Le Monde

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25 janvier 2011
Histoire et xénophobie
t si penser l'étranger comme
un arChétype n'était qu'une
grossière erreur 1 Déjà dans
un ,essai qui remettait en cause la
vision que les Occidentaux ont de
l'islam, tissu de représentations
qui ignorent la diversité dans le
temps et dans l'espace d'une réalité travestie par des enjeuxgéopolitiques, Saber Mansouri avait
dénoncé le péril pour l'intelligence
E
Athènes
vue par ses métèques
(V"-IV' siècles av. J.-C.)
Saber Mansourl
Tallandier, 192 p., 16,80 €
de ces réductions qui, depuis le
Il-Septembre et l'affaire des caricatures de Mahomet,-fixent une vulgate aveugle (L'Islam confisqué.
Manifeste pour un sujet libéré, Sindbad, 2010).
Elève de Pierre Vidal-Naquet,
cet helléniste et arabisant, né à Nefza (Tunisie) il y a quarante ans, a
.ainsi déjà remis en cause bien des
lieux communs. En tant qu'éditeur, il a lancé chez Fayard la collection « Maktaba » en 2003, destinée
à faire connaître des textes inédits
de la culture arabo-musulmane.
En tant qu'enseignant, il professe à
l'Ecole pratique des hautes études.
En tant que chercheur et historien
du monde grec classique surtout,
puisqu'il a fortement ébranlé les
convictions héritées de Platon et
d'Aristote sur le déclin des institutions démocratiques athéniennes
au IV' siècle, forgées bien souvent
sur une idéalisation du passé, dans
sa thèse.
Dans un remarquable essai, préfacé par Claude Mossé,La Démocratieathénienne, une affaire d'oisifs ?
(éd. André Versaille, 2010), Mansouri démontrait le poids d'une
population d'artisans et de commerçants citoyens, qui fréquentent l'agora et les assemblées de la
Pnyx, où se fixe la loi. Plus encore,
il établissait qu'en dépit du décret
de Périclès qui limitait le pouvoir
civique aux seuls hommes nés fils
d'un citoyen et d'une fille de
cïtoyen,certains métèques s'inlpliquaient dans la vie politique
d'Athènes. Privés en droit de la
citoyenneté, ces étrangers domiciliés dans la cité et protégés par ses
lois, puisqu'ils participent à la gestion fiscale et militaire de la communauté, n'ont rien des parias que
la péjoration sémantique suppose.
Comme il a tenté de dessiller le
regard civique quand le chantier
sur l'identité nationale se fourvoyait dans l'islamophobie, Saber
Mansouri reprend scrupuleusement le dossier de l'étranger à
Athènes et le regarde d'ailleurs. En
s'attachant aux indices qu'ils ont
laissés de leur regard sur la cité, il
disqualifie la caricature que les philosophes en ont faite , et que les
idéologies contemporaines, soucieuses de fonder dans l'Antiquité
la plus noble leur intolérance ou
leur xénophobie, ont reprise en
l'aggravant.
D'où le passionnant retour sur
l'intervention de Marie-France Stirbois, députée du Front national,
citant Aristote au Palais-Bourbon
pour s'opposer à la loi Gayssot en
mai 1990. Etrangers à nos notions
de racisme et d'exclusion ethnique, les métèques d'Athènes ont
aussi fait l'âge d'or d'Athènes.
En déconstruisant l'inlage d'un
métèque inlaginaire, recomposé
pour notre actualité (attiré par la
promesse de prospérité, la paix,
potentiellement traître, peu sùr et
donc surveillé par les autorités),
Mansouri rend l'étranger admis
dans la cité à sa vraie dimension.
Celle d'un acteur impliqué dans la
polis, qui est aussi l'affaire des
métèques.
S'ils y connaissent des sorts
contrastés (pour un Lysias, d'origine syracusaîne, issu d'une famille
aristocratique et orateur d'exception, combien de jeunes apprentis
au sort guère différent de celui des
esclaves 1), ils n'ont en fait d'autre
patrie que celle qui les accueille.
Un rappel décapant. .
Philippe-Jean Catinchi
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