APPROCHE ÉCONOMIQUE DE LA GESTION DE LA DEMANDE EN EAU EN MÉDITERRANÉE
RÉSUMÉ EXÉCUTIF
Les stratégies et politiques de l’eau de l’ensemble des pays du
bassin méditerranéen font face aujourd’hui à une multiplicité
d’enjeux : assurer l’allocation de l’eau entre des secteurs en
concurrence croissante pour une ressource de plus en plus rare ;
mettre en œuvre des stratégies d’augmentation de l’offre en eau
au coût marginal de plus en plus élevé en prenant en compte
des contraintes techniques, environnementales mais également
économiques et nancières croissantes ; gérer la demande en eau
d’un très grand nombre d’usagers indépendants (en particulier
agriculteurs mais également usagers domestiques) dans un
contexte où l’accès à la ressource en eau, en particulier souterraine,
est peu contrôlé ; assurer le « retour au milieu aquatique » des
économies d’eau obtenues à partir de changements de pratiques
et de la diffusion de nouvelles technologies économes en eau ;
prendre en compte l’importance et les demandes de l’usage
agricole comme réponse aux enjeux de sécurité alimentaire de ces
pays mais également aux enjeux d’emploi, d’équilibres territoriaux
et de stabilité sociale et politique au regard d’une population rurale
qui demeure importante.
Pour répondre à ces enjeux, des politiques ou stratégies de Gestion
de la demande en eau (GDE) ont progressivement émergé dans
les pays méditerranéens. Ces initiatives combinent des approches
réglementaires et de restriction quantitative (par exemple, imposer
un quota d’eau par usager) à des mécanismes d’incitation aux
changements de pratiques et de comportement des usagers
visant des économies d’eau ou un usage raisonné des ressources
en eau. Des instruments économiques ont ainsi été mis en œuvre
dans l’objectif de réduire la demande en eau et/ou d’assurer
une allocation optimale des ressources en eau. Les instruments
les plus utilisés aujourd’hui sont les tarications des services de
l’eau (eau potable ou eau d’irrigation) ; les taxes ou redevances
environnementales (appliquées aux prélèvements mais également
aux rejets polluants vers les milieux aquatiques) ; et les subventions
directes aux pratiques ou technologies dites économes en eau.
Certains pays ont également mis en place d’autres instruments tels
les paiements pour services environnementaux/services rendus
(France) ou des mécanismes de quotas échangeables ou marchés
de l’eau (Espagne).
Les enjeux nanciers, sociaux et environnementaux liés à la mise
en œuvre de ces instruments nécessitent de renforcer les analyses
économiques en appui à leur formulation, leur mise en œuvre et
au suivi de leurs effets. Elaborer des instruments économiques
conduisant à une utilisation efciente ainsi qu’à une allocation
optimale de la ressource demande d’analyser l’ensemble des
avantages et des coûts qui découlent de l’utilisation de la ressource
en eau, la structure des coûts des services de l’eau ou la sensibilité
des usagers des différents secteurs aux évolutions des prix de l’eau.
Les données et études permettant d’évaluer ex-ante ou ex-post
l’efcacité d’instruments économiques appliqués au domaine de
l’eau et leurs impacts (environnemental, social et économique),
ou d’identier les facteurs clés explicatifs de la performance de
ces instruments, sont rares voire inexistantes. Ce constat, qui
s’applique également à l’ensemble des outils et mécanismes (y
compris réglementaires) proposés pour la gestion de l’eau en
Méditerranée, souligne la nécessité de renforcer la culture de
l’évaluation au sein des organisations responsables de la gestion
de l’eau– condition nécessaire à une amélioration progressive de
l’efcacité des stratégies et politiques de l’eau proposées et mises
en œuvre, et des instruments économiques en particulier.
L’analyse des connaissances disponibles concernant la mise en
œuvre et la performance des instruments économiques appliqués
aujourd’hui met cependant en évidence une contribution limitée
de ces instruments à l’atteinte des objectifs de la GDE. Rares sont
les exemples où l’application d’instruments économiques a conduit
à une réduction signicative de la demande en eau globale. Dans les
pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, dans un contexte global
de rationnement, que ce soit pour l’eau potable (où le service est
fréquemment interrompu) ou l’eau agricole, le critère de « libre
disposition du bien » qui fonde la pertinence d’une allocation par
les prix n’est pas respecté. Les pompages privés non contrôlés
dans les nappes souterraines représentent l’exception à la règle et
limitent l’efcacité de l’instrument tarifaire ; les usagers qui utilisent
ce moyen de prélèvement consentent par ailleurs à engager des
coûts de pompage élevés, la plupart du temps bien supérieurs
aux tarifs acquittés auprès des opérateurs de réseaux d’irrigation
publics. D’une manière trop générale, les tarifs des services de
l’eau sont généralement trop bas pour avoir un effet incitatif sur
la consommation en eau, en particulier pour l’eau agricole très
largement subventionnée au nom d’objectifs sociaux.
Lorsque les tarifs de l’eau potable sont sufsamment élevés pour
avoir un effet incitatif, les réductions de la demande individuelle
de certains ménages qui en résultent sont parfois plus que
compensées, à l’échelle globale, par l’augmentation forte des
populations des centres urbains ou le report des demandes en eau
vers des ressources alternatives telles que les pompages individuels,
peu ou pas contrôlés, sur les eaux souterraines. Dans le cas des
usages industriels ou touristiques, la tarication est en relation
avec la rentabilité des activités et la valeur marginale de l’eau pour
les opérateurs. Ainsi, le tarif peut se rapprocher des dispositions
marginales à payer (DAPm) de ces acteurs économiques. Par
exemple, en Tunisie, ce sont les activités touristiques qui s’acquittent
des tarifs les plus élevés.
Dans le domaine agricole, les améliorations de l’efcience de
l’irrigation à l’échelle de la parcelle qui résultent des subventions aux
pratiques et technologies économes en eau se traduisent rarement