L’œuvre de Thierry Hentsch est, à proprement
parler, déroutante. Elle s’articule à une quête
de sens qui remet en question les idées reçues
sur lesquelles se sont construites nos certitu-
des, en particulier cette idée de flèche du temps
qui, dans la vision hégélienne du monde,
conduit à l’avènement de l’homme universel en
Occident. La conscience de l’Occident est mar-
quée par la prétention exorbitante qui consiste
à faire de son propre parcours particulier, un
chemin de vérité universelle tracé par la mar-
che rationnelle de l’histoire, une voie linéaire
marquée par le progrès. Le destin de la civilisa-
tion occidentale consisterait à éclairer le
monde, à conduire l’humanité vers son éman-
cipation, politique, morale, intellectuelle. Nulle
philosophie n’a autant que la philosophie des
Lumières davantage cru dans cette mission,
nulle philosophie ne s’est davantage « trompée
sur elle-même, sur ses intentions et sur ses
motivations » (2003 : 79).
Loin de réaliser l’émancipation de l’homme, la
pensée occidentale moderne nous a engagé
« vers un destin que nous ne sommes plus trop
certains de vouloir et que nous avons plus ou
moins renoncé à comprendre » (2002 : 12). Em-
porté comme nous le sommes dans le maels-
tröm des vérités scientifiques et de l’innovation
technologique, de la logique du marché et de la
concurrence, nos vies semblent de plus en
plus dirigées par un « progrès » qui se déroule
désormais en dehors de toute finalité humaine.
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