POLITIQUE ET ÉCONOMIE
CHEZ SAINT THOMAS D’AQUIN.
QUELQUES REMARQUES
EN MARGE DU DE REGNO
Claude Karnoouh*
Rezumat
Studiul analizează reacţia Sfântului Toma din Aquino, continuator al
tradiţiei peripatetice în filosofia politică, în faţa dezvoltării economiei de
schimb a oraşelor italiene de la sfârşitul secolului al XIII-lea. Profesorul
Claude Karnoouh centrează această analiză din perspectiva modului în care
Sfântul Toma a sesizat şi a respins conceperea banului ca valoare în sine.
Sensul acestei respingeri are loc din perspectiva “unui model ideal socio-politic,
ca o linie defensivă îndreptată contra unui pericol vizând esenţa creştinismului, ca o unică
şi indiscutabilă determinare divină a lumii” (p. 3). În urma analizei refuzului
tomist al noii atitudini relative la problema schimbului, profesorul
Karnoouh face un portret al destinului filosofiei politice tomiste, în care
contradicţia dintre puterea spirituală şi puterea temporală, împreună cu te-
leologia produsă în gândirea politică de principiul analogiei între ierarhia
lumii şi ordinea politică reprezintă motoare ale unui model politic în care
scopul final are în vedere mântuirea.
Însuşi eşecul acestui proiect politic, ilustrat prin conflictele politice ale
secolelor ulterioare (străine de acest model) este destinat în istoria gândirii
politice prin sesizarea, în opera tomistă a faptului că dobânda cămătăriei
„autonomizează timpul de lucru al banului în autoreproducerea lui” (p. 7), întrucât
răpeşte timpul destinat divinităţii şi prin aceasta “fură din timpul pe care Dum-
nezeu l-a oferit gratuit oamenilor” (ibidem).
Analiza profesorului Karnoouh este simultan o încercare de clasificare a
condiţiilor de posibilitate a reflecţiei asupra tradiţiei istorice şi filosofice me-
dievale în contextul gândirii româneşti şi al modelelor culturale actuale.
S’il est chose notable dans le renouveau des recherches
humanistes en Roumanie postcommuniste, il faut alors convenir
que l’intérêt pour la philosophie médiévale des théologiens latins
fait partie non seulement de ce renouveau, mais que les
traductions d’un certain nombre de textes majeurs apparaissent
dorénavant comme autant d’authentiques innovations dans
* CNRS-Paris şi Universitatea Babeş-Bolyai Cluj.
84 CLAUDE KARNOOUH
l’histoire culturelle roumaine. Cependant, malgré les
commentaires que ces textes suscitent, d’aucuns savent qu’un
début ne permet pas d’aborder tous les sujets, les forces vives
manquent. De plus, la philosophie médiévale n’apparaît pas aux
esprits simples, ou, à ceux, plus nombreux, agités par les bruits
parasites du présent, comme une urgence. Ceux, parmi les jeunes
et les moins jeunes universitaires, qui confondent la possession
d’un téléphone portable avec la patience exigée par
l’apprentissage sérieux des décours de la pensée, ceux qui
s’abusent dans l’excitation glaciaire de la « postmodernité » et
oublient la prudence exigée par la méditation, devraient
comprendre – mais le peuvent-ils encore ? – que l’Europe occi-
dentale est ce qu’elle est dans sa présence hic et nunc, parce que,
d’une manière ou d’une autre, la philosophie médiévale, à un
moment ou à un autre, soit par adhésion à son propos
(thomisme et néo-thomisme) soit par rejet (les Réformes et leurs
diverses facettes) soit par négation (les divers types
d’agnosticisme), a engendré des effets tangibles sur les pratiques
sociales, politiques et économiques. Dès lors, si rien ne peut
jamais être réactualisé comme expérience de vie (l’histoire ne
ressert jamais deux fois la même soupe), il serait néanmoins sage
d’envisager ces lectures et relectures de philosophies médiévales
qu’il conviendrait de compléter par quelques leçons
d’histoire – comme une expérience irremplaçable de la pensée.
Il semble que les jeunes gens et jeunes filles qui se sont
spécialisés dans ce domaine ardu et redoutable du savoir
européen, s’en tiennent pour le moment à l’explicitation en
roumain – cet aspect linguistique est fondateur et essentiel – des
thèmes métaphysiques soulevés par ces théologies
philosophiques ou de ces philosophies théologiques : l’essence,
l’éternité ou non du ou des mondes, la négation de la
Providence, le statut des anges, le créé, l’incréé, le créateur, les
catégories analytiques grecques dans leur traduction latine
(homologie ou homonymie du sens), le nominalisme et/ou le
réalisme, l’unicité de l’intellect, la négation ou l’affirmation de la
liberté humaine, le statut de l’aristotélisme, le rapport à l’héritage
platonicien, à celui de l’augustinisme. Il y a là une richesse de
thématiques qui ne s’épuisera pas en quelques années.
Rien que de hautement légitime en tout cela. Cependant, les
scolastes ne se laissèrent pas enfermer dans les seuls débats logi-
POLITIQUE ET ECONOMIE CHEZ SAINT THOMAS 85
co-métaphysiques ou logico-théologiques, ils furent aussi des
penseurs qui, une fois formulés les principes premiers et les fins
dernières organisant et dirigeant la communauté des hommes,
ont aussi observés le monde dans lequel ils vivaient pour, chacun
en sa guise, essayer de formuler, mais aussi de formaliser des
modèles d’action afin de construire le futur tel qu’ils pensaient en
avoir trouvé la forme, le contenu et le sens ultime dans une
herméneutique des desseins divins. Afin de prévenir les crises ou
tenter de les résoudre, c’est-à-dire, afin d’obvier aux dysfonctions
socio-politiques d’une ampleur telle qu’elles eussent pu, à tout
moment, entraîner la papauté, des royaumes, des principautés,
les duchés à leur ruine, ils proposaient des solutions pratiques en
harmonie avec les principes premiers et les fins dernières d’une
pensée éclairant le devenir dans la seule guise de la révélation
chrétienne.
C’est cette dimension politique, économique et sociale qui est
pour le moment largement abandonnée de nos jeunes collègues
roumains, car la richesse exubérante de la pensée médiévale est
telle qu’elle ne peut être exploitées simultanément par quelques
uns et ce d’autant plus qu’ils n’ont pas, en Roumanie, le soutient
d’une puissante école d’histoire du Moyen-âge occidental. Car en
toute chose entreprise avec sérieux, il convient de se garder de la
précipitation, des raccourcis faciles, des énoncés spectaculaires,
mais creux qui, un peu partout, malheureusement fleurissent
sans vergogne en ses temps de transition. Cependant, ici, en
Roumanie, et pour la première fois avec cette ampleur, le
développement des études de philosophie médiévale (je ne parle
pas de théologie que je laisse aux facultés du même nom1)
permet, une fois encore, de mettre à jour l’idéologie que la
Renaissance, dès Pétrarque, a léguée à la métaphysique moderne,
aux Lumières, et au-delà, à ses développements modernes et
postmodernes, celle qui renvoie le Moyen-Âge aux ténèbres de la
barbarie !2 Toutefois, pour ne pas tomber dans l’anachronisme
1 Je suis de ceux qui, suivant la leçon de Leo Strauss, repousse toute idée
de philosophie de la ou des religions, surtout lorsqu’il s’agit des religions
révélées. Dans un texte célèbre, Athènes ou Jérusalem, Leo Strauss a mis, sans
contestation possible, les choses au point : soit l’on parle du point de vue de
Jérusalem et l’on se tient dans la théologie soit l’on parle du point de vue
d’Athènes et l’on se tient dans la philosophie.
2 N’oublions pas que la Renaissance commence en Italie un demi-siècle
86 CLAUDE KARNOOUH
trompeur, il faut préciser que la notion de barbarie a changé de
sens entre Pétrarque et les Lumières : pour le premier la barbarie
était moderne, sous la forme de la scolastique et du « gothique »
opposée aux valeurs défendues par les penseurs païens de
l’Antiquité ; pour les penseurs des Lumières la barbarie est tout
aussi « gothique », mais cette fois parce qu’elle était archaïque,
abandonnée par la métaphysique moderne qui donna son fond
ontologique à la science.
Néanmoins, s’il y a eu une renaissance de l’Europe occidentale
et de l’Europe catholique, c’est bien au Moyen-âge qu’elle
commença, avec des penseurs comme Abélard, mais aussi avec
des princes comme Frédéric de Hohenstauffen et sa cours
d’érudits et de traducteurs. Ce qui manque à la Roumanie du
point de vue des études médiévales occidentales, ce sont des
historiens compétents qui en connaîtraient parfaitement les
sources afin d’offrir des cours rappelant aux philosophes la très
complexe histoire du Moyen-âge. En effet, c’est pendant le
décours de quatre siècles, XIIe, XIIIe, XIVe et XVe, que des
événements ont préparé, engendré, déployé la plupart des
facteurs intellectuels et des pratiques, des institutions et des
formes politiques qui ont fait de la modernité une possibilité
réalisée. C’est durant ces siècles que se sont forgées, par exemple,
les réflexions décisives sur la souveraineté, la légitimité, la source
du droit des gens, la naissance du droit international, mais aussi
celle de la démocratie urbaine, véritable origine (et non la
démocratie grecque) de notre démocratie moderne ; et, last but
not least, c’est durant cette période que des clercs tel Marsile de
Padoue (Defensor pacii) ont repensé les relations entre les groupes
sociaux urbains et ruraux et le pouvoir politique, et ont
développé les premières théories de la laïcisation du pouvoir
politique, celles du contrat et de la séparation des pouvoirs. C’est
après la mort de saint Thomas (1274), avec Pétrarque (1304-1374) qui
défend le « retour aux sources antiques, et englobe sous le qualificatif
péjoratif de ‘Modernes’ toute la science des facultés de théologie et de droit
de son époque, ainsi que le style ‘gothique’ qui leur correspondait dans les
arts et les lettres, », cf. Marc Fumaroli, « Les abeilles et les araignées », in La
Querelle des Anciens et des Modernes, XVIIe-XVIIIe siècles, Gallimard, Fo-
lio-classique, Paris, 2001, p. 7. Cette idée de barbarie médiévale est
parfaitement battue en ruine par Alain de Libera, cf. Penser au Moyen Âge,
Édit. du Seuil, Paris, 1990.
POLITIQUE ET ECONOMIE CHEZ SAINT THOMAS 87
de ce monde dont l’Europe occidentale porte encore héritage,
dût-il aujourd’hui apparaître vers sa fin.
Si donc j’insiste à nouveau sur cet aspect politico-social, c’est
que son rappel me paraît décisif à une intelligence de l’Occident
européen. Dès lors que la Roumanie souhaite présentement
entrer dans l’Union européenne, il faut que ses futures élites
sachent, ne serait-ce que symboliquement, quel est l’héritage
spirituel dont cet Union témoigne. Car, ni les incantations et les
slogans répétés à satiété par des journalistes stipendiés ni les
grimoires des demi-savants de pseudo-sciences nommées
politiques en quête de gloire médiatique ou de pouvoir
universitaire, ni la politique spectacle offerte par des politiciens
en mal d’imagination et de culture, ne peuvent remplacer le
poids de la connaissance et de l’analyse des concepts, des
notions, des représentations, des théories, les Arts libéraux
eut-on dit au Moyen-âge –, qui se sont forgés au cours du temps,
ni se substituer à leur réel apprentissage, en bref à l’authentique
humilité qui doit présider à toute initiation lorsqu’il s’agit de
comprendre et d’interpréter des manières de penser devenue
éloignées de toutes nos expériences quotidiennes. C’est pourquoi
il faut que la Roumanie crée cette école de médiévistes (de
philosophes et d’historiens) qui sortira enfin son historiographie
d’un provincialisme certes parfois érudit, mais à l’horizon
interprétatif bien étroit. Il faudra bien qu’un jour, philosophes et
historiens roumains du Moyen-âge occidental participent de
plein droit à des colloques pour y apporter leur contribution, et
non y venir pour donner quelques précisions – quelques
friandises intellectuelles – sur ce qui se passait aux marges de la
catholicité, aux limites extrêmes de la Transylvanie. La vie
intellectuelle, politique et économique du Moyen-âge latin, sa
philosophie, son enseignement, ses débats et ses conflits se sont
déployés à l’intérieur d’un quadrilatère qui va de la Catalogne à
l’Italie centrale, à l’Allemagne occidentale et centrale, jusqu’aux
confins polonais de Cracovie, du sud de l’Angleterre, à la France
de Paris à Auxerre et jusqu’à Montpellier. Que cela plaise ou non
aux protochronistes3, c’est ainsi, et nous n’y pouvons rien. C’est
3 Nom donné aux philosophes, historiens, essayistes, romanciers, poètes
roumains qui, semblables aux narodniki russes, pensent qu’il existerait dans
l’historicité de la modernité de l’État-nation une catégorie ontologique
comme un « être éternel de la roumanité ».
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