Connaître les femmes musulmanes
Ilhâm-Allâh Chiara Ferrero
Au-delà du voile
Les réflexions sur la famille et sur la communauté, que nous nous efforcerons de développer dans
cet appendice, n’ont pas uniquement pour but de fournir des références d’ordre social, car la
famille et la communauté sont, avant toute chose, pour nous musulmans, des réalités contenues
dans le cœur, indépendamment du type de socié ou de pays dans lequel nous vivons. Dans
l’islam, la réalité de la famille, de la communauté, et les rapports entre homme et femme sont
envisagés dans une perspective différente de celle qui est communément répandue en Occident.
Généralement, lorsqu’il est question de l’islam, on a l’impression que certaines personnes ne
comprennent pas toujours la nécessité de dépasser leur propre mentalité, sans pour autant devoir
en changer, afin de pouvoir s’ouvrir à d’autres sociétés, d’autres peuples et d’autres modes de vie,
que ceux que l’on connaît habituellement. Les Européens ont malheureusement peur, à tort, que
la reconnaissance des spécificités des musulmans implique le renoncement à leur identité propre.
Une telle appréhension injustifiée qui risque de leur faire perdre de vue le but vers lequel devrait
tendre toute société civile, alors que, en réalité, il existe des valeurs communes liées à la sacralité
de la vie humaine et de la famille, pour n’en citer que quelques-unes, qui caractérisent la
communauté islamique, et sur lesquelles pourrait s’ouvrir un dialogue serein avec les institutions
européennes.
La contribution des femmes au développement de la société a toujours été très importante, et
peut-être devrait elle aujourd’hui devenir seulement plus visible, en dehors de tout activisme. Il
faudrait donc procéder à un authentique et véritable « dévoilement », qui ne consiste pas à ôter
les voiles de la pudeur et de la décence, mais plutôt à faire tomber ceux de l’ignorance et des
préjugés qui rendent « invisible », aux yeux des Occidentaux, la réalité intérieure des croyants,
présente dans l’authentique esprit de l’islam. La possibilité d’approfondir la réalité de l’islam se
manifeste lorsque cette réalité est représentée, de l’intérieur même de la Tradition, par des
personnes qui la vivent sereinement. Ainsi, les arguments de la polémique disparaîtront pour
laisser place à un nouveau monde bien plus proche de celui que nous imaginons. Nous nous
efforcerons donc ici d’approfondir la réalité féminine présente dans l’islam, en retrouvant une
perspective de connaissance plutôt que proposer de simples notions culturelles, des curiosités
ethniques ou un technicisme académique obtus.
Pour les musulmans, l’attachement aux formes constitue une erreur relativement grave, car il
revient à méconnaître les vraies valeurs, symboliques, qui permettent de reconduire le fidèle à
l’Ipséité de Dieu. Le Coran affirme que « toute chose périt sauf Sa Face »1, par conséquent, la
Science divine, qui a institué les prescriptions, est la seule à être réellement inconditionnée et
absolue, alors que les formes ne sont que relatives et éphémères.
La méconnaissance, par simple ignorance, de la valeur symbolique et intellectuelle des Traditions
est à l’origine même de l’obstination aveugle de certains musulmans qui préfèrent ignorer la
dimension symbolique et spirituelle inhérente à leur propre Tradition. Ces derniers, ne pouvant
comprendre et admettre cette valeur symbolique fondamentale, préfèrent la rejeter, voire en nier
l’existence. Malheureusement, une telle incompréhension entraîne certaines crispations sur le
sens littéral des prescriptions coraniques, au détriment des significations plus profondes que
recèlent ces mêmes prescriptions.
En effet, les prescriptions coraniques qui régissent la vie du musulman ont un sens littéral et une
valeur cachée. Celle-ci peut se prêter à différentes interprétations symboliques selon le degré de
connaissance du croyant. Nous n’entendons pas faire référence ici à une exégèse personnelle,
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mais bien à un effort spirituel qui, grâce à la guidance des savants, permet l’accès à la
connaissance des symboles. La confusion qui caractérise la plupart des discours sur l’islam ne se
fonde pas seulement sur une interprétation littérale du Coran, mais également sur la négation de
certaines significations symboliques de la Parole de Dieu et du comportement du prophète
Muhammad. Cette ignorance est la clé de toute la prétendue « question » féminine, et de bien
d’autres encore, que nous essayerons de mettre en évidence dans cette section.
Pour connaître les femmes musulmanes, il est nécessaire de redécouvrir avant tout la signification
de la dignité spirituelle que toute femme religieuse, qu’elle soit chinoise ou africaine, européenne
ou indienne, sait réellement incarner. Afin d’atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé, nous
utiliserons les supports de la Tradition islamique que sont le Coran et les traditions prophétiques,
et qui sont souvent ignorés. Cela permettra de montrer que, depuis les temps du prophète
Muhammad, l’islam a toujours attribué à la femme une grande importance.
En effet, c’est une femme, Khadîja, la première épouse du Prophète, qui fut la première croyante
à entrer en islam, à une époque l’idolâtrie était fortement répandue. La Tradition décrit
Khadîja comme une riche commerçante, veuve, qui connut le prophète Muhammad bien avant
que ce dernier n’eût reçu la Révélation divine. Khadîja reconnut immédiatement l’élection
singulière du Prophète, et demanda à l’épouser. A la mort de Khadîja, le Prophète épousa une
jeune fille, ‘A’isha, née musulmane, et qui était la fille d’un de ses plus proches compagnons,
Abû Bakr, le premier calife. Après la disparition du Prophète, ‘A’isha joua un rôle déterminant
dans la transmission des ahâdîth, c’est-à-dire les dits et faits du Prophète qui font partie
intégrante de la sunna, l’exemple du comportement prophétique. Ces femmes, Khadîja et ‘A’isha,
différentes sur bien des points, étaient néanmoins toutes deux profondément liées au prophète
Muhammad. Elles furent témoins et témoignèrent à leur tour de la revivification qu’entraîne une
nouvelle irruption du Sacré dans le quotidien, car elles vécurent au côté d’un homme qui, en tant
que Prophète, dépassait les caractéristiques masculines et féminines, devenant ainsi le modèle de
sainteté pour tous les croyants et toutes les croyantes. Ainsi, dans l’islam, c’est le prophète
Muhammad qui représente l’archétype à suivre pour les fidèles musulmans, tandis que ses
épouses offrent l’exemple de femmes qui ont su soutenir, par la force et la patience, une présence
si bénie.
Parmi les nombreuses traditions valorisant l’importance de la femme, nous pouvons citer celle
rapportée par le deuxième calife, ‘Umar ibn al-Khattâb, qui disait :
« Après la foi en Dieu, le meilleur cadeau que puisse recevoir un serviteur est une épouse
vertueuse. Certaines d’entre elles constituent pour leurs époux un butin d’une valeur inégalable ;
d’autres sont de tels carcans qu’il vaut mieux s’en affranchir, fût-ce contre une rançon. »2
L’expression arabe traduite par « d’une valeur inégalable » signifie que certaines femmes ne
peuvent être remplacées par aucun autre don. Il est dit que « l’épouse vertueuse n’est pas un bien
de ce bas-monde puisqu’elle te permet de te consacrer entièrement à l’Au-delà. »3 Ces deux
dernières citations pourraient suffire à rendre vains la plupart des discours sur la femme
musulmane. Il est toutefois nécessaire de comprendre également la cause de certaines erreurs
d’interprétations qui touchent tous les aspects de la vie.
Venons-en à présent à des exemples concrets, à commencer par le « voile islamique ». Si, parmi
les innombrables significations attribuées à la valeur et à la fonction du voile islamique, certaines
frôlent véritablement le mauvais goût, l’on ne cherche jamais, néanmoins, à en donner une
définition religieuse. En effet, à l’instar des autres Traditions, par exemple l’hindouisme, le
2 !"#$$%&'#
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judaïsme et le christianisme, le voile sert, du point de vue de l’islam, à exprimer la vocation
religieuse, jusque dans l’habit. Alors pourquoi tant de bruit autour du voile islamique ?
Peut-être parce que l’on s’arrête trop souvent aux apparences, que ce soit celles des vêtements ou
celles des mots. En effet, il n’est pas souhaitable que le voile devienne une question de mode,
l’énième stéréotype, au point que l’on débatte pour évaluer s’il vaut mieux mettre la burqa ou la
minijupe. Il s’agit ici d’une double erreur parce que la burqa est le résultat, que certaines femmes
doivent subir, de l’interprétation erronée d’une prescription coranique. Le fait d’en parler, en
donnant la parole à des femmes qui, elles au contraire, en font un étendard idéologique leur
couvrant entièrement la face, fournit une subtile légitimation aux fondamentalistes eux-mêmes.
Quand on parle du voile en l’islam, hijâb, on entend ce foulard, de couleur et de grandeur
variables, qui couvre la tête en cachant les cheveux. L’obligation de porter le voile est liée aux
moments rituels et à l’accès aux lieux sacrés. La décision d’étendre cette obligation à tous les
moments de la journée est un choix personnel qui regarde la femme avec éventuellement l’avis de
son mari.
L’acte symbolique de se voiler, comme pour l’homme celui de porter l’habit traditionnel,
représente la volonté d’exprimer extérieurement sa propre vocation religieuse, ainsi que cette
crainte de Dieu qui devrait nous accompagner dans chaque action de la journée. Le vêtement est
un symbole qui a sa propre correspondance avec l’intériorité, de la me façon que l’on
reconnaît un lien indissociable d’analogie entre microcosme et macrocosme, immanence et
transcendance. Toutefois, il est bien connu que « l’habit ne fait pas le moine », ainsi, la religiosité
de chacun s’exprime-t-elle bien au-delà des apparences extérieures.
C’est la raison pour laquelle on ne saurait continuer à partager les femmes en deux catégories
opposées : celles qui portent le voile, et celles qui ne le mettent pas, en expliquant leur choix et
leur attitude par des motivations personnelles, par la condition sociale ou par le niveau
d’instruction. Il peut y avoir de bonnes musulmanes sans voile, et de mauvaises femmes voilées,
et inversement.
Le voile ne doit pas servir à cacher ou à établir une ségrégation, mais plutôt à distinguer. Il
fournit alors à celle qui le porte une protection en vertu de la consécration visible de sa personne
à Dieu. En vérité, le Coran dit : « Ô Prophète ! Dis à tes femmes, à tes filles et aux femmes des
croyants de se couvrir de leurs voiles ; c’est pour elles le meilleur moyen d’être reconnues et de
ne pas être offensées. »4 D’ailleurs, le prophète Muhammad est lui-même représenté, dans l’art
islamique, avec un voile ou une flamme sur son visage, afin qu’aucune caractéristique
individuelle ne soit associée à celui qui représente par excellence le symbole de la transparence
devant la Volonté divine.
Il semble, paradoxalement, qu’il soit demandé à la femme musulmane d’apprendre précisément à
porter ce même voile, le voile de la lumière prophétique, qui manifeste avant tout la transparence
divine. On peut alors comprendre, dans un certain sens, que la finalité du voile est de cacher les
apparences visibles des caractéristiques individuelles pour permettre de manifester, au-delà du
voile, l’invisibilité du mystère divin. C’est la raison pour laquelle, parmi les vertus attribuées à la
femme musulmane, celle de la discrétion est des plus fondamentales. L’art de la discrétion
correspond en fait à l’expression de cette sensibilité innée, présente en chaque femme, qui
consiste à savoir préserver les qualités que Dieu lui a données.
Le Prophète a dit : « Dieu est Beau et Il aime la beauté. »5 Les femmes ont reçu de Dieu un reflet
de cette beauté qui doit être gérée avec sagesse, et dévoilée dans l’intimité avec leur aimé. La
préservation de ce don précieux est à la fois active et passive, exigeant des hommes qu’ils
contrôlent une attraction excessive afin de pouvoir reconnaître dans la femme d’autres qualités
qui la caractérisent. Il s’agit, ici, de voiler une partie de soi pour savoir dévoiler d’autres
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5-&& .&& &*/*
caractéristiques, redéfinissant alors de façon qualitative les relations entre hommes et femmes,
indépendamment du lien de parenté, au moins d’une manière plus large, constructive, et
transparente.
Il existe également, dans la Tradition islamique, un autre aspect symbolique attribué au voile.
Celui de protection contre les offenses : la Vierge Marie, comme l’enseigne le Coran, « quitta sa
famille et se retira en un lieu vers l’Orient. Elle plaça un voile entre elle et les siens. »6 Cet
éloignement de Marie par rapport à son peuple, entendu comme renoncement à ce monde et
comme retraite spirituelle, est mis en évidence par l’acte de se voiler. Il précède l’annonce, faite
par l’ange Gabriel, de la naissance de Jésus.
Il est important de rappeler ici que, pour toute femme musulmane, ce serait une erreur d’associer
la vertu de la discrétion ou la nécessité d’une protection, à un simple morceau de tissu, surtout si,
au-delà de ce voile, l’on n’est pas capable de réaliser cette élection et cette distinction que Dieu
accorde, dans l’islam, aux femmes éclairées.
« On ne peut attribuer plus de valeur à un vêtement modeste qu’à un habit précieux, au fait de
travailler qu’au fait de rester à la maison, et inversement, car tout peut prendre de la valeur à
partir du moment l’on cherche à en tirer un enseignement en vue du retour à Dieu à la fin de
notre existence. Pour l’homme comme pour la femme réellement religieux, chaque moment qui
n’est pas vécu dans une aspiration à recevoir de Dieu un enseignement est un moment gaspillé et
perdu. »7
Il sera nécessaire à l’avenir, afin de pouvoir réellement aller « au-delà du voile », de laisser aux
femmes musulmanes la possibilité de perpétuer l’importante fonction qu’elles ont toujours
remplie. La fonction éducative de la femme ne pourra jamais être amoindrie par le fait que les
musulmanes puissent être présentes dans la société, que ce soit en tant que responsabilité
individuelle, dans la famille, ou en tant que responsabilité civile.
En fait, l’accent qui est mis dans l’islam sur la discrétion et la modestie de la nature féminine ne
peut pas devenir un alibi pour ne pas réagir à la désinformation fallacieuse et aux
instrumentalisations fondamentalistes. D’un autre côté, la nécessité d’une réaction intellectuelle
et modérée de la femme ne doit pas se transformer en une révolte contre le monde avec la volonté
d’une affirmation féministe coupée de toute référence traditionnelle. Les femmes réussiront à
jouer leur rôle à condition qu’elles soient capables de collaborer en synergie avec les fonctions
exercées par les hommes, sans vouloir opposer ou substituer les uns aux autres. Les femmes
musulmanes contemporaines se préparent également à affronter de nouveaux rôles. La fonction
consistant à refonder les relations sociales, à redessiner le système éducatif, et à redéfinir les
nouvelles professions pour le futur, demande cette capacité d’intuition et ce recours à
l’opérativité que les femmes possèdent incontestablement. La femme qui voudra entreprendre
une activité publique, par exemple une carrière politique ou l’enseignement, sera d’autant plus
soutenue, et aura plus de succès, dans la mesure elle se maintiendra dans le cadre de la
Tradition. En réalité, l’universalité de l’islam fournit, en tout temps, les outils intellectuels qui
permettent d’affronter et de résoudre les situations de ce monde, en sachant que le but de la
religion n’est pas d’apporter une solution à tous les problèmes du monde problèmes qui se
posent dans la mesure nous sommes encore « profanes » mais d’assurer le salut de l’âme
après la mort.
Tel est le véritable défi du troisième millénaire : se confronter avec des cultures différentes et
interagir avec elles, tout en préservant sa propre identité religieuse, sans être étouf par le
fondamentalisme qui voudrait imposer un puritanisme idéologique qui n’a à voir avec
60%
71"23
l’intégrité religieuse ou par des courants athées réformistes, qui ne sont que le fruit des
illusions de la modernité.
L’équilibre délicat entre le maintien de l’identité religieuse propre et la confrontation avec des
perspectives diverses est à rechercher avant tout en nous-mêmes, en utilisant toutes nos facultés
intellectuelles et notre adhésion à la Tradition. Cet effort est nécessaire pour appréhender et vivre
les situations nouvelles que la vie nous réserve, au moyen de ces supports, vitaux en islam, que
sont l’intelligence, la doctrine et le consensus des savants. C’est ainsi que l’on parviendra
effectivement à réaliser une véritable liberté dans la religion, et non pas une émancipation de la
religion, ni encore moins une religion sans liberté.
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