1 JUNGE Traudl (1920 - 2002) Dans la Tanière du Loup Sur la terrasse du Berghof en 1943. Assis de gauche à droite : Gerhard Engel, Heinrich Hoffmann (derrière lui, Traudl Junge), Walter Hewel, Gerda Bormann (de dos). Mémoires d’une secrétaire à l’épicentre d’un État criminel 2 Une personne bien banale... Traudl Junge, est née le 16 mars 1920 à Munich. Elle décède le 10 février 2002 dans la même ville alors âgée de 82 ans. Mariée une première fois au printemps 1943 avec l’Obersturmführer1 Hans Junge mais celui-ci meurt à Dreux en 1944. Traudl grandit dans une petite famille classique Allemande. La mère est au foyer, le père travaille, trompe sa femme... Elle a une sœur, Inge. Son père, Max Humps soutient en 1923 le putsch de Munich, comme de nombreux Allemands désœuvrés à cette même époque. Il incorpore les rangs des nationaux-socialistes de la première heure, puis de la SS 2 elle même après la prise de pouvoir et la mise en place de l’Allemagne nazie. Peut-on se demander si son père s’engage auprès d’Hitler par conviction ou bien par simple opportunisme ou encore par inactivité ? Mais la n’est pas la question. La petite Traudl Humps, nommée Gertraud grandit ainsi dans une famille sans grande histoire. Dans le cadre religieux, il semble que la tradition catholique prend une place importante surtout après le divorce de sa mère et l’établissement de cette dernière –avec ses deux filles- chez son père, le vieux général à la retraite, Maximilian Zottmann, un vieillard à relents « Bismarckiens »3 . Cependant, comment en venir au sein même du pouvoir, dans l’entourage, dans la sphère du Führer ? Par hasard. Cette jeune fille, évolue dans cette nouvelle Allemagne. Comme de nombreux Allemandes et Allemands, elle est bercée par la vague. Ce nouveau système politique très en vogue en ce début de siècle qu’est le fascisme n’entre guère dans les convictions personnelles de la petite Traudl. Bien qu’incorporée dans les jeunesses hitlériennes, Trauld rêve de danse. Elle aime son uniforme, marcher au pas ; cadencée par les belles mélodies du peloton 4 du Bund Deutscher Mädel . Elle ne sait pas vraiment pourquoi elle défile devant ces gens qu’on traite de « sale rouge » mais ça lui plait. Sociologiquement parlant Traudl n’est certainement pas 1 Dans ce cadre, c’est un commandant de peloton à la Waffen-SS. Schutzstaffel : escadron de protection. 3 Nombreux étaient les Allemands qui, lors de la montée du nazisme soutenaient encore le vieux maréchal Hindenburg et étaient nostalgiques de la période passée, anéantie, de la glorieuse unité allemande, du Reich de Bismarck. 4 Union des jeunes filles allemandes. 2 3 fasciste ou encore xénophobe. Elle ne se soucis guère de cet Hitler, de la guerre. Son but, gagner de l’argent pour danser... Toutefois, son destin -semblerait-il- va prendre une toute autre forme. Entrant dans l’entourage du Führer, Traudl, comme nous le verrons par la suite, traverse de nombreuses situations. Entre les longs diners, les moments d’ennui, les différentes rencontres avec les hauts dignitaires nazis, comme Himmler, Hoffmann, Bormann, Linge... Traudl ne cessera de les observer et de faire son travail de simple secrétaire, jusqu’à rédiger, notamment, le testament de Goebbels -juste après celui de Hitler- avant son suicide. Elle devint l’incarnation de ce qu’Hannah Arendt nommait la « banalité du mal ». ... Un récit original... Le titre de l’œuvre de Junge est à analyser dans un premier temps. En effet, le titre originel n’est absolument pas Dans la Tanière du Loup. Les confessions de la secrétaire d’Hitler. Il s’agit d’une traduction de l’allemand par Janine Bourlois. L’édition originelle donne Bis Zur Letzten Stunde. Hitlers Sekretärin erzählt ihr Leben. Quant aux mots la Tanière du Loup, en allemand, l’on traduira cela par In die Wolfsschanze. Or la traduction du titre originel donne Jusqu’à la dernière heure. La secrétaire d’Hitler raconte sa vie. Toutefois, cette traduction n’en reste pas moins mauvaise et, est le choix du traducteur bien entendu respecté. Notons, tout de même, que ce récit est (comme de nombreux textes traduits) plus intéressant à lire en allemand. Pour l’étude présente, les deux versions furent misent en parallèles. Junge consigne ses souvenirs qu’elle écrit entre 1947 et 1948 après sa libération des camps soviétiques. Ce sont : « les souvenirs encore vif de ma vie à proximité immédiate d’Adolph Hitler ». Est-ce un discours sur la culpabilité ? Elle consent à les ressortir en 2001 et suite à un travail en collaboration avec Melissa Müller (journaliste Australienne notable. Elle travailla notamment sur une biographie d’Anne Frank), son témoignage sort une première fois en Allemagne en février 2002 au moment de sa mort... Ainsi publiée pour la première fois par Claassen Verlag, du groupe Econ Ullstein List Verlag Gmbh & Co. KG, München, les éditions Jean-Claude Lattès pour la traduction française publient en 2005 jusqu’en octobre 2007 pour les derniers tirages. 4 Auprès du Loup... Traudl présente un vision encore aujourd’hui qui peut porter à controverse de ce que fut Adolph Hitler. Dès les premières pages, le lecteur ressent l’angoisse dans les mots. Elle fut secrétaire du chef du Troisième Reich de 1942 à 1945, jusqu’à la dernière heure, d’où le titre originel. Le récit se comporte en deux temps. Plongée au cœur de la « société » en orbite autour de son centre culminant, le Führer, vivante mais obéissante à ses moindres faits, gestes et ambitions. Jusqu’à la vieille de son suicide, ce dernier les poussa à croire en la Victoire finale, à l’utilisation « de nouvelles armes », de la contre attaque... Toutefois, le château de carte est rapidement soufflé par les « orgues de Staline »1. Traudl, elle même, malgré son esprit candide finie par s’éveiller et constate. Le 30 avril 1945, il semble que chacun renait, que chacun se rend compte de la finalité de cette guerre ; « toute le société des survivants [du Führersbunker] y est rassemblée. D’un seul coup, ils sont redevenus des individus qui agissent et pensent par eux mêmes »2... 1. Une vision candide Le rapport avec la guerre et la violence semble loin de Junge. Elle nous présente certainement la vision la plus décomplexée de l’Allemagne national-socialiste. On comprend rapidement son rapport avec Hitler. Ce n’est pour elle pas plus qu’un patron, une personne sympathique, paternelle même à certains instants. On retrouve les mêmes similitudes dans le récit de Rochus Misch, J’étais garde du corps d’Hitler. Au travers de Traudl on semble être loin de la guerre, loin de ce qu’elle peut entendre sur les bombardements soviétiques, loin des crises de colère, de rage du Führer. On est au sein d’une grande famille, autour de son père fondateur. Loin de l’idéologie violente et criminelle proliférée par Hitler, Himmler ou d’autre. Elle, elle écrit, dactylographie des encouragements aux hommes à l’Est, envoie des récompenses pour faits d’armes etc. Jamais vraiment rien de confidentiel. Notamment, elle est encore loin de se douter des déportations et autres atrocités. Elle est auprès du Grand Patron qui ne cesse de l’appeler « mon enfant » en lui serrant la main gentiment, lui demandant comme elle va, s’il elle n’a « pas trop froid 3 ». Les premières pages nous offre une figure candide du Führer. Elle le décrit comme un « monsieur 1 p. 247. p. 259. 3 p. 65. 2 5 souriant et délicat, à la voix douce et modulée »... qu’elle désapprouvera, bien tard en disant : « la jeunesse n’est pas une excuse, on aurait du s’enquérir de certaines choses »... Et même quand les doutes surgissent, quand elle en vient à réfléchir sur cet Himmler : « Je n’avais jamais côtoyé [Himmler] d’aussi près cet homme puissant et redouté. Il m’était extrêmement antipathique et hypocrite et non pas parce qu’il donnait l’impression d’être brutal [...] Il raconta combien les camps de concentration étaient merveilleusement aménagés. « J’ai réparti mes gens tout à fais individuellement pour le travail et avec cette méthode, je n’ai pas seulement une sécurité totale, mais également de bonne performance, le calme et l’ordre... »1. C’est certainement la seule fois où elle entendit parler des camps de concentration. Quand la situation commença à se dégrader, elle refusa de se poser plus de questions. Pourquoi ? Autant pour la loyauté immuable que pouvaient avoir certains proches de Hitler ? Ou encore par simple confort pratique ? Il est bon par cet écrit de voir le cœur de cette « société » comme elle le répète souvent. L’analyse de l’évolution comportementale du Führer, celle des généraux - qu’il semble tant détester -, ou encore celle du témoin lui même qui viendra à entendre les bombardements de l’Armée Rouge aux porte de Berlin. L’évolution de cette « société » au cœur de la violence et de la sur-violence est nette. Nous allons donc voir cela ; de la paisible Prusse-Orientale où se trouve le Wolfsschanze, en passant par les « magnifiques » montagnes bavaroises du Obersalzberg que surplombe le Berghof, jusqu’aux tragiques instants du Führersbunker. 2. Vers la « Victoire Finale » ? Les journées passent, défilent. Le printemps 1943 au Berghof semble apparaître comme un tournant dans la vie de Traudl. Elle apprend, notamment la chute de Stalingrad2 et les nombreuses défaites de la Luftwaffe en Europe de l’est. De plus, elle nous témoigne de plus en plus de la paranoïa et de la mégalomanie montante mais pas encore à son zénith de Hitler3. La guerre reste encore loin, bien que le bruit des sirènes antiaériennes peut se faire -de façon de plus en plus récurrente- entendre. L’agitation atteint son paroxysme en 1944. « Le soleil brillait [au Berghof] sur le paysage passible, on buvait, on riait, on aimait, et malgré tout, la nervosité augmentait de 1 p. 131. Cela nous apprend la lourde défaite de la Wehrmacht et la reprise en main des armées soviétiques. 3 Elle fera bien plus référence de cela, surtout après l’attentat du 20 juillet 1944. 2 6 jour en jour »1. Traudl ressent le changement de situation. Le tournant fulgurant de l’invincible Wehrmacht était arrivé. La guerre allait en Allemagne, venant à grand pas une bonne fois pour toute. Les officiers, alors que Hitler était encore pour peut de temps dans sa résidence du Berghof, sont de plus en plus détestés, brimés. Le Führer, en vient même à comparer sa façon de faire avec son armée à celle de Staline2, qui se dernier n’hésita pas à épurer ses généraux. La violence est cet ensemble de non sensibilité la trouble mais la rassure également... La vision actuelle de l’historien sur un tel récit laisse entendre la fin de la guerre et la défaite de l’Allemagne national-socialiste ainsi que la destruction du pays et la mort de nombreux innocents. Mais, il est évidant que les personnes qui vivent l’histoire ne connaissent pas sa finalité. De fait, quand Traudl nous parle des bombardements des villes du Reich, de l’arrivée prochaine des troupes soviétiques et qu’elle rappelle les paroles du Führer, qui, ce dernier, parle encore de « Victoire Finale » cela peut faire sourire avec le recul. Mais pour elle, cela semble et apparaît comme plus que sérieux. La « société » autour de Hitler, l’aura qu’il leur transmet les pousse à croire en Lui. Cependant, et certainement, (heureusement) la réflexion de Junge évolue ; bien que faiblement. Etant munichoise et apprenant les grands incendies de la ville, comme tout un chacun le ferait, elle s’inquiète pour sa mère et va constater que, outre la peur de Hitler pour la maison d’Eva Braun, « jamais Hitler n’a vu à quoi ressemblait la guerre dans le pays, à quel point les destructions et les dévastations étaient importantes »3. Malgré tout cela, la « société » continue de croire en la Victoire. Hitler, lui même -certainement- y croyait encore jusqu’à la fin 1944 ?... Ce qui est certain c’est l’arrivée de la fameuse nouvelle arme. Les missiles V1 et V24, les armes de représailles, qui, selon Hitler, devaient venger les bombardements alliés mais « ... à quoi cela servait-il aux villes allemandes que des V1 et des V2 s’envolent pour Londres ? ». Lors de ses permissions, Junge constate la misère de la population qui subie les bombardements. Bien que ces gens soient allemands, ils ne sont pas fondamentalement nazis pour autant. Méritent-ils, ainsi, de payer aussi durement de la folie de leur dirigeant ? Peut-on rendre le peuple allemand entièrement coupable ? Tout cela n’intéresse pas le Führer, qui en ces instants reste obstiné par 1 p. 173. p. 151, elle cite Hitler : « Je devrais prendre exemple sur Staline, il nettoie son armée sans ménagement ». 3 p. 174. 4 Vergeltungswaffe : armes de représailles furent les premiers missiles de croisière de l’histoire. Ils furent utilisés dans les derniers tournants de la guerre. On les assimile telles des armes du désespoir. Les prototypes V2 servirent par la suite dans l’intérêt de la conquête spatiale. 2 7 l’idée de Victoire. Outre les nombreuses scènes de descriptions qui enrobent le récit, la vision de Hitler change brusquement et de façon radicale lors de l’attentat raté du 20 juillet 1944. A partir de cet instant, tout s’accélère. « Tout à coup, une détonation terrible traversa l’air silencieux. Inattendue et terrifiante.». «Une bombe a explosé, probablement dans le bunker du Führer. ». « Le visage de Jodl [Général de la Wehrmacht] ruisselait de sang, son uniforme était en lambeaux. »1. La micro « société » implose radicalement. Personne ne sait vraisemblablement quoi faire. Chacun court, chacun cherche. Et si Hitler était mort ? Elle ne peut imaginer personne capable de lui succéder. Elle ne parvient - toujours pas - à imaginer un monde sans son Patron. Le doute et le désespoir hantent ses pensées. A la fois, elle peut se dire que la guerre ainsi que ces horreurs peuvent enfin cesser mais, la véritable question reste en suspend, qui peut succéder... Himmler, Goering, Goebbels... Hoffmann, Speer... Tous ces noms s’entremêlent. Bien entendu, les deux derniers n’ont pas conviction à devenir le patron, cependant Himmler... Elle le craint. Malgré qu’elle n’imagine pas les atrocités commises, que l’histoire nous rapporte, elle sait que si l’un de ces trois prenait les reines de ce monde, rien n’irait en s’arrangeant. Finalement, on vient lui apprendre la « bonne nouvelle ». La Fortune fut encore du côté du Führer. L’explosion fit sauter la table qui le protégea. Elle retrouve enfin son Patron, les cheveux levés sur la tête et le pantalon en lambeau, cela la fait presque rire. Mais l’euphorie ne dure pas. Elle retrouve un Hitler changé. « Sa confiance, sa certitude de la victoire et son assurance, mais aussi la conscience de son pouvoir et sa mégalomanie dépassèrent alors toutes les limites de la raison »2. Elle est rassurée mais également dépitée. Elle se sent comme la créature, et lui, le créateur. Avant de quitter les services de Hitler, son mari, Hans Junge lui exprimait ses craintes prévenant certainement sa femme- vis-à-vis de l’aura du Patron, du « maître suprême ». « ... Avec le temps, on se laissait tellement influencer par toute la pensée de Hitler que la limite entre votre propre personnalité et l’influence extérieure sur votre esprit finissait pas disparaître. »3. Outre la conviction d’Hitler, les Russes approchent... La fin d’année 1944 est terrible pour l’armée, les pressions du rouleau compresseur de Staline a déjà ébranlé la Pologne et la Finlande, et est aux portes de la Prusse-Orientale -lieu, notamment de la Wolfsschanze. Hitler tombe malade et le 1 p. 178. p. 185. 3 p. 135. 2 8 changement opère une nouvelle fois1. A cet instant, elle vie la Guerre. Bien que restant dans une bulle dorée elle la voit et n’en entant plus simplement parler. Les bombes tombent, les maisons s’écroulent. Sa mère à Munich n’a plus rien. Hitler, fait construire bunker sur bunker. La section brouillard de la SS embrume afin de dissimuler les bunkers durant les attaques. Traudl pense à tous ces gens, à tous ceux qui n’y croient certainement plus en la victoire finale ; le Reich devient poussière. Même les officiers doutent. 3. Un réveil brutal « C’était un sentiment désespéré de voir que le seul homme qui aurait pu mettre fin à toute la misère d’un trait de plume n’était étendu dans son lit, presque indifférent, et regardait devant lui avec des yeux fatigués, alors qu’autour de lui, c’était l’enfer »2. C’est en novembre 1944, alors quittant la Prusse-Orientale, que la « société » rejoint Berlin. Ainsi, le terme « enfer » va revenir de plus en plus souvent dans le discours de Traudl. La peur, l’angoisse et le désespoir vont dorénavant faire ballet commun. Le peuple, elle le sent, elle le sait, n’a plus d’espoir. Hitler ne lui fait plus de dictée depuis assez longtemps. Elle partage simplement, chaque soir le thé avec le Führer et la « société » qui s’amaigrie de jour en jour. Les discours, sont chaque soir, les mêmes. Hitler, Lui même ne songe presque plus en la victoire. Il parle de l’opération Steiner, dans un premier temps avec fougue pour finalement se résoudre. La contre attaque n’aura et ne pourra avoir lieu. « Ils l’ont trahis ». Traudl le plaint presque ; lui, abandonné de tous, seul rempart -comme il peut encore lui traverser l’esprit en cette année 1945- contre le communisme et les hordes de Staline. Ces genres de pensées lui font peur. Elle ne devrait pas les avoirs. Pour elle, et cela semble normal, si les Russes font la guerre à l’Allemagne, au Reich, c’est pas une simple vengeance ; après tous, c’est bel et bien les Allemands qui ont attaqué les premiers. On ressent comme l’image d’un lourd nuage noir planant au dessus de Berlin en lisant les dernières pages du récit. « Nous ne sommes plus entourés que de ruines »3. Le Reich, s’arrête aux 1 p. 197 « Il était silencieux, semblait vieux et fatigué. » p. 200. 3 p. 233. 2 9 banlieues de Berlin et l’on dit que bientôt « l’on pourra le traverser en tramway ». Tous quittent, les uns après les autres la « société », et son Führer. Enfin, en janvier 1945, Traudl se rend compte que la fin est proche. Elle ne veut pas mourir ici. Elle en a assez d’entendre les bombardements russes. Alors, le plus invraisemblable -mais également le plus vraisemblablearrive. Hitler, est dépité ; il vient d’apprendre la trahison d’Himmler, le « fidèle parmi les fidèles », le coup d’Etat de Goering, le refus d’opéré de Steiner1... Traudl entend tout cela car étant toujours près de Lui. Tous conjurent leur Führer, de partir de Berlin mais non ! Il veut mourir à Berlin. Il invite toutefois les membres de la « société » à abandonner « l’enfer », Eva Braun refuse promptement de le quitter quand tout à coup, sans elle même comprendre pourquoi : « Je n’en ai aucune envie, mais cela sort tout seul ; je ne veux pas rester ici, je ne veux pas mourir, mais je prononce pourtant : « je reste aussi ! »2. Que peut-il bien ce passer dans son esprit ? Pourquoi vouloir rester avec Hitler sachant que la situation est plus que désespérée ? Pourquoi rester jusqu’à la dernière heure ? Elle décide pourtant d’attendre la mort du Führer qui cette fois signera son licenciement. « La petite société du bunker sait que Hitler s’est depuis longtemps retiré du combat et attend la mort »3. Traudl présente ainsi, son cercueil, le « bunker de la mort ». Peut-on rapproché le fait qu’elle décide de rester avec Hitler, et attendre une fin tragique à ce qu’on appelle le syndrome de Stockholm ? N’a t-elle pas, dans son « emprisonnement » au cœur des bunkers développée le sentiment selon lequel Hitler était son geôlier et ainsi développa une certaine empathie envers lui démentielle ? Cela peut être avancé car ce n’est qu’après sa mort qu’elle « se libère » à la fois, physiquement et mentalement.4 Vie t-elle encore pour elle même ? Cependant la seule chose qui lui reste à faire c’est attendre. Les jours se ressemblent. L’enfermement est insupportable. Le Führer, dans ses dernières heures est usé. Elle voit son mariage avec Eva Braun comme une pitrerie invraisemblable. Toutefois, et encore, la contradiction dans son raisonnement opère. Traudl ne fait qu’observer. A aucun moment, l’on peut noter une quelconque volonté de révolte, d’émancipation. Elle n’est qu’impuissante face à tant de folie ainsi que face au mépris que peut avoir Hitler pour son peuple. Elle n’a pas vue le Soleil depuis plusieurs semaines. Les impacts, les explosions se font entendre et sont proche. Chaque matin, ou encore ce qu’on peut interpréter tel un matin, elle se demande quand la fin 1 Felix Steiner refusa d’obéir à l’ordre de Hitler. La contre attaque contre les armées russes optait pour un rapport de force de 1 contre 10, de plus, les hommes étaient exténués. 2 p. 225. 3 p. 247. 4 Cf. note 6. 10 adviendra enfin... Le 30 avril ! En début de journée revint l’indépendance. Tandis qu’Hitler est entrain de faire ses adieux elle s’enfuit au fond du bunker terriblement frustrée. Ainsi, elle tombe sur les six enfants des Goebbels, qui elle le sait sont là pour être assassinés. La tromperie et le mensonge des adultes la dégoute. Pourquoi ces enfants doivent-ils mourir ? Sa mère lui a défendu l’idée qu’ils ne pouvaient vivre dans un monde sans national-socialisme... Pourtant ne restent-ils pas moins innocents ? Tout à coup, une détonation survient et emplie le bunker. « Ça c’était un coup au but », s’écrie Helmut ».1 Hitler a passé le cap. Il a simultanément avalé une capsule de cyanure et s’est tiré une balle dans la tête lui rapporte l’aide de camps Otto Günsche2. Elle entre dans le bureau de son ancien Patron. Le sang sur le fauteuil, celui de Hitler lui donne des nausées 3. L’odeur du cyanure également. Tout est fini. Elle doit maintenant partir. Mais pour aller où ? Toute cette mort autour d’elle qu’elle côtoie de trop près lui fait se demander où est sa place dans ce monde. Après avoir appris la mort de Hitler le récit de Junge s’arrête rapidement. Elle traverse les ruines de Berlin qui l’a désole. Habillée en civil et sans rien, elle traverse les lignes russes, où le fait que les soldats soient des enfants la touche beaucoup. Notons que dans le film, Der Untergang, la fin présente un petit garçon des ex-jeunesses hitlériennes qui, lui prenant la main, s’enfuit avec elle. Elle n’en porte pas mot dans son récit et cela est probablement faux. « Je continuais à errer, longtemps et sans espoir, jusqu’à échouer dans une prison russe. Quand la porte de la cellule se ferme derrière moi, je n’avais plus mon poison. Et pourtant je vivais encore. »4. L’espoir rattrape le désespoir. « Je n’avais plus envie de mourir. »5. 1 p. 257, Traudl Junge pense avoir entendu la détonation. Des experts on tenté de reconstruire le déroulement du suicide de Hitler et sont arrivés à la conclusion suivante : « [...] Mme Junge était à cet instant éloignée dans l’escalier qui allait en bas jusqu’à la partie supérieure du bunker. Cette soi-disant « détonation » devrait avoir été une illusion à cause des moteurs diesel qui tournaient aussi que des violents bombardements permanent sur la Chancellerie. » 2 Otto Günsche fut le dernier aide de camps d’Adolph Hitler dont il brûla corps ainsi que celui d’Eva Braun. Capturé par l’Armée Rouge le 2 mai 1945, il reste dans les prisons soviétiques et le Goulag de Diaterka jusqu’en 1956. Il décède en 2003. 3 Dans son récit, Rochus Misch indique qu’il n’y avait pas de sang après qu’il eut constaté le suicide de Hitler. 4 p. 267. Elle avait demandé une capsule de cyanure à Hitler, qui c’était excusé de ne pas lui offrir un meilleur cadeau d’adieu. C’est dans la prison pour femme de Lichtenberg que le poison fut enlevé. 5 p. 266. 11 Conclusion d’un discours sur la culpabilité « Traudl Junge a servi un régime criminel, mais n’a jamais participé aux actions meurtrières des nazis. Cela ne l’excuse certes par, mais il faut tenir compte si l’on veut comprendre ce qui s’est passé. Tout en ayant été si proche de l’événement, elle ne cadre pas dans le schéma de pensée de ces hommes qui se divisent entre canailles nationales-socialistes et héros antifascistes. ».1 Il est vrai qu’elle a vécu la guerre totale. Comme de nombreuses autres personnes de l’entourage d’Adolph Hitler, elle ne « savait » pas forcément. Les destructions matérielles, physique ou encore morale, il est certain qu’elle n’y est pour rien. Ou encore s’être réconfortée, consolée avec la fiction d’une « heure zéro » symbolisant la fascination rompue. Après une série de hasard, elle se retrouve devant Hitler. Il était -déjà- trop tard pour résister. Au moment de l’écriture, elle sait qu’elle s’est laissée éblouir, par lui, non par ses intentions idéologiques et politiques, car cela ne l’intéressaient pas particulièrement, mais par l’homme. Alors qu’elle lui servait de dame de compagnie, lui et ses hommes planifiaient, élaboraient, la « Solution Finale ». Cela la disculpe telle ? Absoute par les Alliés en 1947, cela ne lui permet pas pour autant d’oublier. Dans le font, elle n’a jamais tué, ou ordonné le meurtre de quiconque, cependant peut-elle, elle même se déculpabiliser pour autant ? Pendant les mois qui suivent le suicide de Hitler et la fin de la guerre, elle se sent personnellement déçue par « son Führer ». Mais peut-elle consentir à le juger ? Comme Rochus Misch le déclare également, elle ne peut pas se le permettre car à la « place où j’étais et ayant vécu près de lui jusqu’à sa mort, je ne peux pas me permettre de le juger ». Ils ne peuvent également se plaindre de cet homme. Ce n’est que le Chef avec qui ils n’aient jamais eu d’ennui n’y soucis. En ce temps de guerre où il y avait des millions de morts, ils étaient à l’abri. Et, ils ne peuvent pas dire ce qu’ils n’ont pas vu. Doit-elle avoir de la repentance ? Dans ce cas, chaque Allemand devrait se repentir.2 C’est ainsi, qu’une personne bien banale est devenue, par le plus grand des hasards, un élément, bien qu’inopérant à l’épicentre d’un Etat criminel. 1 p. 270, Melissa Müller à propos de Traudl. L’on parle ici des militaires Allemands. Cependant, et bien entendu, ils n’ont pas tous commis des crimes de guerres ou toutes autres malversations de plus, tous les Allemands n’étaient pas nazis et inversement. 2 12 Bibliographie et autres documents • J’étais garde du corps d’Hitler, Rochus Misch, Cherche-midi-éditeur, 2006. • Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Hannah Arendt, traduction française A. Guérin, Gallimard, 1966. Filmographie : • Der Untergang (La Chute), Olivier Hirschbiegel, 2004. Alexandre ESTELLE (Université Montpellier Paul-Valéry Montpellier III)