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Jeunes artistes et nouveaux
horizons
Du même mouvement où nous voulons défendre
les maîtres et le regard sur plusieurs généra-
tions, nous souhaitons aussi soutenir les jeunes
compagnies, faire de nouvelles rencontres,
découvrir de nouveaux talents et rester attentifs
aux expériences, aux contenus et aux formes
nouvelles.
Sans doute la société de consommation deman-
de le renouvellement incessant et rapide des
formes: vite, vite, encore de la chair fraîche, celle
d’hier matin est déjà faisandée. Je ne partage
pas ce point de vue, même si je prône l’expéri-
mentation. Si nous donnons une chance à de
jeunes artistes sur lesquels on fait un pari, c’est
plutôt pour entreprendre avec eux un chemin
commun. C’est une histoire d’amour, et non pas
de calcul ou d’évaluation statistique.
Intersections
Je me réjouis de défendre les artistes, assez
nombreux dans les temps récents, capables de
modifier les frontières entre les arts, en inven-
tant à chaque fois de nouvelles modalités et de
nouvelles formes de leurs rencontres. Un artis-
te authentique est tout à fait capable de refon-
der sa discipline… autrement: des danseurs
qui parlent, des musiciens qui jouent des rôles,
des interprètes qui se taisent, pour donner sa
valeur au silence, pour habiter l’espace et pour
exalter le temps. Je souhaite que notre projet
s’accompagne aussi de réflexions sur l’état
actuel et sur l’avenir ou la destinée de ces diffé-
rents arts. Ainsi, Heiner Goebbels, et son inven-
tion du Concert musical, offrira dans des cadres
insolites des textes de T. S. Eliot, Blanchot, Kafka
et Beckett, chants en anglais par le Hilliard
Ensemble. Guy Cassiers, qui a remporté un réel
succès avec son Triptyque l’an dernier, fera
une mise en scène du grand roman Au-des-
sous du Volcan,de Malcolm Lowry. Angelin
Preljocaj, se proposera audacieusement de
dire/ danser le sublime Funambule de Jean
Genet. Jan Fabre proposera un solo écrit par
lui-même. Voilà bien, avec Maguy Marin, Auré-
lien Bory, la compagnie chilienne Teatrocine-
ma, Jan Lauwers et bien d’autres, des artistes
dessinant de nouveaux cadastres, déplaçant
les cloisons, ouvrant des trappes, creusant des
terriers ou déployant leurs ailes dans de nou-
veaux espaces entre la scène, le corps, l’image,
le cinéma, l’objet…
Poétique des langues et troupes
étrangères
«Il ne faut pas avoir peur des langues étran-
gères, au contraire; j’ai toujours pensé que, si on
regarde longtemps et soigneusement les gens
quand ils parlent, on comprend tout. Moi je vous
parle étranger et vous aussi, alors, on sera vite
sur la même longueur d’onde » Cette phrase
que Bernard-Marie Koltès fait dire à Léone dans
Combat de nègre et de chiens,nous souhaitons
aujourd’hui la reprendre à notre compte. Ainsi,
David Lescot mettra en scène L’Européenne et
réunira pour l’occasion une troupe française,
italienne, portugaise et slovaque. De même,
l’auteur japonais Oriza Hirata travaillera à une
adaptation de Par-dessus bord,la pièce de
Michel Vinaver, qu’Arnaud Meunier mettra en
scène avec une troupe franco-japonaise.
Ainsi, nous continuerons à faire entendre la part
poétique de ces langues, à réunir dans un même
espace ceux qui la parle et l’entende, à voir se
côtoyer dans la salle et sur la scène des com-
munautés linguistiques différentes.
Le retour du Berliner Ensemble au Théâtre de la
Ville est aussi un événement. Il n’y était pas venu
depuis 1960. La venue de L’Opéra de quat’sous
de Brecht témoigne de l’art d’acteurs d’une
grande troupe sachant chanter, aptes à rappro-
cher plutôt l’opéra, ou la comédie musicale, du
théâtre, que l’inverse. Robert Wilson est, on le
sait, l’un de ceux qui maîtrisent à la perfection
l’image scénique et le temps musical, et l’exerci-
ce des voix dans cet Opéra de quat’sous relève
du grand art. Que le Richard II de Shakespeare,
monté par Claus Peymann, metteur en scène
trop peu invité en France, fasse aussi honneur à
ce Berliner Ensemble qu’il dirige, signifie bien
que théâtre allemand et théâtre français ont
depuis des années de profondes connivences.
Ensemble artistique
Le dramaturge, l’auteur, le scénographe, le
musicien et la troupe d’acteurs qui m’accom-
pagnent constituent l’Ensemble artistique du
Théâtre de la Ville. Car on réussit bien un spec-
tacle non seulement parce qu’on s’entoure d’ar-
tistes de talent, mais surtout parce qu’on par-
vient à travailler et à inventer ensemble. Cela
suppose que le lieu où travaillent ces artistes
soit non seulement un lieu de représentation,
mais aussi l’endroit d’une réflexion continue, un
espace de recherche et d’interrogations sur les
auteurs et les modes de représentations. Pour
que le Théâtrede la Ville soit un lieu en mouve-
ment, un lieu d’intense vitalité artistique, cet
«Ensemble artistique » tiendra aussi une place
importante, en s’impliquant dans des ateliers
avec des lycéens, des étudiants et aussi des
amateurs, en s’aventurant sur des terrains nou-
veaux à la rencontre d’autres spectateurs.
Enfants
« Qui nous indiquera la place de l’enfant », dit
le poète.
On peut toujours terminer par les enfants. Jouer
est commun après tout à l’enfant et à l’acteur,
et je souhaite que le Théâtre de la Ville s’adresse
le plus souvent possible à eux.
Ils pourront donc voir Wanted Petula de Fabrice
Melquiot, auteur associé, qui caresse dans ce
texte quelques nouveaux mythes chers aux
enfants ainsi que quelques questions qui leur
sont propres, mais aussi un spectacle de
marionnettes du Kerala, au sud de l’Inde, repre-
nant les anciennes légendes du Mâhabhârata,
histoires fabuleuses et héros inconnus.
C’est au travers de nos expériences quoti-
diennes qu’il nous faut essayer d’entrevoir le
théâtrede demain. Nous vivons une époque à
la croisée des chemins, pas seulement poli-
tiques mais aussi artistiques. De quoi la culture
de demain sera-t-elle faite ?Il nous appartient à
nous autres, metteurs en scène et acteurs, cho-
régraphes et danseurs, de continuer à chercher
des voies nouvelles.
Emmanuel Demarcy-Mota.
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