de réaliser une péridurale reste un sujet de débat, un taux de 30-40 % pourrait être suffisant. Les recommandations britanniques recourent de façon plus systématique à un traitement substitutif chez les patientes avec un déficit sévère et pour les patientes avec un déficit modéré avec des antécédents hémorragiques, la dose de 10 UI/kg est proposée pour atteindre environ 30 % de FXI chez les déficits sévères et 70 % chez les déficits modérés [46]. L’acide tranexamique peut être également utilisé au cours de l’accouchement et en post-partum, mais compte tenu du risque de thrombose, son association avec le concentré doit être évitée. Par ailleurs, L’acide tranexamique est un traitement souvent utile au cours des ménorragies chez les patientes avec un déficit en FXI. Lors de traitement substitutif par PFC ou concentré de FXI, le développement d’inhibiteur a été rapporté chez des patients présentant des taux de FXI inférieurs ou égaux à 1 % [18]. Le traitement substitutif doit être limité au maximum chez les patients ayant des déficits sévères en rapport avec un déficit homozygote pour la mutation Glu117 (type II) car 1/3 d’entre eux développeront des inhibiteurs dès la première exposition au traitement. Le développement d’inhibiteurs après traitement substitutif doit être suspecté, lorsqu’un traitement bien conduit ne permet pas de stopper le saignement ou de normaliser le TCA et le taux de FXI. Avant tout geste invasif chez un patient présentant un déficit sévère en FXI, l’absence d’inhibiteur anti-FXI doit être vérifiée. Au total, les recommandations britanniques recourent plus largement au traitement substitutif y compris dans les déficits modérés que les recommandations israéliennes. Compte tenu des complications thrombotiques parfois fatales, du risque de développement d’inhibiteur et du risque aléatoire de l’hémorragie, il semble judicieux de limiter au maximum le traitement par concentré de FXI aux chirurgies majeures ou de localisaHématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010 tion dangereuse chez les patients avec un déficit sévère, en tenant compte des antécédents hémorragiques. Dans tous les cas, le bénéfice/risque doit être évalué, la rédaction d’un protocole doit être effectuée en amont du geste, ce protocole doit être adapté à l’environnement médical, et rédigé après une discussion multidisciplinaire (anesthésiste, chirurgien, sagefemme, hématologue, pharmacien), et transmis à l’ensemble des intervenants ainsi qu’au patient. ■ Conflit d’intérêts : aucun. RÉFÉRENCES 1. Gailani D, Smith SE. Structural and functional features of factor XI. J Thromb Haemost 2009 ; 7 : 75-8. 2. Papagrigoriou E, McEwan PA, Walsh PN, Emsley J. Crystal structure of the factor XI zymogen reveals a pathway for transactivation. Nat Struct Mol Biol 2006 ; 13 : 557-8. 3. Gailani D, Broze Jr GJ. Factor XI activation in a revised model of blood coagulation. Science 1991 ; 253 : 909-12. 4. Wu W, Sinha D, Shikov S, et al. Factor XI homodimer structure is essential for normal proteolytic activation by factor XIIa, thrombin and factor XIa. J Biol Chem 2008 ; 283 : 18655-64. 5. 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