Ces données confèrent un intérêt nouveau à la voie du sys-
tème contact, celle-ci jouant certes un rôle limité dans la
coagulation physiologique mais semblant donc essentielle
pour le développement des thromboses. Ces nouvelles
connaissances ouvrent des perspectives pour le développe-
ment de nouveaux antithrombotiques à risque hémorragique
moindre.
Épidémiologie du déficit en facteur XI
Le déficit en XI a été décrit pour la première fois en 1953 par
Rosenthal, chez trois patients d’une même famille, un homme
de 50 ans et ses deux nièces, qui présentaient des saigne-
ments modérés, en particulier après extraction dentaire
[19]. Cette affection héréditaire est retrouvée à une fréquence
faible dans de nombreuses populations à travers le monde.
Sa prévalence est estimée à environ 1:1 000 000. Néan-
moins, le déficit en FXI est particulièrement fréquent chez les
Juifs Ashkénazes parmi lesquels on dénombre 8 % de sujets
hétérozygotes [20]. Cette prévalence élevée suggère un
avantage pour l’hétérozygotie ou une liaison avec un gène
ayant un effet favorable [21]. D’autres populations semblent
présenter une fréquence accrue en premier lieu les Juifs
d’Irak, mais aussi les Basques français [22] et un groupe rési-
dant dans une région du nord est de l’Angleterre [23]. L’endo-
gamie est un élément qui favorise l’augmentation de fré-
quence des formes sévères comme d’ailleurs celle des autres
déficits rares en facteurs de la coagulation. Au Royaume Uni,
le déficit en FXI représente environ 3 % des causes de patho-
logies hémorragiques selon le registre national, avec une
majorité d’individus n’ayant pas d’origine juive connue [24].
Génétique du déficit en facteur XI
Le déficit en FXI (OMIM 264900) est une affection auto-
somique considérée comme récessive, cependant qui peut
parfois s’exprimer selon un mode dominant. Le gène du FXI
est situé sur le chromosome 4 (4q35), à proximité du gène
de la prékallicréine ; les produits de ces deux gènes partagent
d’ailleurs un fort degré d’homologie [25, 26]. Il est constitué
de 15 exons et 14 introns et mesure 23 Kb. Les deux premiers
exons ne codent pas pour une partie de la molécule ayant un
rôle physiologique. Les exons 3 à 10 sont à l’origine des
4 domaines répétés en tandem (A1 à A4). Enfin, les exons
11 à 15 codent pour l’activité enzymatique sérine protéase
de la protéine. Les anomalies génétiques responsables des
déficits sont multiples (mutations faux sens ou non sens, délé-
tions, insertions ou anomalies d’épissage) et périodiquement
de nouveaux variants sont décrits. A l’heure où nous rédigeons
cet article, 188 mutations ont été répertoriées dans la base
de données internationale interactive disponible sur internet
(http//:www.factorxi.org). Elles peuvent intéresser les
4 domaines. La plupart des mutations sont à l’origine d’une
baisse parallèle des activités coagulantes et antigéniques
(CRM-) alors que 4 % seulement de formes CRM+ ont été
recensées selon une étude publiée en 2005 [27]. Une insuffi-
sance de stabilité de l’ARN messager a été incriminée pour la
première fois il y a une quinzaine d’années comme cause pos-
sible de déficit. Kravtsov et al. [28] ont décrit deux mutations
provoquant une simple substitution d’acide aminé dans le
domaine catalytique (Gly400Val et Trp569Ser) qui agissent
selon un mode dominant négatif : le FXI mutant qui ne peut
être sécrété séquestre la forme protéique saine dans les cellules
en créant des hétérodimères. Il n’y a donc plus chez l’hétéro-
zygote de FXI fonctionnel en circulation. Une délétion complète
portant sur tout le gène et siégeant entre deux séquences Alu a
été rapportée sans traduction par un phénotype hémorragique
sévère chez l’hétérozygote. Il est probable qu’il reste encore
bien d’autres anomalies génétiques causales à découvrir.
Globalement, trois grands mécanismes à l’origine des déficits
en facteur XI ont été décrits à ce jour :
–une réduction ou absence de synthèse polypeptidique ;
–impossibilité de constituer des dimères ;
–non-excrétion des homodimères normaux [29].
Le déficit en facteur XI chez les Ashkénazes est à 95 % lié à
deux mutations (type II et III) alors que dans les autres popula-
tions les mutations incriminées sont multiples. La mutation de
type II est une mutation non sens avec un codon stop dans
l’exon 5 (GAA →TAA, Glu 117/terminaison, domaine
A2) ; la mutation de type III est une mutation faux sens
(ATT →ATC, exon 9, Phe283Leu, domaine A4). Les deux
mutations ont une prévalence comparable chez les Juifs
Ashkénazes avec des fréquences alléliques respectives à
0,0217 et 0,0254. Ces deux génotypes ont un impact diffé-
rent en clinique. Les individus homozygotes pour le type II ont
des taux de FXI très bas (< 1 U/dL) alors que ceux homo-
zygotes pour la mutation de type III (entraînant un défaut de
formation des dimères et de sécrétion) conservent des taux
de FXI de l’ordre de 10 U/dL. Les hétérozygotes composites
II/III ont des taux intermédiaires de FXI (3-5 U/dL) ; ils repré-
sentent le génotype le plus fréquent au sein de la population
ashkénaze [21]. Ces mutations de type II et III peuvent être
retrouvées à basses fréquences dans diverses populations
comme cela a été démontré récemment en Italie. La génétique
des déficits en facteur XI peut être rapprochée de l’histoire
des populations. Les Ashkénazes constituent la branche du
peuple juif qui a migré vers l’Est de l’Europe à partir de l’an
70 de notre ère suite à la destruction du temple de Jérusalem
par les Romains. Il a été prouvé que les types II et III corres-
pondaient à des effets fondateurs. L’équipe de Tel-Aviv a
élégamment mis en évidence que l’anomalie responsable du
type II était apparue avant la séparation des Ashkénazes de
la population juive ancestrale ce qui explique sa présence
chez les Juifs d’Irak. À l’inverse, la mutation à l’origine du
type III, limitée au groupe Ashkénaze, est d’apparition plus
récente. De plus, la mutation de type II peut être également
retrouvée à moindre fréquence chez les Arabes de Palestine.
Ce fait pourrait être expliqué par un mécanisme de flux
génique (ce peuple cohabite avec les populations juives
Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010
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