http://www.eradication-polio.com/ Révolution dans les techniques de réanimation - page 1/2
Révolution dans les techniques de
réanimation
Une épidémie de poliomyélite au Danemark, en 1952, est à l'origine d'une invention
qui a révolutionné la vie des victimes de séquelles respiratoires de la polio et la pratique de la
réanimation dans le monde entier.
Depuis le milieu des années trente, les malades menacés de paralysie respiratoire
étaient placés dans des poumons d'acier, énormes tubes enfermant l'intégralité du corps
jusqu'au cou et dans lesquels l'alternance régulière de dépression et de surpression provoquait
des mouvements de la cage thoracique. La machine avait été mise au point par l'équipe du
docteur Philip Drinker, à l'École de Santé publique de Harvard, aux États-Unis, pour assister
la respiration des prématurés et des nouveaux-nés en détresse respiratoire. Elle fut ensuite
développée par la société américaine Warren Collins et produite en série pour les victimes de
la polio. Le public remplaça son nom officiel « Respirateur Drinker » par « poumon d'acier »,
évocateur, terrifiant et significatif de la perception de la maladie.
En 1952, les médecins de l'hôpital de Copenhague sont submergés par les paralysies
respiratoires. Ils disposent alors de quelques poumons d'acier, insuffisants en nombre et en
efficacité pour empêcher les décès par asphyxie.
Un médecin danois, Henry Lassen, et son confrère Bjørn Ibsen ont alors l'idée
d'utiliser pour ces malades une technique qui a déjà fait ses preuves en chirurgie lourde. Elle
consiste à introduire dans la trachée du patient un tube en caoutchouc pour faire entrer l'air
dans les poumons, en suivant un rythme alterné d'inspiration et d'expiration. Une pression
manuelle est exercée sur un ballon réservoir dans lequel s'effectue un mélange d'air et
d'oxygène.
L'inconvénient majeur de la technique est que les malades doivent être assistés
pendant des jours, voire des semaines. L'avantage est de pouvoir aspirer les sécrétions par le
tube, ce qui désencombre les voies respiratoires et empêche l'asphyxie. Le personnel médical
se relaie jour et nuit pour aider les patients à respirer. Des étudiants se succèdent sur des vélos
dont les chaînes mettent les machines en mouvement.
Hélas, il se révèle rapidement impossible de laisser en place plus de quelques jours ce
tube qui pénètre par la bouche. Les médecins pensent alors à la trachéotomie, une incision
chirurgicale de la trachée dans laquelle on introduit une canule branchée sur un respirateur
mécanique. Un accès direct aux bronches étant ouvert, l'appareillage peut demeurer en place
sur une longue durée, tout en améliorant le confort des malades. La technique évite aussi
l'encombrement des voies aériennes par des sécrétions. Le premier antibiotique, la pénicilline,
disponible depuis peu, écarte le risque d'infection par l'ouverture des voies aériennes.
Médecins et ingénieurs conjuguent leurs efforts pour dépasser le stade artisanal et
mettre au point, à échelle industrielle, des respirateurs artificiels plus sophistiqués. Son chef
de file est l'appareil d'Engström, la « “Volvo” de la respiration artificielle, qui aura un succès
http://www.eradication-polio.com/ Révolution dans les techniques de réanimation - page 2/2
tout à fait justifié en Europe », selon le professeur Jean-Jacques Pocidalo qui a participé à son
introduction en France1.
Au milieu des années cinquante, informées des ravages de l'épidémie dans les pays
nordiques, les autorités sanitaires françaises s'attendent au pire et décident de réagir tant qu'il
est encore temps. Pierre Lépine, spécialiste de la polio à l'Institut Pasteur, demande alors à
Pierre Mollaret, titulaire de la chaire des maladies infectieuses à l'hôpital Claude Bernard à
Paris, de prendre les mesures nécessaires pour se préparer à accueillir les malades les plus
gravement atteints.
Les médecins parisiens connaissent l'existence des appareils d'Engström, mais leur
emploi sur une longue durée n'est pas encore maîtrisé. Avec Jean-Jacques Pocidalo et d'autres
collaborateurs, Pierre Mollaret passe l'hiver 1953-54 à élaborer les plans d'un centre de soins
pour un nombre important de poliomyélitiques atteints de paralysie respiratoire. Des
chambres ultramodernes sont équipées d'appareils d'Engström flambant neufs, importés du
Danemark et de Suède. Au sous-sol du pavillon, une centrale d'oxygène est installée pour
permettre les mélanges gazeux.
Les biologistes mettent au point des méthodes de dosage rapide de l'oxygène et du gaz
carbonique dans le sang, pour un réglage précis de la ventilation assurée par les respirateurs.
Les médecins se préparent à pratiquer des trachéotomies. Médecins et infirmiers
expérimentent les ventilateurs sur des chiens, au préalable anesthésiés et paralysés par du
curare. Leurs efforts sont récompensés : pour la première fois, il est possible d'assurer aux
malades une ventilation mécanique continue. Les poumons d'acier sont remisés au fond du
bâtiment.
Lorsqu'en septembre 1954 l'épidémie attendue se déclare en France, des équipes
entraînées sont en place, prêtes à accueillir et traiter les patients dans le centre baptisé
désormais Pasteur-Lassen. Cette entreprise montée dans l'urgence n'a pas été vaine : la polio,
qui atteint alors 2 000 cas par an, n'entraîne pas la même mortalité que celle du nord de
l'Europe.
« Lorsqu'on prévoit les événements, on est capable, même en médecine, de
transformer l'évolution des techniques », raconte Jean-Jacques Pocidalo.
L'expérience du centre Pasteur-Lassen a essaimé dans toute la France. Les grands
centres hospitaliers ont alors recours à cette pratique nouvelle de respiration artificielle
continue, dite réanimation respiratoire, appliquée à tous les états de détresse respiratoire. La
même évolution eut lieu dans tous les centres hospitaliers du monde.
Mise au point contre la polio, la réanimation respiratoire est devenue un ensemble de
gestes et de techniques utilisé en routine, et des générations de malades et d'accidentés lui
doivent la vie. L'histoire de la lutte contre la polio est ainsi jalonnée de découvertes qui ont
révolutionné la médecine et la recherche médicale.
1 Citation extraite de Histoire de l'éradication de la poliomyélite, Les maladies meurent aussi, PUF, Paris,
automne 2003.
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !