LÉCOLOGIE DE LA RESTAURATION
APPLIQUÉE ÀLAFORÊT
D.VALLAURI -Ch. CHAUVIN
Les recherches en écologie ont fait progresser laconnaissance sur le fonctionnement des écosys-
tèmes forestiers et sur l’impact des activités humaines.L’homme mesureainsimieux l’importance
des modifications qu’il apporteà son environnement.Non seulement il peut améliorer en consé-
quence ses pratiques,mais il prend également consciencedelacessité—et,dans une certaine
mesure,de sacapacité—à réparer les milieux dégras.Dans les pays veloppés,cettedernière
démarche tend à se structurer,actuellement, sous laforme d’une discipline de l’écologie, tant fon-
damentale quappliquée :l’écologie de la restauration. EnFrance,le programme nationalde
recherche “Recréer lanature”,lancépar le ministèredelEnvironnement et le Muséumnational
d’Histoirenaturelle depuis 1995, seproposedans le même esprit d’affiner les approches techniques,
écologiques, voire socio-économiques,cessaires àlamiseenplacedunprojet de restauration.
Nous présentons dans cet article les principaux concepts de l’écologie de la restauration, ses fon-
dements,les phases et stades du processus écologique,avant d’esquisser les moyens d’action pos-
sible dans ucosystème forestier et les applications,anciennes ou actuelleslaproblématique
forestre.
Dans unprochain article (1),nous illustrerons cettedémarche en retraçant une des entreprises les
plus réussies de restauration forestreenFrance,celle des terrains en montagne (RTM)pour lalutte
contrel’érosion dans les Alpes du Sud. La réflexion autour de l’écologie de la restauration permet
d’ailleurs icide replacer les problèmes actuels de régénération des peuplements de Pin noir dans
le contexteglobalet àlong terme du processus de restauration.
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(1) Unprochain article présenteraLa restauration écologiquedes espaces forestiers dans les Alpes du Sud. Chroniquede130 ans
de restauration et problématiqueactuelle de gestion des forêts recréées en Pin noir”et paraîtradans le n° 5/1997 de laRevuefores-
trefrançaise.
biologie
et forêt
LÉCOLOGIE AU SERVICE DE LA RESTAURATION
L’écologie de la restauration seproposed’étudier les actions cessaires pour recréer”les éco-
systèmes dégras.Les écologues de la restauration saccordent pour définir la restauration comme
«la transformation intentionnelle d’unmilieu pour y établir ucosystème considérécomme indi-
gène et historique. Lebut de cetteintervention est d’imiter la structure,le fonctionnement,ladiver-
sitéet ladynamiquedel’écosystème »(Society for EcologicalRestoration,1990).
Avant de présenter les principales idées de l’écologie de la restauration,notons en préambule que
cettedernièrecherche àconcilier des approches scialisées qui se sont,par le passé, souvent
opposées.Eneffet,au-delàdes approches classiques, soit techniques, soit écosystémiques,
l’écologie de la restauration élargit aussi son champ aux sciences sociales.Les approches socio-
économiques et culturelles participent àl’évaluation de lademande sociale (besoin de protection,
perception des dégradations),alors queles approches techniques et écologiques définissent en
quelque sortel’offrepossible en matrede restauration d’écosystèmes.
Le tableauI(p. 197)illustrecettecomplémentaritédes approches àpartir de l’exemple de laRTM
dans les Alpes du Sud,mais d’autres exemples sont àciter:
restauration de berges de rivres et de terres agricoles surexploitées pour lutter contrel’éro-
sion,l’envasement des retenues ou lapollution des eaux ;
revégétalisation de pistes de ski pour l’augmentation de ladurée d’enneigement et lalutte
contrel’érosion dans les étages subalpin et alpin (Dinger,1995) ;
restauration de l’habitat d’esces rares et de zones humides perturbées afin de conserver
labiodiversité;
réhabilitation de carrreàdes fins techniques,paysares et éthiques.
Du point de vuedel’écologie,le développement d’une ingénierie écologiqueaméliorée en perma-
nencepar l’affinement des concepts,et en retour leur validation par l’exrimentation en vraie gran-
deur queconstituent une opération de restauration et son pilotage àlong terme, sont des atouts
pour le développement de cettediscipline. Plus quejamais,l’opposition en écologie entre recherche
fondamentale et application est vaine. Dailleurs,historiquement,c’est bien àpartir des probléma-
tiques de terrain que se sont veloppés ses concepts les plus fondamentaux.
FONDEMENTS DE LÉCOLOGIE DE LA RESTAURATION
Quatreidées principales soutiennent ladémarche de l’écologie de la restauration :
Avant de restaurer,il est cessaired’obtenir ladisparition du facteur de dégradation
des milieux.Lediagnosticdes causes profondes des dégradations et laprisedeconscience
de leur importancene sont pas toujours évidents,ni unanimement partas (exemples: relations
pollutions/dépérissement des forêts dans les années80 dans la vallée de laMaurienne, relations
forêt/érosion au XIXescle dans les Alpes du Sud).
Une fois dégra,l’écosystème est bien souvent lent ou incapable de se reconstruire; sa
résilienceest faible ou nulle, un seuil d’irréversibilitéécologique(Aronson et al.,1993,1995) apu
êtrefranchi.
L’homme possède en partie lacapacitéde réparer les écosystèmes.Le traitement des éco-
systèmes dégras,leur réhabilitation,peut buter par des opérations d’ingénierie écologique.
C’est le domaine sans douteleplus délicat et pour lequel lamajoritédes chercheurs et ingénieurs
de la restauration travaille aujourd’hui.
La restauration d’un système écologique viable,complexeet diversifié par définition,est un
processus écologiquedemandant du temps.Àpartir d’unespacedégra,la restauration n’est que
très rarement possible sans une longuephasedaccompagnement.L’écosystème réhabilité va, au
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Approche Approche Approche Approche
techniqucologiquesocio-économiqueculturelle
Objectifs
Données
du projet
Critères
de réussite
Éléments
pour une
gestion
durable
Biologie et forêt
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fil du temps et àl’épreuvedelanature, se réorganiser, rétablir ses équilibres écologiques (reconstitution
du sol,compétition entreesces,…). Ainsi,dans le domaine forestier, silarrêt des dégradations et
la réparation des compartiments vitaux de l’écosystème forestier sont possibles par reboisement à
l’échelle d’une trentaine d’années,on n’obtiendrapas lacomplexitédune forêt avant plusieurs
générations d’arbres et…deforestiers.
PHASES ET STADES DU PROCESSUS ÉCOLOGIQUE
Les actions du restaurateur s’opposent au processus de dégradation et entreprennent le processus
écologiquede restauration. Onpeut distinguer dans celui-cideux phases (réhabilitation et accompa-
gnement)et trois stades écologiques cosystème dégra,écosystème réhabilité,écosystème
objectif). L’ensemble de ces étapes,permettant de se rapprocher de l’écosystème objectif,définit
une trajectoirede restauration quel’on seproposede suivre(figure1,p. 199).
Tableau ILes différentes approches participant àladéfinition d’unprojet de restauration.
L’exemple de la restauration des terrains en montagne dans les Alpes du Sud
lutter contrel’érosion
remettrele système sur
une trajectoired’évolution
progressive
établir ucosystème
considérécomme indigène
et historique
optimiser l’impact de
l’érosion sur l’économie
maintenir le potentiel de
production et améliorer à
moindrecoût lafertilitédes
sols
recherche d’une harmo-
nie entrel’homme et la
nature
équilibreagriculture/
sylviculture/environnement
compatible avecle déve-
loppement durable des
zones de montagnes
arrêter l’exploitation des
terrains dégras
petit génie civil
choix des esces pour
la revégétalisation
recréer l’écosystème
objectif de la restauration
utiliser ladynamiqueau
profit de la restauration
lever les seuils de blo-
cage ou d’irréversibilité
concertation et confron-
tation des intérêts des dif-
rents acteurs
perceptions des dégra-
dations par les différents
acteurs et souhaits de res-
tauration
recréer unpaysage où
l’artificialisation induitepar
les travaux de réhabilita-
tion est perçueau mieux
réduirel’érosion
taux de couverturedela
végétation
maintenir laprotection
sans interruption
viabilitéàlong terme de
l’écosystème restauré
groupes de critères à
apprécier àchaquchelle
d’espaceet de temps:
structure,diversité,fonc-
tionnement
bilaconomiqueinté-
grédu territoire restauré
dans le cadre régional
niveau d’envasement des
retenues sur laDurance
indicateurs socio-éco-
nomiques
maintien d’une activité
traditionnelle dans les mon-
tagnes
perception des éléments
de lanature restaurée
(paysages, usages du
pays)
suivides ouvrages,bi-
lans techniques et fores-
tiers réguliers
zonage des contraintes
àl’aménagement forestier
stabilitédes peuple-
ments
bonne adaptation de
l’écosystème restauréau
milieu (sensibilitédes para-
sites,évolution des sols,
diversitédes esces et
des structures)
résistanceet résilience
de l’écosystème àlaper-
turbation
insertion des forêts de
protection dans le déve-
loppement local
garder lamémoiredu
risqueou de la sensibilité
des milieux àl’érosion
Celle-cin’est pas unique,même s’il est judicieux de chercher autant quepossible à s’inspirer des
successions naturelles constatées pour chaque station et de ne s’en éloigner que sicelaest réelle-
ment indispensable.
Écosystème dégradé (2)
Enaccordavecle second fondement de l’écologie de la restauration,l’action de réhabilitation n’est
réellement justifiée quelorsquunmilieu est le résultat d’une dégradation forte,irréversible àmoyen
terme. L’écosystème aalors une résiliencenulle ou très faible, un seuil d’irréversibilitéécologique
(Aronson et al.,1993,1995) ayant étédépassé. Cette restriction àdes écosystèmes dégras
semble judicieuseafin de ne pas confondre restauration et gestion conservatoire, voire“fabrication
de paysage ayant existépar le passé” (lande,pelouse sèche,…).
Réhabilitation (B)et écosystème réhabilité(3)
Lepremier défi pour se rapprocher de l’écosystème objectif est de restaurer les conditions favo-
rables à son installation. Cette tâche nécessite souvent l’emploi de techniques de génie ruralou civil
(barrage,profilage de talus,fascinage,…) pour stabiliser les conditions du milieu.
Par la suite,le choix du matériel végétalconditionne le succès de l’opération. Quel que soit l’éco-
système à restaurer,le cortège d’esces utilisées ne correspond quepartiellement àlacomposi-
tion floristiquedel’écosystème objectif. La connaissancedes relations exactes entreles
conditions écologiques locales et les stratégies adaptatives des esces (exemple des zones
humides)et/ou lacessitépremièrede recréer avecdes végétaux pionniers l’ambiance susceptible
d’accueillir les esces de l’écosystème objectif (exemple des forêts)militent pour l’utilisation du
plus large choix d’esces indigènes disponibles lors de laphasede réhabilitation. Dans certains
cas (Berger,1993),il peut êtreopportundutiliser,pour laphasede réhabilitation,les capacités
régénératrices surieures d’une esceexotique(voir le cas du Pin noir d’Autriche sur substrats
marneux).
Accompagnement des écosystèmes réhabilités (C)
L’écosystème ainsi réhabilité, s’il est déjàfonctionnel,est toutefois,dans lamajoritédes cas,pion-
nier et assez éloigné de la structure,du fonctionnement et de ladiversitédel’écosystème objectif.
Son suiviet son accompagnement par des opérations complémentaires sont cessaires pour sas-
surer de la viabilitédel’entrepriseet orienter,ou accélérer,ladynamiquenaturelle vers l’écosys-
tème objectif.
Écosystème objectif de la restauration (4)
La cible du restaurateur,l’écosystème objectif de la restauration,est avant tout un système écolo-
giquement viable,c’est-à-direcapable de fonctionner et de sadapter à son environnement.Ilpeut
n’êtrventuellement quun stade initialdune succession naturelle progressive(une pelousepar
exemple dans une succession naturelle menant àlaforêt). L’écologie de la restauration ne cherche
pas ainsià rétablir la stabilité supposée du climax,mais àétablir un système présentant une inté-
gritéfonctionnelle. Une certaine connaissancedu climax,point focaldel’écologie classique, sera
anmoins utile pour mieux comprendrelefonctionnement des écosystèmes et l’expression des
facteurs du milieu.
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Deplus,l’écosystème objectif est un“écosystème considérécomme indigène et historique”. Cette
cision,quipourrait sembler fondée par l’éthiqueet l’arbitraire,n’est en fait quune précaution
techniqueafin d’atteindre rapidement la viabilitéécologique recherchée. Celle-ciest en effet déli-
cateàobtenir compte tenu du peu de connaissances quel’on possède généralement sur le fonc-
tionnement des écosystèmes à restaurer.
QUELQUES MOYENS DACTION POUR RÉUSSIR LA RESTAURATION FORESTIÈRE
Stratégie de restauration
L’écologie de la restauration,c’est avant tout bien sûr uncanevas de réflexion et d’action (Wyant et
al.,1995) ayant pour objectif la restauration des écosystèmes.Mais c’est également des moyens
particuliers, une approche fondée sur les connaissances de l’écosystème,et quenous illustrons par
quelques éléments importants en forêt,écosystème complexe s’il en est.Au delàde l’état boisé,le
restaurateur doit sattacher à recréer le sol et les autres compartiments fonctionnels de l’écosys-
tème (Lenz et Haber,1992). Pour cela, il utiliseà son profit les notions d’écosystème,de station,de
dynamique.
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SEUIL
DIRRÉVERSIBILITÉ
ÉCOLOGIQUE
ÉCOSYSTÈME ÀMATURITÉ
et
RÉSILIENCE MAXIMALE
ÉCOSYSTÈME
OBJECTIF DE LA
RESTAURATION
ÉCOSYSTÈME
RÉHABILITÉ
ENVIRONNEMENT
TECHNIQUE
ENVIRONNEMENT
SOCIO-ÉCONOMIQUE
ENVIRONNEMENT
CULTUREL
ÉCOSYSTÈME
DÉGRADÉ
RÉHABILITATION
PROCESSUS DE
DÉGRADATION
DOMAINE SUSCEPTIBLE
DUNE
GESTION OU CONSERVATION
DURABLE
4
B
A
ACCOMPAGNEMENT
3C
Figure1 LES PROCESSUS ÉCOLOGIQUES, LES PHASES ET STADES MIS EN JEU
AU COURS DE LA RESTAURATION DUN ÉCOSYSTÈME FORESTIER
(A)Processus écologiquededégradation ; (B+C)Processus écologiquede restauration ;
(B)Phasede réhabilitation ; (C)Phasedaccompagnement;
(1) Stade initial; (2)Stade dégra; (3)Stade réhabilité; (4) Écosystème objectif de la restauration.
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